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« L’intégration commence chez soi »

Ali Latifi dans son magasin. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils

Les 10 ans de l’Evam – Interview d’Ali Latifi

Sa motivation et son courage portent leurs fruits ! Ali Latifi, un Iranien de 51 ans au parcours exemplaire en Suisse, raconte son histoire.

Ali Latifi, originaire d’Iran, est entré en Suisse avec son fils de trois ans en janvier 2004. Marié à une femme chrétienne arménienne disparue suite à un problème politique survenu en Iran, il a dû quitter son pays d’origine dans le but de demander l’asile en Suisse. Ainsi, il a été envoyé à Bex, dans le canton de Vaud, où il a commencé à suivre des cours de français durant une période de trois mois.

Comment avez-vous abordé l’apprentissage du français?

Apprendre le français n’est pas facile ! C’est une langue très difficile. Mais, le fait de vivre dans la partie francophone de la Suisse m’a aidé. Je m’y intéressais beaucoup, puisque c’était l’un des critères pour trouver un travail. Je consultais régulièrement mon dictionnaire pour comprendre la signification des mots et je posais des questions aux francophones qui m’aidaient à mieux le parler.

Quel a été votre parcours professionnel dans votre pays d’origine ?

Je suivais des études d’ingénierie électronique au départ. C’est à l’âge de 23 ans que j’ai arrêté ces études pour me rendre au Japon où j’ai travaillé comme soudeur pendant six ans. Suite à cela, je suis rentré au pays avec une économie de deux cent mille dollars pour créer ma propre entreprise de construction de bâtiments avec 50 employés à mon actif.

Vous avez participé aux programmes d’activités de l’EVAM et vous aviez été encouragé à construire votre vie en Suisse. Pourriez-vous nous parler de cette étape ?

Je travaillais dans le programme PFPP peinture qui consistait à peindre les appartements avec Monsieur Pipo. J’étais son médiateur étant donné mes précédentes expériences dans le domaine. Je dois avouer que je n’ai pas eu beaucoup de contact avec la Fondation vaudoise pour l’accueil des requérants d’asile (la FAREAS, ancêtre de l’Evam) par rapport à l’assistance financière. En 2006, soit deux ans après mon entrée en Suisse, j’ai signé un contrat de 6 mois avec une entreprise de chauffage à Lausanne. Plus tard, j’ai eu l’opportunité d’exercer dans la construction métallique. Après 3 mois d’essai cet engagement a abouti à un contrat à durée indéterminée. Je me suis alors inscrit au Certificat fédéral de capacité (CFC) en construction métallique ou je suivais des cours de théorie les samedis. Les autres jours, j’étais sur le terrain. C’était une période difficile, j’habitais avec mon fils à Penthalaz. Je me levais chaque matin de bonne heure, à 5h, pour être ponctuel au travail. Mais bien avant, je passais déposer mon fils à 6h30 chez la maman de jour qui était à 20 minutes de la gare. Je courais pour prendre le train afin d’être à Lausanne à 7h. A la fin de la journée, à 18h30, toujours en courant, je partais chercher mon fils pour rentrer à la maison. En 2013, j’ai obtenu mon CFC et j’ai démissionné de l’entreprise parce que mon salaire ne me permettait pas de subvenir à mes besoins. J’avais beaucoup de charges : je payais le loyer, l’assurance maladie, la cotisation AVS, les frais de mon CFC et aussi la taxe spéciale (10 % du revenu des requérants d’asile qui a été abolie le 31.12.2017). J’ai payé au total 15 mille francs de taxe spéciale. Suite à ma démission, je suis allé travailler à Villars-Sainte-Croix pendant 3 ans et c’est à ce moment-là que j’ai décidé de me mettre à mon compte.

Comment avez-vous réussi à acquérir ce kiosque ?

Il y a deux ans, j’ai pris le deuxième pilier de ma prévoyance vieillesse pour acheter ce magasin. Au départ, ce n’était pas facile à gérer. On avait que 5 à 6 clients par jour. Alors on s’est engagé de façon régulière pour l’ouvrir : 7 jours sur 7 de 6h30 à 19h30. Grâce à cette assiduité, maintenant on a assez de clients fidèles qui viennent prendre des produits chez nous. On continue de redoubler d’efforts pour satisfaire la clientèle et améliorer nos prestations.

C’est quoi pour vous l’intégration ?

L’intégration commence chez soi ! Pour avoir une chose, il faut se battre pour la conquérir. C’est comme à l’école : pour obtenir de bons résultats, cela te conduit à bosser dur. Il ne faut pas s’attendre à ce que les choses tombent du ciel. Quand tu as la motivation de te battre, tu donnes la volonté aux autres de t’aider. C’est comme ça que ça marche à mon avis.

Gardez-vous des contacts avec votre pays d’origine ? Qu’est-ce qui vous manque le plus ?

Tout me manque ! Ma famille, mon pays ! On reste en contact grâce aux nouvelles technologies. J’y suis retourné une fois un mois et j’étais pressé de rentrer en Suisse car j’avais beaucoup de soucis à régler. Maintenant, je suis marié, j’ai deux enfants, ma culture, ma famille, toute ma vie se trouve ici. J’ai passé mon examen pour l’obtention de la citoyenneté suisse et je l’ai réussi. Actuellement, je suis en attente de la prochaine prestation de serment.

Êtes-vous solidaire des requérants d’asile ?

Bien sûr ! Je ne me vois pas différent, j’étais dans la même situation qu’eux. Le fait d’avoir toutes ces choses et d’être suisse ne m’amène pas à ignorer les autres. C’est un moment difficile pour tous.

Qu’est-ce qui vous marque le plus en Suisse ?

Le respect ! Quand tu es fautif, on te le fait savoir. Mais quand tu es correct, tout le monde est gentil avec toi et ne tient pas compte de ton origine. C’est ça le respect ! Il n’y a pas de racisme !

Auriez-vous une histoire qui vous a marqué en lien avec votre processus d’intégration ?

Lorsque j’apprenais le français, mon fils se moquait beaucoup ! Quand il jouait avec ses amis, j’étais très attentif à ce qu’ils se disaient. Il venait me voir lorsqu’il avait une question : « Papa comment on chante ça ? ». Je n’avais pas les moyens d’y répondre ! Alors j’ai gardé le mot chanter en tête. Lors d’un cours en classe, la prof écrivait un mot au tableau et je lui demandais : « Excusez-moi Madame, comment on chante ça ? », mes camarades de classe se sont mis à rire et m’ont corrigé : « c’est : comment on prononce ça ? ». Dès lors, j’ai fait la différence entre « chanter » et « prononcer ». C’est un moment que je n’oublierai jamais !

A la fin de notre interview, le fils de Monsieur Latifi à conclu avec ces mots : « Je dirais que c’est quand même un beau parcours que mon père a fait tout seul et voilà qu’il a le courage et tout ce qu’il faut pour réussir. Je suis fier de lui ! »

Mamadi Diallo et MHER

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Bio express

1967 : naissance en Iran : âge actuel 51 ans

2004 : arrivé en Suisse

2006 : employé en entreprise de chauffage à Lausanne ; construction métallique

2013 : Formation acquise, CFC (construction métallique)

2016 : chef d’entreprise

 

 




10 ans pour construire un nouveau chemin

Keerthigan Sikakumar à l’ECAL. Auteur: Eddietaz

10 ans de l’Evam – Le parcours de Keerthigan Sivakumar en Suisse

Voici presque 10 ans que Keerthigan Sivakumar est arrivé en Suisse. Passé par les structures de l’Evam, autonome et déterminé, il a su construire son chemin pour réaliser aujourd’hui son rêve : étudier le cinéma. Retour sur un parcours épatant.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils est allée à la rencontre d’un de ses anciens membres : Keerthigan. Très enthousiaste, ouvert et sympa il nous a fièrement accordé cette interview à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL).

« J’ai suivi des études secondaires pendant six mois dans mon pays d’origine, le Sri Lanka. Ensuite j’ai fui mon pays en 2009 et je me suis réfugié en Suisse. Les premières trois années, j’ai commencé par apprendre le français et j’ai participé au programme Voix d’Exils jusqu’en 2013. Entre 2014 et 2016, j’ai suivi ma première formation professionnelle à l’Ecole cantonale d’art et de communication de Lausanne (l’éracom). En 2017, j’ai réussi à commencer une formation en cinéma à l’ECAL.

« Les cours de français m’ont permis de sortir du foyer »

Quand je suis arrivé en Suisse, j’habitais au foyer de Sainte-Croix dans une montagne isolée et c’est là que j’ai appris le français en commençant par l’alphabet pendant six mois. C’était très dur, surtout la prononciation. Les cours n’étaient pas intenses, on avait trois jours de cours par semaine. Après six mois, j’ai dépassé le niveau de français des cours qu’on donnait au foyer et on m’a alors proposé de suivre les cours à Renens. Et c’est là où j’ai eu la chance de sortir du foyer pour la première fois. Avec ça, je me suis dit que les cours de français, ce n’est pas seulement pour apprendre une langue, mais aussi pour sortir du foyer, voir, observer, écouter et intégrer la communauté suisse. Donc les cours de français m’ont donné toutes ces opportunités.

« Les cours de français m’ont permis de réaliser mes études professionnelles »

Au début, je voyais le français comme une langue très bizarre. Des gens me disaient que c’est une langue qui est un peu similaire à l’anglais et que si tu parles l’anglais, tu pourras vite l’apprendre. Comme je parle l’anglais, je pensais que ça serait facile pour moi. Mais tel n’a pas été le cas. Les professeurs de français ne parlaient pas l’anglais pendant les cours de français pour définir les mots et nous aider à comprendre. Tout se disait en français. En plus, à cette époque, on n’utilisait pas les smartphones pour chercher la définition des mots. C’est une méthode très dure et difficile pour apprendre la langue. Mais, j’apprécie beaucoup cette méthode, car aujourd’hui elle m’a permis d’être bon en français et de pouvoir faire mes études professionnelles.

« Quand les vaudois parlent, ils parlent très vite »

J’ai eu la facilité d’apprendre cette langue car j’avais l’opportunité de suivre des cours intensifs de français, une demi-journée tous les jours de la semaine à Ecublens. Ensuite, j’ai eu la chance d’être soutenu par une bourse d’études d’une association qui s’appelle ENVOL pour suivre des cours jusqu’au niveau B2. Toute langue est comme un océan, une mer. L’une des difficultés que je rencontre est de me familiariser avec l’accent vaudois. Quand les vaudois parlent, ils parlent très vite. Je me sens toujours comme un débutant dans cette langue. J’ai toujours des difficultés et des défis à relever. Maintenant à l’école, on écrit beaucoup, on rédige des textes. Alors pour faire ça, il me faut d’abord les rédiger dans ma langue maternelle, pour les traduire en français ensuite. Après, je les donne pour relecture à d’autres personnes.

« Voix d’Exils est un vrai emploi »

Je trouve que Voix d’Exils n’est pas un programme d’activités, c’est un vrai emploi. Car à travers ce programme, nous apprenons les vraies techniques du journalisme en Suisse. Alors, il nous donne beaucoup d’expérience et c’est bénéfique. Il nous permet aussi d’avoir la confiance et une grande motivation pour aller rencontrer des gens, faire des interviews et écrire des articles. Voix d’Exils m’a beaucoup aidé à développer mes compétences pour pouvoir suivre ma première formation réussie à l’Eracom. Ce programme m’a aussi appris à connaître la vie politique, sociale, culturelle et professionnelle en Suisse.

« Ce qui facilite l’intégration, c’est d’être toujours ouvert et d’avoir la persévérance d’apprendre »

L’intégration c’est le vivre ensemble des communautés différentes en respectant ces différences. Je ne me sens pas intégré en Suisse et je ne pense pas réussir à m’intégrer un jour, car l’environnement social et politique change tous les jours. Donc, avec ces changements constants, nous n’arriverons jamais à nous intégrer. Mais ce qui facilite cette intégration, c’est d’être toujours ouvert et avoir la persévérance d’apprendre.

Une saveur, un goût qui te parle ?

La crêpe au chocolat. Au Sri Lanka il y des crêpes : les Dosa, mais on ne les mélange jamais avec du chocolat.

Une expression dans ta langue qui t’es chère, qui te ressemble ?

Nous sommes tous citoyens du monde donc nous écoutons.

En tamil : யாதும் ஊரே! யாவரும் கேளீர்! »

Propos receuillis par:

Lamine

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Bio expresse de Keerthigan Sivakumar

1988 : naissance au Sri Lanka, âge actuel : 29 ans

Langue maternelle : Tamil

2009 : Arrivée en Suisse

2014-2016 : Ecole romande d’art et communication (éracom)

2017 : Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL)

 

 




Une génération sacrifiée au Kurdistan irakien

Auteur: Rawa Ali

Auteur: Rawa Ali

Si durant l’enfance on doit vivre comme un adulte, comment vivra-t-on quand on sera adulte ?

Au Kurdistan irakien et en Irak, les luttes entre les différents partis politiques s’aggravent jour après jour. L’attention de tous les journaux et des chaînes de télévision au Kurdistan irakien est focalisée sur la guerre, sur les affaires financières et politiques. Chacun donne sa version des faits et propose sa vision du futur sans penser que c’est la nouvelle génération qui édifiera l’avenir.

Hélas on a tendance à l’oublier sous la pression des événements. La situation des enfants est cachée sous le tapis aussi bien dans les journaux, sur les sites et à la télévision. On ignore le sort qui est réservé aux enfants qui ont perdu tous leurs droits et qui sont traités comme des adultes.

Anéantir l’esprit critique

Une des causes de cette catastrophe humanitaire est que beaucoup d’enfants vivent dans des zones occupées par des groupes fondamentalistes (Daech) qui terrorisent la population kurde et irakienne. L’autre cause est l’application par le régime du Kurdistan irakien de mesures qui visent à affamer sa population. Son but est d’anéantir son esprit critique pour continuer à la dominer. Les enfants ne sont pas scolarisés car ils doivent travailler pour gagner de quoi vivre, comme on le voit sur cette photo ci-dessus prise par mon frère à Solaymania où deux fillettes en uniforme de l’école vendent des chewing-gums dans la rue. Quand on agit sans penser aux risques pour l’avenir, c’est le futur des prochaines générations qui s’annonce très sombre. Si la situation reste la même, on prépare une génération d’analphabètes qui fera reculer toute la population de cent ans dans le passé. Notre avenir ne sera pas meilleur que maintenant, car aujourd’hui déjà le pays est dirigé par des gens incultes qui ont eu pour seuls maîtres d’autres anciens dictateurs. De plus, ils ferment les yeux sur les conséquences qu’ont eues les anciennes dictatures comme celle de Saddam Hussein et ne veulent pas voir les conséquences auxquelles aboutira leur propre dictature.

« J’ai mieux à faire ! »

Le 21 décembre 2014, j’étais comme journaliste sur le territoire de Chengal, (une région revendiquée par l’Irak et le Kurdistan irakien) pour la couverture médiatique de la guerre entre les Pechmergas (combattants kurdes) et Daech. C’était le soir. J’avais dormi dans la voiture. Au matin, en ouvrant les yeux, j’ai vu un tout jeune berger qui portait un fusil à l’épaule presque de la même taille que lui. Je l’ai pris en photo, puis je suis allé vers lui et je l’ai salué. Il m’a répondu et je lui ai demandé ce qu’il faisait là. Il m’a dit : « Je suis berger ». Je lui ai alors demandé : « Tu ne vas pas à l’école ? » Il m’a répondu : « Non, laisse tomber j’ai mieux à faire ! Est-ce que vous connaissez ces Pechmargas là-bas ? Vous pouvez leur demander qu’ils me donnent des munitions pour mon fusil ? »

La demande de ce garçon m’a fait beaucoup réfléchir au fait que, au Kurdistan irakien, nous n’avons pas seulement raté le passé et le présent mais que nous sommes également en train de rater l’avenir.

Revan Noori

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




A la rencontre des écoliers valaisans

Marcus jouant au "Awele", un jeu typique de l'Afrique de l'Ouest

Marcus jouant au « Awele » avec les élèves, un jeu typique d’Afrique de l’Ouest. Photo: Voix d’Exils.

En Valais depuis près de 3 ans, Marcus est toujours dans l’expectative concernant sa demande d’asile. En attendant une réponse des autorités suisses, cet Ougandais en exil perfectionne son français et apprend à découvrir le canton et ses habitants. Dernièrement, il a collaboré à un projet pédagogique mené dans les écoles de la région. Une expérience unique pour un contact privilégié avec les étudiants valaisans et leurs enseignants. Des rencontres qui ont inspiré Marcus.

 

 

 

Depuis quelques temps, je n’ai plus beaucoup écrit. Plusieurs raisons à cela : d’abord, j’ai essayé d’améliorer mon français, que ce soit écrit ou parlé. Durant quelques mois, j’ai également participé à un programme d’intégration.

Cette période n’a bien sûr pas été uniquement faite de travail. J’ai aussi pris beaucoup de plaisir. J’ai d’ailleurs développé de nouveaux intérêts en plus de mon obsession pour la course à pied, à commencer par la danse et… les combats de reine, que j’ai découverts au Châble, près de Verbier, invité par un ami suisse. Quel suspense ! J’ai adoré regarder lutter ces animaux bien nourris. Peut-être vous en dirai-je d’avantage dans mon prochain article.

Cette fois, je voudrais vous faire part des quelques jours que j’ai passés à Conthey dans le cadre d’une exposition au cycle d’orientation «CO de Derborence». Je n’étais pas là en tant qu’étudiant, mais pour partager ma culture, mon expérience avec les élèves de l’établissement. Un labyrinthe leur montrait également le processus que les requérants d’asile traversent avant de se voir octroyer ou non le titre de réfugié.

Quelques jours avant l’exposition, l’excitation et la peur se mêlaient en moi. J’étais heureux d’avoir à pratiquer ma nouvelle langue, content de pouvoir redonner aux Suisses un peu de ce qu’ils m’avaient offert. Mais j’étais aussi apeuré à l’idée du défi linguistique qui m’attendait. La crainte envahissait mon esprit : et si les enfants ne comprennent pas ce que je leur dis ? Aujourd’hui, je suis juste heureux que le positivisme et le courage aient surpassé ma peur.

Le premier jour, la réception chaleureuse des enseignants et des étudiants a rendu les choses plus faciles. Répondre à leur intérêt était très encourageant. A ma grande surprise, les étudiants étaient très intéressés à apprendre quelques chose de nouveau, alors qu’ils n’auront peut-être jamais à jouer à nos jeux ou à parler nos langues. J’y vois là une des raisons qui fait le succès de la Suisse : ce besoin inné d’apprendre est un pas vers la créativité.

Lorsque je leur présentais l’un des jeux pratiqués dans mon pays, l’Awele/Manchala, les enfants et enseignants m’écoutaient religieusement. Au début, je voyais bien que le nombre de graines dans le support en bois sculpté les faisait douter. Ils se demandaient s’ils pourraient un jour apprendre ce jeu. Mais, à la fin de la séance, leurs sourires ne mentaient pas. Certains m’ont même demandé où ils pouvaient acheter ce jeu. Qu’aurais-je pu demander de plus : non seulement ils ont compris le jeu, mais en plus ils l’ont aussi apprécié.

Une autre leçon importante pour moi a été de constater la paix et le calme qui régnaient dans cette école. Étant donné l’âge des élèves, pour la plupart adolescents, j’ai été stupéfait par l’harmonie qui y régnait. Aucun signe de gang ou d’agression entre étudiants. Je comprends maintenant pourquoi beaucoup de parents vivant dans d’autres pays veulent envoyer leurs enfants dans des écoles helvétiques.

J’ai aussi découvert le secret qui se cache derrière la paix en Suisse. C’est la formation donnée aux enfants. De gros fusils et une armée de l’air hypersophistiquée protègent peut-être contre une agression extérieure, mais la paix civile ne peut être maintenue que par la bonne éducation des enfants à la maison, à l’école et dans la société.

Depuis, il n’est plus surprenant pour moi d’être arrêté par ces charmants enfants qui me tendent une main et me saluent. J’oublie peut-être leurs noms, mais je me rappelle clairement de leurs visages défilant devant les stands où nous présentions nos cultures, dans une ambiance familiale.

Le dernier jour, lorsque nous nous sommes dit au-revoir, les émotions étaient très fortes. J’aurais aimé passer plus de jours dans cette école mais comme le disait le roi Salomon : il y a un temps et une saison pour chaque chose. La saison était arrivée à sa fin. Nous devions partir.

Durant cette période, les souvenirs de mes écoles primaire et supérieure me sont également revenus. Je me suis aperçu à quel point les années passent. Les générations vont et viennent comme le monde continue de tourner.

Quand nous avons passé l’enceinte de l’école, je me suis rappelé de la diversité de toutes les cultures à l’école : les enfants d’Asie, d’Afrique et de différentes parties d’Europe. Discrètement, je me suis mis à chanter le refrain d’une chanson populaire appelée «Black and white », de Three dogs a night. Voici quelques paroles de sa version originale : «The paper is white, the ink is black, the child black, the child is white and together we learn to read and write. What a wonderful world».

Marcus

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d‘Exils

 

Le labyrinthe, qu’est-ce que c’est ?

Le labyrinthe. Photo: Voix d'Exils

Le labyrinthe. Photo: Voix d’Exils

Le labyrinthe est un parcours cheminant entre des panneaux en bois. Il permet de suivre l’histoire du requérant arrivé en Suisse et plus précisément en Valais.

Des dessins de François Maret accompagnent des textes basés sur des histoires réelles. Des jeux d’adresse et de mémoire proposent également aux visiteurs de s’adonner à des activités.

Ce labyrinthe a été conçu par le centre «Le Botza», qui forme et occupe des requérants d’asile. Le projet est né de l’envie de montrer le chemin physique et émotionnel de la personne qui arrive en Valais. Il doit permettre aux visiteurs de se rendre compte des difficultés rencontrées par les migrants, mais aussi de leurs étonnements à notre égard.

La première ouverture au public de ce parcours didactique a eu lieu en 2013 dans le cadre du Festival des Cinq Continents à Martigny. Depuis, il est exposé au cycle d’orientation de Derborence, à Conthey.




Pas facile d’éduquer des enfants dans les circuits de l’asile

Des enfants du Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d'Exils

Des enfants du Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d’Exils

Dans différents centres pour requérants d’asile, nous découvrons que les adultes sont préoccupés par l’issue de leur procédure d’asile. En même temps, le sort de leurs enfants – en termes d’éducation et d’avenir – se trouve lié à leurs soucis quotidiens. Comment s’y prennent-ils pour assurer l’éducation de leurs enfants dans ces milieux plutôt difficiles où se côtoient, sans préparation préalable, des cultures, des religions, des aspirations et des origines qui, parfois, n’ont rien en commun ? Voix d’Exils a exploré cette question en se rendant au Centre de Perreux à Neuchâtel

La loi suisse stipule que l’enfant d’un étranger obtient le statut juridique de ses parents. Ainsi, les enfants de requérants d’asile reçoivent le statut consécutif au processus d’asile de leurs parents. Ils sont admis avec eux dans les centres d’enregistrement, où seul un billet de sortie fait office de pièce d’identité. Ici, on dort dans un dortoir avec pour unique distinction le sexe et non l’âge. Quelque soit le sexe de l’enfant, jusqu’à l’âge de 10 ans, il reste avec sa mère. Avec les dames, il partage les mêmes douches, fréquentent les mêmes toilettes. Avec le reste des requérants, dont il partage désormais le statut, il occupe le réfectoire et les espaces communs où l’on passe le temps quand les dortoirs sont fermés. Il retrouve les autres enfants qui viennent de plusieurs pays et partage avec eux les espaces de jeux mis à leur disposition.

Si les parents passent « l’épreuve du feu » lors de la première interview, qui est menée par les services de l’Office fédéral des migration peu de temps après l’entrée sur le territoire suisse, et qu’ils sont envoyés dans l’un des centres de premier accueil, où ils reçoivent le permis de séjour temporaire – le permis N-, les enfants reçoivent alors le même permis. Dans ces centres aussi, même si les conditions se modifient un peu du fait que les enfants vivent dans des chambres avec leurs parents, il n’en demeure pas moins qu’ils sont toujours confrontés à la cohabitation avec d’autres enfants, dans un espace où éduquer son enfant comme on le souhaite est difficile. Pour en savoir davantage, nous nous sommes rendus au Centre de Perreux, situé dans le canton de Neuchâtel, pour nous entretenir avec les parents, les enfants et leurs encadrants afin de découvrir la réalité éducative des enfants de requérants d’asile.

Un contexte éducatif difficile

Comme tous les enfants, « les nôtres ont les mêmes envies, les mêmes désirs. Ils nous demandent des

Le Centre de Perreux à Neuchâtel

Le Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d’Exils.

jouets, veulent aller au cinéma pour enfants, à la piscine, sortir de temps en temps. Seulement, ils n’ont pas la possibilité de vivre comme tous les autres enfants et leur donner une éducation saine est un casse-tête pour nous », nous a confié un couple béninois s’occupant de trois enfants qui vit dans le Centre de Perreux.

Malgré toute la bonne volonté des responsables des centres pour apporter une attention particulière aux enfants des requérants d’asile, le contexte reste difficile pour assurer une bonne éducation. L’enfant est un être fragile, mais qui apprend vite par l’observation et le mimétisme. De ce point de vue, la situation dans laquelle vivent les parents, avec une incertitude permanente quant à l’issue de leurs procédures d’asile, ne leur permet pas d’assumer un projet éducatif stable et serein. Ce qui présente le risque de voir les enfants se forger des habitudes de l’environnement ambiant, sans que cela soit forcément du goût éducatif de leurs parents.

C’est ainsi que nous avons voulu savoir comment les parents font concrètement pour éduquer leurs enfants

Des enfants du Centre de Perreux appliqués à bricoler. Photo: Voix d'Exils

Des enfants du Centre de Perreux appliqués à bricoler. Photo: Voix d’Exils

dans un tel contexte. Notre couple béninois n’a eu que deux mots pour exprimer son angoisse : « c’est difficile » mais, poursuit-il, « nous faisons un effort pour parler régulièrement à notre enfant chaque fois que nous sommes seuls dans notre chambre ». En plus, ce couple nous a avoué n’être pas capable de satisfaire les désirs de leur fillette de cinq ans en matière de loisirs : « quand nous allons dans des magasins, par exemple, elle voit des jouets dont elle a envie, mais nous ne pouvons pas les lui offrir par manque de moyens. Elle doit se contenter des jouets mis à la disposition des enfants par le Centre ». Mais leur préoccupation majeure reste la scolarisation de leur enfant: « pourra-t-elle avoir un niveau scolaire qui ne compromet pas son avenir ? », nous a demandé sa mère. C’est à ce sujet que nous nous sommes entretenus avec la responsable du Centre de Perreux, Mme Françoise Robert.

La scolarisation des enfants au Centre de Perreux

Mme Robert, directrice du Centre de Perreux

Mme Françoise Robert, directrice du CAPE. Photo: Voix d’Exils

Selon Mme Françoise Robert, il s’agit d’un programme spécial destiné aux enfants requérants d’asile. Il a été mis sur pied quand les enfants ne pouvaient plus aller à l’école de la commune de Boudry. Le fait que la plupart des enfants ne parlent pas français était une contrainte supplémentaire pour les enseignants qui devaient disposer de plus de temps et de matériel pour ces enfants. Des difficultés financières avec la commune sont venues compliquer la scolarisation des enfants à Boudry.

C’est ainsi que les responsables du programme de l’enseignement obligatoire ont décidé que les enfants requérant d’asile seraient scolarisés dans le Centre, en y ouvrant une classe. Ce qui est regrettable, de l’avis de Mme Françoise Robert car, explique-t-elle, « les enfants prennent l’école au Centre comme un moment de divertissement. Ils arrivent en retard et des fois il faut courir dans les corridors pour les obliger à aller en classe. » En plus, poursuit-elle, « les enfants qui ont connu l’école de la commune sont un peu perdus quand il faut suivre la nouvelle initiative. Ces rencontres avec d’autres enfants de leur âge leur manquent, des enfants francophones avec qui ils assimilaient rapidement le français, sans oublier le manque d’activités comme le sport et la piscine. »

Cependant, sans s’abandonner à des regrets interminables, les responsables du Centre essaient de faire de leur mieux pour que les enfants ne soient pas totalement coupés de la réalité scolaire dans le contexte particulier qu’est le leur. En ce sens, la contribution du Centre consiste à veiller au bon fonctionnement de cette scolarisation en sensibilisant toujours les enfants et en responsabilisant de plus en plus les parents, étant donné qu’il s’agit de l’avenir de leurs enfants. Le Centre veille aussi au maintien de la parfaite collaboration qui existe entre les enseignants et la direction du Centre pour le bien des enfants dont la situation est déjà particulièrement difficile.

Un programme scolaire spécial

On l’aura deviné : à situation scolaire spéciale, programme scolaire spécial. Donné par deux enseignantes, à

Caroline et Geneviève, les deux enseignantes du CAPE. Photo: Voix d'Exils

Caroline et Geneviève, les deux enseignantes du CAPE. Photo: Voix d’Exils

raison de trois matins par semaine pour l’une et de trois après-midis par semaine pour l’autre, les enseignantes font plus de l’encadrement scolaire qu’un programme scolaire précis pour des enfants compris entre 4 et 14 ans.

D’ailleurs cet accompagnement « n’a aucun objectif comme dans une école normale. Il vise juste à donner aux enfants une petite base en français ainsi qu’en en mathématiques, et à disposer d’une approche de l’école suisse afin de pouvoir éventuellement se débrouiller plus tard », nous a confié Mme Marie-Jeanne Tripet, l’une des maîtresses des enfants. Ce qui fait qu’il n’y a pas de méthodologie définie au préalable. Elle est contextuelle et adaptée à la situation de chaque enfant. A noter que certains enfants arrivent sans avoir été scolarisés auparavant : « ils ne savent pas tenir un crayon, écrire sur un papier. Si cela est déjà difficile pour un enfant qui connaît le français, on peut imaginer la situation d’un enfant qui arrive sans connaître un mot de français! », précise Mme Marie-Jeanne. La limite de la langue reste la difficulté majeure de cette classe à domicile, car elle empêche les enfants d’apprendre rapidement.

Le reste du temps

Des enfants du Centre de Perreux

Des enfants du Centre de Perreux. Photo: Voix d’Exils

Les enfants qui se réveillent d’habitude entre 6h30 et 7h00 et occupent leur journée selon leur âge. Ceux qui atteignent l’âge de quatre ans rejoignent l’école, pendant que les autres restent avec leurs parents ou se rendent à la salle de jeux. En dehors des heures de scolarisation, les enfants jouent entre eux. Leur nombre est souvent un facteur de socialisation, car ils s’adonnent plus facilement à des jeux en groupe, ce qui diminue l’envie d’avoir plus de jouets, comme c’est le cas pour des familles à un ou deux enfants.

Il ne leur reste plus qu’à espérer qu’un jour, ils trouveront des conditions plus favorables pour leur vie future. Mais, en attendant, ils supportent mieux leur situation que leurs parents qui se font davantage de soucis pour leur avenir. Ce qui semble loin des préoccupations des enfants. A les voir jouer entre eux, de fois sans se comprendre à cause des différences de langues, on les imagine heureux à leur manière. Pourvu que leur avenir ne leur réserve pas de mauvaises surprises.

Angèle BAWUMUE NKONGOLO

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils