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Niko Nikoladze

Niko Nikoladze. Source: Wikimedia commons

Portrait d’un homme qui a traversé son temps

Célèbre publiciste, critique, personnalité publique et politique géorgienne, Niko Nikoladze a vécu dans quatre réalités bien différentes : il est né pendant la dictature en Russie, il a vécu et travaillé en Géorgie, alors qu’elle était encore une province russe, il a participé au développement de la première république démocratique de Géorgie, et il est mort sous le régime soviétique. Niko Nikoladze était progressiste et engagé pour le succès de son pays durant toutes les étapes de sa vie. Il est également l’arrière-grand-père de l’actuelle présidente de la Géorgie: Salome Zurabishvili. Dans cet article, Kristine Kostava, rédactrice géorgienne de Voix d’Exils, présente le travail de cette icône nationale et son chemin en Europe.

Niko Nikoladze est né en Géorgie le 27 septembre 1843, dans ma ville natale de Kutaisi et il a également vécu dans mon village Didi Jikhaishi. Il a étudié au gymnase de Kutaisi dans le domaine de l’enseignement technique, mais il a ensuite décidé d’étudier le droit. Il s’est donc rendu en Russie, dans la ville de Saint-Pétersbourg, car à cette époque il n’y avait pas de faculté de droit en Géorgie.

En septembre 1861, des conflits éclatent à Saint-Pétersbourg. Les étudiants protestent contre le durcissement de l’accès aux formations universitaires. Niko Nikoladze est alors arrêté avec 12 autres étudiants géorgiens après une manifestation de trois jours. Mais, sur ordre de l’empereur russe Alexandre II, tous les étudiants sont rapidement libérés.

Rencontre avec la modernité européenne

En 1863, Niko Nikoladze retourne en Géorgie, mais il repart aussitôt en France et continue ses études à l’Université de la Sorbonne. Il collabore avec de nombreuses célébrités comme Giuseppe Garibaldi, Victor Hugo, Alphonse Daudet, Émile Zola et Karl Marx. Ce dernier lui propose d’être le représentant de la Première Internationale dans le Caucase. Cette proposition est délicatement refusée par Niko Nikoladze qui pense que ce ne serait pas bon pour son pays. À Paris, il contribue à développer l’éclairage public.

Niko Nikoladze était un leader d’opinion de son temps qui, avec son éducation, son talent et sa perspicacité a étudié les meilleurs exemples des styles de vie et compétences techniques européens afin de les ramener en Géorgie et les développer autant que possible. Mais il ne s’intéressait qu’aux exemples qui étaient progressistes et qu’il estimait bénéfiques pour son pays.

Plus tard, Niko Nikoladze quitte la France pour la Suisse. Il déclare : « Je suis plus intéressé par la Suisse. Comment un pays avec aussi peu de ressources primaires comme la Suisse peut-il être plus riche que la Géorgie qui elle est très riche en ressources ? ». Pendant son séjour en Suisse, en 1868, il obtient un diplôme de l’Université de Zurich et soutient sa thèse de doctorat intitulée « Le désarmement et ses conséquences économiques et sociales » (publiée dans un livre séparé en français à Genève). En 1866, Nikoladze publie son premier livre en français: « Le gouvernement et la nouvelle génération », puis il fonde en 1868 la revue Sovremennost à Genève. De manière générale, Niko Nikoladze estime que la presse peut faire une grande différence dans l’éducation et le développement de la société. Lorsqu’il devient un publiciste et un activiste bien connu, il déclare : « J’aime le journalisme de tout mon cœur et de toute mon âme, mais personne n’a besoin de ce métier aujourd’hui. Il semble que je sois né trop tôt ou trop tard. »

De retour en Géorgie

Dans les années 1870, il retourne en Géorgie où il est alors actif dans les activités municipales et publiques de la capitale. Il met en œuvre des projets importants qui provoqueront plus tard un tournant pour la Géorgie. Il fonde notamment la première banque du pays. En vivant en Europe, il a pu évaluer le rôle de la banque et du commerce dans le développement et le progrès du pays. C’est pourquoi il souhaite que les jeunes soient impliqués dans ce travail et que la Géorgie se développe de cette manière. Niko Nikoladze voyait également l’avenir du pays dans le développement de l’industrie et de l’agriculture. Il pensait qu’un pays où presque tout est importé et qui ne crée pas de produits lui-même ne peut pas se développer. Niko Nikoladze était un générateur d’idées. Il n’y a pas eu un seul projet municipal qui n’ait été rédigé par lui durant cette période.

À titre d’exemple, en 1883, il n’y avait pas de transports municipaux en Géorgie. Sur son insistance, un tramway à chevaux a été introduit. Il fonctionnait à l’aide deux chevaux et le véhicule se déplaçait sur des rails. Il a également élaboré le plus grand port dans la ville de Poti. D’ailleurs, il a voyagé à huit reprises en Europe pour voir les ports en construction, ou récemment construits, afin d’ensuite les reproduire en Géorgie. Avec le port, il construit aussi un mur spécial qui absorbe les vagues de la mer pendant les tempêtes et résout ainsi le problème de protéger les gros navires sur le rivage. Il a été le premier à importer d’Europe une machine à laver, un réfrigérateur, un séparateur de lait, un vélo à deux roues, un appareil photo Kodak, une machine à écrire américaine qui imprime en plusieurs langues, un cadran solaire et bien d’autres nouveauté technologiques.

Pour l’indépendance de la Géorgie

Le nom de Niko Nikoladze est lié à la déclaration d’indépendance de la Géorgie en 1918 et à la création de la République démocratique de Géorgie. En 1917, il fonde le Parti national-démocrate géorgien, dont il a été le président. Il avait déjà le soutien de l’Allemagne et seule une trêve avec la Turquie était nécessaire. La trêve a été signée avec la Turquie le 26 mai, après quoi la Géorgie a été déclarée république indépendante.

En 1920, Niko Nikoladze se rend à Londres en tant que chef de la délégation de la Manganese Export Society et membre de la Georgian Economic Mission. Il est cependant contraint de quitter le mandat de l’Assemblée constituante lors de déplacements professionnels car il ne peut pas participer aux activités de la congrégation. Pendant son séjour à l’étranger, il apprend l’occupation soviétique et continue à travailler contre l’occupation en Europe. Il participe aux négociations des partis politiques géorgiens à l’étranger. En 1924, il retourne légalement en URSS de Géorgie.

Niko Nikoladze meurt le 5 avril 1928 à l’âge de 85 ans, ce qui a engendré un cri de deuil dans toutes les églises orthodoxes de Géorgie ce jour-là. Il est enterré au Panthéon des écrivains et personnalités géorgiennes. Sur la base de l’éducation polyvalente, des connaissances théoriques et des activités pratiques de Niko Nikoladze, les spécialistes ont décidé d’étudier son cerveau dans une institution médicale.

En faisant revivre le portrait de Niko Nikoladze, je voulais faire mieux connaître la Géorgie et cette grande figure publique qu’est Niko Nikoladze. Je me souviendrai de lui comme de l’un des Géorgiens exemplaires après tant d’années et j’espère avoir ravivé son nom en Suisse à travers Voix d’Exils.

Kristine Kostava

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Sources:




Dans l’enfer des prisons syriennes

Illustration: dessin réalisé par Kristin Kostava / Voix d’Exils sur la base d’une photographie de l’intérieur d’une prison syrienne transmise à la rédaction par Abdullah.

Abdullah, un survivant témoigne

 Jeudi 27 mai, Bachar al-Assad a été réélu comme président de la Syrie pour un quatrième mandat avec 95,1% des voix dans un pays en proie à une guerre dévastatrice et fratricide qui a débutée en 2011 et qui a fait à ce jour au moins 300’000 victimes. Abdullah est un jeune syrien qui a échappé de peu à la mort et qui a payé par la prison puis l’exil son opposition au régime de Bachar al-Assad. Arrêté, emprisonné et torturé dans les geôles du régime, il en est miraculeusement ressorti vivant. Vivant, mais pas indemne. Comme beaucoup d’hommes et de femmes ayant traversé des épisodes d’une violence extrême, il souffre d’un trouble de stress post-traumatique. Lors de ses confidences à Voix d’Exils, il a parfois eu du mal à retracer la temporalité des événements et la localisation des prisons dans lesquelles il a croupi de longs mois. Si les incarcérations successives ont marqué au fer rouge sa chair et son esprit, les dates, les lieux et les durées se sont par moment brouillées. Mais ce qui frappe dans ce difficile travail de mémoire, c’est la force et l’authenticité qui s’en dégagent. La rédaction prévient d’emblée les lectrices et lecteurs que certains passages du récit d’Abdullah documentent des violences extrêmes de manière explicite.

Il faut savoir que, dix ans après le début du conflit, le témoignage de Abdullah reste d’une brûlante actualité. Aujourd’hui encore, le régime syrien continue d’utiliser les détentions arbitraires, les disparitions forcées, la torture et les exécutions sommaires pour faire taire les dissidences.

Plongée au cœur de la machine de mort syrienne…

17 mars 2011, nos manifestations pacifiques sont violemment réprimées

Carte de la Syrie. Source: Wikipedia.

« C’était un vendredi, j’étais descendu avec des amis dans les rues de ma ville, Al-Quriyah. Une belle ville construite le long de l’Euphrate et bordée de grands arbres très touffus. Al-Quriyah était l’épicentre des manifestations. Les gens venaient de très loin pour se joindre à nous. Après les prières de l’après-midi à la mosquée et les courses quotidiennes, d’autres amis nous ont rejoints.

Nous portions les fleurs de la liberté et le président Bachar al-Assad a répondu en envoyant son armée nous détruire. Ce jour-là, j’ai perdu mon meilleur ami qui était comme un frère. C’était un activiste engagé, heureux de se battre pour la liberté.

Par la suite, mes amis, mes cousins et moi-même avons rejoint l’Armée syrienne libre. Nous voulions protéger les manifestant.e.s et revendiquions plus que jamais la liberté. Nous étions quelques milliers à exiger le départ d’Assad. Lui, il avait le soutien de l’armée syrienne et celui l’armée Iranienne. Plus tard, il pourra également compter sur l’appui du Hezbollah libanais, de mercenaires afghans et pakistanais, ainsi que du Hezbollah irakien.

 

« L’armée avait brûlé les maisons des personnes qui avaient pris part aux manifestations »

Le lendemain, samedi 18 mars, 200 blindés ont investi Al Quriyah. Ils ont brûlé les maisons de toutes celles et ceux qui avaient pris part aux manifestations et toutes les maisons qui se trouvaient sur leur chemin. Ils ont aussi brûlé les voitures et les motos, ils ont volé tout l’argent et tout l’or possible. Ce même jour, une centaine de personnes ont été arrêtées. Moi, j’ai dû me séparer de mon frère et de mes amis pour éviter d’être facilement traçable. Je me suis enfui dans le désert.

La nuit suivante, je suis retourné à Al-Quriyah. Les hommes d’Assad s’y trouvaient encore et avaient érigé un barrage au centre-ville. J’ai vu un de mes frères ainsi que quatre amis et voisins. Certains étaient chrétiens d’autres musulmans, mais nous étions très proches. J’ai aussi vu mon ex-copine, une Philippine dont le père travaillait pour une compagnie pétrolière chinoise installée près de la frontière irakienne.

J’ai découvert que l’armée avait mis le feu à notre maison et que mes deux grands frères avaient fui vers un autre village, où ils étaient à l’abri. Les voisins dont les maisons avaient brûlé étaient aussi de retour et s’étaient installés dans les décombres. Quant à mes trois jeunes frères, ils s’étaient réfugiés dans un autre village avec mes parents. Plus tard, ils se sont installés à quelques kilomètres de notre ville. Ma mère a vu son diabète dangereusement monter à cause du choc subi.

« La répression était animale »

Pendant cette tristement « fameuse » nuit de printemps, j’ai retrouvé mon jeune frère Mohammed qui trainait dans la rue. Il avait 14 ans, était en état de choc, car il avait été témoin d’arrestations violentes et arbitraires. Les soldats de l’armée de syrienne avaient battu des manifestants devants les yeux de leurs parents ou de leurs enfants.

Internet et Facebook ont été bloqués par le régime pour éviter l’organisation de nouvelles manifestations. Toute tentative de communiquer avec d’autres personnes représentait un danger de mort. L’armée était omniprésente. J’avais l’impression d’avoir vu tout ça à la télé dans des documentaires sur la deuxième Guerre Mondiale. Nous n’étions plus considérés comme des êtres humains, la répression était animale.

Pendant la journée, nous nous cachions pour nous protéger des rafles de l’armée, mais à la nuit tombée, nous sortions pour filmer les manifestations avec nos téléphones portables et ensuite les publier sur internet. Un an plus tard, les rassemblements avaient lieu chaque nuit et chaque nuit des protestataires étaient embarqués par les soldats et emprisonnés.

Nous nous demandions pourquoi le monde laissait faire Assad. Nous qui pensions que l’Europe et les États-Unis interviendraient pour arrêter son armée… En réalité, il y avait quelques pourparlers qui n’ont servi à rien.

 « Je me fais arrêter et battre jusqu’à l’évanouissement » (août 2011)

J’étais avec mon cousin Kheder, qui vit aujourd’hui sous une tente dans le même camp que ma famille. Il y avait aussi mon voisin Nuri qui s’est ensuite exilé à Londres. C’était le 7 août 2011, il était environ 17 heures. Le soleil était encore chaud en ce jour d’été. Nous étions dans les rues de Al-Quriyah et nous rentrions pour manger lorsque j’ai aperçu cinq voitures pleines de soldats armés. C’étaient les voitures de trois services connus : celui du Renseignement de l’Armée, celui de l’Armée Secrète et celui de « l’Armée des chaussures », comme on les surnommait, car les soldats brûlaient les maisons et volaient tous les biens, chaussures et chaussettes comprises…

Kheder est parvenu à s’enfuir et Nuri n’a pas été inquiété car il n’avait jamais pris part aux manifestations. Quant à moi, on m’a fait monter dans une jeep et mon calvaire a commencé. Après les premiers coups, j’avais des côtes cassées, même respirer me faisait mal. J’ai été emmené, avec 9 autres personnes, au service de renseignement situé dans la ville de Al-Mayadin, à 90 kilomètres de la frontière irakienne. Alors que nous entrions, nous avons vu trois cellules d’environ 4 mètres sur 4, toutes pleines à craquer. Moi, j’ai été enfermé dans une armoire et battu jusqu’à l’évanouissement. Je ne pouvais plus bouger.

Nous mangions du pain et des olives. Nous étions accusés d’être des traîtres qui avaient permis l’entrée des Américains dans le pays. Nos gardiens nous insultaient et menaçaient de s’en prendre à nos familles. Ils nous électrocutaient… nous obligeaient à battre les autres prisonniers. Certains en mouraient. Nous étions forcés de vivre comme des animaux.

« Entassés dans une cellule » de la prison de Al-Qabun (décembre 2011)

La ville de Damas, capitale de la Syrie. Source: Wikipedia.

Le service de renseignement de Al-Mayadin servait de prison escale où tous les « manifestants », toutes celles et ceux qui osaient revendiquer la liberté étaient rassemblés en attendant d’être transférés dans une autre prison. Nous étions environ 25 hommes, agglutinés là à attendre de comparaître devant le juge.

Puis, certains d’entre nous ont été envoyés à Al-Qabun, où nous étions entassés dans une « pièce » ouverte et vide. Juste quatre murs à ciel ouvert, un repère de rats, froid et sale, entouré de salles de bains et de cuisines crasseuses. C’est dans cette pièce qu’a commencé ce que je pensais être un voyage sans retour… Tout ce qui m’était arrivé jusqu’ici n’était rien comparé à ce qui m’attendait derrière cette porte.

Je n’oublierai jamais Aldmeir, un vieux prisonnier originaire de Damas. Il tremblait de froid dans ses vêtements mouillés et criait « Je me meurs, je me meurs, je me meurs ! » J’étais là, perplexe, à me demander si je devais lui donner mes vêtements… Mais, si je le faisais, c’est moi qui allais geler. De plus, ils étaient très grands et amples. Et pour cause, ils n’étaient pas à moi. Un détenu resté dans la première prison, m’avait prêté ses habits quand j’avais dû me rendre à l’interrogatoire avant d’être envoyé ici.

Je me suis dirigé avec précaution vers la porte. Le geôlier est venu et a demandé ce que je voulais. Je lui ai répondu qu’il y avait un vieil homme qui mourait de froid à cause de ses habits mouillés. Alors il s’est directement adressé au vieil homme et lui a crié « Inch’Allah, tu vas mourir à l’instant ! Tu as juste à tourner en rond ici. » Et il lui a balancé une longue tirade d’insultes avilissantes.

Les conditions de vie étaient terriblement dégradantes à Al-Qabun, mais je savais que le pire était à venir : j’allais être transféré à Adra ou à Saidnaya. Le jugement des détenus avait lieu sur place et il était de notoriété publique que ceux qui y entraient n’en ressortaient jamais.

Dans l’enfer de Saidnaya, « l’abattoir humain »

J’ai finalement été transféré à Saidnaya, à 30 kilomètres au nord de Damas. J’y suis resté pendant environ deux mois. Nous étions 95 à cohabiter dans une étroite cellule. Nous n’étions pas appelés par nos noms. Nous n’étions que des numéros. Pendant la journée, nous avions le droit de sortir en plein air pour nous dégourdir les jambes, mais nous devions rentrer au plus tard à 16h. Saidnaya avait été construite dans un tel no man’s land, que nous n’avions nulle part où nous enfuir.

La plupart des tortionnaires d’Assad n’avaient pas fréquenté d’école, ils étaient illettrés. Nous les entendions parler et rire au téléphone, ils fumaient et écoutaient de la musique, indifférents à notre sort. Nous étions complètement coupés du monde extérieur. Aucune nouvelle de qui que ce soit. Personne dehors ne savait si nous étions morts ou vivants. Le juge de la prison était toujours saoul. Le jour de mon jugement, il avait tellement bu qu’il m’a condamné à quelques années de prison à Saidnaya. Je pensais que ce transfert n’aurait pas de billet retour. Au moment du jugement, j’ai souhaité mourir tout de suite.

 

Vue aérienne de la prison de Saidnaya. Source: Amnesty International.

La prison de Saidnaya était surnommée « l’abattoir humain ». Elle comportait trois grands complexes en forme d’étoile. Chaque bloc comptait trois étages dotés chacun de deux quartiers, abritant vingt dortoirs collectifs. Je séjournais dans la partie rouge réservée aux prisonniers politiques. La partie blanche était celle des militaires ayant « violé la loi martiale » en refusant de tirer sur les manifestant.e.s. Le dernier complexe était celui des « terroristes » irakiens, jordaniens, libanais, syriens ou palestiniens.

Les tortures pratiquées à Saidnaya étaient encore pires que tout ce que j’avais pu endurer et voir dans les autres départements de sécurité. J’avais viscéralement peur… Les gardiens frappaient, torturaient, affamaient ou laissaient mourir d’infections dues à la mauvaise hygiène. Parfois, ils ordonnaient à un prisonnier de frapper un de ses camarades d’infortune. Ils pratiquaient aussi la torture dite de la « chaise allemande ». Ils plaçaient des bougies directement au contact de la peau dénudée pour brûler les parties intimes des prisonniers. L’une de leurs tortures favorites était l’injection mortelle d’air dans la carotide.

« Les surveillants avaient un quota mensuel de prisonniers à tuer »

Amar, mon meilleur ami, était aussi emprisonné à Saidnaya. Nous avions grandi ensemble. Il avait un tempérament rebelle et n’avait pas eu peur de protester contre Assad. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi courageux. Ils lui ont fait subir des brûlures sur la chaise allemande. Après chaque séance, je ne pouvais pas faire grand-chose pour le réconforter, juste lui tenir la main et lui répéter « Sois fort ». Il me répondait en pressant ma main comme un bébé aurait pressé la main de sa mère. Après son troisième passage sur la chaise allemande, il m’a regardé intensément et j’ai compris qu’il me disait : « Je m’en vais ». Il est mort peu après.

Les mauvais traitements commençaient dès 7h30 du matin. Les geôliers avaient un quota mensuel de morts à épingler à leur palmarès. Si le chiffre demandé était de 20 victimes et qu’ils n’en exécutaient « que » 18, ils devaient à tout prix compléter le tableau avant la clôture du mois. Alors, ils choisissaient des noms au hasard, ils allaient chercher les prisonniers, leur bandaient les yeux et leur liaient les mains dans le dos. Ils les emmenaient au rez-de-chaussée, au pied des escaliers où étaient empilés des sacs de ciment. Ils leur donnaient l’ordre de se mettre à plat ventre puis leur faisaient une injection d’air. En quelques petites minutes, les prisonniers étaient morts. Un « docteur » venait ensuite constater le décès. Les prisonniers « éduqués » comme les médecins, les enseignants, les journalistes, étaient les plus exposés.

Chaque nouveau surveillant devait tuer un prisonnier le jour de sa prise de fonction, confirmant ainsi sa capacité à faire le travail. Les surveillants pouvaient aussi être tués ou subir des interrogatoires s’ils n’arrivaient pas à exécuter les ordres. Les gardiens étaient incapables de comprendre que notre lutte pour la liberté leur profitait aussi. Que la liberté était la même pour tous.

« Un système carcéral esclavagiste »

Les responsables de la prison de Saidnaya avaient imposé un système esclavagiste : chaque geôlier avait des prisonniers-esclaves. Ces derniers déposaient les repas devant les dortoirs et, alors que le geôlier débloquait les portes, les prisonniers étaient tellement collés les uns aux autres qu’ils devaient pousser les autres avec force pour se frayer un chemin. Le maigre repas était posé sur un large plateau et consistait en quelques morceaux de pain et une petite quantité de riz ou de gruau. Nous devions nous battre pour en attraper un peu. Parfois, la nourriture était intentionnellement « pourrie » avec du savon de toilette ou de lessive. Ou elle était intentionnellement jetée sur le sol ce qui nous donnait droit à un repas crasseux.

Les prisonniers-esclaves servaient aussi de souffres douleurs aux geôliers. Par exemple, quand ils passaient la tête dans l’entrebâillement de la porte pour récupérer le repas, les geôliers s’amusaient à les taper avec leurs chaînes en fer ou à les électrocuter. Et parfois, leur sang giclait sur la nourriture.

Les corps des morts n’étaient pas enlevés tout de suite. Ils restaient là parmi nous et dégageaient une odeur putride de décomposition et de sang mêlés. Il fallait qu’ils soient en nombre suffisant pour mériter d’être enlevés.

« Contre toute attente, je suis libéré »

Contre toute attente, je suis libéré le 12 février 2012 de la prison de Saidnaya pour être transféré dans un autre département de détention de Damas connu sous le nom « 248 ». Je ne pouvais rien voir car j’avais les yeux bandés pendant le transfert. Je suis resté deux semaines dans des locaux situés près de la prison de Al-Qaboon.

Une fois de plus, avec un bandage sur les yeux, ils m’ont pris la main et forcé de signer un papier et ont ensuite pris mes empreintes digitales. Je n’avais aucune idée de ce que pouvait être le document, mais je savais seulement que si je refusais de signer je serais exécuté. Ensuite, ils m’ont informé que je comparaissais pour avoir tué plusieurs officiers de l’armée gouvernementale. Ils m’ont emmené, les yeux toujours bandés, mais je pouvais entendre un geôlier chanter que Saidnaya et tous ses « traitements préférentiels » m’attendaient.

J’ai appris plus tard que j’avais signé sans le savoir mon bon de sortie. Ce bon avait coûté beaucoup de tractations, d’énergie et 30’000 dollars américains à mon père. Une semaine plus tard, sur ordre du général en charge de la structure « 248 », j’ai retrouvé la liberté. Non pas celle pour laquelle nous étions descendus dans les rues du pays, mais celle dont les prisonniers du « 248 », Al-Mayadin, Saidnaya, Al-Qabun… étaient cruellement privés. »

Témoignage recueilli par la rédaction vaudoise de Voix d’Exils en collaboration avec Aude Flückiger

Le dossier César: 55’000 photos de cadavres de prisonniers

Carte de la Syrie. Source: Wikipedia.

400’000 morts, des dizaines de milliers de disparus, six millions de Syriens et Syriennes réfugiés à l’étranger, probablement autant de déplacés à l’intérieur du pays.

Le bilan de dix ans de guerre est accablant et toutes les familles du pays cherchent des proches disparus ou emprisonnés.

A Idleb, une association leur vient en aide en s’appuyant notamment sur le Dossier César qui documente quelque 55’000 photographies prises dans les prisons du régime et les deux hôpitaux militaires de Damas, par un fonctionnaire de police chargé de photographier les morts pour les archives administratives.

Ces photos représentent l’outil de travail de Hassan, un avocat installé près d’Idleb, une des dernières enclaves tenues par les opposants syriens.

Le processus est simple : quand un prisonnier libéré d’un des centres de détention du pays se réfugie à Idleb, Hassan le rencontre pour recueillir des informations sur ses compagnons d’infortune et pouvoir ainsi – en croisant les photos et les témoignages – aider les familles des disparus à retrouver leurs proches. Morts ou vivants.

 

Pour aller plus loin:

Abattoir humain, pendaison de masse et extermination à la prison de Saidnaya, en Syrie. Rapport d’Amnesty International, février 2017.

« Syrie : les disparus d’Idleb » un reportage de France 24 le 01.05.2021

Articles de Voix d’Exils à propos de la Syrie

« J’ai divisé mon cœur, la moitié est encore en Syrie » paru dans Voix d’Exils le 02.12.2020

600’000 Syriens rentrent en Syrie paru dans Voix d’Exils le 18.10.2017

Les femmes des ruines en Syrie paru dans Voix d’Exils le 24.07.2017

Sept ans que la guerre fait rage en Syrie paru dans Voix d’Exils le 22.05.2017

Mon dernier Noël en Syrie paru dans Voix d’Exils le 20.12.2016

« Je peignais inconsciemment ma maison en Syrie » paru dans Voix d’Exils le 05.10.2016

Regard d’une petite fille du camp de Yarmouk sur la fête de Noël paru dans Voix d’Exils le 28.12.2016

« A Yarmouk nous n’avons pas faim, nous sommes affamés » paru dans Voix d’Exils le 02.06.2015

Être journaliste en Syrie « c’est comme marcher sur un champ de mines » paru dans Voix d’Exils le 29.12.2014

Regard d’un kurde Syrien sur son pays paru dans Voix d’Exils le 07.06.2012




Aujourd’hui, c’est la fête des mères

Aimez vos mères, prenez soin d’elles!

Pour chaque personne, sa mère est la plus merveilleuse du monde. Pour moi, ma mère a toujours été et la plus gentille, la plus belle, la plus attentionnée et la plus forte.

Si votre mère est en vie, vous êtes la personne la plus heureuse du monde!

Profitez de chaque jour à ses côtés. Appréciez chaque instant sans le perdre de vue. Profitez de sa compagnie. Donnez-lui de l’amour, de l’attention et des soins… Ne manquez pas les moments heureux, le temps passe inexorablement…

Aimez-la aujourd’hui pour que demain il ne soit pas trop tard.

J’ai écrit ce poème en tchétchène à ma mère il y a vingt ans. Lorsque j’étais étudiante, je vivais loin d’elle et elle me manquait beaucoup.

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Ma chère Maman

Je n’ai personne de plus doux que toi, ma douce Maman

Je n’ai personne d’aussi bon que toi, ma bonne Maman

Plus belle que toi, je n’ai personne, ma jolie Maman

Vis longtemps, j’ai besoin de toi pour toujours Maman

Ne dis pas que tu es vieille, ma jeune Maman…

Sur tes joues le rose ne s’est pas estompé, Maman

Ne dis pas que ta tête est couverte de gris, ma belle Maman,

C’est juste la tristesse qui a saupoudré tes boucles, ma chère Maman

Souris plus souvent, ma gentille Maman,

Tresse la tristesse dans ta longue tresse, Maman…

Depuis l’enfance, entourée de chagrin,

Ton destin n’a pas été facile, mа courageuse Maman

Je suis heureuse tant que tu respires, Maman

Ta santé est ma richesse, Maman

Ne pas te voir est une épreuve terrible, Maman

Mon cœur est rempli d’amour pour toi, Maman

Mon cœur bat pour cet amour, ma chère Maman…

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A propos de ma mère

Son nom était Napsat (l’orthographe correcte de Nafisat). Un nom qui a des racines arabes et qui signifie dans de nombreuses langues du Caucase: « gracieux », « sophistiqué », « précieux ».

Elle n’était pas grande, elle était mince, avec de longs cheveux épais et bouclés, des yeux bruns et une peau blanche.

Depuis l’enfance, elle avait un esprit extraordinaire. Les gens plus âgés lui demandaient des conseils parce qu’elle était sage.

Ce ne sont pas de petites épreuves qui tombèrent sur ses fragiles épaules.  Sa vie fut pleine de chagrin et de souffrance.

Cependant, derrière ses fragiles épaules, elle cachait un courage et une résilience indescriptibles avec lesquels elle a résisté aux coups du destin.

Expulsion de la patrie vers les steppes froides du Kazakhstan

Ma mère a eu une enfance très difficile. Elle avait quatre ans lorsqu’elle et sa famille ont été expulsés de leur pays d’origine avec tous les Tchétchènes sur ordre de Joseph Staline (alors secrétaire général de L’URSS) vers l’Asie centrale et le Kazakhstan.

Le matin glacial du 23 février 1944 a laissé dans sa mémoire toute sa tragédie:

« C’était une matinée terrible » m’a raconté ma mère.

« Tout le monde paniquait… De la rue venaient les cris des voisins. Des soldats armés de mitrailleuses et accompagnés de chiens étaient partout, ils chassaient tout le monde hors des maisons à la hâte .

Nos parents, moi, mes deux sœurs aînées et mon petit frère nouveau-né avons commencé à nous habiller dans la précipitation. Maman essayait de calmer le bébé qui pleurait, les sœurs aînées ont rassemblé de la nourriture dans un paquet et moi, j’ai regardé le soldat qui se tenait dans l’embrasure de la porte avec un gros chien. Les soldats ont dit quelque chose en russe, ils exigeaient d’une voix imposante, mais peu de Tchétchènes comprenaient le russe et ce que les soldats attendaient d’eux…

Papa a essayé de découvrir ce qu’il se passait et a compris que, sur ordre de Staline, tous les Tchétchènes seraient expulsés pour trahison.

Comment peut-on nous expulser pour trahison? demanda-t-il.

Comment est-ce possible alors que tous les hommes en bonne santé – jeunes et vieux – sont au front depuis les premiers jours du début de la Seconde Guerre mondiale? Quand tant de personnes sont mortes en défendant la patrie… Il répétait encore et encore : « Comment est-il possible de nous expulser? »

Un malentendu… une erreur ?

Beaucoup se posaient la même question ; ils finissaient par penser qu’il devait s’agir d’un malentend… d’une erreur.

De nombreux Tchétchènes ont pensé que les autorités soviétiques voulaient leur annoncer des nouvelles importantes et qu’ensuite tout le monde rentrerait à la maison. Mais personne ne pouvait penser que tout le peuple, y compris les femmes, les enfants, les personnes âgées et même les malades, seraient expulsés de leur maison et de leur patrie.

Ils ont tous été forcés de quitter leurs richesses, leur bétail, leur maison – tout ce qui avait été acquis par un travail éreintant pendant de nombreuses années – pour repartir les mains vides. On ne pouvait prendre qu’un peu de nourriture. Les enfants et les personnes âgées pleuraient. Les familles étaient divisées. Certains enfants étaient à moitié nus et sans parents. Un père était allé rendre visite à des proches, une mère était allée au magasin. Après tout, personne ne savait que ce matin-là allait être si fatal…

Tous les habitants et toutes les habitantes ont été chassés des rues, conduits à la gare et forcés de monter dans des wagons froids qui étaient destinés au bétail.

Quiconque refusait de se conformer aux ordres était abattu sur place.

C’était un cauchemar.

Tamara Akhtaeva

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Revue de presse #45

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils.

Sous la loupe : En route vers un asile climatique en France ? / Les demandes d’asile augmenteront en Suisse en 2021 / Une étude évalue l’impact du Covid-19 sur l’emploi des migrants / Le sort des réfugiés Érythréens inquiète l’ONU

En route vers un asile climatique en France ?

Le Figaro, le 8 janvier 2021

Le 18 décembre 2020, une cour administrative a annulé l’Obligation de Quitter le Territoire Français d’un Bangladais, en qualifiant les critères climatiques de son pays d’origine d’incompatibles avec son état de santé. En effet, dans son arrêt, la cour a cité à plusieurs reprises l’argument du climat pour justifier sa décision de garder l’homme en question sur le sol français, estimant que le renvoyer conduirait à une aggravation de sa pathologie respiratoire en raison de la pollution atmosphérique présente dans son pays d’origine. Selon l’avocat du recourant, on ne peut néanmoins pas parler de réfugié climatique car cette notion n’existe pas dans le droit français. Le Bangladais s’est vu octroyé le statut d’« étranger malade », un statut accordé lorsque la personne accueillie ne peut accéder à un traitement satisfaisant dans son pays et risque la mort en cas de retour. Cependant, l’avocat soutient que c’est la première fois qu’un jugement prend en compte le critère climatique parmi d’autres.

Les demandes d’asile augmenteront en Suisse en 2021

Le Nouvelliste, le 11 janvier 2021

Le nombre de demandes d’asile en Suisse est resté l’année dernière bien en deçà des attentes. Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) s’attend néanmoins à ce que les chiffres augmentent à nouveau à moyen terme en raison de la pandémie du Covid-19. Alors qu’au début de l’année dernière, le SEM s’attendait à 15’000 ou 16’000 demandes d’asile, ce sont quelque 11’000 demandes qui ont été déposées en Suisse, indique Mario Gattiker, le secrétaire d’État aux migrations. Selon lui, il faut s’attendre à une augmentation significative du nombre de demandeurs d’asile en Europe à moyen terme car l’économie de nombreuses régions a été affaiblie par la pandémie. En raison des tensions politiques internes qui en résultent, il est probable que l’on assiste à une augmentation de l’émigration, ce qui fera grimper les chiffres de l’asile, explique le fonctionnaire. Le SEM n’est pas le seul à faire cette projection, précise-t-il néanmoins. De nombreuses organisations internationales travaillant dans le domaine de l’asile s’attendent également à une augmentation après la fin de la pandémie. Il est cependant difficile de prédire aujourd’hui l’ampleur de ce futur phénomène.

Une étude évalue l’impact du Covid-19 sur l’emploi des personnes migrants

Le Temps, le 8 janvier 2021

Pour la première fois, une étude académique publiée début décembre 2020 par le « Centre for Economic Policy Research », a évalué l’impact de la crise du Covid-19 sur l’emploi des personnes migrantes issues de pays extérieurs à l’Union européenne (UE). Les auteurs de la recherche ont évalué le risque de chômage des personnes migrantes extra-européennes en fonction de quatre critères : l’emploi dans les branches qualifiées d’essentielles par les autorités ; la durée des contrats de travail ; la capacité d’adaptation au télétravail (laquelle a été identifiée comme le meilleur indicateur de risque de chômage durant la pandémie) ; les risques de perdre son emploi en fonction des différentes branches d’activité. Les résultats de l’étude ont mis en lumière que la part de personnes migrantes à haut risque diffère d’un pays à l’autre. Elle dépasse 40% en Allemagne, tandis qu’elle se limite à 20% au Luxembourg. Au total, il apparaît que 1,3 million de personnes migrantes courent un risque de chômage très élevé durant la crise du Covid-19. En outre, l’étude souligne que les femmes courent un risque supérieur aux hommes.

Le sort des réfugiés Érythréens inquiète l’ONU

Le Matin, le 14 janvier 2021

Le 14 janvier, le Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés Filippo Grandi s’est dit extrêmement inquiet du sort des Érythréens réfugiés en Éthiopie et victimes collatérales du conflit qui oppose le gouvernement fédéral Éthiopien à la région du Tigré. Filippo Grandi s’est dit particulièrement préoccupé par le sort des personnes réfugiées des camps de Shimelba et Hitsats. Dans le cadre d’un communiqué, M. Grandi a souligné que malgré des demandes répétées, ni l’ONU ni d’autres organisations d’aide n’ont eu accès aux camps de réfugiés depuis le déclenchement de l’opération militaire contre la région début novembre. Selon les chiffres de l’ONU, il y avait en Éthiopie quelques 96’000 réfugiés Érythréens qui ont fui le régime du président Isaias Afwerki lorsque le conflit a éclaté.

Masar Hoti

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Légalisation de l’homophobie en Ouganda : les réponses paradoxales de la communauté internationale

Action de protestaton contre la promulagation de la loi anti-homosexualité en Ouganda

Action de protestation contre la promulgation de la loi anti-homosexualité en Ouganda. Auteur: Kaytee Riek riekhavoc (CC-BY-NC-SA 2.0)

 

D’origine ougandaise, Marcus a demandé l’asile en Suisse en 2011. Contraint de fuir le régime en place, il jette un regard froid et sévère sur la gestion politique de son pays, à commencer par la loi anti-homosexulité promulguée le 24 février dernier.

L’année 2014 a vu l’Ouganda faire les titres de l’actualité mais malheureusement pour de mauvaises raisons.

On a d’abord parlé de son implication militaire dans les affaires du Sud Soudan, lorsque l’ancien vice-président, Riek Machar, a tenté un coup d’État contre son ancien chef, Salva Kiir. On a ensuite évoqué la très controversée loi anti-homosexualité signée par le président Yoweri Museveni, qui a provoqué un tollé. La communauté internationale s’est mobilisée contre ce projet, en vain. Le président a bénéficié d’un fort soutien des conservateurs.

Le problème de l’Ouganda n’est pas l’homosexualité, ces gays et lesbiennes ne dérangent personne. Ils ont le droit de choisir la personne avec laquelle ils veulent une relation, celle qu’ils veulent aimer. Le problème de l’Ouganda, c’est M. Museveni et son gouvernement corrompu. Quand j’ai vu la signature de l’acte contre l’homosexualité, j’ai su que dorénavant la douleur, jusque-là réservée à l’opposition et aux militants des droits humains, allait s’étendre aux minorités sexuelles.

De sauveur à corrompu

M. Yoweri Museveni, Président de l'Ouganda

M. Yoweri Museveni, Président de l’Ouganda. Photo: Glenn Fawcett (CC-BY 2.0)

 

Les ennuis de l’Ouganda remontent presque à l’indépendance, en 1962 : coup d’État 4 ans plus tard, puis 9 ans avec Idi Amin Dada, au pouvoir entre 1971 et 1979, suivis d’une rébellion cruelle menée par Museveni et 24 ans de terreur avec son opposant Joseph Kony. Les Ougandais ont vécu dans un brasier de souffrances.

Pourtant, quand Yoweri Museveni a accédé au pouvoir en 1986, beaucoup l’ont accueilli comme un sauveur. Les premières années furent pleines d’espoir. Son programme en 10 points avait des airs de Déclaration des Droits de l’homme après la Révolution française.

Les années passant, Museweni a commencé à se laisser corrompre par le pouvoir. Il a fait changer la constitution pour annuler la limite du mandat présidentiel. Il a traité toute opposition d’une main de fer, fermé les radios qu’il jugeait trop critiques. Beaucoup de membres des partis d’opposition ont été torturés, jetés en prison ou tués. Les plus chanceux ont trouvé leur salut dans la fuite.

Alors qu’Idi Amin utilisait la bouffonnerie et l’idiotie pour couvrir les maux qu’il générait, Museveni a toujours joué le rôle d’homme d’Etat sur la scène internationale pour cacher le désordre du pays. Il a toujours cherché à protéger les libertés dans les pays étrangers comme le Liberia, la Somalie et le Sud Soudan, entre autres, alors que son propre peuple ne bénéficie pas de telles libertés. Quand l’Ouganda et le Rwanda ont été accusés de déstabiliser la République démocratique du Congo, il a fait pression sur l’Amérique en menaçant de rappeler les soldats ougandais déployés en Somalie. Washington a alors choisi le silence pour sauvegarder ses intérêts en Somalie : le combat contre le groupe islamiste Al Shabab et contre la piraterie dans l’Océan indien.

Les incohérences occidentales

Après la promulgation de cette loi anti-homosexualité, beaucoup de pays développés comme les Pays Bas, le Danemark et la Norvège ont décidé de couper leur aide à l’Ouganda. Cela ne va pas changer l’attitude du président Museveni. Il est malheureux de constater que ces pays développés n’ont pas compris que la suppression de ces aides allait occasionner plus de souffrance, par exemple parmi les personnes atteintes par le VIH. Que va-t-il se passer pour elles, quand elles n’auront plus accès aux soins médicaux ?

La seule solution est de s’en prendre aux racines du problème et non à ses conséquences. Ironiquement, lorsque le président américain Barack Obama critiquait la loi anti-gays, son gouvernement continuait à soutenir militairement l’armée ougandaise ! Or, si rien n’est véritablement entrepris rapidement par les puissances de l’Ouest, les Ougandais vont être laissés encore longtemps à la merci d’un dictateur corrompu.

Marcus

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils