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« Si j’ai quitté mon pays, c’est pour parler librement »

Jamal Bugti, membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils. Photo: Voix d’Exils

Portrait de Jamal Bugti, rédacteur de Voix d’Exils

Les lecteurs et lectrices fidèles de Voix d’Exils ont probablement repéré sa signature au bas d’articles vibrants consacrés au Baloutchistan et aux violations des droits de l’homme au Pakistan. Madeline Heiniger, du Journal du Centre Suisses-Immigrés à Sion, sensible à son engagement politique, a eu l’excellente idée de lui consacrer récemment un portrait, qui a été publié dans le numéro 22 du journal paru en hiver 2018, que nous reprenons ci-dessous.

Mme Madeline Heiniger : Jamal Bugti, pouvez-vous vous présenter?

Jamal Bugti : Je viens du Baloutchistan, l’une des quatre provinces du Pakistan. Je suis en Suisse depuis 2012 et j’ai reçu un permis F qualité réfugié en juillet 2018. Toute ma famille est aujourd’hui en Afghanistan: ma femme et nos trois enfants qui ont entre douze et cinq ans, mes parents, mes frères. Ils ont été reconnus comme réfugiés par l’UNHCR, et ils pourront venir en Suisse si ce pays les accepte. Pour le moment, c’est encore difficile de les recevoir ici. Il faudrait un appartement assez grand, un travail.

Mme M.H : Quels problèmes avez-vous rencontrés dans votre pays?

J.B. : Nous avons quitté le Pakistan en raison de problèmes politiques. Je suis parti seul pour la Suisse, parce que j’étais pauvre et qu’il y avait trop de dangers pour emmener toute la famille. Ma femme était enceinte quand j’ai dû fuir. La petite ne m’a jamais vu, je lui parle au téléphone. Le Baloutchistan est une région très riche en ressources naturelles comme le gaz naturel, le charbon, etc. mais le gouvernement s’en saisit et la province reste très pauvre. On manque d’écoles, d’hôpitaux… Je faisais partie d’un mouvement qui demande l’indépendance et un retour des richesses naturelles pour la population. Mais l’armée a été envoyée, elle prend les hommes qui luttent contre le gouvernement et les fait disparaître. On retrouve parfois les corps. Notre tribu avait des revendications, mais l’armée force les gens au silence et ceux qui parlent disparaissent.

Mme M.H: Vous pourriez être tranquille, ici en Suisse, mais vous continuez votre combat politique…

J.B: Je lutte encore depuis la Suisse, bien sûr. Je participe à des manifestations à Genève, nous allons devant les Nations Unies, j’utilise Facebook. Je suis très engagé. Non… je ne peux pas être tranquille, ici, sachant ma famille là-bas. Je suis humain, j’ai le cœur avec ma femme et mes enfants, ma famille. Je vois aussi sur Facebook ce qui se passe là-bas. Les femmes manifestent dans la rue contre le gouvernement parce que leurs maris ont disparu. Ici, les médias n’en parlent pas. J’ai beaucoup d’amis là-bas et je vois leurs photos sur les réseaux sociaux. Je ne prends plus contact avec eux: comme je prends part à des manifestations ici, ce serait dangereux pour eux. Jamal Bugti montre une photo de femmes manifestant dans la rue au Baloutchistan, ainsi qu’une autre qui le touche beaucoup: c’est une fillette au regard réprobateur qui porte contre elle la photo de son papa disparu. Quand je vois ces photos, ça me touche. Si je restais tranquille ici, tout ce que je vis là ne servirait à rien. Si j’ai quitté mon pays, c’est pour pouvoir parler librement, manifester, m’adresser à l’ONU. Là-bas, je devais rester silencieux, je suis ici pour lutter. Quand ma femme et mes enfants seront ici, je pourrai être un peu tranquille. Mes frères peuvent s’occuper de mes parents. Mais ma femme et mes enfants, c’est ma responsabilité. Et la vie est difficile pour eux.

Mme M.H. : Il vous arrive de regretter d’être parti?

J.B. : Oui, parfois. Je ne savais pas que ça allait durer comme ça. Je pensais que la séparation pourrait durer, peut-être deux ans, mais pas si longtemps. J’ai fait recours pour obtenir un permis B. Mon fils me dit au téléphone: c’est quand qu’on vient chez toi, papa?

Madeline Heiniger

Article paru dans le journal du Centre Suisses-Immigrés

Pour approfondir le sujet:

Réfugiés politiques, article paru initialement dans le numéro 22 du journal du Centre Suisses-Immigrés en hiver 2018

Une révolte méconnue, article paru dans Voix d’Exils le 24 janvier 2018

Les disparitions forcées, article paru dans Voix d’Exils le 15 novembre 2018

«Nous existons pour aider les migrants à faire usage de leurs droits», article paru dans Voix d’Exils le 6 janvier 2015

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Révision de la loi sur l’asile

Source: pixabay.com – CC0 Creative Commons

Suisse – accélération des procédures d’asile dès le 1er mars 2019

La modification de la loi sur l’asile qui entrera en vigueur le 1er mars 2019 prévoit des procédures d’asile accélérées au sein de six nouveaux centres fédéraux régionaux pour requérants d’asile. Cela implique le regroupement dans un même lieu de tous les acteurs de la procédure d’asile, y compris la représentation juridique gratuite.

La dernière modification de la loi sur l’asile a été initiée par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga en 2011 et adoptée par le parlement en 2015. Le 5 juin 2016, le peuple suisse a voté « oui » par 66.8% à cette révision. Entre-temps, selon le Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM), cette restructuration du domaine d’asile nécessitait des travaux de mise en œuvre tels que : « la planification des emplacements des nouveaux centres fédéraux pour requérants d’asile (CFA), l’élaboration des ordonnances d’exécution, la réalisation d’adaptations organisationnelles entre la Confédération et les cantons ou encore l’exécution de modifications structurelles liées au développement de l’organisation du SEM ». La révision de la loi sur l’asile qui entrera en vigueur le 1er mars 2019 comprend deux principes : (1) l’accélération et la décentralisation des procédures d’asile, et (2) le respect des droits des requérants d’asile lors de ces nouvelles procédures.

Nouvelles procédures

Les nouvelles procédures d’asile qui regroupent toutes les personnes impliquées dans un même lieu ont déjà été testées au centre à Zürich depuis janvier 2014 et sont actuellement en phase pilote aux centres Boudry à Neuchâtel et Chevrilles à Fribourg. Il est prévu que les requérants d’asile déposeront leur demande dans l’un des six CFA régionaux avec tâches procédurales. Tous les CFA (avec ou sans tâches procédurales) ensemble auront 5000 places d’hébergement au total et tout ce qui est nécessaire à la vie quotidienne. Ils seront ouverts pour les résidents que de 9 à 17 heures et accueilleront la procédure d’asile. Les requérants y resteront au maximum 140 jours. Les clarifications préliminaires seront menées dans un délai de 21 jours ouvrables. Ce délai diminue à 10 jours ouvrables dans la « procédure Dublin » (non-entrée en matière).

Après la phase préparatoire, il y aura une audition des motifs de l’asile. Selon les estimations du SEM, 20% des demandes totales traitées dans le cadre de la « procédure accélérée » recevront une décision définitive dans un délai de 100 jours aux CFA. Cela comprend également les procédures de recours, qui doivent être déposés dans un délai de 7 jours, et de renvoi en cas de rejet. Les personnes concernées seront soit réparties entre les cantons pour leur intégration en Suisse, soit renvoyées depuis les CFA. De ces dernières, celles qui ne pourront pas être renvoyées durant 140 jours seront attribuées aux cantons et dirigées vers l’aide d’urgence.

Il y aura également une décision définitive pour 40% des demandes totales traitées dans la « procédure Dublin » dans le délai de 140 jours. Les personnes concernées seront transférées depuis les CFA aux autres pays européens responsables de traiter leur demande si ces derniers acceptent la réadmission.

Le reste, soit 40% des demandes totales qui nécessiteront des clarifications supplémentaires, seront traitées dans la « procédure étendue » dans un délai d’une année, y compris les procédures de recours déposés dans un délai de 30 jours et de renvoi en cas de rejet. Les personnes concernées seront réparties entre les cantons après 140 jours passés aux CFA.

Protection juridique

Immédiatement à leur arrivée dans un CFA, les requérants d’asile auront droit à une représentation juridique gratuite (Art. 102) subventionnée par la Confédération. Les représentants juridiques seront impliqués dans toute la procédure d’asile, y compris le recours éventuel. Dans le cas de la procédure étendue, les requérants pourront s’adresser aux bureaux de consultation juridique du canton dans lequel ils seront attribués pour une représentation juridique toujours gratuite et subventionnée par la Confédération, mais beaucoup plus limitée par rapport à celle du CFA. Le SEM prévoit que la représentation juridique va favoriser la compréhension et l’acceptation des décisions négatives par les requérants d’asile et donc diminuer le nombre de recours déposés. Par conséquent, la représentation juridique va accélérer les procédures d’asile.

Commentaire

J’estime que les restrictions à la liberté de mouvement dans les CFA, ainsi que le court délai de recours dans la procédure accélérée, vont créer des problèmes techniques et psychologiques pour les requérants d’asile. Cela risque de diminuer les chances d’assurer la protection des requérants d’asile.

De plus, je constate que la représentation juridique gratuite ne sera pas indépendante. Elle fonctionnera en collaboration avec les spécialistes du SEM en vue d’accélérer les procédures, et risque de ne pas servir à la protection des requérants d’asile, surtout dans les cas compliqués, délais courts, ou lors de hausse des flux de réfugiés. D’autre part, les requérants d’asile auront techniquement la possibilité de contacter des avocats à l’extérieur des CFA ou des bureaux cantonaux de consultation juridique, s’ils sont en mesure de s’offrir les services de ces avocats.

MHER

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Pour plus d’informations visitez:

Le texte complet de la loi sur l’asile

Le texte complet de la modification de la loi sur l’asile

La collection de documents du Secrétariat d’Etat aux Migrations

Le résumé de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés

Le résumé de l’Observatoire Romand du Droit d’Asile et des Etrangers

Le résumé de l’Entraide Protestante Suisse