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Revue de presse #31

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils.

Sous la loupe : l’ex-ministre de l’Intérieur italien jugé pour avoir empêché le débarquement de migrants / Manifestation contre la construction d’un centre de renvoi à Genève / Des juristes évaluent le système d’asile suisse / Une Suissesse emprisonnée en Biélorussie suite à une manifestation.

L’ex-ministre de l’Intérieur italien jugé pour avoir empêché le débarquement de migrants

La Tribune de Genève, le 03 octobre 2020

L’ex-ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, a été convoqué devant un tribunal sicilien pour avoir empêché le débarquement de migrants sauvés en mer. Il est poursuivi pour « abus de pouvoir et séquestration de personnes » car il aurait bloqué pendant l’été 2019 et durant plusieurs jours 116 migrants à bord d’un navire des garde-côtes italiens. A cet effet, les sénateurs italiens ont levé son immunité parlementaire et il encourt jusqu’à 15 ans de prison.

Sur l’île qui a vu prospérer l’organisation criminelle « Cosa Nostra » et où arrivent chaque année par la mer des milliers de migrants partis d’Afrique du Nord, le principal concerné a soutenu que la justice se substitue à la voix populaire et qu’il préférerait que les juges se consacrent à capturer les mafieux et les délinquants.

En outre, Salvini a convoqué ses troupes à Catane pour trois jours de rencontres et manifestations au cours desquels il veut démontrer avoir le soutien populaire. De nombreux élus nationaux et locaux de son parti ainsi que des alliés d’autres partis de droite ont annoncé leur présence.

L’ancien ministre de l’Intérieur risque également d’affronter un procès similaire à Palerme, où il aurait bloqué pendant plusieurs jours, à la mi-août 2019, le bateau humanitaire «Open Arms» devant l’île de Lampedusa.

 

Manifestation contre la construction d’un centre de renvoi de requérants d’asile à Genève

Radio Lac, le 5 octobre 2020.

La construction d’un centre de renvoi de requérants d’asile déboutés à Genève ne fait pas l’unanimité auprès de la population genevoise. A cet effet, 750 personnes ont défilé dans les rues de la commune du Grand-Saconnex (GE). L’appel à manifester avait été lancé par une vingtaine d’organisations.

Les autorisations pour la construction du centre de renvoi ont été données et le terrain, situé à côté de l’aéroport, a été défriché, a souligné un des manifestants. A l’endroit prévu, un bâtiment doit voir le jour en 2022. Il aura une capacité d’accueil de 250 places et disposera de 50 places destinées à de la détention administrative. Pour les manifestants, ce projet est imaginé comme un vaste complexe carcéral de renvoi. Selon eux, les règles qui seront en vigueur dans le centre seront infantilisantes. Il sera interdit d’y recevoir des visites et tout sera pensé pour que les requérants d’asile ne se mêlent pas à la population. Outre les conditions de vie dans ces établissements, les manifestants ont également dénoncé les actes de brutalité qui auraient été commis sur des requérants. D’autres centres de renvoi similaires ont déjà été ouverts ailleurs en Suisse à Fribourg, Neuchâtel, ou encore Zürich.

 

Des juristes évaluent le système d’asile suisse

Le Temps, Le 7 octobre 2020

L’afflux de requérants d’asile n’a pas été aussi modéré depuis des années. Pourtant, selon le rapport d’une coalition de juristes indépendants pour le droit de l’asile, le travail du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) serait « médiocre ». Entrée en vigueur en mars 2019, l’accélération des procédures du nouveau système pousserait le SEM, les professionnels de la santé et les organisations d’aide aux demandeurs d’asile à bâcler leur travail, au risque de renvoyer des personnes fragiles dans les pays qu’elles avaient fui pour leur survie.

En début d’année, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) tirait déjà la sonnette d’alarme. Selon cette dernière, les autorités mettent davantage l’accent sur la vitesse de la procédure que sur les principes de qualité et d’équité. Un constat renforcé par le rapport de la coalition de juriste.

