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À la mémoire de George Floyd

Crédit: Mugshots / unsplach.com.

Le symbole de millions de personnes dans des dizaines de pays

Bien sûr, je ne connaissais pas personnellement George Floyd. Et pourtant, j’ai l’impression de le connaître aussi personnellement que mes proches amis rédacteurs à Voix d’Exils: Jean-Marie, Billy, Ben, Afkar, Tamara…

Comme d’autres amis inconnus vivant dans différents pays du monde en Syrie, Soudan du Sud, Afghanistan, Érythrée, Iran, Éthiopie, Sri Lanka, Turquie, Somalie, Irak et d’autres encore.

La vérité est que nous portons tous le même nom, au-delà de notre appartenance nationale, raciale, religieuse ou sexuelle: nous sommes des humains.

La violence policière essence de l’humanité?

Je pense que la mort de George Floyd est le résultat de la sauvagerie humaine. L’incident qui a eu lieu le 25 mai 2020 à Minneapolis, aux États-Unis, a également été une conspiration fatale contre l’humanité. Les contradictions au sein de l’humanité sont innombrables. C’est peut-être pour cette raison que les mots «humanité» et «sauvagerie» sont devenus synonymes.

L’arbitraire policier et la violence policière existent aussi dans mon pays natal l’Azerbaïdjan. Aussi triste que cela soit, c’est logique, car le régime en place est autoritaire. Si de tels cas existent aux États-Unis, qui enseignent au monde l’Etat de droit et la démocratie, comment pourrait-il en être autrement ? De tels exemples négatifs ne peuvent qu’inspirer des régimes autoritaires comme l’Azerbaïdjan.

L’humanité s’est égarée à mesure qu’elle progresse. C’est comme si personne ne se souciait de l’avenir du monde. Parfois, il me semble que l’instinct de préserver et de perpétuer la progéniture qui existe chez les animaux sauvages a complètement disparu chez l’homme. L’individualisme, l’intérêt personnel et le gain l’emportent sur toutes les valeurs supérieures. La police est devenue un outil entre les mains de dirigeants malades et de leurs «gouvernements infectés» pour opprimer le peuple et étouffer ses droits. Cette mauvaise tradition a perpétué l’arbitraire policier. Et tant que cela continuera, personne au monde ne sera assuré contre le sort de George Floyd.

George Floyd, son cou sous le genou du policier Derek Michael Chauvin, a supplié: «Je ne peux pas respirer». Aujourd’hui, des millions de personnes dans le monde, dans de nombreux pays, sont exactement dans la même situation : incapables de respirer en raison de la violation des valeurs et droits humains les plus élémentaires. En ce sens, George Floyd peut être considéré comme le symbole de millions de personnes, dans des dizaines de pays.

Oui, l’État est aussi un instrument de violence et la police en fait partie intégrante. Et lorsque son traitement est illégal et inhumain, reste-t-il conforme à l’humanité ?

Il me semble que ce n’est pas seulement George Floyd qui est mort : je suis mort en même temps que lui, avec mes amis : Jean-Marie, Billy, Ben, Afkar, Tamara; tout comme les peuples de Syrie, du Soudan du Sud, d’Afghanistan, d’Érythrée, de l’Iran, de l’Éthiopie, du Sri Lanka, de la Turquie, de la Somalie, de Irak et de bien d’autres pays encore.

Samir Murad
Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Revue de presse #15

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils.

Sous la loupe : L’Albanie peine à nourrir les migrants / La Grèce vide les camps situés sur ses îles / La Suisse étudie la possibilité d’accéder aux portables des requérants

Albanie: les migrants crient famine

Infomigrants.net, le 29.05.2020

Toujours plus de migrants séjournant dans des structures d’accueil albanaises gérées par l’État sont réduits à faire la manche pour trouver de quoi manger. Le magazine Balkan Insight, qui a mené l’enquête, cite le cas de Khaled, originaire de Palestine. Hébergé dans le centre de Babrru, près de la capitale, le jeune homme témoigne de la galère vécue au quotidien par lui-même et ses compagnons d’infortune confrontés à une grave pénurie alimentaire.

Surpopulation, nourriture rare et de mauvaise qualité, assistance médicale défaillante… le camp de Babrru manque de tout. Ce printemps, il a refoulé des migrants, malgré le froid, sous prétexte de mesures de confinement dues à la pandémie de Covid-19.

L’agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR) décrit l’Albanie comme un pays de transit pour beaucoup de migrants qui espèrent rejoindre l’Italie ou les pays riches du nord de l’Europe. Mais, avec la fermeture progressive de la route des Balkans, de plus en plus de migrants ont fini par se retrouver bloqués en Albanie.

Le HCR, qui soutient les initiatives du gouvernement albanais pour aider les migrants, relève que le centre de Babrru a été construit à l’origine pour 180 personnes avant d’augmenter sa capacité de 200 places en 2018 sous la pression des arrivées. Mais, d’après des témoignages, le centre serait gravement surpeuplé et échapperait au contrôle des autorités. Certains migrants affirment que ce sont des gangs qui font la loi, volent de la nourriture et agressent les résidents. L’identité de ces gangs reste floue, mais il pourrait s’agir de migrants qui vivent depuis un certain temps dans le centre, plutôt que de gangs qui viendraient de l’extérieur.

Grèce : transfert de 14 000 migrants des îles vers le continent

Rtbf, le 04.06.2020

Depuis le début de l’année, les autorités grecques ont transféré près de 14’000 personnes des camps de migrants surpeuplés situés sur les îles vers la Grèce continentale. De source officielle, ces transferts ont permis de réduire la population migrante des îles de la mer Égée – Lesbos, Chios, Samos, Leros et Kos -, de 42 000 à 32 247 personnes au mois de mars dernier. Malgré ces départs, le nombre de migrants encore hébergés dans les camps situés sur les îles dépasse largement leur capacité d’accueil.

Les autorités grecques ont, par ailleurs, accéléré le traitement des demandes d’asile, faisant passer le nombre de dossiers en cours de 126’000 en début d’année, à moins de 100’000.

Le pays a également renforcé la sécurité le long de ses frontières terrestres et maritimes avec la Turquie. Depuis le début de la pandémie Covid-19, des centaines de migrants embarquées dans des bateaux ont été refoulés par les garde-côtes et la marine et seulement 125 traversées ont été enregistrées.

Le fait que la Grèce autorise le passage à un nombre fortement réduit de migrants a été vertement critiqué par les organisations internationales de protection des droits de l’Homme.

 

Suisse : est-il légitime de fouiller les téléphones des requérants ?

Le Matin, 04.06.2020

Un projet de loi prévoit de permettre aux autorités d’accéder aux smartphones, tablettes ou ordinateurs portables des requérants d’asile, dans le but d’établir leur identité et/ou leur nationalité.

Pour l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), ce projet est contestable tant du point de vue de l’État de droit que de la protection des données. Les requérants ont déjà l’obligation légale de collaborer à la procédure et peuvent – s’ils y consentent – mettre à disposition leurs données à des fins de preuves. Les y obliger est disproportionné.

Sans compter qu’une telle disposition laisserait supposer que les demandeurs d’asile sont des criminels potentiels. À l’inverse, les contrôles des autorités qui consultent les données privées de ces personnes ne seraient, quant à eux, soumis à aucun contrôle judiciaire.

La plateforme d’information asile.ch rappelle qu’une expérience menée en Allemagne durant 18 mois sur les téléphones des requérant a montré peu d’efficacité. Les données récoltées n’ont apporté aucune information utilisable dans 64% des situations. Elles ont permis de confirmer l’identité des personnes dans 34% des cas et de la réfuter dans 2% des cas seulement.

De manière générale, les cantons se montrent divisés sur le projet de loi : Genève le soutient du bout des lèvres ; Neuchâtel s’y oppose et Fribourg l’approuve.

