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« Vous portez les Voix de celles et ceux dont on pense tant savoir et qui pourtant sont les plus silencieux »

De gauche à droite: Ezio Leet, Ahmed Jasim Mohammed, Jovan Mircetic et Elvana Tufa de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

 Lettre ouverte à la rédaction de Voix d’Exils

Il est temps pour notre coordinateur de programme et ancien civiliste, Monsieur Mircetic Jovan, de quitter la rédaction vaudoise de Voix d’Exils. A cet effet, il a souhaité adresser un dernier mot aux rédacteurs et rédactrices qu’il a eu l’occasion de côtoyer durant son passage.

 Chers rédacteurs, chères rédactrices,

On dit souvent que chaque nouveau début est difficile. Pour ma part, je dirais plutôt que toute bonne chose a une fin. En effet, après plus de 10 mois, il est temps pour moi de quitter la rédaction vaudoise de Voix d’Exils afin de poursuivre mon chemin. Comme vous le devinez sans doute, grâce à vous, mais aussi grâce à l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices de l’EVAM que j’ai eu l’occasion de rencontrer, mon passage à Voix d’Exils fut une expérience très agréable. Afin de mettre un point final à cette aventure à vos côtés, je vous dédie ces quelques lignes.

« Voix d’Exils est bien plus qu’un média en ligne »

Tout d’abord, je souhaite vous dire que grâce à vous, Voix d’Exils est bien plus qu’un média en ligne. En effet, grâce à vous, pour les personnes qui ont l’occasion de vivre la chose de l’intérieur, comme j’en ai eu l’occasion moi-même, Voix d’Exils prend la forme d’une expérience humaine au travers de laquelle on peut beaucoup apprendre. Grâce à vous, Voix d’Exils est une belle équipe de rédacteurs et de rédactrices qui ont des messages à faire passer et des Voix à faire entendre. Grâce à vous, Voix d’Exils ce sont aussi des vécus, des échanges et du réconfort. Comme vous le devinez, au-delà du travail que nous avons accompli ensemble, échanger avec vous, découvrir vos parcours et vos récits fut très enrichissant. Je ne cache pas d’avoir été touché par vos histoires et vos personnes. Vous m’avez permis d’apprendre, de réfléchir et parfois de relativiser. Merci pour cela.

« Ensemble nous avons réussi à faire entendre vos Voix un peu plus loin »

Nous avons souvent travaillé avec les moyens du bord. Ensemble, nous avons imaginé certains projets qui n’ont pas pu être réalisés, par manque de moyens financiers ou de temps. D’autres n’ont pas vu voir le jour en raison de la période particulière que nous traversons. Finalement, certains projets ont subitement été interrompus, car l’un ou l’une d’entre vous nous a quitté, parfois pour des raisons très réjouissantes comme l’obtention du permis B ou un stage, parfois pour des raisons plus difficiles comme une réponse négative du SEM. Néanmoins, j’estime qu’ensemble nous avons tout de même réussi à faire entendre vos Voix un peu plus loin. Au travers de vos différents articles et projets, nous avons réussi à faire passer des messages qui vous tiennent à cœur et qui méritent, n’en doutez pas, que l’on s’attarde autour d’eux. J’ai eu du plaisir à voir vos idées prendre forme et à collaborer avec vous. Merci pour cela.

« Vous êtes la ressource la plus importante de la rédaction »

Après avoir passé plus de 10 mois avec vous, je peux dire avec assurance que vous êtes la ressource la plus importante de la rédaction. Au travers de vos contributions, vous portez les Voix d’Exils de sans doute beaucoup d’autre personnes qui n’ont pas l’opportunité de mettre sur papier leurs réflexions, leurs ressentis et leurs vécus. Vous portez les Voix de celles et ceux dont on pense tant savoir et qui pourtant sont les plus silencieux. Par conséquent, je vous encourage à continuer de partager un bout de vos personnes et de vos parcours avec nous. Au travers de vos écrits, vous poussez vos lecteurs et lectrices à rompre avec leurs prénotions et balayez les clichés qui façonnent les images que nous pouvons avoir des personnes requérantes d’asile. Merci pour cela.

« Nous aurons réussi ensemble à apporter notre pierre à l’édifice »

Comme annoncé, il est désormais temps pour moi de vous quitter. Un autre civiliste viendra me remplacer et peut-être qu’avec le temps, vous m’oublierez. Peut-être que prochainement d’autres rédacteurs et rédactrices prendront le relais et deviendront les porteurs et porteuses des Voix d’Exils à votre place. Peut-être que les couloirs de l’EVAM ne se souviendront ni de mon passage, ni du votre. Pourtant, nous aurons réussi ensemble à apporter notre pierre à l’édifice et à faire raisonner vos Voix un peu plus fort et un peu plus loin. Pour ma part, je ne l’oublierai pas. Je vous souhaite que la chance et le bonheur vous accompagne peu importe où les vents vous mèneront. De mon côté, je continuerai à vous lire. Je sais que de beaux projets sont cours de préparation et me réjouis de les voir publiés. Ce fut un réel plaisir d’être membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Au revoir belle équipe.

Mircetic Jovan

 

 

 

 




FLASH INFOS #66

Illstration de Kristine Kostava/Voix d’Exils

Sous la loupe : Les victimes de la Méditerranée enterrées au « Jardin d’Afrique » / Deux athlètes réfugiés en Suisse participeront aux JO de Tokyo / Allemagne : verdict inédit pour la fouille du téléphone d’une migrante

Logo réalisé par Kristina Kostava / Voix d’Exils.

Les victimes de la Méditerranée enterrées au « Jardin d’Afrique »

Le Temps, le 9 juin 2021

À l’initiative de l’artiste tunisien Rachid Koraïchi, la ville portuaire de Zarzis (au Sud de la Tunisie), dispose désormais d’un cimetière dédié aux personnes migrantes ayant perdu leur vie en essayant d’atteindre l’Europe par la Méditerranée. L’inauguration du « Jardin d’Afrique » a eu lieu le 9 juin. A cette occasion, la directrice générale de l’UnescoAudrey Azoulay – a rendu hommage à l’artiste ainsi qu’à tous les naufragés qui ont péri à la recherche d’une vie meilleure. Rachid Koraïchi a quant à lui précisé qu’il avait créé ce cimetière afin d’offrir aux victimes « un avant-goût du paradis, après avoir traversé l’enfer ». Par cette action, l’artiste souhaite aider les familles à faire leur deuil, en sachant qu’il existe un lieu d’enterrement digne. Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), plus de 21 000 migrants ou réfugiés sont décédés en Méditerranée depuis 2014. En outre, depuis janvier 2021, au moins 874 personnes ont perdu la vie en tentant de rejoindre l’Europe, contre 1400 pour toute l’année 2020.

Deux athlètes réfugiés en Suisse participeront aux JO de Tokyo

Le Temps, le 08 juin 2021

Luna Solomon (une Erythréenne de 27 ans) et Ahmad Badreddin Wais (un Syrien 30 ans), sont athlètes et réfugiés en Suisse. Ils ont un troisième point commun : ils ont été sélectionnés pour participer aux Jeux olympiques d’été de Tokyo sous la bannière olympique. Six athlètes réfugiés en Suisse et soutenus par le Comité international olympique étaient en lice pour accéder aux concours. L’équipe olympique des réfugiés a été créée en 2015 pour permettre aux athlètes déracinés de prendre part à la compétition. À Rio en 2016, ils étaient dix à participer à cette aventure. Pour la deuxième édition, ils seront 29 au total. Deux critères principaux ont été mobilisés pour la sélection : le niveau sportif et la confirmation du statut de réfugié par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Luna Solomon a été retenue pour l’épreuve du tir à la carabine à air comprimé à 10 mètres. Ahmad Badreddin Wais est cycliste et il participera à une épreuve de rapidité.

