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Etre débouté de l’asile et pouvoir terminer son apprentissage

Un requérant d’asile ayant débuté son apprentissage dans un bureau d’architecte dans le Canton de Vaud. Auteur: Voix d’Exils.

Le Parlement suisse traite une motion* qui permettrait aux migrants déboutés de terminer leur formation professionnelle en cours

Face à la montée du nombre de personnes migrantes déboutées qui doivent renoncer à leur formation professionnelle et suite à un appel de la société civile, une motion visant à leur permettre de mener à terme la formation entreprise a été déposée au Conseil national.

Le 13 août 2020, la Commission des institutions politiques du Conseil national a déposé une motion intitulée « Pas d’interruption d’un apprentissage en cours à l’échéance d’une longue procédure d’asile. Permettre aux demandeurs d’asile déboutés de terminer leur formation en cours ». Cette dernière fait suite à une pétition déposée par l’association « Un apprentissage – Un avenir » à la Chancellerie fédérale le 26 novembre 2019.

La motion en question concerne les requérants qui ont reçu une décision d’asile négative alors qu’ils ont au préalable signé un contrat d’apprentissage ou entrepris une formation professionnelle en Suisse. Etant déboutés, ces derniers sont tenus de quitter la Suisse. Ils perdent le droit de travailler, n’ont pas de permis et sont exclues de l’aide sociale. Ils obtiennent une attestation de délai de départ appelée « papier blanc ». Bien souvent, ne pouvant pas rejoindre leur pays d’origine, ces personnes se retrouvent à l’aide d’urgence, une prestation de survie conçue comme un dispositif d’incitation au départ. Conformément aux informations disponibles sur le site officiel du Parlement suisse, la motion en question charge le Conseil fédéral de modifier les bases légales en vigueur afin que les requérants d’asile déboutés puissent se voir accorder une prolongation du délai de départ afin de poursuivre et terminer leur formation. Il est également souligné qu’en plus des entreprises formatrices et des PME suisses, un tel dispositif serait favorable pour les pays d’origine car les apprentis y retourneraient dotés d’un savoir-faire supplémentaire.

Une minorité de la commission a proposé de rejeter la motion. Néanmoins, à ce jour, le sujet n’a pas encore été traité au Conseil national. Selon la RTS, la proposition devrait être débattue cet automne au Parlement. Il est également important de souligner que le 1er mars 2019, de nouvelles prescriptions en matière d’asile sont entrées en vigueur. Ces dernières ont pour but d’accélérer les procédures d’asile et d’aboutir à une décision exécutoire dans un délai de 140 jours. Par conséquent, la motion concerne avant tout les migrants dont la procédure était encore soumise à l’ancien droit d’asile.

« Ce n’est pas normal ! »

Le 15 août dernier, la Radio Télévision Suisse (RTS) a traité le sujet dans son téléjournal « Le 19h30 ». A cet effet, Fouad, un jeune Ethiopien, qui a reçu une décision de renvoi alors qu’il était apprenti dans un établissement médico-social a été interviewé. Le jeune homme a souligné qu’il regrettait de ne plus pouvoir travailler, d’autant plus qu’il ne va pas pouvoir retourner dans son pays d’origine compte tenu du contexte politique. Son ancienne cheffe a par ailleurs mentionné que Fouad a laissé un vide dans l’établissement et qu’il s’agissait d’un apprenti consciencieux et très bien intégré dans l’équipe.

Situation similaire à Etoy où un patron de carrosserie s’est vue privé de son apprenti car ce dernier a reçu une lettre de renvoi durant le mois de décembre 2019. Le formateur du jeune apprenti, choqué par le départ de ce dernier, a soutenu que : « ce n’est pas normal ! C’est des jeunes, ils sont là, ils veulent s’en sortir, ils trouvent des apprentissages, puis on les revoie ». Il regrette son apprenti qu’il décrit comme motivé à travailler, de bonne humeur, ponctuel et dégageant une réelle motivation à s’en sortir. Le patron souligne également qu’il n’avait pas été informé par les autorités compétentes de la possibilité de départ de son apprenti.

Qu’est-ce qu’une motion ?*

La motion est une intervention qui charge le Conseil fédéral (le gouvernement de la Suisse) de déposer un projet d’acte de l’Assemblée fédérale ou de prendre une mesure. L’assemblée fédérale est le Parlement de la Suisse qui est composé de deux chambres : le Conseil national représente la population suisse et le Conseil des Etats représente les cantons.

Une motion peut être déposée par la majorité d’une commission. Les commissions sont des organes du Parlement composées d’un nombre limité de députés. Elles ont pour mission première de procéder à l’examen préalable des objets qui leur sont assignés. Pendant les sessions, elle peut également l’être par un groupe parlementaire ou par un député.

Pour être transmise au Conseil fédéral, la motion doit avoir été adoptée par les deux Chambres fédérales.

Source : parlement.ch

Source: commons.wikimedia.org

Ezio Leet
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Les premières visites ravivent les cœurs

Unsplash.com. Auteur: Phil Hearing

Drôles et émouvantes retrouvailles dans un EMS valaisan

Aujourd’hui, il fait beau et je me sens très bien en ce début de mois de juin. C’est la deuxième fois depuis la crise du Coronavirus que je viens à la maison de retraite pour un travail de bénévolat. Je prépare le dispositif des visites. Grâce au beau temps, on peut les organiser dans le jardin.

La première aura lieu dans quelques minutes. Je dois me dépêcher et bien désinfecter la table, les chaises et surtout le plexiglass installé au milieu de la table.

Ils arrivent : une jeune femme avec un homme, ils sont le fils et la belle-fille de Madame… Oh, je suis vraiment « terrible » pour me rappeler le nom des gens, je les oublie toujours !

« Pourquoi n’es-tu pas venu me voir ? »

J’accueille les deux visiteurs et les invite à bien se désinfecter les mains et à remplir les formulaires administratifs. Je les guide ensuite jusqu’au lieu de la visite. Le jeune homme me demande :

– « Est-ce que nous devons porter un masque pendant la visite ? » et il ajoute « C’est notre première visite depuis deux mois. On s’est seulement parlé quelques fois sur WhatsApp. »

– Je lui réponds : « Non, le plexiglass entre vous suffit ; si vous portez le masque ça serait trop difficile pour vous comprendre. »

Après quelque secondes, sa mère arrive sur une chaise roulante, accompagnée d’une infirmière. C’est une petite dame avec de grosses lunettes, elle a des cheveux courts et blancs comme la neige des Alpes. En s’installant derrière la table elle dit d’une voix fragile :

– « Où étais-tu? Pourquoi n’es-tu pas venu me voir ? »
– « Il y avait une maladie grave partout, on n’avait pas le droit de venir, c’était interdit. » explique son fils en s’approchant du plexiglass pour mieux se faire comprendre.
– « Depuis quand est-ce qu’on interdit à des enfants de rendre visite à leur mère ? » demande-t-elle sérieusement.
– « Mais Maman … » J’interromps le fils et l’informe que la durée de la visite est limitée à 30 minutes au maximum.

Je les laisse tranquilles et m’assieds sur une chaise à l’écart, de l’autre côté du jardin, où je m’occupe avec mon téléphone portable.
Je dois faire attention à l’heure, car la visite suivante est annoncée dans 40 minutes. Cela fait déjà 23 minutes que la visite a commencé, et il ne reste que 7 minutes ! C’est le moment le plus difficile, quand je dois les avertir qu’il ne reste que 5 minutes ! Ils vont me dire que le temps a passé très vite!

Je me rapproche d’eux. Heureusement, ils sont plus détendus qu’au début de la visite. Ils me remercient et se disent au revoir. Le fils promet à sa mère qu’il reviendra très vite.

 

« C’est notre anniversaire de mariage »

Je vois arriver la voiture de la deuxième visite. Elle se gare dans la cour de la maison. C’est un monsieur d’environ 80 ans, mais il a l’air d’avoir vingt ans de moins. Il vient vers moi avec un joli bouquet de roses et une boîte dans les mains.

– « C’est notre anniversaire de mariage aujourd’hui et j’ai apporté un petit gâteau pour le manger avec ma femme » me dit-il avec un grand sourire.
– « Joyeux anniversaire ! Mais avant je dois tout désinfecter. »
– « Désinfecter le gâteau ??!!! » me demande-t-il avec un regard étonné.
– « Mais non, on ne désinfecte pas le gâteau, seulement la boîte et le bouquet de fleurs !»

Sa femme arrive avec une infirmière à ses côtés mais je trouve qu’il y a quelque chose de bizarre.
L’infirmière s’adresse à la femme et lui explique que le Monsieur est son mari et qu’il vient lui rendre visite. Mais la femme répond qu’elle n’est pas mariée et qu’elle veut retourner dans sa chambre. Elle est agitée. Son mari est déjà posté derrière le plexiglass et je peux voir de l’amour dans ses yeux. Après quelques minutes de discussion, elle accepte de rester.
Je désinfecte bien le bouquet de roses. Elles sont vraiment jolies et je trouve que le Monsieur a du goût et de l’élégance. Même après toutes ces années, on voit beaucoup signes de beauté dans le visage de sa femme.

Je donne le gâteau à la cafétéria pour qu’on le serve pendant la visite avec une tasse de café et je m’assois à nouveau sur ma chaise. La situation de ce couple me touche beaucoup et occupe mon esprit.

« Vous avez une bonne philosophie de vie »

Au bout d’un moment, je suis distrait par le manège de deux résidents assis à la table voisine : un Monsieur assis en face d’une Dame essaie d’engager la conversation :

– Le Monsieur : « Il fait beau aujourd’hui ! n’est-ce pas ? »
– La Dame : « Oui. »
– Le Monsieur : « La vie est belle ! »
– La Dame: « Quelques fois c’est pénible. »
– Le Monsieur : « Mais on l’oublie vite. »
– La Dame : « Vous avez une bonne philosophie de vie. »
– Le Monsieur : « …. »

Je regarde mon téléphone pour vérifier le temps de la visite. C’est déjà l’heure! Je tourne ma tête vers la table de visite. Wow ! Quel magnifique tableau ! Le bouquet de jolies roses est disposé dans un vase à côté de la femme ; ils sont en train de manger du gâteau en discutant gentiment. Elle a un large sourire et cette fois-ci je n’ai pas envie d’interrompre cette rencontre…

Ahmadirad Salahaddin
Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

 

 

 




« Pour s’intégrer, il faut persévérer ! »

Ilyas Mohamed Bileh. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils.

Les 10 ans de l’Evam – Inerview de d’Ilyas Mohamed Bileh

Ilyas Mohamed Bileh est un jeune Somalien de 29 ans arrivé en Suisse il y a précisément dix ans. S’il est intégré aujourd’hui dans son pays d’accueil, c’est grâce à sa volonté, aux formations qu’il a suivies avec le soutien de l’EVAM, pour décrocher au final une place de travail.

Il y a de la fierté dans sa voix lorsque Ilyas Mohamed revient sur son parcours en Suisse.

J’étais étudiant à l’école secondaire en Somalie. Arrivé en Suisse, je n’avais pas encore suivi le gymnase. En 2008, j’ai commencé à apprendre la langue française en me rendant deux fois par semaine aux cours pour débutants organisés au foyer de Crissier. J’avais un objectif élevé: suivre une formation professionnelle à l’EVAM en tant qu’Auxiliaire de santé.

« La langue française comme facteur primordial d’accès aux formations »

Mes premiers contacts avec la langue française n’ont pas été faciles, car quand je suis arrivé en Suisse, je ne parlais pas un seul mot de français. J’avais du mal avec la prononciation et surtout à comprendre le vocabulaire. Etant donné que la connaissance de la langue française est primordiale pour avoir accès aux formations professionnelles, j’ai décidé de m’investir en continuant à étudier de manière très assidue le français dans les centres de formation de l’EVAM. Cela m’a pris beaucoup de temps pour réussir à bien m’exprimer, écrire et comprendre cette langue. Maintenant, j’ai beaucoup avancé. Je suis content et fier de moi.

Je pense qu’il n’y a pas de voies faciles pour certains. Il faut juste avoir la volonté d’apprendre. Je pense que les difficultés sont liées à la timidité, au manque d’encouragement et de motivation.

« Grâce aux formations et stages que j’ai suivis, j’ai réussi à trouver un travail »

J’ai suivi les formations et les stages que propose l’établissement. En 2009, j’avais un niveau de français suffisant pour pouvoir suivre la formation que je visais. La formation d’« Auxiliaire de santé » à l’EVAM dure 6 mois. Ensuite, j’ai réussi à faire des stages dans plusieurs institutions. En 2009 à la Fondation Mont-Calme ; en 2010 à l’établissement médico-social Paix du Soir ; en 2011 à l’établissement médico-social La Vernie ; en 2011 à la Fondation Vernand qui accueille des enfants présentant une déficience intellectuelle, du développement et des troubles du spectre de l’autisme, puis en 2011-2012 à l’établissement médico-social La Rozavère.

Toutes ces formations et stages m’ont apporté beaucoup d’expérience, ont développé mes compétences et m’ont permis au final de trouver un travail stable. Pendant 6 ans, entre 2011 et 2017, j’ai travaillé à 100% pour l’EMS La Rozavère dans le quartier de Chailly, à Lausanne. Dans le futur, j’aimerais devenir éducateur social. Je suis décidé à poursuivre mes études à l’Ecole d’Etudes Sociales et Pédagogiques de Lausanne (EESP).

« Aide-toi et le ciel t’aidera est une anecdote qui me parle en Suisse »

Pour moi, l’intégration c’est participer à la vie sociale et économique d’un pays. Il faut s’intégrer socialement, aider les gens et participer au marché du travail. Le plus important pour l’intégration, c’est le travail. En ayant suivi des formations puis trouvé un travail, aujourd’hui je me sens vraiment intégré en Suisse.

La langue et la formation sont les moyens qui facilitent l’intégration. Sans ces deux éléments qui sont indispensables pour trouver du travail, l’intégration devient difficile.

Un jour, j’ai discuté avec une personne âgée et lui ai raconté les difficultés que je rencontre dans mon parcours. Nous avons aussi parlé de la langue, de la formation et de l’intégration. Et elle m’a dit : « Aide-toi et le ciel t’aidera ». C’est la première fois que j’entendais ce proverbe. Cela veut dire que si la personne est vraiment motivée, elle peut tout faire pour atteindre son objectif.

Grâce aux réseaux sociaux, je garde toujours des contacts avec ma famille et mes amis restés en Somalie. Malgré le fait que je sois en Suisse depuis 10 ans et que je sois intégré, ma famille, ma mère et mon pays me manquent toujours.

« Il faut être empathique avec les personnes en procédure d’asile »

J’ai toujours de l’empathie pour les personnes en procédure d’asile, car j’ai aussi été dans leur situation. Maintenant, je les aide dans leurs démarches en les orientant.

Une saveur, un goût qui te parle ?

Une saveur sucrée, un dessert sucré comme un gâteau.

Une expression dans ta langue qui t’es chère et qui te ressemble ?

« Connaître son intérêt, c’est bien pour pouvoir aider les autres »

 Lamine

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Bio expresse d’Ilyas Mohamed Bileh

Langue maternelle : Somali

1989                       Naissance en Somalie, âge actuel : 29 ans

2008                      Arrivée en Suisse

2009                     Formation comme auxiliaire de santé et formations en français à l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM)

2012-2016           Certificat fédéral de capacité (CFC) comme assistant social éducatif au centre professionnel nord vaudois à Yverdon (CPNV)