Du côté des partis, le PS et les Verts rejettent catégoriquement ce développement du droit d’asile. A droite, le PLR reconnaît une atteinte à la sphère privée « acceptable et proportionnée ». Il salue une facilitation et une crédibilité renforcée de l’asile dans son ensemble. Un avis partagé par le PDC.

Oumalkaire / Voix d‘Exils




Les disparitions forcées

Auteur: Free-Photos, CC0 Creative Commons, pixabay.com.

 Des crimes contre l’humanité!

La question des personnes dont la disparition est intentionnelle est un problème grave dans le monde et constitue une violation manifeste des droits fondamentaux d’une personne et de sa famille.

On parle de disparition forcée lorsqu’une personne disparaît suite à une intervention des forces de l’ordre, sans accusation de crime, sans procès et sans avoir été présentée devant un tribunal.

Quand les proches et les militants des droits de l’homme tentent de faire enregistrer une disparition dans un commissariat de police, la police refuse. Toutes les tentatives des familles pour obtenir des renseignements restent vaines ; elles ne reçoivent que peine et douleur.

Il est très difficile pour les familles de personne disparues de vivre dans la société ; elles subissent rumeurs et spéculations sur les raisons qui ont conduit à cet enlèvement. La situation des femmes est particulièrement sensible : sans nouvelles de son mari disparu, une femme n’est ni veuve ni mariée ; elle n’a pas légalement le droit de se remarier parce qu’elle n’est pas en mesure de fournir des papiers de divorce ou le certificat de décès de son mari. Dans la région du Cachemire, on les désigne sous l’appellation parlante de demi-veuves « half-widows ».

Des milliers de personnes, enlevées à leur domicile ou sur leur lieu de travail, sont répertoriées comme personnes disparues par diverses organisations de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International et Human Rights Watch.

Dans les régions où certains groupes sont en conflit avec l’Etat, il y a plus de cas de disparitions forcées. C’est la raison pour laquelle on admet généralement que les organismes d’État sont impliqués ; dans de nombreux cas, des femmes figurent également parmi les personnes disparues.

On peut se demander pourquoi des agences d’État seraient impliquées dans de telles activités illégales puisqu’elles disposent de tous les mécanismes pour présenter la personne devant un tribunal du pays et la faire condamner si elle a commis un crime ou n’a pas respecté la loi.

Parfois, l’Etat a des soupçons sur les activités d’une personne mais ne dispose pas de preuves pour la présenter devant un tribunal. Dans d’autres cas, la personne est morte sous la torture au cours de l’enquête, c’est pourquoi l’État n’est pas en mesure de la présenter devant le tribunal et ne peut pas annoncer sa mort parce qu’elle a été détenue illégalement et que c’est contraire à la constitution du pays.

Il faut rappeler haut et fort que les disparitions forcées constituent un crime contre l’humanité. Il est de la responsabilité de l’État d’assurer la sécurité de tous les citoyens, conformément à la constitution du pays. C’est le droit fondamental d’un détenu d’être présenté devant un tribunal dans les 24 heures; L’Etat doit absolument restaurer les droits de toute personne disparue s’il ne veut pas que, à la recherche d’un coupable, on pointe le doigt dans sa direction.

Jamal Bugti

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

 




Faut-il restreindre la démocratie directe suisse ?

Dr. Antoine Chollet, Maître assistant à l’Université de Lausanne. Auteur : Aram Karim ©

Dr. Antoine Chollet, Maître assistant à l’Université de Lausanne. Auteur : Aram Karim ©

Interview d’Antoine Chollet, politologue et spécialiste de la démocratie directe. 

Voix d’Exils : Comment définir les démocraties directe et semi-directe ?

 Antoine Chollet : Pour rentrer dans l’explication, il faut peut-être prendre des questions historiques sur le développement de ce que l’on appelle la démocratie directe en Suisse et immédiatement préciser que le terme de démocratie semi-directe a été inventé assez tardivement dans les années 60 par des adversaires des procédures référendaires et des initiatives populaires. Je préfère désigner le système politique suisse comme un mélange d’une part, d’outils de démocratie directe qui sont les mécanismes référendaires et d’autre part, d’un régime représentatif tout à fait comparable aux autres pays que ce soit la France, l’Allemagne ou la Grande Bretagne…

V.E : A quand remonte le concept de la démocratie directe ?

A.C : La démocratie directe en Suisse, au niveau fédéral, s’est mise en place essentiellement à partir de 1874, ce qui introduit un nouveau pouvoir pour un nombre donné de citoyens, puis, plus tard, de citoyennes (aujourd’hui c’est 50.000) de contester les lois qui ont été passées au Parlement (c’est un droit de véto populaire, une récolte de signatures qui provoque un vote de l’ensemble de la population). En 1891, un deuxième outil important est introduit, qui est l’initiative populaire et qui permet de proposer une modification de la Constitution. Aujourd’hui 100.000 personnes, citoyens et citoyennes peuvent proposer un nouvel article, des amendements à la Constitution fédérale qui sont mis au vote. Pour passer, les initiatives populaires doivent rassembler une double majorité, comme on l’appelle en Suisse, à la fois une majorité du peuple et une majorité des Cantons. Ce n’est pas le cas pour le référendum facultatif qui ne demande qu’une majorité du peuple.

Le bâtiment des sciences humaines « Géopolis » de l’Université de Lausanne. Auteur : Aram Karim ©

Le bâtiment des sciences humaines « Géopolis » de l’Université de Lausanne. Auteur : Aram Karim ©

V.E : Pour les initiatives populaires, y a-t-il une différence entre celles de hier et celles d’aujourd’hui ?

A.C : Oui, on peut voir une différence dans les acteurs qui l’utilisent. Dans les premières décennies d’existence de l’initiative populaire, c’est plutôt un outil utilisé par la gauche, notamment dans l’entre-deux guerres. En 1943, la gauche accède au Conseil fédéral (le gouvernement), et limite progressivement son utilisation de la démocratie directe dans l’après-guerre. C’est un moment de grand consensus politique en Suisse, donc il y a peu de grands débats ou de grands combats, ils sont réglés au Parlement voire au Conseil fédéral. Beaucoup moins d’initiatives sont lancées. En revanche, depuis les années 80 et surtout 90, on voit le retour de l’utilisation des initiatives populaires à la fois par la gauche dans toutes ses composantes et par la droite nationaliste, par l’UDC. Ces vingt dernières années, la plupart des initiatives qui sont passées provenaient de la droite, essentiellement de l’UDC ou soutenues par l’UDC, et cela fait très longtemps que la gauche n’a pu réussir à faire passer une de ses initiatives. La dernière qui a été soutenue par la gauche a été l’initiative des Alpes, acceptée en 1994 (une initiative de protection de l’Arc alpin demandant une limitation du trafic routier). Sinon toutes les initiatives qu’elle a lancées ces dernières années ont été refusées.

V.E : Pensez-vous que certains partis politiques ou groupement de personnes utilisent ces droits populaires pour servir leurs intérêts ?  

A.C : C’est en effet, un fait nouveau. Tous les partis politiques confondus, utilisent les instruments de la démocratie directe pour lancer leurs campagnes électorales. L’année 2015 a été une année d’élections législatives au niveau fédéral, l’UDC et la gauche ont lancé une série d’initiatives pour accompagner leur campagne électorale. On se rend compte, en général, qu’il y a des phases dans l’utilisation des initiatives populaires. C’est un gros engagement de récolter 100.000 signatures. Il y a des militants qui doivent descendre dans la rue pour les partis de gauche ou des personnes payées pour récolter les signatures pour les partis de droite, donc un investissement soit en temps, soit en argent, soit en travail militant.

Ce n’est pas très grave qu’un sujet soit proposé à la votation populaire, de toute manière si la question proposée est totalement absurde, elle sera refusée très largement par la population. L’autre problème, ce sont les initiatives qui ont été lancées et qui nous semblent scandaleuses d’un point de vue politique. Le fait est malheureusement, que si l’initiative récolte une majorité de la population et des Cantons, cela signifie que la question qu’elle pose a une importance – justifiée ou non, la question n’est pas là – dans la population suisse et que de toute manière si elle n’est pas posée par une initiative, elle le sera d’une manière ou d’une autre, soit lors des élections, soit à partir d’autres questions dans les années à venir.

Dr. Antoine Chollet, Maître assistant à l’Université de Lausanne. Auteur : Aram Karim ©

Dr. Antoine Chollet, Maître assistant à l’Université de Lausanne. Auteur : Aram Karim ©

V.E : Est-ce que vous pouvez donner un exemple ?

A.C : Selon moi, l’exemple le plus clair est celui de l’initiative sur les minarets.  Même si cette initiative n’avait pas été lancée, la question se serait trouvée sur le devant de la scène à un moment ou à un autre, que ce soit sur un vote UDC encore plus important ou sur d’autres votes, notamment ceux portant sur les questions religieuses ou de laïcité. D’une certaine manière, la démocratie directe met explicitement les questions sur la place publique, ce qui est, a priori, une bonne chose.

V.E : Faudrait-il réguler le dépôt des initiatives populaires, si oui, comment et par qui ? 

A.C : Je ne pense pas qu’il faut le réguler davantage. Des propositions ont été faites depuis longtemps sur trois plans.

Le premier plan, le plus fréquemment mentionné, concerne l’augmentation du nombre de signatures. Il y a déjà eu une augmentation en 1977 qui avait fait passer ces signatures de 50.000 à 100.000, pour faire suite au doublement du corps électoral lorsque les femmes ont obtenu le droit de vote en Suisse (en 1971). Il y a une proposition qui a été lancé au début de cette année par Avenir Suisse, le « Think tank » du patronat, de doubler le nombre de signatures, donc de le faire passer à 200.000. Certains ont aussi proposé le raccourcissement de la période de récolte, qui est actuellement de 18 mois.

Le deuxième élément, c’est de mettre des limites plus restrictives dans la Constitution. En effet, la seule limite matérielle aux initiatives populaires qui est posée depuis 1999 (avant il n’y en avait aucune) est ce que l’on appelle le droit international impératif. Ce sont des règles extrêmement limitées sur le génocide, la torture, l’esclavage, etc… Cette limite est posée pour que, par exemple, un groupe ne puisse pas déposer une initiative demandant le rétablissement de l’esclavage en Suisse.

La troisième proposition de limitation serait une instance de validation du texte des initiatives, soit avant ou soit après la récolte des signatures, que ce soit le Parlement, le Tribunal Fédéral, le Conseil Fédéral ou une autre instance qui accepterait ou non le texte qui serait déposé par un comité d’initiative. C’est ce qui se passe, par exemple dans le Canton de Vaud, puisque c’est le Conseil d’Etat, qui avant la récolte des signatures doit dire si un texte est acceptable ou non.

Dr. Antoine Chollet, Maître assistant à l’Université de Lausanne. Auteur : Aram Karim ©

Dr. Antoine Chollet, Maître assistant à l’Université de Lausanne. Auteur : Aram Karim ©

V.E. Et pourquoi êtes-vous contre l’application de ces restrictions?

A.C : Je suis opposé aux trois formules. Je pense que la réglementation actuelle est amplement suffisante. Il est politiquement imprudent de donner à une entité de l’Etat la capacité de bloquer les initiatives populaires, car l’initiative populaire est avant tout un contre-pouvoir. Elle doit pouvoir agir sur l’Etat et ses centres de pouvoir, contre le Parlement, contre le Conseil d’Etat, contre le Tribunal Fédéral. De ce fait, plus il y a de limitations, moins ce contre-pouvoir peut s’exercer. Je suis plutôt favorable à l’extension de l’utilisation de la démocratie directe, il faudrait donc avoir davantage d’outils, par exemple l’initiative législative ou le référendum constructif, qui peut attaquer un seul élément d’une loi et non l’ensemble d’une loi. En résumé, je propose donc d’aller dans l’autre sens et de laisser plus de liberté plutôt que de la restreindre.

V.E: Que pensez-vous de la prochaine initiative de l’UDC intitulée « le droit suisse au lieu des juges étrangers » ?

A.C : C’est une initiative qui pose une multitude de problèmes qui sont assez compliqués à débrouiller. La première chose c’est que l’UDC a une cible en tête : la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui s’assure du respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme qui date des années 50. La Suisse a adhéré et ratifié cette convention dans les années 70, de ce fait là, le titre de l’initiative de l’UDC est trompeur puisqu’il ne s’agit pas de juges étrangers, mais il s’agit d’une Cour internationale dans laquelle des juges suisses siègent.

 Le deuxième problème, qui irait plutôt dans le sens de l’UDC malheureusement, c’est que la ratification de cette convention n’a jamais été soumise au peuple suisse. Dans les années 70, le Conseil fédéral a simplement demandé au Parlement et la ratification s’est faite au niveau des institutions et organes représentatifs et non pas de la démocratie directe. Je pense qu’aujourd’hui, on serait moins embêté avec cette initiative s’il y avait une ratification populaire. On pourrait dire qu’il y a quarante ans, le peuple suisse a ratifié cette convention et donc qu’elle fait partie de l’ordre juridique suisse au même titre que la constitution suisse.

Dr. Antoine Chollet, Maître assistant à l’Université de Lausanne. Auteur : Aram Karim ©

Dr. Antoine Chollet, Maître assistant à l’Université de Lausanne. Auteur : Aram Karim ©

V.E : A votre avis, qu’est-ce qui serait plus raisonnable de faire concernant cette question ?

A.C : A mon sens, ce ne serait pas une mauvaise chose, une fois, de faire ratifier par décision populaire l’ensemble des conventions européennes des droits de l’homme et non pas simplement d’essayer de l’attaquer comme le fait l’UDC. Le second élément, c’est que les Etats se font en permanence condamner par la Cour Européenne des droits de l’homme, ça arrive à la Turquie très régulièrement, à la France, à l’Allemagne, à l’Italie, et à la Suisse aussi. La Suisse vient de se faire condamner d’ailleurs sur cette question-là. Un journaliste et politicien turc qui avait nié le génocide arménien et qui avait été condamné, a fait recours jusqu’au Tribunal fédéral en Suisse.  Le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation, mais la Cour Européenne des droits de l’Homme a tranché et donné raison au journaliste, en invoquant la liberté d’expression. Donc c’est ce type de situations qui sont jugées par la Cour Européenne des droits de l’Homme, c’est un exemple qui tombe un peu mal pour la gauche, puisque cette Cour ne protège pas toujours l’opposition politique. Puisque la Cour n’a pas de force d’exécution et que ses décisions doivent être mises en œuvre par les Etats membres, il arrive que des condamnations tombent dans l’oubli tout simplement.

La dernière chose qui est aussi ennuyeuse, c’est que le texte de la Convention européenne des droits de l’Homme et ses principes fondamentaux datent des années 50. Les libertés garanties dans la convention européenne des droits de l’Homme sont moins étendues que celles que l’on retrouve dans la Constitution fédérale de 1999. De plus, le texte de la Convention n’est pas un modèle de démocratie, c’est pourquoi je dis que la question posée par l’UDC est un peu   embêtante d’une certaine manière, sur le texte lui-même. Je ne me sens pas tout à fait prêt à défendre les yeux fermés la Convention européenne des droits de l’Homme. Néanmoins, les textes de lois sont toujours interprétés  et, sur certains sujets au moins, les décisions de la Cour Européenne des droits de l’Homme sont un peu plus progressistes que la jurisprudence du Tribunal fédéral.

Propos de recueillis par :

Issa

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 




« L’initiative de l’UDC pour le renvoi effectif des criminels étrangers nous ramène au système du bannissement »

Magalie Gafner, sociologue et juriste au Centre Social Protestant (CSP) Lausanne.

Magalie Gafner, sociologue et juriste au Centre Social Protestant (CSP) Lausanne.

Voix d’Exils a  rencontré Magalie Gafner, sociologue et juriste au Centre Social Protestant (CSP) de Lausanne pour s’interroger sur les enjeux de l’initiative du 28 février prochain dites de renvoi effectif des étrangers criminels.

Quelle est la différence entre la dernière initiative concernant le renvoi des criminels étrangers et celle-là ? Est-ce uniquement une « mise en œuvre » de la précédente ?

L’application faite par le Parlement de l’initiative sur le renvoi des étrangers délinquants laisse une marge d’interprétation aux juges, leur permettant de traiter différemment un migrant fraîchement arrivé et qui commettrait un délit et une personne née en Suisse qui commettrait le même acte.

 Dans cette initiative « Pour le renvoi des étrangers criminels », quelles catégories d’étrangers sont visées ?

A priori toutes les  catégories d’étrangers sont visées : du touriste à l’étranger de la deuxième ou troisième génération. Il est toutefois clair qu’un renvoi automatique, tel que prévu dans l’initiative de mise en œuvre, contrevient à l’interprétation faite par la Cour de justice de l’Union Européenne qui exige un danger actuel pour l’ordre public et réfute toute automaticité. Sans remise en cause de l’Accord sur la libre circulation des personnes, le texte constitutionnel ne pourrait s’appliquer aux ressortissant-e-s européens. De plus, ce texte, mènera à des violations très systématiques de l’article 8 de la Convention Européenne des Droit de l’Homme qui protège la vie familiale mais aussi la vie privée, soit notamment l’enracinement ancien d’une personne dans une société quand bien même elle  n’en n’aurait pas la nationalité. Là aussi, soit on renonce à appliquer cette convention, soit on renonce à appliquer le nouvel article constitutionnel aux migrants installés de très longue date ou qui auraient leur famille en Suisse et dont le ou les crimes ne revêtent qu’une gravité relative.

Est-ce que cette initiative pose des problèmes (ou pas ?) du point de vue du droit ?

 

En plus des difficultés soulevées à la question précédente, l’initiative entrave clairement le travail du juge qui doit appliquer le cadre légal à une situation particulière et respecter le principe de proportionnalité.

Pensez-vous que cette initiative va renforcer la sécurité de la population suisse ?

Si cette campagne participe à créer un sentiment d’insécurité, la modification de la Constitution ne changera rien à la sécurité objective en Suisse, puisque aujourd’hui les bases légales et la pratique des tribunaux permettent déjà de renvoyer les étrangers qui mettent en danger l’ordre public. Les seules personnes qui ne peuvent être actuellement renvoyées et qui présentent un danger ne le pourront pas non plus avec cette initiative, puisqu’il s’agit de personnes dont l’identité est impossible à établir et/ou qui ne sont pas réadmises par leur Etat national.

Cette initiative ne risque-t-elle pas de créer un régime de « double peine » ?

Il est clair qu’une sanction de renvoi qui s’ajoute à une peine pénale purgée est une double peine.

Dans quelle « direction » les différentes initiatives de l’UDC nous mènent ?

Ces initiatives nous éloignent d’une certaine conception du droit et nous ramènent  à travers des réponses apparemment simples au système ancien du bannissement qui, indépendamment des questions éthiques que cela soulève, n’est, dans une société mondialisée, qu’une illusion.

Propos recueillis par:

Rama Kouria

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Info :

Article paru dans le 20 minutes qui détaille des cas de figure concrets de renvois