Allemagne : verdict inédit pour la fouille du téléphone d’une migrante

InfoMigrants, le 4 juin 2021

Depuis 2017, les autorités allemandes peuvent fouiller et analyser les métadonnées des téléphones portables des personnes migrantes qui ne se sont pas en mesure de présenter un document d’identité. La finalité d’une telle procédure est d’établir leur vraie identité. Depuis l’introduction de cette loi, plusieurs plaintes ont été déposées par les principaux concernés par la procédure. Parmi eux, Farahnaz*, une demandeuse d’asile arrivée en 2019 en Allemagne. Son cas est inédit, car début juin, un tribunal administratif de Berlin a jugé illégale la fouille de son téléphone portable effectuée par l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés (BAMF). Selon le président du tribunal, la procédure est intervenue à un stade trop précoce et les données récoltées auraient été stockées inutilement. Cette décision pourrait avoir des conséquences durables sur la manière dont les nouvelles technologies sont utilisées dans les procédures d’asile. Jusqu’à présent, il n’y pas eu aucune réaction de la part du BAMF. Toutefois, l’avocat de Farahnaz* a souligné qu’en cas de contestation de la décision par le BAMF, l’affaire allait être portée en appel devant le plus haut tribunal administratif du pays. Ce dernier pourrait alors transmettre l’affaire à la Cour constitutionnel allemande qui a le pouvoir d’annuler la loi en question.

*Prénom d’emprunt

Rédaction vaudoise de Voix d’Exils




FLASH INFOS #64

Illustration réalisée par Kristine Kostava / Voix d’Exils.

Sous la loupe : Six athlètes réfugiés vivant en Suisse se préparent à participer aux JO / Le Royaume-Uni durcit sa politique migratoire / Chypre en état d’urgence migratoire

La revue de presse devient le flash INFOS de Voix d’Exils. Une formule revisitée de notre rubrique hebdomadaire qui met davantage en valeurs les compétences graphiques et visuelles de nos rédactrices et rédacteurs et qui inclut d’autres nouveautés pour encore mieux vous informer.

Logo réalisé par Kristine Kostava / Voix d’Exils.

Six athlètes réfugiés vivant en Suisse se préparent à participer aux JO

Le Temps, le 18 mai 2021

Depuis 2016, le Comité International olympique (CIO) accorde une bourse spéciale aux athlètes possédant le statut de réfugié qui ne peuvent ou ne veulent plus défendre les couleurs de leur pays d’origine. Ainsi, ces derniers ont l’occasion d’intégrer l’équipe olympique des réfugiés. Aux Jeux d’été de Rio, en 2016, ils étaient dix à défiler sous le drapeau olympique. Ils seront vraisemblablement plus du double cet été à Tokyo. Le 8 juin, le CIO choisira une vingtaine d’élus parmi les 56 athlètes bénéficiant actuellement d’une bourse de 1500 $ par mois pour s’entraîner et d’une somme forfaitaire de 5000 $ pour participer à des épreuves de sélection à l’étranger. Les critères de sélections sont clairs : il faut avoir atteint un niveau sportif reconnu par une fédération internationale et bénéficier d’un statut de réfugié délivré par un Etat. Les critères se basent également sur l’équilibre des genres, des sports et des pays d’origine. Six athlètes réfugiés membres du programme olympique vivent et se préparent actuellement en Suisse. Parmi eux, une tireuse à l’arc et un marathoniens d’Erythrée, un cycliste syrien, un taekwondoïste iranien et une tireuse à la carabine dont le pays d’origine est inconnu.

Le Royaume-Uni durcit sa politique migratoire

InfoMigrants, le 24 mai 2021

Le 24 main, Priti Patel – ministre britannique de l’Intérieure – a présenté une proposition de réforme du système d’entrée dans le pays afin d’« empêcher de graves criminels étrangers de pénétrer au Royaume-Uni ». Selon la ministre, l’objectif principal de cette mesure est de « compter les personnes à l’intérieur et à l’extérieur du pays » et vise à « contrôler qui vient au Royaume-Uni ». Ainsi, toute personne sans visa ou statut d’immigrant souhaitant se rendre au Royaume-Uni, sera obligée de remplir un formulaire en ligne afin d’obtenir une autorisation de voyage. D’ici 2025, le Royaume-Uni envisage de rendre opérationnel son système de frontière 100% numérique, ce qui demande une complète mise en jour des données relatives à l’immigration, jugées par les autorités britanniques comme obsolètes ou erronées. Les mesures annoncées sont vivement dénoncées par de nombreuses organisations qui estiment que cette réforme met en danger la crédibilité mondiale du Royaume-Uni. Les pays membre de l’Union européenne ont également fait entendre qu’ils ne concluront pas des accords bilatéraux permettant de faciliter l’expulsion de réfugiés.

Chypre en état d’urgence migratoire

RTBF, le 21 mai 2021

Le 21 mai, les autorités Chypriotes ont notifiée l’Union européenne sur leur incapacité à accueillir des personnes migrantes supplémentaires. En effet, le pays fait face à un surpeuplement de ses centres de rétention alors que des vagues d’arrivée quotidiennes des personnes en provenance de Syrie ont lieu. A cet effet, le ministre de l’intérieur chypriote, Nicos Nouris, a déclaré avoir été contraint d’envoyer une notification écrite à la Commission européenne. Pour rappel, l’île de Chypre se situe à quelques 160 Km des côtes syriennes et a reçu plus de 12 000 réfugiés depuis l’éclatement de la guerre en Syrie en 2011. En outre, le nombre de demandeurs d’asile a atteint au cours des quatre dernières années 4% de la population chypriote, contre 1% pour les autres États européens.

Rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Tout partager et tout traverser ensemble

La rédaction valaisanne traverse « Le pont 1815-2015/ 200 ans de migrations « . Ce pont, réalisé par les ateliers du Centre de formation du Botza en Valais, a été présenté à l’occasion des festivités du bicentenaire du Canton du Valais en 2015. Le pont se trouve actuellement au Centre de formation du Botza.

La philosophie de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Les membres de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils ont développé un bel esprit de famille. Soudés par une grande solidarité, ils s’accordent mutuellement un soutien indéfectible et partagent les bonnes et les mauvaises nouvelles.

A Voix d’Exils, nous nous réunissons tous les mardis. Et, aussi vrai que nos visages diffèrent les uns des autres, chacun a son défi personnel à relever et doit tenir bon chaque jour.

Parfois, nous arrivons à la rédaction alors qu’un membre de l’équipe fait face à de dures épreuves. On dit souvent que lorsqu’un membre du corps souffre, c’est tout le corps qui est malade. Nous en faisons l’expérience à chaque fois que nous apprenons que l’un des nôtres est touché.

« Je compris soudain combien nous étions soudés »

C’était un matin d’été. Alors qu’elle était absente à la rédaction, je l’ai appelée pour avoir de ses nouvelles. A l’autre bout du fil, je pus à peine reconnaître sa voix presque inaudible : « j’ai perdu ma sœur jumelle, elle a été explosée par une bombe en Turquie … ». Le reste me traversa comme une flèche. « Serife vient de perdre sa sœur jumelle », ai-je annoncé aux autres. Les visages de mes camarades portaient l’expression d’une grande émotion et, pour certains, d’une angoisse voilée. Je compris soudain combien nous étions soudés.

Nous avons tout de suite décidé de lui rendre visite et, si nous l’avions pu, nous l’aurions fait le jour même. Le lendemain, nous avons pris la route: cap sur Martigny. Toute l’équipe était en proie a une bouffée d’émotions. Certains et certaines d’entre nous furent même débordés par un flot de larmes.

Après les salutations d’usage, Bin prit la parole au nom de la rédaction, adressant nos sincères condoléances à Serife et à sa famille éprouvée. L’atmosphère chargée de tristesse et de pleurs se transforma peu à peu en réjouissances. Nous passâmes tout l’après-midi ensemble. Serife nous offrit à manger et à boire, nous expliquant que c’est la coutume chez les Kurdes, lorsqu’on reçoit des visites de consolation après un deuil.

Mais ne pensez pas qu’il n’y a que des jours froids ou sombres chez nous, nous en connaissons aussi de très heureux ! Nous étions aussi de tout cœur avec Samir et sa famille. Nous l’avons souvent aidé à supporter l’attente et le stress, car il a passé plus de deux ans avant de recevoir un rendez-vous d’audition pour exposer ses motifs d’asile. Que de soulagement et d’espoir lorsque qu’il reçut enfin sa convocation ! Que de joie lorsque, quelque temps plus tard, il obtint le statut de réfugié ! L’annonce de la nouvelle fut un moment de réjouissance totale!

« Nous fabriquons nous-mêmes les beaux jours »

Les beaux jours, comme ils sont si précieux, nous prenons l’initiative d’en fabriquer nous-mêmes. Par exemple, l’été dernier, nous avons organisé une rencontre de tous les membres de l’équipe de la rédaction avec leur famille autour d’un barbecue. C’était sans doute le plus beau des jours de l’année.

Vous comprendrez alors que, tout récemment, nous ayons modérément apprécié le fait que notre collègue Martha ne nous ait pas fait signe lors de son déménagement ; elle a souffert pour s’installer, toute seule, alors qu’un seul coup de fil aurait suffi, ou mieux, un petit message sur notre plateforme whatsapp !

Voix d’Exils, c’est aussi une équipe de déménageurs gratuits !

Billy

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Un mur fort de pierres sèches

Les murs de pierres sèches aux Vieux-Prés (Val-de-Ruz). Auteur: Rami Ibrahim, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d'Exils.

Les murs de pierres sèches aux Vieux-Prés (Val-de-Ruz). Auteur: Rami Ibrahim, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils.

Au début, je ne pensais pas que j’allais travailler plus de trois jours. Tout ce que je recherchais c’était une expérience et un peu d’exercice physique. Personne ne m’avait prévenu que ce serait une aventure sans fin!

Quand ils nous ont dit que la tâche de notre groupe était de construire 45 mètres de mur, je n’en avais pas cru mes oreilles, car j’avais compris que ce serait 45 km. Je me suis alors demandé quelle était la cause de ce malentendu? Pourquoi j’avais commis cette erreur de compréhension?

Une erreur de traduction

Étant la personne qui est en charge des traductions pour les autres demandeurs d’asile arabophones sur le site, mon erreur de traduction a été transmise à d’autres personnes provenant de Syrie. Ces derniers n’avaient pas été surpris mais, par contre, ils l’ont été quand j’ai corrigé mes propos et les ai informés, qu’en réalité, il s’agissait de la construction d’un mur à raison de trois mètres par jour qui nécessitait le travail d’une dizaine de personnes. En Syrie, ce sont deux ou trois membres d’une famille qui s’occupent d’ériger un mur de 45 mètres, et ils l’achèvent normalement pendant les congés ou des weekends, quand ils n’ont pas de travaux principaux. Selon Monsieur Alban Carron, l’architecte qui a mené notre équipe au cours de la construction du mur, une personne suisse s’attend aussi à ce que plus de 45 mètres de mur puissent être réalisés en trois semaines de travail par une équipe de 9 personnes. Monsieur Carron a parlé d’une tendance de nos jours de faire les choses de façon expéditive en Suisse «C’est un travail qui est un petit peu hors du temps. C’est-à-dire, qu’aujourd’hui, en Suisse et dans les pays européens, on pousse à la productivité, on pousse à la performance: il faut toujours faire plus vite… plus vite… plus vite. Avec la pierre: on ne peut pas courir. C’est lourd, c’est lent, c’est pénible… C’est une pierre après l’autre.»

En effet, ces trois mètres de mur par jour représentaient beaucoup de travail pénible et minutieux que nous avions de la peine à accomplir.

Des murs mésestimés

Plus j’apprenais de détails sur le projet, plus il m’intéressait et piquait ma curiosité. C’était la même sorte de mur que j’avais vu dans la campagne syrienne à chaque fois que je rendais visite à mes grands-parents. Issu d’un milieu urbain, j’avais l’habitude de mésestimer ces murs. Je ne comprenais pas les reproches que m’adressait ma grand-mère lorsque je grimpais dessus. Je ne comprenais pas non plus l’importance des efforts fournis par mon grand-père pour restaurer les quelques pierres qui s’étaient détachées ce, malgré les obstacles tels que la charge pour une jambe abimée, la vieillesse et la lourdeur des pierres. Je dirais que plus j’en savais sur ces murs, plus je découvrais leur importance. Mais, il semble que seules les personnes qui construisent ces murs peuvent les apprécier pleinement. Ils méritent tout notre respect et notre admiration.

L’héritage culturel des murs

A mesure que nous avancions dans le processus de construction, beaucoup de choses évoluaient à l’intérieur de nous et nous avions acquis beaucoup plus que le savoir-faire qu’Alban Carron voulait nous transmettre. Maintenir vivante la technique de construction des murs de pierres sèches, est un des objectifs du projet mené par le Parc régional Chasseral (qui se situe entre Bienne, La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel) auquel a collaboré le Service des migrations du canton de Neuchâtel (SMIG). En plus de la découverte de la technique et à la suite de nombreuses consultations des personnes à propos de la signification de ces murs, nous sommes devenus pleinement conscients de l’importance de ce que nous faisions. Ces murs font partie de la tradition de la région. Ils étaient autrefois utilisés pour séparer les champs et les chemins pour les vaches. Chantal Roth, la propriétaire du chantier où nous avons travaillé, pense que ces murs font partie de ses racines. «Dans le monde où on vit actuellement, qui va très très vite avec Internet, les gens réalisent moins de choses avec leurs mains. Les supports matériels comme les livres et les disques ont tendance à disparaître. Il reste de moins en moins de choses matérielles que nos enfants pourront transmettre aux leurs» déplore-t-elle.

Solidaires comme les pierres du mur

Auteur: Rami Ibrahim, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d'Exils.

Auteur: Rami Ibrahim, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils.

L’acquisition la plus précieuse dans cette expérience est sans doute le sens de la solidarité dans le groupe multiculturel que nous constituions. Comme nous avons essayé de construire un mur qui résisterait à tous les risques d’effondrement en remplissant ses trous et en cherchant des pierres qui s’emboîtent le mieux, nous nous sommes rapprochés les uns des autres. Nous travaillions avec sympathie, sans l’influence dévastatrice des stéréotypes attachés aux diverses cultures présentes. Ainsi, l’un des participants faisait le maximum pour ne pas vous causer de blessures lorsqu’il plaçait une pierre ou en martelait une autre, un autre essayait de vous convaincre de porter des lunettes pour protéger vos yeux.

Des points de vue suisses sur l’expérience

Indépendamment de notre expérience comme «étrangers», j’ai cherché d’autres réflexions suisses à propos de notre ouvrage. Monsieur Carron a partagé avec nous son expérience personnelle avec les demandeurs d’asile, qu’il comparait avec ses autres expériences. Il nous a confié que cette expérience était très riche pour lui et que, parfois, c’était plus difficile de trouver autant de motivation de la part de ses compatriotes. «Ici, tout se déroulait parfaitement bien. On a eu de la pluie pendant une semaine et demi, on a connu des grosses chaleurs; tout le monde était là, tout le temps et avec le sourire. On voyage; on voyage en Syrie, en Érythrée…on voyage partout. On entend différentes langues. Moi, ça me réchauffe. Et le travail qui a été abattu en trois semaines par notre petite équipe, pour moi, cette expérience a été géniale. Je n’ai jamais pensé que nous arriverions à faire tout ce qu’on a fait là. Alors, quand je vois des personnes qui vivent des situations difficiles et qui, malgré cela, sont là tous les jours, par tout temps, sans se plaindre, sans rien dire et avec le sourire, là je ne peux que m’incliner» conclut-il.

Mme Roth m’a révélée l’importance que cela représentait pour elle que la plus grande partie du travail ait été réalisée par les demandeurs d’asile. Elle en a profité pour faire référence à des questions concernant la question de l’intégration. «Il y a quand même la peur de certaines personnes. On est dans une région où les gens peuvent être racistes. J’espère que si ces gens-là vous voyaient travailler avec le sourire, qu’ils voyaient que vous y donniez tout votre cœur, certains préjugés tomberaient. Il faudrait que les gens d’ici ouvrent un petit peu leurs yeux et leurs oreilles» martèle-t-elle.

La communication cachée

Personnellement, je n’ai pas vécu d’expérience de racisme en Suisse. C’est probablement dû au fait que je sois toujours dans le cercle des personnes qui sont profondément préoccupées par l’intégration, et je dois dire que c’est un cercle énorme et que ces gens sont admirablement tolérants et positifs. Je ne nie pas mon désir de faire passer des messages forts aux Suisses et, dans l’ensemble, ils y répondent de façon positive. Fabio Boffetti, coordinateur des travaux d’utilité publique au sein du Service des Migrations de Neuchâtel, qui est en charge d’offrir du travail temporaire aux demandeurs d’asile, réalise que notre travail de bénévole contredit l’opinion publique suisse selon laquelle les demandeurs d’asile n’ont pas la volonté de travailler. Il a soutenu son idée en se référant au nombre de demandeurs d’asile qui ont réalisé ce travail pour 30 ou 40 francs par jour, ce qu’une personne suisse n’accepterait sans doute pas de faire. Je ne nie pas non plus mon intention de protester contre les bas salaires, au regard de ce travail très difficile et dangereux, mais ce n’est pas mon message principal.

Comment autrement aurais-je pu exprimer mon désir de construire quelque chose alors que tout dans mon pays – la Syrie – tout est détruit? Comment autrement pourrais-je attirer l’attention sur le fait qu’il existe des forces qui nous empêchent de construire notre propre pays? Comment pourrais-je souligner le fait que la volonté de faire des réformes sociales, économiques ou politiques dans certains pays est considérée comme un crime. Néanmoins, Fabio et d’autres fonctionnaires nous ont soutenus en nous offrant plus de travail et en nous proposant de rejoindre et de soutenir l’équipe des personnes handicapées de la Fondation St-George à Yverdon-les-Bains.

Une expérience très riche

Un apéritif chez Mme Chantal Roth. Auteur: Chantal Roth.

Un apéritif chez Mme Chantal Roth. Auteur: Chantal Roth.

Malgré mon enthousiasme, j’ai du mal à écrire à propos de cette merveilleuse expérience. Cette expérience a été très importante pour moi et un article ne suffirait pas à la couvrir. Il est impossible de raconter tous ces souvenirs, blagues, chansons et moments de joie partagés. Je ne peux oublier l’image de Mme Roth venant nous apporter un bol de soupe les jours de pluie. Rien ne peut effacer le souvenir de ce groupe international vêtu de jaune et travaillant sous la pluie. Le même groupe s’est réuni une autre journée ensoleillée dans le jardin de Mme Roth. Tous ces souvenirs et bien d’autres ont eu lieu grâce à ce mur. Ce mur a enchâssé nos souvenirs et il est le symbole de notre solidarité. Ces pierres de différentes tailles reflètent notre diversité en termes de cultures et de personnalités.

En conclusion, nous avons construit un mur solide qui nous ressemble, et nous sommes à la fois heureux et fiers de l’avoir construit dans un pays multiculturel où nous ferons de notre mieux pour renforcer la cohésion et la solidarité.

Ibrahim, Rami

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils