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Les Kurdes: un peuple fier de sa culture qui se bat pour survivre

Célébration de Norouze : la fête du printemps par les Kurdes d’Iran. Source: Telegram.

« En Iran, nous sommes traités comme des citoyens de seconde zone »

Ils ont beau partager le même passeport, tout différencie les Kurdes de leurs compatriotes Iraniens : leurs coutumes, leur langue, leurs noms, leur religion (sunnite dans un pays à majorité chiite), leurs habits traditionnels, leur fête nationale… Considérés comme des citoyennes et citoyens de seconde zone par les Iraniens, ils se battent pour sauver leur culture. Zahra, rédactrice irano-kurde de Voix d’Exils, témoigne des difficultés vécues par son peuple.

Alors que les Iraniens travaillent dans les services officiels contrôlés par l’État, comme par exemple les hôpitaux, les écoles, l’administration et tout ce qui concerne la gestion politique, nous devons pour notre part nous contenter des métiers peu prestigieux et galérer pour survivre.

Les jolis équipements scolaires, les terrains de sport, les parcs aménagés pour les enfants sont réservés aux Iraniens. Nous, les Kurdes, dès notre plus tendre enfance, nous devons nous contenter des miettes qu’ils veulent bien nous laisser.

Chacun d’entre nous rencontre des difficultés à tous les niveaux de l’existence. Personnellement, comme beaucoup de jeunes, j’ai subi la discrimination à l’embauche à la fin de mes études.

Il faut préciser qu’il y a trois universités en Iran. Une gratuite, réservée essentiellement aux Iraniennes et Iraniens, et deux autres payantes.

Grâce au soutien de ma famille qui a fait des sacrifices pour m’offrir des études, j’ai brillamment obtenu mon diplôme de comptabilité à l’université islamique d’Azad, dans la petite ville de Sardasht, située au nord-ouest du pays.

Les Kurdes sont considérés comme dangereux

J’ai ensuite postulé dans un hôpital de l’État et dans une entreprise de fabrication de vaisselle en plastique appartenant également à l’État. J’avais largement les compétences nécessaires pour les postes proposés, mais j’ai été recalée sous des prétextes fallacieux : ils m’ont notamment dit que le fait d’avoir grandi dans une famille marquée par la politique, mon engagement constituerait un danger pour leur entreprise.

Mais à quel danger faisaient-ils allusion ? Mon père, peintre en bâtiments, donnait aussi des leçons de langue kurde aux enfants du quartier. Or, pour les Iraniens, cette activité d’enseignant était considérée comme une activité politique ! Quant à mon frère et à mes oncles, c’est vrai qu’ils étaient membres du parti démocrate kurde qui gérait la moitié kurde de la ville de Sardasht (46’000 habitant.e.s). Mais moi, je ne faisais pas de politique et j’estimais que les choix des hommes de ma famille ne me concernaient pas. En tant qu’adulte, je suivais mon propre chemin.

Condamnés à l’illégalité pour gagner leur vie

Pour la majorité des femmes kurdes, ne pas avoir de travail n’est pas un problème, elles peuvent être entretenues par leur père, leurs frères, leur mari. Mais les hommes, eux, n’ont pas le choix. Ceux qui ne trouvent pas de travail et qui ont une famille à nourrir, se replient sur toutes sortes de trafics et de petits boulots pénibles, mal payés et même dangereux. Certains font de la contrebande de marchandises. Ils transportent à dos d’homme des vêtements, de la nourriture, des équipements de maison, des ordinateurs… Les charges sont lourdes et les chemins de montagne à destination de l’Irak très escarpés. Les plus chanceux font porter la marchandise à des chevaux. Mais cela reste un travail très dangereux, car les passeurs risquent de chuter dans le vide ou d’être abattus par les garde-frontières iraniens. Il faut préciser qu’un petit nombre de femmes qui sont célibataires ou veuves, et qui ne peuvent pas compter sur un soutien familial, n’ont souvent d’autre choix que de faire aussi de la contrebande en montagne.

La culture kurde menacée

Travailler, étudier, avoir des loisirs, faire de la politique, vivre, tout est plus compliqué pour les Kurdes. Les Iraniens ont clairement comme objectif de nous assimiler en nous éloignant de notre culture et de nos coutumes. Je vous donne un exemple : l’une de nos plus anciennes célébrations s’appelle Newroz, elle a lieu chaque année le 21 mars pour fêter le retour du printemps. Nous sortons dans la rue pour danser habillés de nos vêtements traditionnels, nous chantons l’hymne du Kurdistan, et nous brandissons des flambeaux autour d’un grand feu central.

En 2712 – c’est-à-dire en 2012 pour les Occidentaux – les habitant.e.s de la ville de Sardasht célébraient joyeusement Newroz dans la rue, lorsque la police est brutalement intervenue et a interrompu la fête. Les organisateurs ont été emprisonnés. Par la suite, les familles ont continué de fêter Newroz, mais secrètement, à la maison.

Pas d’avenir pour les jeunes

Les Iraniens ne nous aiment pas, ils se moquent de savoir si nous sommes intelligents, formés, compétents, si nous avons du talent…

Dans notre ville, leur politique consiste à étouffer progressivement notre communauté en facilitant l’établissement des Iraniens non kurdes et aussi de Turcs. Ali Khamenei, l’actuel guide suprême de la Révolution, a des origines turques qui expliquent cette volonté d’intégrer ceux qu’il considère comme des compatriotes.

Le résultat de cette politique anti kurdes, c’est que les jeunes de notre communauté ne trouvent pas leur place en Iran et ne peuvent s’y construire un avenir.

Révoltés par le traitement qui leur est réservé, de jeunes Kurdes commettent des attentats contre les Iraniens travaillant aux douanes, ils distribuent des tracts politiques anti Iraniens et envoient des messages de sécession sur les réseaux sociaux.

Ceux qui sont dans le collimateur de l’Etat iranien sont contraints de quitter le pays. Ils rejoignent alors des groupes d’opposition essentiellement basés en Irak. Certains sont arrêtés, emprisonnés, d’autres se suicident…

L’histoire des Kurdes d’Iran, ainsi que celle de leurs frères et sœurs kurdes vivant en Irak, en Turquie et en Syrie, est tragique, mais ce peuple est tenace, il résiste à l’oppression et ne cède pas devant les menaces et les violences qui lui sont faites.

Zahra

Membre de la rédaction vaudoise de voix d’Exils 

Un peuple, quatre pays

Les Kurdes se répartissent en 4 pays : l’est de la Turquie, le nord-ouest de l’Iran, le nord de l’Irak et l’est de la Syrie. Une importante diaspora kurde est également présente dans les pays de l’ex-URSS, en Europe, aux Etats-Unis et en Australie.

Si le terme Kurdistan – littéralement « pays des Kurdes » – est régulièrement employé, le Kurdistan en tant qu’Etat unifié aux frontières internationalement reconnues n’existe pas.

Combien sont-ils ? On ne connaît pas leur nombre exact, mais le chiffre de 35 millions est le plus souvent avancé.

Quelles sont leurs religions ? Le 80% des Kurdes sont musulmans sunnites. Les autres se partagent entre le chiisme et l’alévisme, une dissidence du chiisme très vivace en Turquie islamique.

Quelles langues parlent-ils ? Les Kurdes ont deux dialectes principaux, différents mais proches et compréhensibles l’un par l’autre:

  • Le kurmandji, principal ensemble linguistique kurde, surtout parlé dans le Nord, en Turquie et Syrie, mais aussi dans le nord du Kurdistan d’Irak et du Kurdistan d’Iran
  • Le sorani, un dialecte qui s’écrit en alphabet arabe. Il est surtout parlé dans le sud du Kurdistan d’Irak et d’Iran.

Source : https://www.lemonde.fr/lesdecodeurs/article/2014/09/09/qui-sont-les-kurdes_4484311_4355770.html




«Lorsque toutes les communautés étrangères se montrent solidaires pour une cause juste, l’impact est bien plus fort»

Gianfranco di Grogorio, président de la Feneci. Photo: Voix d'Exils

Gianfranco di Grogorio, président de la Feneci. Photo: Voix d’Exils.

La Fédération Neuchâteloise des Communautés Immigrées (la Feneci) est une association à but non lucratif qui a été créée en 2010. Elle rassemble les associations des migrants du canton de Neuchâtel et vise à améliorer le dialogue et l’échange entre les Neuchâtelois et les migrants dans le canton qui représentent environ 145 nationalités. Son président, Gianfranco di Grogorio, un Suisse d’origine italienne, établi à Neuchâtel depuis 1965, répond aux questions de Voix d’Exils.

Voix d’Exils : Pourquoi la Feneci a-t-elle été créée ?

Gianfranco di Grogorio: J’ai toujours milité dans la Colonia Libera Italiana, une fédération présente en Suisse depuis 70 ans qui regroupe une cinquantaine d’associations italiennes. Quand les premières vagues d’immigrés italiens, puis espagnols, sont arrivées en Suisse dans les années 60, l’intégration dans le travail et dans la société posait problème pour ces deux communautés. Fort de cette expérience, nous avons décidé de constituer en 2010 une fédération d’associations afin de défendre nos droits d’immigrés. La Colonia Libera Italiana de Neuchâtel a alors contacté différentes associations d’immigrés pour sensibiliser ses membres à propos de l’importance d’agir ensemble. Lors de nos rencontres, nous évitons d’évoquer les problèmes religieux ou politiques relatifs à nos pays d’origines et favorisons le dialogue afin de permettre une meilleure intégration des migrants dans le travail, la société ou dans d’autres domaines.

Quelles sont les missions principales de la Feneci ?

Actuellement, nous luttons pour permettre à des immigrés de deuxième génération tels que des Africains noirs ou originaire du Maghreb, des Turcs ou des Kosovars d’accéder à des postes de travail au sein de l’État au niveau communal et cantonal. Actuellement, la majorité des immigrés occupant des postes aux niveaux communal et cantonal sont des espagnols et des italiens de première génération. Nous pensons que cette situation doit changer et que la loi fédérale sur l’intégration visant à inclure la population étrangère au tissu économique, social et culturel de la Suisse doit être appliquée. Nous souhaitons que le Conseil d’État neuchâtelois sensibilise les employeurs du canton afin que les immigrés soient davantage considérés en fonction de leurs capacités professionnelles et au regard de leurs origines.

Quelles actions concrètes ont été menées par la Feneci pour la défense des droits des immigrés ?

On organise, par exemple, des conférences de presse, comme celle tenue avant la fin de l’année 2012, pour dénoncer le manque de volonté des employeurs à embaucher les immigrés, surtout les Africains noirs ou du Maghreb. A cette occasion, nous avions rencontré le Conseil d’État et le responsable cantonal des ressources humaines pour solliciter leur intervention auprès des employeurs locaux afin qu’ils engagent des personnes migrantes. Nous espérons que d’ici quelques mois, nous verrons des résultats positifs.

La Feneci défend aussi les droits des immigrés en procédure d’asile ?

Les requérants d’asile sont soumis à la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration que le canton doit respecter. On aimerait aussi approfondir la problématique de la défense des droits de requérants d’asile dans le canton de Neuchâtel. C’est cependant difficile, parce que le canton défend sa position en s’abritant derrière la loi fédérale. Nous pensons néanmoins que le canton peut faire un effort supplémentaire en faveur des requérants d’asile. Il y a la loi fédérale et l’application de ladite loi. Recevoir les gens dignement, le canton peut le faire. Nous, on ne défend pas les délinquants et tous les requérants d’asile ne sont pas des délinquants. Il suffit qu’une personne commette une déviance sociale et toute sa communauté est accusée. Ce stéréotype doit être combattu avec le soutient des autorités en place. Déjà dans les années 60, quand un Italien faisait une «connerie», on disait que tous les italiens faisaient des  «conneries».

Si la Feneci est saisie d’un cas de discrimination à l’embauche, que fait-elle ?

Pour répondre à cette question, je vais vous exposer un exemple concret : la candidature d’un juriste africain habitant la ville de La Chaux-de-Fonds. Sa candidature a été rejetée par un employeur alors que nous étions convaincus qu’il avait la capacité et l’aptitude de satisfaire le cahier des charges du poste en question. Grâce à notre intervention – soutenue par le Service de la cohésion multiculturelle (le COSM) – cette personne a été finalement embauchée.

La Feneci fédère combien d’associations de migrants ?

Nous fédérons une dizaine d’associations et notre but aujourd’hui est d’augmenter notre visibilité. La principale difficulté que nous rencontrons est de fédérer les associations. Nous devons renforcer notre réseau et nous soutenir les uns et les autres, ce indépendamment de nos origines. C’est normal qu’un Noir ou un Magrébin soient frères. Mais lorsque toutes les communautés étrangères se montrent solidaires pour une juste cause, l’impact est bien plus fort.

En trois ans d’existence, quel bilan tirez-vous de l’action de la Feneci ?

Le bilan est satisfaisant, mais on doit faire plus. On doit se renforcer. La force qu’on a à l’extérieur est inversement proportionnelle à l’intérieur. Nous sommes en train de travailler sur deux plans: la question du travail des immigrés et le renforcement de notre organisation.

Avez-vous un message pour les Suisses qui ont des préjugés envers les immigrés ?

L’immigration est une richesse culturelle et économique. Il ne faut pas faire comme autrefois, c’est-à-dire les Européens appréciaient les bras pour travailler sans vraiment se soucier que derrière ces bras, il y avait des hommes, des femmes et des enfants. Le gouvernement suisse doit comprendre que la Suisse dans 40 ans, 30 ans et même dans 20 ans aura besoin de gens qui travaillent pour produire les richesses du pays. Afin que cette main d’œuvre soit efficace et compétente, des efforts doivent être entrepris pour intégrer et respecter les personnes migrantes, mais également les considérer comme des citoyens à part entière.

Propos recueillis par :

Paul Kiesse
Journaliste, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Infos:

Fédération neuchâteloise des communautés immigrées (Feneci)
c/o Gianfranco di Grogorio
Rue du Tertre 32
2000 Neuchâtel
E-mail: g.degrogorio@net2000.ch
Tél: 0794188140

Cliquez ici pour obtenir la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration




« Notre rôle est de mettre l’être humain et ses compétences au centre de la discussion »

Francine Kalume, cheffe de l’équipe des conseillers en emploi de l’EVAM.

Le groupe emploi est une structure de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), composée de plusieurs conseillers en emploi, qui dispensent des cours de formation et qui soutiennent les requérants d’asile dans leur réinsertion professionnelle en Suisse. La population des requérants d’asile est très hétérogène et comprend à la fois des personnes qualifiées et non qualifiées, des personnes scolarisées et non scolarisées, des hommes, des femmes, des jeunes et des vieux, ce qui pose de nombreux défis. Voix d’Exils est allé à la rencontre de Francine Kalume – cheffe de l’équipe des conseillers en emploi – pour creuser cette question centrale qu’est l’insertion professionnelle. Interview.

Voix d’Exils : Pourquoi lorsqu’un requérant d’asile arrive en Suisse, il doit attendre trois mois avant de pouvoir commencer à chercher un emploi ?

Francine Kalume : C’est une disposition légale inscrite depuis la troisième révision de la loi sur l’asile de 1990. Le requérant d’asile en procédure est alors interdit de travailler les premiers mois de son séjour en Suisse. L’EVAM ne choisit et ne crée pas les lois, il les applique.

Quels sont les obstacles que rencontre un requérant d’asile dans sa quête d’un emploi ?

Les principaux obstacles sont les suivants: il y a des obstacles qui sont liés au contexte économique et politique ; alors que d’autres sont liés à la trajectoire personnelle du requérant d’asile. Les freins à l’emploi sont souvent enchevêtrés et il est difficile d’isoler les difficultés hors de leur contexte.

Concernant la trajectoire personnelle du requérant d’asile, le manque de connaissances en langue française pose des difficultés. On peut trouver un travail en ne parlant pas très bien le français, mais c’est exceptionnel. Dans la majorité des cas, l’employeur demande à son employé de comprendre et de pouvoir s’exprimer en français, car lors d’activités de production, où le temps est soumis à l’impératif du rendement, l’employeur a ni l’envie ni le temps d’expliquer trois fois les mêmes choses à son employé.

Maintenant, au niveau du contexte politique et économique, les requérants d’asile souffrent de discrimination à l’embauche. C’est un phénomène difficile à observer, car c’est rarement explicite ; mais ça m’est arrivé de le constater. La crise économique joue aussi un rôle. Par exemple, en 2010, la situation n’était pas la même que maintenant, ce qui a causé la perte de l’emploi de plusieurs requérants d’asile. Il y a aussi les exigences du marché du travail. Par exemple, l’émergence de nouvelles technologies fait que les employeurs exigent davantage de compétences techniques, dont bon nombre de requérants d’asile n’ont pas la maîtrise. Par exemple, dans le secteur de la mécanique industrielle, il faut savoir faire fonctionner des machines à commandes numériques. Il devient dès lors nécessaire d’avoir une certaine aisance dans l’utilisation des nouvelles technologies.

Un autre aspect est le contexte de professionnalisation de plus en plus poussé. Pour accéder à presque n’importe quel emploi, vous devez attester de vos compétences grâce à des diplômes ou des certificats. Ce phénomène traverse toute l’Europe. Or, le problème est, qu’en règle générale, les requérants d’asile n’ont pas pris leurs diplômes avec eux car ils doivent souvent fuir leur pays d’origine dans l’urgence et ensuite ils ont de la peine à les récupérer. A cela s’ajoute que leurs diplômes ne sont souvent pas reconnus en Suisse, les systèmes de formation étant très différents d’un pays à l’autre.

Enfin, pour certaines personnes, il y a le manque de compétences transversales appelées aussi les « soft skills » . Les « soft skills » sont par exemple : savoir organiser son travail, montrer une attitude adéquate, montrer qu’on a envie d’apprendre, poser des questions, aller jusqu’au bout du travail demandé, faire face aux imprévus etc.

C’est donc souvent le cumul de ces facteurs qui rend l’insertion professionnelle difficile; et le statut du requérant d’asile devient une difficulté supplémentaire à surmonter. Dans ce cas-là, le permis devient un obstacle. En règle générale, s’intégrer dans le monde professionnel prend du temps. Il faut avoir de la persévérance et oser se remettre en question. Les compétences ne s’acquièrent pas du jour au lendemain.

Un module de la formation consacrée aux techniques de recherche d’emploi du groupe emploi de l’EVAM.

Quelles mesures avez-vous mis en place pour aider les requérants d’asile à surmonter les difficultés que vous décrivez?

On oriente les jeunes dans des mesures éducatives lorsqu’ils en ont besoin. Il y a des gens qui ne savent pas quel métier choisir, on va donc les aider à s’orienter. Il y a également des personnes qui veulent faire un apprentissage, donc on va faire un bilan d’aptitude.

Certains requérants d’asile ont besoin d’une qualification de base dans un métier. On les oriente alors vers des formations externes à l’EVAM, telle que celle dispensée par la Croix Rouge dans le secteur de la santé.

Pour les personnes qui ont aucune expérience professionnelle en Suisse, on organise des stages. Nous avons organisé l’an dernier 84 stages et, en 2012, à la fin du mois d’août, 93. Ces stages leur permettent de se former, de faire l’expérience du marché du travail, de se faire connaître et d’élargir leur réseau.

En cas de situation médicale difficile, il nous arrive aussi parfois de coordonner notre action avec des médecins et des assistants sociaux. Pour ceux qui ont besoin de se remettre dans une activité (par exemple suite à une longue période sans emploi) on peut les placer dans une mesure de type « entreprise sociale d’insertion ». Ce sont des entreprises qui offrent des activités à des personnes soit qui sont exclues du marché du travail, soit qui ont besoin pour un temps de se remettre dans un rythme avec une activité productive.

Vos stratégies portent-t-elles des fruits?

Oui, on a actuellement des gens qui ont trouvé un emploi et qui travaillent. Par exemple, il y avait une femme qui était à l’écart du marché de l’emploi pendant dix ans. On lui a proposé d’étudier la langue française. Elle a donc effectué un stage organisé par le conseiller, qui l’a ensuite inscrite aux cours dispensés par la Croix Rouge pour suivre une formation d’auxiliaire de santé. Le conseiller a également préparé avec elle son dossier de candidature ainsi que les entretiens pour le recrutement. Pour finir, elle a réussi à obtenir un poste fixe dans un EMS. Le processus a duré deux ans et demi. Malheureusement, on a aussi des gens qui se découragent et qui abandonnent sans aller jusqu’au bout. C’est dommage.

Selon vous, quels sont les secteurs qui embauchent le plus ?

Cela dépend du niveau de scolarisation de la personne. De par le fait que la majorité des personnes qui recourent à nos services ont un niveau de scolarisation relativement bas, on les envoie dans les secteurs de la santé, du nettoyage, de la construction et de l’hôtellerie.

Est-ce que certains employeurs ont des préjugés à l’égard de la population des requérants d’asile?

Lors d’entretiens que l’on mène avec des employeurs dans le cadre d’activités dites de « prospection », il arrive que le conseiller en emploi doive faire face à des représentations négatives, mais également parfois aussi positives. Ces représentations peuvent poser des problèmes, car elles biaisent le regard que porte l’employeur sur le travail réel du requérant d’asile. Le rôle des conseillers est de remettre l’humain ainsi que les compétences professionnelles du requérant d’asile au centre de la discussion. Lorsque la discussion porte à parler de « nous » d’ici et de « eux » là-bas : on est déjà dans des schémas préconçus et on ne parle plus de l’activité et du travail de l’employé. Parfois, il arrive aussi de nous retrouver dans des cas où l’employeur effectue un déplacement, car l’expérience qu’il a avec son nouveau stagiaire requérant d’asile ne colle pas du tout avec l’image qu’il s’était construite à travers les médias notamment. Les préjugés sont un terrain très glissant. Notre rôle est de les éviter et de mettre l’être humain au centre de la discussion, sa recherche d’emploi, ses compétences et ses acquis.

Connaissez-vous un patron qui a embauché un requérant d’asile et qui est très satisfait de lui ?

On ne garde pas toujours des contacts avec les requérants d’asile qui ont trouvé un travail fixe. Ils n’ont plus vraiment besoin de nous. Mais j’ai en mémoire Madame C, qui est en EMS depuis le mois de janvier, ou Monsieur G, qui a effectué un stage en hôpital et qui va travailler comme aide de bloc opératoire. Je pense aussi à cet apprenti assistant dentaire dont son employeur est très satisfait. Il y a également un Monsieur qui m’a appelé l’autre jour pour me dire qu’il a été engagé comme caissier dans un magasin.

Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux employeurs ?

J’aimerais les inciter à capitaliser sur le long terme. C’est-à-dire de laisser la chance et le temps aux requérants d’asile de se former et de miser sur l’acquisition de compétences sur le long terme. En même temps, j’ai conscience qu’ils ont aussi des contraintes et que ce n’est pas toujours évident.

Propos recueillis par :

Hochardan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils