1

Le guide du requérant d’asile (partie 1)

Une série satirique inspirée du déroulement de la procédure d’asile en Suisse

Tous les événements, situations et personnages décrits ci-après sont le pur fruit de l’imagination migratoire de l’auteur. Attention : si vous souhaitez acquérir le statut de réfugié en Suisse, ce guide ne prétend pas vous mener à bon port sans sérieusement éprouver votre sens de l’humour. Sinon, pour les choses sérieuses, il y a les spécialistes de l’asile du Secrétariat d’État aux migrations.

Bonjour et bienvenue dans notre beau pays la Suisse! Nos montagnes, nos lacs, nos beaux pâturages, notre raclette, notre bon chocolat, nos lingots, notre secret bancaire et notre Roger Federer

Bref, bienvenue en Suisse! De toute façon vous n’êtes pas venus pour faire du tourisme!

Vous avez fui la guerre et/ou la persécution dans votre pays – du moins c’est ce que vous prétendez – pour rejoindre notre Eldorado émeraude. Vous avez beau prétendre que ce n’est pas notre revenu par habitant qui vous a attiré dans nos contrées perchées mais nos statistiques ne mentent pas : la grande majorité d’entre vous êtes de vilains migrants économiques. Ce n’est pas bien du tout ! Qu’à cela ne tienne, nous n’allons pas vous jeter comme des malpropres, vous êtes dans de bonnes mains. Nous sommes des gens civilisés, garants des droits universels de l’homme issus des deux bords de la Méditerranée et nous obéissons à un certain nombre de règles de droit que notre savoir-vivre nous impose, et aussi notre grande sœur pimbêche l’Europe.

Alors voici les règles du jeu auxquel nous allons jouer ensemble pendant les prochains jours, mois ou années. Bref, le temps que nous jugerons nécessaire pour traiter votre demande, ou jusqu’à ce que vous décidiez par vous-même d’abandonner la partie.

Règle numéro 1: voyagez léger!

Bénéficier du luxe d’être venu en Suisse par avion ne vous donne pas le droit de vous comporter comme un touriste. Pensez à vos compagnons d’infortune qui ont dû traverser déserts et océans, affronter monts et marées pour gagner le droit de fouler notre terre bénite. Par respect pour eux, présentez-vous au bureau d’enregistrement des requérants d’asile vêtu de votre plus humble appareil. Ne venez pas à moitié nu ou habillés de haillons non plus. N’en faites pas trop car ça ne sert à rien de se faire remarquer ! Fondez-vous dans la masse mais surtout rappelez-vous : c’est l’habit qui fait le migrant!

Règle numéro 2: prononcez la formule magique

Il vous faudra probablement plusieurs tentatives afin de réveiller notre agent de sa torpeur matinale mais ne vous désespérez pas et répétez avec moi les mots suivant : « NOUS VENONS SOLLICITER L’ASILE AUPRÈS DES AUTORITÉS SUISSES ». Répétez autant de fois que nécessaire jusqu’à ce qu’une réaction s’en suive. Le jeu en vaut la chandelle! N’oubliez-pas que vous venez des quatre coins du monde, avec des accents qui vous sont propres pour peu que vous parliez une de nos langues. Attention, n’attendez pas que l’on vous déroule le tapis rouge ou que la mer s’ouvre en deux quand vous prononcerez cette phrase. Vous avez beau être en exode, vous n’êtes pas Moïse pour autant; et de toute façon il n’y a pas de mer en Suisse mais nous avons les plus beaux lacs du monde, y compris notre merveilleux Léman.

A bientôt pour la suite de votre aventure…

 

Noé 722420

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




La fabrication d’un dealer

Daniel Lofredo Rotta "Drug dealer from Golden Gate Park" (CC BY-NC-SA 2.0)

Daniel Lofredo Rotta
« Drug dealer from Golden Gate Park »
(CC BY-NC-SA 2.0)

Le trafic de drogues obnubile les médias et la figure du dealer hante aujourd’hui la population suisse. Qui se cache derrière le dealer posté au coin de la rue ? Quelles sont les raisons qui peuvent pousser à dealer? Comment se sortir de la spirale du trafic de drogues ?

Témoignage exclusif d’un ex-dealer – également rescapé d’un massacre perpétré par les djihadistes de Boko Haram – qui a réussi à s’extraire des tentacules du deal.

Né au sud du Nigeria, plus précisément dans la région de Calabar de parents chrétiens, Edouard a aujourd’hui 40 ans et a suivi dans son pays des brillantes études universitaires couronnées par un diplôme d’ingénieur. Par la suite, il est engagé par une importante société basée au nord du Nigeria. Il s’installe alors dans la ville de Kano et mène une vie très paisible et confortable. Marié et père de trois enfants, il est parmi les membres influents d’une église locale qu’il fréquente chaque dimanche accompagné de sa famille. Jusqu’à ce fameux jour en printemps 2004 où, en plein culte, l’église est attaquée par la secte islamiste nigériane Boko Haram. Le bilan est lourd : l’église est brulée, plusieurs fidèles sont assassinés, des femmes et des enfants sont massacrés, et sur la liste des victimes figure sa belle-sœur !

La route vers l’exil forcé

Édouard, qui ne comprend pas encore les raisons de cette attaque, et encore moins qui sont les assaillants (comme la quasi-totalité des Nigérians à l’époque) réussit à se mettre à l’abri avec sa femme et ses trois enfants. Il se faufile dans la brousse pour regagner son domicile et se rend compte que sa maison a été pillée et brulée, comme la majorité des maisons appartenant aux chrétiens de cette ville à majorité musulmane. Pris de panique, il profite de la nuit et de l’obscurité pour fuir avec sa famille. Il juge alors plus prudent de rejoindre le Niger – pays voisin limitrophe, accessible à pieds et dont le trajet est moins exposé à d’éventuelles embuscades des assaillants – que de se rendre dans sa ville d’origine qui se trouve au sud du Nigeria, ce qui nécessiterait, pour l’atteindre, de traverser tout le nord avec les risques que cela entraîne.

 Talatu Carmen (CC BY-NC-SA 2.0)

Talatu Carmen
(CC BY-NC-SA 2.0)

Traverser le désert et la mer

Ainsi, Édouard se retrouve du jour au lendemain avec sa famille au Niger, et pose ses valises à Agadez, une ville connue comme une véritable plaque tournante de l’immigration vers l’Europe par le désert. Édouard n’a plus assez d’argent pour continuer la route avec sa famille et, surtout, il ne veut pas risquer la vie de ses enfants dans le désert. Il se confie au prêtre de l’unique Eglise catholique de la ville et ce dernier accepte d’héberger ses enfants et sa femme pour «le temps qu’il faudra». Edouard affronte alors le Sahara dans un pick-up 4×4 dans lequel les passagers sont «entassés comme des bagages», avec la peur au ventre d’y laisser sa peau, mais aussi avec l’espoir de se retrouver sur un continent qui, selon lui, respecte les droits de l’homme et où règne la paix. Après une semaine passée dans le désert, le convoi arrive en Libye. Édouard se débrouille pour regagner Tripoli dans un autre pick-up, toujours par le Sahara, pour déjouer les contrôles de police car il est à présent un clandestin. Une fois à Tripoli avec ses compagnons de fortune, ils sont conduits dans des ghettos où habitent d’autres Africains tous dans l’attente de traverser la mer pour l’Europe… «l’Eldorado».

Six mois plus tard, à Tripoli, Édouard a déjà réussi à rassembler la somme d’argent exigée par le passeur, lui qui n’avait plus rien à son arrivée, notamment en travaillant dans des chantiers. Il embarque en pleine nuit dans une pirogue de fortune avec une centaine d’autres immigrés clandestins venus des quatre coins du monde (dont l’Afrique de l’ouest, le Maghreb et l’Asie). Après avoir passé toute une nuit d’angoisse en pleine mer, ils arrivent enfin à l’île italienne de Lampedusa. Ils sont arrêtés par les garde-côtes italiens et transportés dans un camp de réfugiés. Certains sont emmenés à l’hôpital. Il décide alors de quitter l’Italie car, dit-il, «je voulais aller au cœur de l’Europe, là où je raconterai mon histoire sans peur d’être rejeté, au pays connu de par le monde pour son hospitalité légendaire, au pays connu pour son respect des droits de l’homme, le pays qui symbolise le respect des droits des réfugiés : la Suisse!»

L’Eldorado Suisse…

Il arrive en Suisse et dépose une demande d’asile dans le centre d’enregistrement basé à Vallorbe. Il est ensuite transféré dans un centre pour demandeurs d’asile du Canton de Vaud. Là-bas, le jeune ingénieur africain sombre dans la dépression ou presque. Après toutes ses tentatives pour décrocher un emploi il baisse les bras. Il s’ennuie à longueur de journées et fait la rencontre de quelques compatriotes. Tous ou presque ne travaillent pas en raison de leur statut. On lui explique que sa demande d’asile ne va pas aboutir, comme la majorité d’entre eux, «car il est Nigérian». Il n’arrive pas à en croire ses oreilles. Il se dit qu’avec ce qu’il a vécu, il mérite la protection de la Suisse: «et puis, c’est mon histoire qui compte et non mes origines» se dit-il en y croyant dur comme fer. Ses compatriotes tentent de lui expliquer qu’ici, ils sont tous «associés à des dealers, à de vulgaires vendeurs de drogues». Quel que soit son parcours académique en Afrique, ici il n’est plus rien. Des propos qui ont le mérite de le choquer. Il met ces allégations sur le compte du fait que la plupart des compatriotes qu’il a rencontré au centre n’ont pas son niveau d’éducation et donc ont peu de chances de s’en sortir. Lui croit avoir plus de ressources… Mais il n’arrive toujours pas à décrocher un travail pour envoyer de quoi vivre à sa famille restée à Agadez à cause de son statut de demandeur d’asile.

(CC BY-NC-SA 2.0) Drugs Elle Kay "Drugs" (CC BY-NC-SA 2.0)

Elle Kay
« Drugs »
(CC BY-NC-SA 2.0)

La tentation

Chaque matin, certains de ses compatriotes sortent du centre et ne rentrent que le soir. Ceux-ci ont de l’argent. Certains envoient «de grosses sommes» pour soutenir leurs familles restées au pays. Edouard reste toute la journée couché. Un matin, il reçoit un coup de fil de sa femme depuis le Niger qui lui annonce une terrible nouvelle : sa fille est tombée gravement malade. Il lui faut urgemment de l’argent pour la soigner, mais il n’a rien pour lui venir en aide. Il essaie de faire un emprunt auprès de certains de ses compatriotes qui sont toujours «bourrés de fric», mais personne ne veut lui donner un coup de main. Ils lui reprochent d’être «un peureux qui ne veut pas prendre de risques, un saint». Un seul lui propose de lui venir en aide, mais avec…cinq grammes de cocaïne. Faudra-t-il «mettre de côté ses valeurs, risquer de perdre sa liberté pour avoir de quoi soigner sa fille?» Cette question taraude son esprit toute une nuit. Le matin suivant, il décide d’accepter l’offre et entre alors dans l’engrenage du deal. Il se retrouve dans le centre-ville de Lausanne pour «tacler» (ndlr : tacler signifie dans le jargon des dealers «accoster les clients de différentes manières»). Avec «une peur olympique au ventre», il réussit à écouler la fameuse marchandise. Lui qui méprisait auparavant les dealers, bizarrement, il prend goût  au «métier». Édouard sent alors qu’il est «transformé par le système».

«Je n’avais jamais imaginé qu’un jour je vendrai de la drogue. Je ne savais même pas à quoi ça ressemblait. A force de chercher du travail en Suisse j’étais prêt à faire n’importe quoi et à laisser tomber ma profession d’ingénieur. J’ai vraiment fait tout ce qui était possible. A force de recevoir des réponses négatives à cause de mon statut temporaire en Suisse, je me suis retrouvé le dos au mur».

Marco Gomes "Crack” (CC BY-NC-SA 2.0)

Marco Gomes
« Crack”
(CC BY-NC-SA 2.0)

La rédemption par la foi

Mais, après des mois de «taclage» sous le soleil, la pluie et la neige; à courir devant les gendarmes en civil, Édouard est fatigué de cette vie gagnée dans l’illégalité. Dans son cœur, il sait que cette vie ne lui convient pas et qu’elle ne reflète pas ses valeurs. Malgré le fait qu’il parvienne maintenant à envoyer régulièrement de l’argent à sa famille, il décide de couper court avec sa vie de dealer ! Il dit être aidé dans cette «difficile décision» par «sa foi en Dieu». Il «s’est rapproché de Dieu», il prie beaucoup et croit fermement que «Dieu à un plan plus propre, plus juste pour lui». Aujourd’hui, Edouard n’a toujours pas une situation stable, il ne vit qu’avec l’aide donnée aux demandeurs d’asile, il a des problèmes pour subvenir aux besoins de sa famille restée en Afrique, mais il vit au moins dans la légalité !

*Nom d’emprunt

FBradley Roland

Journaliste-éditorialiste, contributeur externe de Voix d’Exils




L’EXIL

Illustration: LANDO

Ce mot est peut être très facile à prononcer, mais il qualifie l’une des conditions les plus dures à vivre. Seuls les exilés en savent quelque chose, car ce n’est pas comme on le pense, c’est une maison avec plusieurs portes; certaines peuvent nous envoyer en enfer, certaines peuvent nous ramener au bercail et d’autres s’entrouvrir sur une terre d’accueil.

Nous, les exilés, sommes aujourd’hui prisonniers de nos propres âmes et de nos parents laissés derrière nous.

Mécontents de notre patrie, soit à cause d’un problème économique, politique, ou bien à cause d’une situation familiale amère, nous avons renoncé à vivre chez nous.

À la recherche d’une vie meilleure, nous avons pris le risque de partir, de tout laisser et de venir affronter l’inconnu.

Nous nous sommes coupés de nos racines, de notre famille, de nos repères, des codes sociaux de notre culture, de notre langue, celle qui nous vient de notre mère, de la mère notre mère et de sa mère avant elle.

Nous avons préféré rompre les liens avec nos frères de sang pour adopter une nouvelle façon d’entendre, de comprendre, de s’exprimer, bref, une nouvelle façon de vivre.

Se fixer de nouveaux objectifs et de nouvelles règles nous fait souvent oublier qui nous sommes, d’où nous venons et même ce que l’on est venu chercher.

Certains d’entre nous retourneront au bercail une fois la situation calmée, car ils avaient jurés de partir mais aussi de revenir un jour.

D’autres rentreront à peine arrivés car leurs rêves de libertés se seront écroulés devant les dures réalités de l’Eldorado.

D’aucuns jureront de rester, de ne jamais retourner, même si les recours sont épuisés, l’assistance inexistante, l’espoir étouffé par des procédures marécageuses.

Malgré le poids du regard que porte sur eux le policier qui peut les menotter à tout moment même devant leurs enfants.

Cet agent qui les pousse dans une fourgonnette pour les cracher comme des microbes dans un centre de rétention.

Centre carcéral où ils seront éloignés de tout ce qui les attachait à la vie au point de leur faire perdre la mémoire d’eux-mêmes et le goût des autres.

Il ne leur restera alors que leurs corps et, parfois, le choix de l’hôpital, s’ils ont le courage de se faire du mal ; de la prison s’ils ont l’audace de se débattre ou de l’avion s’ils abandonnent et décident enfin de retourner sur la terre de leurs ancêtres; celle qui les a vu naître, grandir et qui aura toujours besoin de ses enfants.

Pita

Membre de la rédaction valaisanne