Basée sur les chiffres relatifs à la première année depuis l’entrée en vigueur du nouveau système ainsi que sur l’analyse de 75 cas, le rapport fournit une critique sur le fonctionnement de la procédure actuelle qui contiendrait un grand nombre de problèmes. Un première problème est que le temps de recours est jugé trop bref. En effet, après une procédure accélérée, le nouveau système accorde sept jours (contre trente auparavant) pour s’opposer à la décision du SEM. Un deuxième problème réside dans le grand nombre de requérants aiguillés vers une procédure accélérée malgré la complexité de leur cas. Le rapport accuse également l’administration de ne pas toujours respecter les délais de traitement et de mettre les représentants juridiques dans des situations intenables. Finalement, le rapport dénonce la pression mise sur les médecins, qui rédigeraient régulièrement des rapports cruciaux à la hâte.

 

Une Suissesse emprisonnée en Biélorussie après avoir pris part à une manifestation

Le Matin, Le 8 octobre 2020

Le 9 août, suite à un scrutin controversé, le Président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, a été réélu avec 80,2% des voix pour un sixième mandat. Depuis, le pays est plongé dans un certain chaos et des manifestations sévèrement réprimées par les forces de l’ordre se multiplient. Chaque samedi, des milliers de femmes défilent pacifiquement pour réclamer le départ de l’homme fort du pays.

Une Suissesse de Saint-Gall, originaire de Biélorussie, s’est rendue dans la capitale du pays pour rejoindre un de ces défilés. Le 19 septembre, lors d’une manifestation, des hommes cagoulés ont essayé de saisir deux manifestantes pour les mener vers un fourgon. Les autres femmes se sont mises à crier et la Suissesse a tenté de démasquer l’un des hommes cagoulés.

La quinquagénaire a ensuite été interpellée puis a disparu de la circulation. Néanmoins, grâce à une avocate qui a été sa codétenue, ses proches savent désormais qu’elle se trouve dans la prison d’Okrestina dans la capitale du pays. Selon l’avocate, les conditions de vie en prison sont inhumaines : pas d’eau chaude, une douche par semaine, nourriture et eau infectes, cellules surpeuplées, sans ventilation, puanteur abjecte, lumière jour et nuit, pas de promenade autorisée, aucune hygiène intime possible pour les femmes.

Dernièrement, un procureur a annoncé à la Suissesse qu’elle était poursuivie pour «résistance à un représentant des forces de l’ordre». Elle risque jusqu’à deux ans de prison. Compte tenu de ses origines et malgré sa nationalité suisse, la justice considère la prisonnière comme une citoyenne biélorusse.

Valéry Martseniuk / Voix d’Exils




CORONAVIRUS

Auteur: Rudychaimg. CC-BY-SA-4.0.

Procédures d’asile suspendues ou pas?

La plupart des activités non essentielles en Suisse et un peu partout dans le monde s’arrêtent pour essayer de stopper la propagation du Covid-19. Qu’en est-il des procédures d’asile en Suisse ? Point de situation.

Les défenseurs des droits humains et/ou des droits des requérants d’asile et des étrangers, requièrent des institutions la suspension des procédures d’asile.

La Section Suisse d’Amnesty International, préoccupée par la situation des requérants d’asile dans les centres d’accueil collectifs, a appelé les autorités à « suspendre les procédures d’asile avec effet immédiat et jusqu’à nouvel ordre ». Elle soutient qu’en raison de la propagation du coronavirus, une procédure d’asile équitable ne peut plus être garantie : les conseils juridiques étant réduits ou absents, les examens médicaux impossibles à assurer, les possibilités de recours improbables, etc… Amnesty Suisse appelle les autorités à veiller à ce que les directives de l‘Office fédérale de la santé publique (l’OFSP) et des mesures de protection soient assurées dans le détail aussi bien dans les centres d’asile fédéraux que dans les centres de transit et les lieux d’hébergement d’urgence.

Stopper l’expansion du virus et protéger les plus vulnérables

Le souci majeur de la Section Suisse d’Amnesty dans le contexte actuel est de suspendre toute activité pouvant participer à l’expansion du virus et de se concentrer d’abord à éviter d’exposer les plus vulnérables, entre autres les personnes âgées et/ou souffrant d’affections préexistantes ainsi que les requérants d’asile ne bénéficiant pas de titre de séjour légal en Suisse, et pour lesquels il est plus difficile d’accéder aux soins médicaux.

A l’instar d’Amnesty Suisse, des organisations de défense des droits des requérants d’asile ont aussi réclamé d’une seule voix des mesures de protection pour tout le monde. Il s’agit notamment de Solidarité Sans Frontières, Anlaufstelle für Sans-Papiers/Basel, Droit de Rester/Neuchâtel, L’AMAR, Solibrugg Beratung und Schreibstube für Flüchtling/Asylsuchende, Suhr/Aarau, Solinetz/Zurich, Vivre Ensemble.

Pour les mêmes raisons qu’Amnesty Suisse, ces organisations exigent du Secrétariat d’État aux migrations (le SEM) et du Tribunal administratif fédéral (TAF) chacun en ce qui le concerne, de surseoir sur toute la procédure d’asile, c’est-à-dire la suspension des entretiens et des auditions, ainsi que l’arrêt de prononcer des décisions. Elles demandent également le désengorgement des centres d’accueil fédéraux.

Elles requièrent, cependant, la poursuite de l’enregistrement des nouvelles demandes d’asile, la libération des personnes en détention administrative ainsi que l’information des requérants sur leur situation, notamment sur la suspension de tous les renvois en raison des mesures de restrictions sur tous les vols conséquentes à la pandémie.

Pour les sans-papiers, les organisations demandent à ce que priorité soit donnée à leur accès aux soins en leur assurant une couverture médicale liée au Covid-19 et une confidentialité absolue dans tous les établissement d’accueil, afin de ne pas les effaroucher et qu’ils en viennent à renoncer aux soins. Elles insistent également – tout comme Amnesty Suisse – sur les mesures destinées aux plus vulnérables et mettent l’accent sur le besoin de solutions flexibles et inclusives, c’est-à-dire qui tiennent compte du fait que les bénéficiaires n’ont ni adresse fixe, ni permis de séjour valide, ni fiche de salaire, etc.

Les auditions momentanément suspendues par le SEM

Dans son interview en date du 22 mars 2020 pour le journal suisse « Blick » Mario Gattiker, le directeur du SEM,  a déclaré, entre autres, que le SEM ne suspendrai pas les procédures d’asile, mais uniquement les auditions et ce, pendant une semaine. Le temps d’équiper notamment les salles d’audition de parois en plexiglas pour protéger les participants.

D’ailleurs, la page d’accueil du SEM sous le titre « Centres fédéraux pour requérants d’asile », affirme que des cas de coronavirus ont été identifiés parmi les demandeurs et le personnel soignant des centres d’asile fédéraux «le SEM a suspendu tous les entretiens en matière d’asile et a pris des mesures de sécurité structurelles . L’objectif est d’assurer le Social Distancing (la distanciation sociale ndlr.) dans les centres d’asile fédéraux. »

Ce jusqu’à la fin des travaux en cours dans les centres d’audition pour protéger les participant.e.s, notent dans une tribune commune parue dans le quotidien Le Courrier en date du 26 mars Sophie Malka, coordinatrice et rédactrice de Vivre Ensemble, et , secrétaire générale de Solidarité sans frontières. Dans leur prise de position commune, elles questionnent si les priorités du SEM sont bien judicieuses, eu égard à la pandémie et aux instructions sanitaires qui ne cessent d’être martelées par la Confédération. « Eriger la politique migratoire au-dessus de la santé publique comme le font le directeur du SEM, les responsables du Tribunal administratif fédéral et leur supérieure hiérarchique, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, relève de l’irresponsabilité et du déni de réalité. », peut-on lire en conclusion.

Donc, à l’heure actuelle, seules les auditions sont interrompues momentanément. Les autres aspects des procédures d’asile se poursuivent.

Les procédures d’asile s’arrêteront-elles ou ne s’arrêteront-elles pas ? En ces temps d’incertitudes extrêmes, nul ne peut prédire ce qu’il en sera demain.

Valmar et MCI

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 




« Une dernière occasion de clamer leur révolte »

M. Olivier Messer, animateur pastoral

M. Olivier Messer, animateur pastoral, apporte écoute et soutien aux requérants d’asile placés en détention administrative.  Pour Voix d’Exils, il rend visible la difficile réalité de ces détenus.

 

Voix d’Exils : Comment définissez-vous le travail d’un aumônier?

L’aumônier est une présence d’Église dans des milieux de vie divers, comme les prisons, les hôpitaux, les écoles, etc. Son premier témoignage est sa simple présence qui rappelle celle de son Église en rejoignant les gens là où ils sont, là où ils vivent.

Il apporte un soutien spirituel aux personnes qui le souhaitent et peut, si la personne le désire, cheminer avec cette dernière sur une période plus ou moins longue. Il peut parfois apporter une aide matérielle, mais généralement cela est assuré par d’autres intervenants, comme les services sociaux par exemple.

Depuis combien de temps visitez-vous les lieux de détention administrative pour requérants d’asile déboutés?

Cela fait trois ans maintenant, mais de façon assez irrégulière, je le reconnais. J’ai surtout mis l’accent sur les visites aux détenus des prisons, ainsi qu’aux jeunes privés de liberté. Il faut en effet savoir que mon collègue protestant et moi-même sommes envoyés par nos Église et mandatés par l’Etat pour assurer le service d’aumônerie de tous les établissements pénitenciers du canton du Valais, ceci incluant le centre pour requérants d’asile de Granges. Le temps qui nous est attribué pour cela représente seulement 20% ! (1 jour pour 5 établissements…).

Quelle est votre expérience particulière d’aumônier auprès des requérants d’asile en situation de détention administrative ? Que pouvez-vous leur offrir ?

La question de l’offre est intéressante, car elle revient régulièrement lorsque je rencontre des requérants retenus : que pouvez-vous nous offrir ? Il est alors essentiel d’être pleinement honnête et précis : je suis ici pour vous offrir un soutien et un accompagnement spirituel, pour entendre ce que ces évènements révèlent en vous, comment cette situation que vous traversez vous parle intérieurement, dans une confidentialité absolue. Bien entendu, leur premier espoir est que je puisse influer sur la décision de renvoi dont ils font l’objet, mais là n’est clairement pas notre rôle. Et l’aumônier se doit d’être très clair sur ce point et inviter le requérant à se tourner vers son avocat, la justice, etc. Une fois cela exprimé, nous rentrons parfois dans de belles et douloureuses confidences sur la manière dont est vécu ce renvoi et cet emprisonnement (car il faut être sincère, il s’agit bien de cela au vu des conditions de détention), sur les espoirs mis dans ce voyage parfois très risqué vers la Suisse et la crainte de retourner au pays, par risque de violence ou par honte vis-à-vis de sa famille. Puis vient souvent la question de Dieu : quelle que soit la religion dont se réclame le détenu, la foi demeure souvent comme la seule valeur restante. Même si je perds tout, Dieu est présent, témoin de ma vie et ultime lumière vers laquelle se diriger. Cette foi permet de ne pas sombrer et de conserver une étincelle d’espoir.

Observez-vous une demande, un besoin de la part des requérants d’asile ? Le questionnement spirituel est-il important parmi ces détenus ?

Un besoin marquant est sans doute celui d’exprimer leur révolte face au système et au refus qu’ils ont reçu de la Suisse. Comme aumônier, nous arrivons au moment où tout est joué puisqu’ils sont en attente d’être physiquement renvoyés dans un autre pays. Une fois qu’ils comprennent que nous n’avons pas d’influence sur la justice, c’est un peu comme une dernière occasion de clamer leur révolte. Alors, une fois cette révolte entendue, on peut entrer dans le dialogue vrai et profond, si la personne accepte d’aller sur ce chemin. Et on touche au spirituel, au sens de l’existence, aux choix de vie, au sens à donner à ce que l’on traverse, qu’on le considère comme une épreuve ou comme une opportunité.

Pouvez-vous estimer la proportion de croyants parmi les requérants que vous rencontrez ?

Ceux que j’ai rencontrés m’ont toujours dit croire en quelqu’un ou en quelque chose.

Les détenus sont d’origines très diverses, avec des appartenances religieuses multiples. Les musulmans ont-ils aussi accès à un encadrement religieux ?

Pour l’instant, il n’y a pas d’aumônier musulman dans les établissements valaisans. Mon collègue protestant et moi-même sommes aussi à disposition des croyants d’autres religions, surtout pour l’écoute. Il faut aussi avouer qu’il est difficile de trouver un imam pour ce ministère.

Avez-vous observé des conversions? Avez-vous déjà baptisé quelqu’un dans un centre de détention administrative?

Je n’ai pas vécu ce genre d’évènement. Qui sait si l’avenir m’offrira cette joie ? A noter toutefois que je suis animateur pastoral de formation, donc laïc ; si un détenu souhaite recevoir un sacrement comme le baptême, mais aussi le pardon de ses fautes par exemple, j’entre alors en contact avec un prêtre. C’est lui qui pourra administrer le sacrement.

A titre personnel, que pensez-vous de la politique d’asile menée par la Suisse?

Je pense que la politique d’asile de la Suisse est réfléchie et témoigne aussi de sa volonté d’être reconnue comme une terre d’accueil.

Je peux toutefois lui reprocher les cas dans lesquels la personne – parfois même la famille entière – habite notre pays depuis plusieurs années et se voit soudainement déboutée, alors qu’elle est déjà bien intégrée. Je pense primordial que les décisions d’accepter une demande d’asile ou non soient prises beaucoup plus rapidement par nos autorités, même si cela implique la mise en place de postes administratifs supplémentaires. Il s’agit de la vie d’êtres humains et nous n’avons pas le droit de négliger cela.

Enfin, je pense que les conditions de détentions de ces personnes dans le centre valaisan sont inadmissibles et doivent impérativement être améliorées. Pour cela, il est important de sensibiliser l’opinion publique sur cette problématique, afin d’obliger ensuite les pouvoirs politiques à bouger.

C’est pourquoi je tiens à vous remercier, car par cette interview, vous permettez aussi de rendre visible la difficile réalité de ces détenus administratifs retenus en Valais.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Un requérant d’asile rencontre la foi

baptême à l’Eglise de Vouvry en Valais

Gaby Yao, un jeune Ivoirien de 21 ans, a reçu le sacrement du baptême en l’Eglise de Vouvry. Voix d’Exils l’a rencontré pour comprendre sa démarche.

 

 

Voix d’Exils : Vous avez été baptisé durant la messe du Samedi Saint en l’Eglise de Vouvry. Quel a été votre cheminement ?

En Côte d’Ivoire, j’ai suivi le catéchisme chez les Sœurs et j’ai même commencé à préparer le baptême : j’ai accompli la première étape, puis la deuxième, d’un parcours qui en comptait trois, mais j’ai tout abandonné quand le foot a pris ma tête.

Arrivé en Suisse, j’ai commencé à fréquenter l’église de Vouvry. Un jour, j’ai parlé avec le curé et ai demandé à être baptisé. C’est ainsi que ma préparation a commencé. Elle a duré trois mois jusqu’à la cérémonie du 7 avril dernier. Ce fut un moment exceptionnel, j’étais le seul à être baptisé ce soir-là.

Qui sont vos parrain et marraine ?

Mon parrain est le responsable du programme d’occupation de jardinage au Centre des Barges. Il a accepté tout de suite. Il a dit qu’il était vraiment touché que je pense à lui. Je suis son premier filleul. Ma marraine est une dame Suissesse qui habite le domaine des Barges. Je suis son seul filleul adulte. Tous deux m’aident à m’adapter et à m’intégrer du mieux possible en Suisse.

Avez-vous pu informer votre famille de votre baptême ?

Mon papa est décédé, mais j’ai pu joindre ma mère ; comme toutes les mamans, elle a pleuré ; elle m’a recommandé ensuite de garder mon caractère, de persévérer dans mon chemin et a promis qu’elle allait prier pour moi.

Le témoignage de Gaby nous rappelle que les requérants d’asile ne se réduisent pas à un numéro N, figés dans l’attente d’une décision à leur demande d’asile. Durant leur séjour en Suisse, ils vivent une vie d’humains ordinaires, intégrés dans leur société d’accueil. Ils se forment, travaillent, tombent amoureux, font du sport et certains, comme Gaby, tentent l’aventure spirituelle.

Pita

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




« Je dois ma survie au décès d’un Nigérian »

Fatmir Krasniqi

Fatmir Krasniqi, Albanais célibataire de 42 ans, revient sur son arrestation et son passage par Frambois : l’établissement de détention administrative genevois qui héberge les requérants d’asile déboutés avant leur expulsion dans leur pays d’origine.

Du 5 au 30 mars 2010, Fatmir Krasniqi va vivre un des épisodes les plus sombre de sa vie. Après s’être fait arrêter à son domicile, il est d’abord conduit à Frambois, puis emmené à l’aéroport de Cointrin à Genève d’où il devait retourner en Albanie. Il refuse, se voit ramené à Frambois, puis est finalement relâché. Mais pour combien de temps ? Fatmir, qui a retrouvé depuis sa modeste vie de débouté, se sait en sursis aujourd’hui. La prochaine fois que la police viendra le chercher, il n’aura pas le choix : il devra se soumettre à la décision de Berne et quitter la Suisse. Interview d’un homme fragile qui a déposé sa demande d’asile il y a 14 années et qui, depuis,  n’a cessé de multiplier les efforts pour s’intégrer. En vain.

Pour vous, le 5 mars 2010 est une date de sinistre mémoire ?

Oui, ce jour-là je dormais chez moi, à Rolle. J’ai été brutalement surpris dans mon sommeil à 7 heures du matin par l’arrivée de policiers. Ils m’ont conduit chez un juge de paix, à Lausanne, qui a essayé une fois de plus d’établir ma nationalité.

Pour quelle raison ?

A mon arrivée en Suisse, j’ai fait une erreur : je me suis présenté comme Kosovar. Résultat : ça fait des années que les milieux officiels de l’asile s’interrogent sur ma nationalité. Ils se demandent : « Krasniqi, il est Kosovar, Macédonien ou Albanais ? » En fait, je suis Albanais à 100% !

Après cette mise au point, on vous a relâché ?

Non. Le juge m’a demandé de retourner en Albanie, mais j’ai refusé. Alors, j’ai été conduit à la prison de Frambois.

A quoi ressemblait votre quotidien ?

On était vingt-cinq prisonniers. Il y avait beaucoup de Nigérians qui étaient là depuis quatre à six mois et un Equato-Guinéen qui y séjournait depuis un an. On vivait comme dans une famille, sans accrochages. Mais j’étais stressé car les débuts ont été durs. On se préparait à manger, il y avait des règles à respecter, on faisait les nettoyages ce qui nous rapportait 3 fr. de l’heure. Il y avait aussi d’autres occupations entre codétenus comme, par exemple, jouer aux cartes.

Quel souvenir en avez-vous gardé?

Pour moi, c’était le couloir de la mort. Trois jours après mon arrivée, des policiers en civil sont venus me chercher pour une fois de plus me contraindre à rentrer en Albanie. Ils m’ont emmené à l’aéroport sans que je puisse prendre mes affaires personnelles. Ils m’ont dit : « C’est fini pour toi la Suisse ! ». Je suis resté a l’aéroport dans une cellule d’attente toute une journée, puis ils m’ont dit : « Monsieur Fatmir vous devrez partir. Rentrez comme un touriste. La police albanaise ne peut pas vous arrêter si vous prenez un vol de ligne ». Je leur ai répondu : « Je ne suis pas en bonne santé. Je fais des efforts pour travailler et je n’ai jamais demandé l’Assurance Invalidité ». Comme je refusais de partir, ils m’ont ramené à Frambois. Il faut savoir que la première fois, on vous propose un vol de ligne. La deuxième fois, on vous force à partir et vous voyagez dans un vol spécial. Si nécessaire, ligoté et sous la surveillance de la police.

Cela rappelle un vol tragique…

Oui, celui de ce Nigérian qui est mort le 17 mars 2010 à l’aéroport de Zurich alors qu’on voulait le renvoyer chez lui sous la contrainte. Les policiers à qui j’ai dit : « Vous allez payer pour tout ça ! » m’ont répondu que le Nigérian était un dealer. Pour moi, c’était avant tout un être humain. Après le décès du Nigérian il y a eu une révolte à Frambois. Puis le cinéaste suisse Fernand Melgar est venu tourner un film documentaire sur Frambois : « Vol spécial ». On était tous très en colère. Il y avait deux Nigérians qui auraient dû aussi être expulsés et qui avaient vécu le décès de leur compatriote. Ils étaient fragilisés. Le Directeur de Frambois a alors tenu une réunion d’urgence. Il a dit : « dans ce genre de situation, j’ai honte d’être Suisse. On va tout faire pour comprendre ».

Comment avez-vous surmonté le stress lié à ce « faux départ » ?

Ce n’était pas une partie de plaisir, je n’étais pas bien. Je suis resté cinq jours sur mon lit. J’avais très mal au ventre et des vomissements. Malgré tout il y avait une grande solidarité entre les détenus et on a eu de la chance puisque quatorze d’entre nous ont été libérés. Je crois bien que c’est à cause de la mort du Nigérian, même si certains ne partagent pas mon avis.

Vous avez retrouvé votre vie d’avant l’arrestation ?

Le jour avant ma sortie de prison, ils m’ont dit : « Monsieur Krasniqi, vous êtes libre ! ». Le 30 mars, je me suis présenté au Service de la population. Et là, une dame me demande : « pourquoi vous n’avez pas accepté de rentrer ? On est en train de préparer un vol spécial pour vous. Dès qu’il sera prêt, vous rentrerez dans votre pays ».

Aujourd’hui, quelle est votre situation ?

Mon statut n’a pas changé, je suis toujours à l’aide d’urgence. A cause de mes problèmes de santé, j’ai dû interrompre à la fin de l’année passée le Programme d’occupation traduction  de l’EVAM que j’avais commencé à ma sortie de prison. C’est une activité que j’aimais beaucoup. En avril dernier, j’ai commencé le Programme d’occupation à Lausanne Roule, où je m’occupe de location de vélos. Aujourd’hui ma situation administrative reste toujours incertaine…

Propos recueillis par

Niangu NGINAMAU et Gervais NJIONGO DONGMO

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils