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Etre débouté de l’asile et pouvoir terminer son apprentissage

Un requérant d’asile ayant débuté son apprentissage dans un bureau d’architecte dans le Canton de Vaud. Auteur: Voix d’Exils.

Le Parlement suisse traite une motion* qui permettrait aux migrants déboutés de terminer leur formation professionnelle en cours

Face à la montée du nombre de personnes migrantes déboutées qui doivent renoncer à leur formation professionnelle et suite à un appel de la société civile, une motion visant à leur permettre de mener à terme la formation entreprise a été déposée au Conseil national.

Le 13 août 2020, la Commission des institutions politiques du Conseil national a déposé une motion intitulée « Pas d’interruption d’un apprentissage en cours à l’échéance d’une longue procédure d’asile. Permettre aux demandeurs d’asile déboutés de terminer leur formation en cours ». Cette dernière fait suite à une pétition déposée par l’association « Un apprentissage – Un avenir » à la Chancellerie fédérale le 26 novembre 2019.

La motion en question concerne les requérants qui ont reçu une décision d’asile négative alors qu’ils ont au préalable signé un contrat d’apprentissage ou entrepris une formation professionnelle en Suisse. Etant déboutés, ces derniers sont tenus de quitter la Suisse. Ils perdent le droit de travailler, n’ont pas de permis et sont exclues de l’aide sociale. Ils obtiennent une attestation de délai de départ appelée « papier blanc ». Bien souvent, ne pouvant pas rejoindre leur pays d’origine, ces personnes se retrouvent à l’aide d’urgence, une prestation de survie conçue comme un dispositif d’incitation au départ. Conformément aux informations disponibles sur le site officiel du Parlement suisse, la motion en question charge le Conseil fédéral de modifier les bases légales en vigueur afin que les requérants d’asile déboutés puissent se voir accorder une prolongation du délai de départ afin de poursuivre et terminer leur formation. Il est également souligné qu’en plus des entreprises formatrices et des PME suisses, un tel dispositif serait favorable pour les pays d’origine car les apprentis y retourneraient dotés d’un savoir-faire supplémentaire.

Une minorité de la commission a proposé de rejeter la motion. Néanmoins, à ce jour, le sujet n’a pas encore été traité au Conseil national. Selon la RTS, la proposition devrait être débattue cet automne au Parlement. Il est également important de souligner que le 1er mars 2019, de nouvelles prescriptions en matière d’asile sont entrées en vigueur. Ces dernières ont pour but d’accélérer les procédures d’asile et d’aboutir à une décision exécutoire dans un délai de 140 jours. Par conséquent, la motion concerne avant tout les migrants dont la procédure était encore soumise à l’ancien droit d’asile.

« Ce n’est pas normal ! »

Le 15 août dernier, la Radio Télévision Suisse (RTS) a traité le sujet dans son téléjournal « Le 19h30 ». A cet effet, Fouad, un jeune Ethiopien, qui a reçu une décision de renvoi alors qu’il était apprenti dans un établissement médico-social a été interviewé. Le jeune homme a souligné qu’il regrettait de ne plus pouvoir travailler, d’autant plus qu’il ne va pas pouvoir retourner dans son pays d’origine compte tenu du contexte politique. Son ancienne cheffe a par ailleurs mentionné que Fouad a laissé un vide dans l’établissement et qu’il s’agissait d’un apprenti consciencieux et très bien intégré dans l’équipe.

Situation similaire à Etoy où un patron de carrosserie s’est vue privé de son apprenti car ce dernier a reçu une lettre de renvoi durant le mois de décembre 2019. Le formateur du jeune apprenti, choqué par le départ de ce dernier, a soutenu que : « ce n’est pas normal ! C’est des jeunes, ils sont là, ils veulent s’en sortir, ils trouvent des apprentissages, puis on les revoie ». Il regrette son apprenti qu’il décrit comme motivé à travailler, de bonne humeur, ponctuel et dégageant une réelle motivation à s’en sortir. Le patron souligne également qu’il n’avait pas été informé par les autorités compétentes de la possibilité de départ de son apprenti.

Qu’est-ce qu’une motion ?*

La motion est une intervention qui charge le Conseil fédéral (le gouvernement de la Suisse) de déposer un projet d’acte de l’Assemblée fédérale ou de prendre une mesure. L’assemblée fédérale est le Parlement de la Suisse qui est composé de deux chambres : le Conseil national représente la population suisse et le Conseil des Etats représente les cantons.

Une motion peut être déposée par la majorité d’une commission. Les commissions sont des organes du Parlement composées d’un nombre limité de députés. Elles ont pour mission première de procéder à l’examen préalable des objets qui leur sont assignés. Pendant les sessions, elle peut également l’être par un groupe parlementaire ou par un député.

Pour être transmise au Conseil fédéral, la motion doit avoir été adoptée par les deux Chambres fédérales.

Source : parlement.ch

Source: commons.wikimedia.org

Ezio Leet
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« J’étais toujours sur internet pour apprendre le français durant le confinement »

Dellagha Nazekmir. Photo: Naz Noori / Voix d’Exils.

 

 

Vivre le confinement seul

Le confinement a provoqué un changement brusque de notre mode de vie et nous a conduit à nous retrouver en famille, en couple, entre colocataires ou encore seul(e). Rencontre avec Dellagha Nazekmir, jeune homme âgé de 25 ans originaire d’Afghanistan. Il vit en Suisse depuis sept ans et travaille dans la construction de routes. Il a été contraint d’arrêter son travail durant un mois et s’est retrouvé isolé durant le confinement.

Un podcast produit par Voix d’Exils. Un grand merci à Rachel Berry du Pôle Orientation-Emploi de l’EVAM qui nous a permis de rencontrer Dellagha Nazekmir

Naz Noori

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 




Tout miser sur son entreprise

Chiheb Benrich. Photo: rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Le dossier de la rédaction : les migrants entrepreneurs

D’origine tunisienne, Chiheb Benrich est établi dans le canton de Vaud depuis 1998 où il a créé Pamir Prestations : une société de courtage de services financiers spécialisée dans les assurances. En tant qu’intermédiaire, la société offre les services des plusieurs compagnies financières et sert jusqu’à 10’000 clients en Suisse romande.

Le secteur des services financiers est très complexe et dynamique en Suisse. Particulièrement, dans le domaine des assurances, il existe une grande diversité en termes de prix et de couverture offerts par de nombreuses compagnies dans toutes les branches. Le choix du client dans une telle diversité est souvent facilité grâce aux courtiers qui vendent de nombreuses options d’assurances. Ces intermédiaires offrent à leurs clients la possibilité de comparer et de choisir ce qui convient le mieux à leurs besoins. J’ai eu la chance de rencontrer le Directeur de Pamir Prestations : Chiheb Benrich, à son bureau, où il m’a parlé de son parcours et de son métier.

D’employé à entrepreneur

M. Benrich est tunisien, en Suisse depuis 1998. Pour avoir de meilleures opportunités dans le pays d’accueil, il a étudié la sociologie de la communication à l’Université de Fribourg. Quand au travail après ses études, M. Benrich a gardé ses options ouvertes et s’est finalement retrouvé dans une entreprise de courtage d’assurances. Pour développer ses compétences dans le secteur des assurances, il a suivi des cours spécialisés parallèlement à son travail.

A travers des années de travail, M. Benrich a développé son intérêt fort pour le domaine du courtage de services financiers. Son expérience lui a permis de développer ses propres activités entrepreneuriales déjà en 2007. Et en 2010, M. Benrich a finalement lancé son entreprise de courtage d’assurances : Pamir Prestations. Il avait mis de l’argent de côté tout au long de son travail précédent, ce qu’il a utilisé pour financer sa start up. Il n’a jamais reçu d’assistance de l’Etat ou d’autres organisations.

A part son occupation entrepreneuriale, M. Benrich est aussi membre du Parti socialiste. Il est actif dans la vie politique et administrative de Chavannes-près-Renens, la commune dans le district de l’ouest lausannois où il habite avec sa famille. Elu par les citoyens pour la législature 2016-2021, comme tous les conseillers communaux de Chavannes-près-Renens, M. Benrich s’occupe de la gestion de la commune au niveau du budget et des comptes.

Pamir Prestations et ses services

Pamir Prestations (Pamir) est organisé sous la forme juridique d’une société à responsabilité limité (Sàrl) ce qui convient aux petites et moyennes entreprises où la responsabilité financière des personnes impliquées est limitée à leurs investissements (capital). L’entreprise est un intermédiaire d’assurance non lié à une compagnie d’assurance et est enregistrée auprès de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA).

Pamir loue des installations de bureau à Ecublens, une commune située dans le district de l’ouest lausannois. L’entreprise emploie entre 3 et 5 spécialistes en courtage d’assurances, dont un basé à Genève et un autre en Valais. M. Benrich collabore également avec un réseau de professionnels afin de fournir des services dans tous les autres domaines de la gestion financière.

Les clients de Pamir sont des privés et des entreprises de Suisse romande. Les offres générales pour tous les clients sont : les assurances et les conseils en prévoyance, ainsi que la gestion de dettes et les conseils pour le financement de différents projets. En outre, il y a les services liés à la déclaration d’impôt pour les clients privés ; et les services liés à la création, la fiscalité, la comptabilité et la gestion pour les entreprises.

Pour se faire connaître, l’entreprise distribue des flyers et fait sa promotion lors d’événements d’importance régionale. De plus, les bonnes relations de M. Benrich lui permettent de bénéficier d’un solide réseau d’apporteurs d’affaires.

Faire face aux défis et regarder au-delà

Être un joueur de taille modeste sur le terrain très concurrentiel de la finance constitue l’une des principales difficultés que M. Benrich a dû surmonter. Pour améliorer sa compétitivité, l’entreprise fait partie d’un regroupement de trois associés : des entreprises de courtage d’assurances. Les associés se rencontrent régulièrement pour définir leur stratégie commune. Notamment, ils négocient avec les compagnies d’assurances, décident des aspects de leurs offres et de leurs relations avec les clients, etc.

Pamir est au service d’environ 10’000 clients, dont 1’500 sont des fidèles. L’entreprise propose et conclut des contrats en représentant les principales compagnies d’assurances en Suisse. A l’avenir, M. Benrich poursuit l’ambition de développer davantage ses services de conseils financiers et de gestion fiduciaire.

MHER

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

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« Il faut profiter des compétences et des savoir-faire différents qui peuvent amener une richesse aux entreprises »

Photo: rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils.

Interview de Monsieur Jean-Nathanaël Karakash, conseiller d’Etat en charge du département de l’économie et de l’action sociale du canton de Neuchâtel.

Le 20 octobre dernier, la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils est allée à la rencontre de Monsieur Jean-Nathanaël Karakash afin de mieux comprendre la politique d’intégration des personnes migrantes vivant dans le canton de Neuchâtel.

Voix d’Exils: Dans le mémento statistique neuchâtelois 2017, nous avons trouvé qu’il y a 7,2 % des personnes à l’aide sociale dans le canton de Neuchâtel, alors qu’il y en a 3,2 % au niveau Suisse. Pouvez-vous nous expliquer cette différence importante ? Comment gérez-vous cela ?

Monsieur Jean-Nathanaël Karakash: Une partie de cette différence s’explique par l’organisation de notre système social et une autre partie traduit une réalité sociale. A Neuchâtel, il y a un système simple qui ne comprend que l’aide sociale et pas d’autres aides préalables comme l’aide au logement ou des prestations complémentaires pour les familles qui existent dans les autres cantons. Des personnes se retrouvent donc dans les statistiques de l’aide sociale même quand elles ne touchent qu’un très petit montant.

Après, il est vrai que les cantons romands ont une situation moins bonne que la moyenne suisse. Plusieurs facteurs expliquent cela : les difficultés sociales se concentrent dans les villes et le canton de Neuchâtel est le plus urbain derrière Bâle-Ville et Genève. De plus, en Suisse romande, on a une consommation plus importante des prestations qui existent et moins recours par exemple à la famille en cas de problème.

Avez-vous des projets pour améliorer cette différence ?

Améliorer les statistiques ne m’intéresse pas. Il faut changer la situation en profondeur. Eviter par exemple qu’un assistant social soit mobilisé automatiquement quand une personne a besoin d’aide financière sans avoir d’autre problème. Mais la vraie amélioration vient par l’accès au travail. D’ailleurs, le chômage a diminué depuis une année et il y a une reprise économique dans le secteur de l’industrie de notre canton.

Comment favoriser l’emploi des réfugiés pour les rendre plus autonomes et mieux valoriser leurs compétences ? Comment leur donner cette place en Suisse ?

C’est une question qu’on se pose tous les jours parce que c’est un véritable enjeu. En Suisse, l’intégration passe avant tout par le travail. Le marché du travail comme il est organisé est malheureusement peu favorable aux réfugiés. Les employeurs publient une annonce et reçoivent de nombreuses postulations. Ils recherchent un profil particulier et éliminent les dossiers qui ne comportent pas le bon titre ou le bon diplôme. Les compétences des personnes qui arrivent dans le cadre de l’asile sont rarement bien documentées. A moins de réussir à créer un contact direct avec un employeur, les personnes sont donc en difficultés avec ce système.

C’est paradoxal, parce que j’entends beaucoup d’employeurs qui me disent qu’ils ne trouvent pas certaines compétences chez les jeunes ici comme la persévérance, la débrouillardise ou la capacité de se projeter dans quelque chose de différent. Les gens venus dans le cadre de l’asile en Suisse ont toutes ces compétences pour arriver jusqu’ici. On réfléchit à comment valoriser des expériences qui ne sont pas certifiées par des diplômes. Ici, après 11 années d’études, on est non qualifié et on commence à se former pour travailler. On doit arrêter de penser que les personnes arrivées dans le cadre de l’asile vont rattraper ces 11 années d’études et ensuite faire une formation et un diplôme suisse avant de trouver un travail. Il faut, au contraire, profiter des compétences et des savoir-faire différents qui peuvent amener une richesse aux entreprises. On va essayer de changer le monde du travail ici plutôt que de changer chaque personne qui arrive ici. Il faut faire un bout de chemin dans les deux sens. Mais cela prend du temps.

Nous avons deux propositions à vous faire. La première est que le Service de la cohésion multiculturelle (COSM) axe davantage son offre de services sur des cours professionnels et l’aide à la recherche de places d’apprentissage. Qu’en pensez-vous ? 

Ce n’est pas une bonne idée de réserver des places d’apprentissage pour un public cible comme les requérants d’asile ou les personnes qui ont des problèmes de santé et qui sont à l’assurance-invalidité etc. La stratégie d’intégration professionnelle du canton est la suivante : avoir une phase de préparation à l’intégration professionnelle dans les différents secteurs qui accompagnent les publics dans les domaines de l’aide sociale, de la migration, du pénitentiaire etc. Et que tout converge vers une documentation des compétences et des besoins de la personne. Ensuite, il y a un accompagnement par le Service de l’emploi qui lui est en contact avec les employeurs. C’est la transformation qu’on est en train de mener.

Ensuite, on a un problème de moyens au COSM. La Confédération verse un forfait unique de 6000 francs pour une personne qui reçoit un permis F ou B pour l’aide à l’intégration. Tous les cantons se battent pour tripler ce montant, ce qui sera encore assez limité. Ce que nous souhaiterions, c’est combiner l’apprentissage de la langue à un stage professionnel préparatoire pour permettre une intégration plus rapide dans le monde du travail.

Notre deuxième proposition : soutenir un programme comme Voix d’Exils qui permet de connaître les idées, les pensées des réfugiés. Qu’en pensez-vous ?

Le programme existe avec notre soutien intégral.

Comment faire pour que les employeurs engagent davantage de permis N, permis F et permis B et pas seulement les permis C ?

Il y a un débat aujourd’hui au niveau national sur l’existence du statut d’admis provisoire qui est perçu comme précaire par les employeurs à cause de son nom. Pour eux, c’est un défi d’accueillir quelqu’un qui va peut-être repartir. Mais aujourd’hui, les procédures s’accélèrent ce qui va aider. Le principal problème est vraiment d’arriver à changer la façon dont les postes de travail sont ouverts et valoriser les compétences différentes des gens qui arrivent dans le cadre de l’asile. Il y a un grand travail de sensibilisation à faire.

On parle peu des personnes qui réussissent à s’intégrer dans un emploi et qui aident leur entreprise à apporter plus d’ouverture à ces démarches. Il faudrait creuser cette piste. Dans le cadre de l’asile, on ne doit pas travailler dans une logique d’origine mais dans une solidarité interculturelle pour ouvrir les employeurs à engager des personnes avec un statut différent.

On va terminer avec notre dernière préoccupation : pourquoi les réponses aux demandes d’asile prennent-elles autant de temps? Serait-il possible d’accélérer les procédures ? De les raccourcir ?

Oui, c’est possible d’avoir une procédure d’examen accélérée et c’est ce qui se passe avec la réorganisation du domaine de l’asile. Maintenant, j’espère qu’on accélérera autant les décisions positives que les décisions négatives. Ce qui fait durer les procédures c’est aussi les recours déposés, parfois pour des dossiers qui n’ont plus aucune chance. C’est une perte de temps pour tout le monde, même si on comprend que chacun cherche à saisir sa chance jusqu’au bout.

Vous avez répondu bien clairement à nos questions, merci. Mais surtout Neuchâtel a une politique très positive en matière d’asile, les requérants sont heureux de vivre ici.

C’est vrai qu’on a une belle politique dans le canton de Neuchâtel, ce qui ne nous empêche pas de chercher à continuer à nous améliorer et à vivre le plus positivement possible quelque chose qui est difficile pour vous. Si on peut être une terre d’accueil et que vous vous sentez accueillis et bien j’en suis heureux.

Propos recueillis par :

La rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

L’interview du conseiller d’Etat M. Karakash vue de l’intérieur

Photo: rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Immersion dans les coulisses de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils peu avant et pendant l’interview de M. Jean-Nathanaël Karakash, conseiller d’Etat en charge du département de l’économie et de l’action sociale du canton de Neuchâtel

Nous sommes fiers, tous les sept membres de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils. Nous nous sommes donnés rendez-vous, en ce jour du 20 octobre 2017 à 15h précises, pour aller interviewer M. Karakash,  « notre »  conseiller d’Etat, car c’est lui qui est en charge de l’asile dans le canton de Neuchâtel.

Tout le monde est à l’heure. Il pleut, mais nous ne le sentons pas. Nous marchons jusqu’au Château du Conseil d’Etat, un peu excités. Comme avant un examen, nous sentons une certaine tension monter.

Serons-nous à la hauteur ? Khaldoon répète ses questions à voix basse. Cismacil nous montre son appareil photo, il est prêt. Revan articule à haute voix ses paroles d’introduction. Leana vérifie encore une fois l’enregistreur. Rafika et Marie-France chuchotent, plaisantent, ça détend…

Le lien se tisse

Dans le Château du Conseil d’Etat c’est beau, ça impressionne. Nous sommes accueillis par une secrétaire qui nous fait patienter quelques minutes. Monsieur Karakash arrive, le sourire aux lèvres en nous serrant la main.

Nous sommes dans son bureau, vaste, magnifique. Nos yeux se promènent du plafond aux fenêtres en se régalant de la hauteur et de la beauté du lieu.

Il nous propose à boire, il plaisante, sourit, nous met à l’aise.

Nous nous présentons. Nous sommes : avocat, étudiant, journaliste, enseignant, venant de Syrie, de Somalie, d’Irak, d’Algérie et de Suisse.

Très attentif, il raconte spontanément d’où il vient. Il nous décrit le chemin de son père, Grec de Turquie qui à l’âge de dix ans migre avec sa famille à Genève pour finalement devenir pasteur au Val de Travers ! Il connaît de l’intérieur le chemin de vie de la migration. Le lien est tissé.

« Le coût des mots »

L’interview se passe très bien. Il trouve que nos questions sont pertinentes, documentées, il apprécie.

Un de nos rédacteurs voulait lui transmettre quelque chose de plus personnel à la fin de notre rencontre. M. Karakash accepte, écoute très concentré.

« Je suis venu de Syrie en Suisse. Tous mes amis et les personnes que je connaissais avant me posent la même question : pourquoi est-ce que je ne parle pas assez ? Parce que pour moi, les mots m’ont coûté très cher.

J’ai passé 17 ans de ma vie en prison. Je ne parlais plus. Voix d’Exils m’a redonné confiance pour pouvoir à nouveau m’exprimer. C’est la première fois que je réussis à dire ce que j’ai dans le cœur et dans la tête librement, sans avoir peur d’être puni. Le fait d’être assis ici à côté de vous est presque un miracle, quelque chose d’impossible en Syrie. Là-bas, un responsable de votre niveau est comme un dieu, inaccessible. Merci de tout cœur. »

Nous sommes tous émus.

Nous prenons congé de M. Karakash chaleureusement.

En sortant du château, nous sommes encore plus fiers. Nous nous félicitons tous. Nous rions, nous sommes complétement détendus !

La rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 

 




C’est grâce à sa rage de réussir que Maître John a ouvert son atelier de confection

Maître John à l’œuvre. Photo: Paul KIESSE

Maître John à l’œuvre. Photo: Paul KIESSE

Couturier Congolais exilé en Suisse depuis huit ans, Jean Ndabi – Maître John – pour les intimes, a réalisé son rêve d’enfance: ouvrir sa maison de couture. Toujours souriant et de bonne humeur, Jean Ndabi affectionne la coupe et la couture depuis sa tendre enfance. Ce Congolais de 34 ans, père d’une fillette d’un mois, a contracté la poliomyélite à l’âge de 7 ans. Mais cela n’a nullement ébranlé sa détermination à devenir couturier.

A Kinshasa, la capitale du Congo, il passe trois ans dans une école de coupe et de couture, puis deux ans d’apprentissage dans un atelier. Lorsqu’il débarque en 2004 en Suisse, il est envoyé dans le canton de Neuchâtel, d’abord au centre d’accueil des Cernets, aux Verrières, et puis au centre d’accueil de Couvet.

Requérant d’asile, il cherche des petits boulots mais n’en trouve pas. « Beaucoup d’entreprises s’intéressaient à moi, mais à cause de ma mobilité réduite, elles étaient découragées. Mon handicap physique a été un sérieux frein pour trouver du travail », confesse-t-il.

« Ma clientèle est composée de gens de toutes nationalités »

Dans le centre d’accueil où il logeait, il y avait une salle de couture. Il décide alors de perfectionner son savoir-faire pour ne plus attendre un hypothétique emploi. Mais il lui faudra de la patience avant de voir son art reconnu. « En Suisse, je n’ai suivi aucune formation, mais j’ai beaucoup appris, surtout le sérieux suisse », déclare-t-il.

En 2010, il obtient son permis de séjour B et co-loue un espace à la rue de l’Ecluse à Neuchâtel.

L'atelier de confection de Maître John à Peseux. Photo: Paul KIESSE

L’atelier de confection de Maître John à Peseux. Photo: Paul KIESSE

Rapidement, la clientèle afflue, mais le lieu est trop exiguë et n’est pas adapté à ses ambitions. Il décide alors de voler de ses propres ailes et ouvre son atelier de confection à rue Ernest-Rouley 7, à Peseux. « Ma clientèle est composée de gens de toutes nationalités. Mais ici, à Peseux, ce sont davantage les Suisses qui viennent par rapport aux Africains », nous confie Me John, fier de ne pas dépendre de l’aide sociale.

« Je le voulais tellement que je l’ai réalisé »

Deux machines industrielles, une machine à ourlet, une machine de surfilage et une machine de boutonnière constituent l’équipement de la confection John Ndabi, ouverte depuis maintenant un mois et spécialisée dans la couture hommes, dames, enfants et les retouches. « Ce n’est pas facile d’ouvrir une maison de couture en Suisse, d’abord en tant qu’étranger, puis ensuite en tant que requérant d’asile sans fonds de démarrage. Mais je le voulais tellement que je l’ai réalisé », affirme-t-il.

Parlant de ses bons souvenirs, il souligne que « grâce à mon travail de couturier, les gens ont oublié mon handicap ». Avec l’ouverture de cette confection, Me John ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il ambitionne à présent d’ouvrir un magasin d’habillement, d’organiser des défilés de mode pour présenter la mode africaine et européenne. Mais, surtout, de recruter des stagiaires; car évoluant dans un premier temps seul, il compte engager trois à quatre personnes pour l’épauler dans cette lourde tâche.
Pour Me John, son exemple doit encourager d’autres requérants d’asile à s’intégrer et à valoriser leurs savoir-faire. Il se dit reconnaissant envers les autorités suisses, qui lui ont donné l’opportunité d’exprimer son talent; et envers du Centre social protestant (CSP), qui a mené les démarches pour l’obtention de son permis de séjour.
C’est grâce à sa pugnacité et sa rage de réussir que Me John a su faire reculer les limites de son handicap en misant sur ce qu’il sait faire le mieux à faire, à savoir : la coupe et la couture. Avec sa confection, il crée des emplois, paie les impôts et contribue à la prospérité de la Suisse qui l’a accueilli les bras ouverts.
Paul KIESSE

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils