1

«Voilà, je devais le dire un jour : je suis raciste»

Aldo Brina. Photo: Greg Clément.

Une réflexion d’Aldo Brina

Aldo Brina est Chargé d’information sur l’asile au CSP Genève et s’engage depuis 2007 au cœur du réseau de défense des réfugiés. Dans la réflexion ci-dessous que nous publions dans son intégralité, Aldo Brina s’interroge sur ce qu’est le racisme, puis sur la manière de le combattre, y compris dans ses formes les plus sournoises.

«Voilà, je devais le dire un jour : je suis raciste.

Je sais, ça risque de surprendre pas mal de monde. Quinze ans à défendre le droit d’asile, plusieurs années à présider la coordination contre la xénophobie. Mais il fallait que je le dise.

Il fallait que je le dise parce qu’en fait, en Suisse, je me sens très seul, parce qu’il n’y a pas de racistes. Dans la conception dominante, raciste, tu l’es ou tu l’es pas. Et l’immense majorité a décidé qu’elle ne l’était pas. Les racistes, ce sont seulement ces types qui ont un drapeau du troisième Reich, ou qui affirment que les noirs sont des singes, et plus personne, ou presque, n’a ça ou ne dit ça. Donc il n’y a plus de raciste, et la lutte contre le racisme, c’est une exagération.

Ben moi je ne suis pas de cet avis. Alors je le dis haut et fort : je suis raciste. Le racisme ce n’est pas qu’une opinion qu’on clame, c’est aussi des pensées fluides qui pénètrent les esprits les mieux intentionnés, des cimetières indiens (et africains) sur lesquels on a construit notre présent, des institutions qui font partie de l’état de droit tout en étant, dans des mesures variables, racistes.
Une émission de télévision très regardée titrait : la Suisse est-elle raciste ? Ça n’a aucun sens. La question n’est pas de l’être ou de ne pas l’être. La question c’est qu’est-ce qu’on fait de ces réflexes, de ces pensées, de ces comportements, de cette histoire que nous partageons toutes et tous. Comment les combattre comme on a vaincu le féodalisme, la peine de mort ou le tabagisme ?

Moi, j’avoue, quand je croise une personne noire en bas de mon boulot, mon premier réflexe c’est de penser qu’elle vient consulter une de nos permanences juridiques on sociales. Pas qu’elle est peut-être la patronne de la société informatique qui vient réparer notre réseau ou une journaliste qui vient couvrir une conférence de presse.

Le parlement qui me représente comprend 0% de femmes ou d’hommes noir-e-s. C’est pas le même pourcentage quand je prends le bus.

Chaque jour, pour appliquer les lois de mon pays, des équipes de police arrêtent au petit matin des familles, le plus souvent noires ou racialisées, les mettent dans un avion de force. Des décisions de justice ont reconnu des insultes racistes dans ce cadre mais moi, je dors pareil la nuit. Je vois des personnes noires se faire contrôler dans la rue et je ne me pose pas trop de questions. La police s’occupe des délinquants, non?

Donc comprenez, je ne me sentais pas complètement à ma place parmi tous ces gens, bien-pensants, qui ne sont pas du tout racistes, jamais. Donc cet aveu, ça m’enlève un poids.

Je force le trait et j’entends d’ici les cris d’orfraie : s’infliger une telle culpabilité, blabli blabla. Une responsabilité, pas une culpabilité. Pas se lamenter, pas se flageller, mais se rappeler que y aura toujours du boulot. On ne vous demande pas d’être jugé-e-s avec le policier qui a assassiné George Floyd, on aimerait juste que vous vous demandiez que faire pour que cela soit impossible en Suisse.

Je suis raciste et, d’ailleurs, j’ai très peu d’ami-e-s noir-e-s. Trop peu.
Une prochaine fois, je vous expliquerai que je suis aussi sexiste…»

Chroniques de l’asile

Aldo Brina a publié en mars 2020 « Chroniques de l’asile » aux Editions Labor et Fides. L’auteur décrit le quotidien des actions menées par le Secteur réfugiés du Centre social protestant, à Genève et les limites qu’il rencontre avec ses collègues pour venir en aide aux personnes en procédure d’asile. Il tente notamment de comprendre « ce qui motive des êtres humains à en aider d’autres à pouvoir vivre dignement et ce qui, dans notre époque, fait obstacle à ce geste fondamental ».

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 




Débat à l’Université de Neuchâtel autour du renvoi des criminels étrangers

De gauche à droite

Les intervenants et intervenantes du débat. Photo: Voix d’Exils.

A l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme, le Centre Suisse de compétence pour les droits humains (CSDH) a organisé à l’Université de Neuchâtel une conférence-débat sur la question du renvoi des criminels étrangers en lien avec le droit au respect de la vie familiale et le respect du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le mercredi 11 décembre dernier, sous la modération de la journaliste Valérie Kernen, les conseillers d’État neuchâtelois en charge de l’Économie et de l’Action sociale, Jean-Nathanaël Karakash, et vaudois en charge de l’Economie et du Sport, Philippe Leuba, ainsi que la politologue Nicole Wirchmann ont décortiqué ce thème, tout en revenant sur la question de faire cohabiter la sécurité intérieure et le respect des droits fondamentaux. Relevons tout de suite que le Service des migrations (SMIG) de Neuchâtel et l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) dépendent des départements dirigés par Messieurs Karakash et Leuba.

Plus de 2000 étrangers expulsés de Suisse depuis 2008

La politologue Nicole Wirchmann est revenue sur les différents instruments juridiques suisses qui prévoient le renvoi des criminels étrangers et qui protègent les droits de l’enfant. Selon les statistiques qu’elle a fournies, depuis 2008, plus de 2000 criminels étrangers sur le 1,2 million d’étrangers vivant en Suisse ont été expulsés et le pic a été atteint en 2010 avec 550 expulsions. Elle a par ailleurs souligné qu’«un étranger non Européen condamné à une peine privative de liberté de longue durée (12 mois au minimum), ou qui a fait l’objet d’une mesure pénale, peut voir son permis de séjour révoqué et être expulsé de la Suisse. Les Européens, pour être expulsés, doivent constituer une menace réelle et porter une atteinte d’une certaine gravité sur la sécurité de la société ou en cas de récidive». Donc, les Européens jouissent d’une protection très importante. Ensuite viennent les détenteurs d’une autorisation d’établissement (permis C) et les personnes mariées avec des Suisses ou des Suissesses ou ayant des enfants suisses et, enfin, les personnes détentrices d’autorisation de séjour (permis B). En définitive, conclura-t-elle, «plus votre droit de séjourner en Suisse est consolidé, plus votre durée de séjour en Suisse est longue, plus vous êtes protégé contre un renvoi». La politologue a terminé son exposé en précisant que la décision de renvoi d’un étranger criminel est prise par l’autorité cantonale en charge des questions relatives à la migration à la suite d’une action juridique où les cours et tribunaux décident si le renvoi de la personne est légitime ou non. Toutefois, a-t-elle indiqué, la Cour européenne des droits de l’homme n’accepte pas le renvoi des personnes mineures.

Aucun mineur étranger vivant en famille expulsé dans le canton de Vaud

Parlant de la pratique du renvoi des criminels étrangers dans le canton de Vaud, «canton réputé répressif et dur en matière de renvoi des étrangers criminels», selon les termes de la journaliste Valérie Kernen, le Conseiller d’État vaudois Philippe Leuba, en fonction depuis 2007, soutient que «lorsque les conditions légales permettent une révocation d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement, j’ai demandé à mes services d’analyser systématiquement les situations. Pour les détenteurs de permis C, c’est moi personnellement qui assume la révocation et c’est une décision très lourde à prendre, parce que vous touchez de très près la vie humaine dans ce qu’elle a de chair et d’os. Et j’estime qu’il appartient au politique de l’assumer et pas à l’administration. Pour les permis B et N, c’est l’administration qui est compétente en la matière, sous réserve évidemment d’une voie de recours au Tribunal Fédéral. Le taux de validation de nos décisions par le Tribunal Fédéral est très important et on a très peu d’échecs. Nos décisions sont rarement cassées, rendant le renvoi effectif lorsque le pays d’origine de la personne à expulser a signé un accord de réadmission avec la Suisse». S’agissant du renvoi des mineurs, M. Leuba a indiqué qu’il ne connaît pas dans le canton de Vaud de cas d’expulsion de mineurs ayant une famille en Suisse, sauf le cas d’un mineur Africain non accompagné venant d’Italie, renvoyé dans le cadre des accords de Dublin.

S’agissant de «l’amalgame qui assimile les requérants d’asile à des délinquants en puissance», le conseiller d’État Leuba affirme qu’il condamne cet amalgame à travers une politique expliquée, assumée et démontrée et lutte, par ailleurs, contre les politiques de «yakafokon» (ndlr : le yakafokon est une expression qui s’emploie pour critiquer et se moquer des personnes qui proposent à d’autres des solutions simplistes et irréalistes car négligeant des obstacles majeurs), dont l’initiative de l’Union démocratique du centre (UDC) sur le renvoi des criminels étrangers est l’illustration. Pour M. Leuba, «si l’initiative de l’UDC a été acceptée par une majorité de Suisses, c’est parce qu’elle a profité d’un sentiment populaire», relevant tout de même que «lorsqu’on expulse un étranger qui refuse délibérément de respecter notre ordre juridique, c’est comme ça qu’on démontrera qu’on a une politique cohérente et équilibrée».

Approche prudente sur le renvoi des criminels étrangers dans le canton de Neuchâtel

Intervenant en dernier lieu, le conseiller d’État neuchâtelois Jean-Nathanaël Karakash, en fonction depuis mai 2013, a relevé que dans le canton de Neuchâtel, les recours contre les décisions de révocation des autorisations de séjour et d’établissement sont traités par lui. «A Neuchâtel, on applique le droit, en tenant compte de la pesée des intérêts, de l’examen de la proportionnalité au cas par cas, du risque de récidive, de la prise de conscience, de la durée de séjour en Suisse, de la solidité des liens sociaux, de la situation familiale, de la nationalité, de la possibilité du retour au pays, de l’état de santé, de la connaissance de l’infraction, de l’existence des liens de mariage, de l’intérêt des enfants, autant de facteurs qui sont analysés», a-t-il dit, avant de poursuivre : «A Neuchâtel, on est plutôt dans une approche prudente, et si on considère qu’il y a risque de récidive assez faible et un danger limité pour la société d’accueil, on a une possibilité de réexaminer le dossier, plutôt que de voir nos décisions être révoquées. Neuchâtel se trouve dans un arbitrage constant d’allocations de moyens, l’opportunité de déployer un arsenal pour rendre des décisions de recours et pour exécuter les renvois lorsqu’ils sont possibles». Selon M. Karakash, «il est aberrant de gaspiller les fonds publics lorsque la personne qu’on a renvoyé de la Suisse y retourne au même moment que les personnes qui ont exécuté son renvoi». Il s’interroge aussi sur la pertinence des lenteurs de dispositifs qu’on met en place pour forcer les renvois.

Quid du renvoi d’un père de famille ?

Au cours du débat, répondant à une question de l’avenir de la famille en cas de révocation du permis de séjour et d’expulsion du père, M. Leuba a noté que dans le canton de Vaud, «si c’est le père qui est expulsé, la famille a la possibilité de le suivre, mais ce n’est pas parce qu’on révoque le permis B ou C de Monsieur Dupont, que celui de Madame Dupont doit aussi tomber. Le traitement est individualisé et ne concerne pas les autres membres de la famille». Cependant, a-t-il précisé, «pour une personne mineure, la procédure d’expulsion est collective car un mineur ne peut être séparé de ses parents».

Évoquant la mise en œuvre de l’initiative de l’UDC sur le renvoi des criminels étrangers, votée le 28 novembre 2010 et adoptée par 53% des citoyens ayant participé au scrutin, les trois orateurs ont unanimement reconnu des difficultés d’application, car l’initiative entre en conflit avec le droit international, surtout sur les points qui contreviennent à des principes fondamentaux comme ceux de la proportionnalité et des droits de l’homme. Il y a également le problème des ressortissants des pays dont la Suisse n’a pas signé d’accords de réadmission.

Pour la politologue Wirchmann, le débat sur le renvoi des criminels étrangers fait apparaître un conflit entre le renvoi, les considérations de la famille et l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle souligne qu’il y a globalement un conflit entre les droits de l’homme et la démocratie et entre le droit national et le droit international.

Pour M. Karakash, «on ne peut pas appliquer l’initiative UDC comme telle. La population l’a votée en connaissance de cause en sachant qu’elle ne serait pas applicable». Pour M. Leuba, «le peuple était informé mais n’en a pas tenu compte, il faut que la population ait la conviction qu’une politique normale est possible ».

Position du Tribunal fédéral

En fin de débat, la position du Tribunal fédéral (TF), qui refuse l’application de l’initiative de l’UDC parce qu’elle viole le droit international, a été expliquée. Dans sa jurisprudence du 12 octobre 2012, le TF affirme que le droit international impératif prime sur le droit national, qu’il soit constitutionnel ou légal. Or, le droit international parle de la proportionnalité en cas de renvoi, tandis que la Constitution suisse parle de l’automaticité du renvoi des criminels étrangers. D’où la nécessité, pour les autorités cantonales en charge des questions relatives à la migration, d’appliquer la Constitution et le droit pénal suisses avec le risque de voir en cas de recours leurs décisions cassées par le TF ou la Cour européenne des droits de l’homme.

Fin novembre 2013, le Conseil fédéral prévoyait de revoir le texte de l’initiative afin de le conformer au droit international impératif et mi-février 2014, la Commission des institutions politiques du Conseil des États a décidé de reprendre la grande majorité des propositions de l’UDC pour mettre en œuvre le renvoi des criminels étrangers.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




«Lorsque toutes les communautés étrangères se montrent solidaires pour une cause juste, l’impact est bien plus fort»

Gianfranco di Grogorio, président de la Feneci. Photo: Voix d'Exils

Gianfranco di Grogorio, président de la Feneci. Photo: Voix d’Exils.

La Fédération Neuchâteloise des Communautés Immigrées (la Feneci) est une association à but non lucratif qui a été créée en 2010. Elle rassemble les associations des migrants du canton de Neuchâtel et vise à améliorer le dialogue et l’échange entre les Neuchâtelois et les migrants dans le canton qui représentent environ 145 nationalités. Son président, Gianfranco di Grogorio, un Suisse d’origine italienne, établi à Neuchâtel depuis 1965, répond aux questions de Voix d’Exils.

Voix d’Exils : Pourquoi la Feneci a-t-elle été créée ?

Gianfranco di Grogorio: J’ai toujours milité dans la Colonia Libera Italiana, une fédération présente en Suisse depuis 70 ans qui regroupe une cinquantaine d’associations italiennes. Quand les premières vagues d’immigrés italiens, puis espagnols, sont arrivées en Suisse dans les années 60, l’intégration dans le travail et dans la société posait problème pour ces deux communautés. Fort de cette expérience, nous avons décidé de constituer en 2010 une fédération d’associations afin de défendre nos droits d’immigrés. La Colonia Libera Italiana de Neuchâtel a alors contacté différentes associations d’immigrés pour sensibiliser ses membres à propos de l’importance d’agir ensemble. Lors de nos rencontres, nous évitons d’évoquer les problèmes religieux ou politiques relatifs à nos pays d’origines et favorisons le dialogue afin de permettre une meilleure intégration des migrants dans le travail, la société ou dans d’autres domaines.

Quelles sont les missions principales de la Feneci ?

Actuellement, nous luttons pour permettre à des immigrés de deuxième génération tels que des Africains noirs ou originaire du Maghreb, des Turcs ou des Kosovars d’accéder à des postes de travail au sein de l’État au niveau communal et cantonal. Actuellement, la majorité des immigrés occupant des postes aux niveaux communal et cantonal sont des espagnols et des italiens de première génération. Nous pensons que cette situation doit changer et que la loi fédérale sur l’intégration visant à inclure la population étrangère au tissu économique, social et culturel de la Suisse doit être appliquée. Nous souhaitons que le Conseil d’État neuchâtelois sensibilise les employeurs du canton afin que les immigrés soient davantage considérés en fonction de leurs capacités professionnelles et au regard de leurs origines.

Quelles actions concrètes ont été menées par la Feneci pour la défense des droits des immigrés ?

On organise, par exemple, des conférences de presse, comme celle tenue avant la fin de l’année 2012, pour dénoncer le manque de volonté des employeurs à embaucher les immigrés, surtout les Africains noirs ou du Maghreb. A cette occasion, nous avions rencontré le Conseil d’État et le responsable cantonal des ressources humaines pour solliciter leur intervention auprès des employeurs locaux afin qu’ils engagent des personnes migrantes. Nous espérons que d’ici quelques mois, nous verrons des résultats positifs.

La Feneci défend aussi les droits des immigrés en procédure d’asile ?

Les requérants d’asile sont soumis à la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration que le canton doit respecter. On aimerait aussi approfondir la problématique de la défense des droits de requérants d’asile dans le canton de Neuchâtel. C’est cependant difficile, parce que le canton défend sa position en s’abritant derrière la loi fédérale. Nous pensons néanmoins que le canton peut faire un effort supplémentaire en faveur des requérants d’asile. Il y a la loi fédérale et l’application de ladite loi. Recevoir les gens dignement, le canton peut le faire. Nous, on ne défend pas les délinquants et tous les requérants d’asile ne sont pas des délinquants. Il suffit qu’une personne commette une déviance sociale et toute sa communauté est accusée. Ce stéréotype doit être combattu avec le soutient des autorités en place. Déjà dans les années 60, quand un Italien faisait une «connerie», on disait que tous les italiens faisaient des  «conneries».

Si la Feneci est saisie d’un cas de discrimination à l’embauche, que fait-elle ?

Pour répondre à cette question, je vais vous exposer un exemple concret : la candidature d’un juriste africain habitant la ville de La Chaux-de-Fonds. Sa candidature a été rejetée par un employeur alors que nous étions convaincus qu’il avait la capacité et l’aptitude de satisfaire le cahier des charges du poste en question. Grâce à notre intervention – soutenue par le Service de la cohésion multiculturelle (le COSM) – cette personne a été finalement embauchée.

La Feneci fédère combien d’associations de migrants ?

Nous fédérons une dizaine d’associations et notre but aujourd’hui est d’augmenter notre visibilité. La principale difficulté que nous rencontrons est de fédérer les associations. Nous devons renforcer notre réseau et nous soutenir les uns et les autres, ce indépendamment de nos origines. C’est normal qu’un Noir ou un Magrébin soient frères. Mais lorsque toutes les communautés étrangères se montrent solidaires pour une juste cause, l’impact est bien plus fort.

En trois ans d’existence, quel bilan tirez-vous de l’action de la Feneci ?

Le bilan est satisfaisant, mais on doit faire plus. On doit se renforcer. La force qu’on a à l’extérieur est inversement proportionnelle à l’intérieur. Nous sommes en train de travailler sur deux plans: la question du travail des immigrés et le renforcement de notre organisation.

Avez-vous un message pour les Suisses qui ont des préjugés envers les immigrés ?

L’immigration est une richesse culturelle et économique. Il ne faut pas faire comme autrefois, c’est-à-dire les Européens appréciaient les bras pour travailler sans vraiment se soucier que derrière ces bras, il y avait des hommes, des femmes et des enfants. Le gouvernement suisse doit comprendre que la Suisse dans 40 ans, 30 ans et même dans 20 ans aura besoin de gens qui travaillent pour produire les richesses du pays. Afin que cette main d’œuvre soit efficace et compétente, des efforts doivent être entrepris pour intégrer et respecter les personnes migrantes, mais également les considérer comme des citoyens à part entière.

Propos recueillis par :

Paul Kiesse
Journaliste, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Infos:

Fédération neuchâteloise des communautés immigrées (Feneci)
c/o Gianfranco di Grogorio
Rue du Tertre 32
2000 Neuchâtel
E-mail: g.degrogorio@net2000.ch
Tél: 0794188140

Cliquez ici pour obtenir la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration




«Le fichage ADN des requérants d’asile serait une mesure stigmatisante voire discriminatoire»

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l'information du canton de Vaud.

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud.

S’appuyant sur les statistiques policières de huit cantons qui établissent une augmentation de la criminalité depuis le Printemps arabe sur le sol suisse, Christophe Darbellay – président du Parti démocrate-chrétien et conseiller national – a déposé une motion intitulée «Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité» qui a été adoptée par le Conseil national le 17 avril 2013. Cette motion permettrait d’établir des profils ADN de manière préventive et systématique de certaines catégories de personnes pouvant potentiellement commettre des délits. Si le Conseil des États valide la motion, le Conseil fédéral devra créer une loi pour la concrétiser. Voix d’Exils a souhaité mettre en perspective les enjeux d’une telle motion en donnant la parole à Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Interview.

Pouvez-vous commencer par présenter votre fonction et votre travail 

Je suis préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Nous sommes trois personnes à travailler dans l’équipe. Nous avons une double casquette : l’une porte sur la protection des données et l’autre sur la transparence. Du côté de la protection des données, il y a une loi cantonale qui s’applique aux administrations cantonales et communales, et des organismes comme l’EVAM par exemple. Nous sommes en étroite collaboration avec les autorités tout en veillant au respect de la loi ainsi qu’aux installations de vidéosurveillance exploitées par les communes ou le canton. Cependant, nos actions ne couvrent pas le traitement des données des établissements privés, comme par exemple l’installation d’une caméra par la Coop, ou encore la Migros avec la carte Cumulus. Ceci n’entre pas du tout dans notre champ de compétences, mais dans celui du préposé fédéral à la protection des données.

Nous sommes aussi l’instance de recours contre des décisions que pourraient prendre les autorités cantonales ou communales en matière de protection des données sur une tierce personne.

Comment l’utilisation de l’ADN est-elle encadrée juridiquement actuellement ?

Le Code de procédure pénale suisse autorise le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil ADN pour élucider un crime ou un délit. Un tribunal peut aussi ordonner l’établissement d’un profil ADN lorsqu’une personne est condamnée pour des délits d’une certaine gravité. La loi sur les profils ADN impose des règles sur la manière de procéder; elle prévoit aussi la création d’une base de données centralisée. Les profils ADN des personnes mises hors de cause, acquittées ou bénéficiant d’un non-lieu sont retirés de la base de données. Il en va de même pour les personnes condamnées après des durées fixées par la loi. Seul l’Office fédéral de la police peut faire le lien entre un profil et une identité.

La motion de Monsieur Darbellay concernant le test ADN de certains  requérants d’asile, notamment à titre préventif, a été adoptée par le Conseil national en avril 2013. Quel est votre avis à ce sujet?

Il est à noter ici que prendre les empreintes digitales ou l’ADN de quelqu’un constitue, du point de vue de la construction juridique, une atteinte à la personnalité. Considérée comme une atteinte grave par certains et anodine par d’autres, elle constitue dans tous les cas une atteinte au droit de la personne, donc à un droit fondamental. C’est pourquoi on peut le faire, mais à certaines conditions, notamment des conditions de restrictions des droits fondamentaux. Cela nécessite une base légale, il faut aussi qu’il y ait un intérêt public qui justifie cette restriction et que la restriction du droit fondamental soit proportionnelle à l’intérêt public considéré. Après, il y a aussi des choix politiques qui sont faits par le législateur qui a un large pouvoir d’adopter ou pas ce type de mesures (la prise d’ADN), sachant aussi qu’en Suisse, il n’y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois. Une des questions que soulève ce projet est la discrimination d’un groupe ciblé de la population. Un groupe évalué selon certains critères est jugé particulièrement à risques, et tous les membres de ce groupe sont considérés comme suspects potentiels, en tout cas plus suspects que le reste de la population. Donc, c’est clairement une mesure qui est stigmatisante voire discriminatoire. Avec une remise en cause d’un principe qui est fondamental dans l’Etat de droit : la présomption d’innocence. Après, ce sont des choix politiques qui doivent être faits. Et ces questions soulèvent aussi des problèmes au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a une position plutôt restrictive s’agissant du fichage préventif. On admet le fichage ADN de manière générale pour les personnes qui ont été condamnées; mais il y aurait un pas de franchi si on l’autorisait a priori sur des personnes jugées à risques.

Selon l’article 33 de la loi fédérale sur l’analyse de la génétique humaine, le prélèvement nécessite notamment le consentement écrit de la personne. Au cas où la personne ne veut ou ne peut pas écrire ce consentement, que se passerait-il ?

Le prélèvement peut se baser soit sur une base légale, soit sur le consentement de la personne. Donc on peut tout à fait imaginer une base légale qui oblige les personnes à donner leur ADN par un frottis ou un autre procédé sans qu’elles aient la possibilité de s’y opposer. On peut passer outre le consentement si on a une base légale suffisamment claire qui le permet. Après, du point de vue de l’intérêt public, on peut considérer qu’on va lutter contre la criminalité et que cela constitue donc un intérêt public. On peut être d’accord que cet intérêt public existe, mais la question est celle de la proportionnalité d’une telle mesure. Donc, par rapport aux entorses que la mesure porte aux droits fondamentaux de la personne, cela pose problème. Est-ce que vraiment ça se justifie ? Est-ce que le but qu’on veut atteindre, à savoir résoudre un certains nombre de délits, dont la plupart sont mineurs et commis par des délinquants venus du Printemps arabe ? On n’est pas en règle générale dans le grand banditisme. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter contre, mais là on a un problème qu’on veut résoudre, et on propose un moyen pour le résoudre. Est-ce que ce moyen qu’est le fichage ADN est vraiment proportionnel par rapport au problème de criminalité qui se pose ? Là est la question.

Cette motion respecte-t-elle la Constitution suisse? Est-elle applicable ?

Elle ne doit pas impérativement respecter la Constitution suisse. Le système juridique suisse n’a pas de Cour constitutionnelle au niveau de la Confédération. Le Parlement peut adopter des lois qui constituent des entorses aux principes constitutionnels voire qui s’y opposent. Dans le canton de Vaud, on a une Cour constitutionnelle, mais au niveau de la Confédération non. Du coup, si cette motion poursuit son chemin parlementaire, il va y avoir d’innombrables débats pour savoir si la mesure est constitutionnelle ou non. Mais, même si elle ne l’était pas, on ne peut pas exclure qu’elle soit adoptée. Après, c’est un choix politique encore une fois qui, en Suisse, ne peut pas être remis en cause par un tribunal. Ce qui pourrait arriver c’est une remise en cause par une instance internationale comme, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme.

Les requérants d’asile doivent déjà donner leurs empreintes digitales lors de leur arrivée en Suisse. Comment cela est-il encadré ? Et en quoi la prise d’ADN serait-elle différente ?

Les empreintes digitales des requérants d’asile sont prises pour s’assurer que les requérants n’ont pas déjà déposé une demande ailleurs, c’est le cas avec l’accord Schengen et de Dublin. On est vraiment ici dans des finalités qui ne sont pas les mêmes que la finalité proposée par la motion Darbellay qui est policière et répressive.

Du coup, les empreintes digitales des requérants d’asile prises selon la législation Schengen pourraient être utilisées dans le cadre d’enquêtes policières ?

Les empreintes digitales sont stockées dans le système EURODAC dans le but de déterminer l’Etat qui est responsable de la demande d’asile. A l’origine, il n’était pas prévu de pouvoir utiliser ces données à des fins répressives. Toutefois, le Parlement européen vient sauf erreur d’adopter des modifications réglementaires qui permettront d’accéder à ces informations pour l’élucidation de crimes graves.

Concrètement, pensez-vous que le fichage ADN soit une mesure utile pour lutter contre la criminalité de certains requérants d’asile ?

Je précise évidemment que je ne suis pas policier. Après, j’ai de la peine à me rendre compte, mais rappelons par exemple que lorsqu’on a commencé à récolter les empreintes dans le cadre d’enquêtes policières, les criminels ont commencé à porter des gants. Maintenant, si on met l’ADN, qu’en sera-t-il ? J’imagine que dans un certain nombre d’enquêtes, cela peut-être utile. Après il y a des choix politiques qui doivent être faits. Donc, il y a aurait une certaine efficacité, c’est très probable, mais avec des effets négatifs, dont une inégalité de traitement entre certains ressortissants d’un pays qui seront soumis au fichage et d’autres non.

Où vont être rangés les fichiers s’il y a la prise d’ADN pour certains requérants d’asile ?

Cela dépend du niveau de la juridiction cantonale ou fédérale. Les deux étant envisageables. Mais j’imagine que ça serait plutôt au niveau fédéral, avec une possibilité d’accès pour les autorités cantonales. Après, pour l’accès, cela concernerait les normes usuelles : les données seraient très protégées dans des systèmes très sécurisés. Il faut rappeler que la sécurité absolue n’existe pas, et c’est un des problèmes avec l’informatisation croissante, mais les bases de données publiques sont en général très bien sécurisées. Après, la faiblesse est humaine. Les banques en savent quelque chose. Ce peut aussi être une défaillance au niveau de la sécurité des données. C’est pour cela aussi qu’au niveau de la collecte des données, un principe veut que l’on collecte le minimum de données nécessaires pour minimiser les risques. Sachant qu’une fois qu’une base de données existe, elle suscite, en général, un certain nombre de convoitises.

Si dans 10 ans toute la population devait donner ses empreintes ADN, comment qualifieriez-vous le monde dans lequel nous vivrions ?

La motion Darbellay pose une question de principe : si le législateur pense que c’est justifié de créer une base de données à titre préventif visant une partie de la population, on met alors le doigt dans un engrenage. Si on le fait pour ce type de population, pourquoi est-ce qu’on ne le ferait pas pour d’autres groupes de population ? Au hasard, les personnes de sexe masculin entre 18 et 25 ans qui sont célibataires, qui sont parmi les groupes de populations les plus criminogènes, les plus susceptibles de commettre des délits. On peut identifier un certain nombre de groupes, dont d’ailleurs vous (nous, les deux journalistes de Voix d’Exils) feriez partie. Alors après pourquoi pas vous ? Ou pourquoi pas tous les oncles ? Parce qu’on considère que c’est surtout les oncles qui commettent des abus sexuels sur les enfants, ou tous ceux qui travaillent avec la finance, et après on peut tout imaginer.

Personnellement, je préférerais la situation dans laquelle l’ensemble de la population serait fichée plutôt que des groupes cibles. Cela ne veut pas dire que je souhaiterais que l’ensemble de la population soit fichée. Mais, quitte à le faire, soyons cohérents et allons jusqu’au bout. Mais cela ne serait pas une société qui me réjouit particulièrement, où par principe on suspecte les personnes plutôt que de faire primer la présomption d’innocence. Mais là aussi, quels sont les intérêts que l’on considère comme étant prépondérants ? A ce propos, le débat autour des services secrets américains : la National Security Agency (NSA) avec l’affaire Snowden est intéressant. Beaucoup de personnes considèrent que l’atteinte à leur sphère privée se justifie vu le bien qu’on veut atteindre, c’est-à-dire une sécurité maximum. Et du coup certains disent «mais est-ce que les terroristes n’ont pas déjà gagné ?», vu que l’on remet en cause les acquis essentiels au sein de nos sociétés démocratiques. Donc, à titre personnel, je ne suis pas pour cette tendance de surveillance accrue. Mais cette tendance de placer l’aspect sécuritaire avant tout est là. Pour revenir aux caméras de vidéosurveillance, on peut mettre des caméras partout, et probablement que cela va résoudre un certain nombre de délits et d’infractions. Mais au vu des atteintes que cela constitue pour l’ensemble de la population, est-ce que ça se justifie ? A mon sens non.

On est ainsi face à des choix de société. Nous sommes dans une société démocratique, mais on ne sait pas comment sera la Suisse ou l’Europe dans 40 ou 50 ans. On peut se dire aussi que certains outils de surveillance sont acceptables quand ils sont dans les mains de dirigeants en démocratie, et qu’ils le sont moins dans des régimes non démocratiques. Là aussi, il y a un principe de prudence à respecter. Et qui peut prévoir l’évolution d’une société sur 50 ans ? Personne, je pense.

Propos recueillis par :

Cédric Dépraz et El Sam

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Pour consulter la motion de Christophe Darbellay « Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité » cliquez ici

 




Une manifestation réclame la régularisation des sans-papiers et des requérants d’asile

Photo: Hochardan

Le  mercredi 22 février à Lausanne, les collectifs de défense des droits des sans-papiers accompagnés de sympathisants et de militants se sont réunis sur la place de la Riponne  à Lausanne pour manifester et réclamer la régularisation immédiate de tous les sans-papiers et des requérants d’asile. Cette manifestation était organisée par le collectif Droit de rester, le Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers (CVSSP) et le Collectif de soutien et de défense des sans-papiers de la Côte,  avec l’appui de beaucoup d’associations et de syndicats venus également de Berne et de Fribourg.

Cette manifestation avait pour but selon les organisateurs « de contester les stigmatisations, les discriminations et le racisme ainsi que de s’opposer à un système qui assigne les immigrés à la condition d’êtres inférieurs et subordonnés ». Leur message était le suivant : « Marchons dans la rue, crions haut et fort, montrons que nous ne sommes ni des criminels, ni des abuseurs, ni des délinquants, mais que nous sommes des êtres humains dignes de valeur et que nous avons des droits et des devoirs ».

Photo: Hochardan

« Nous avons quitté un pays mais non l’humanité ! »

À 17h00, la place de la Riponne était presque saturée de manifestants d’ethnies, de races, de cultures, de langues différentes, comme lors d’une conférence mondiale. Et en effet, il y avait là des personnes venues des quatre coins du monde qui ont marché jusqu’à la place du Château où elles ont adressé une lettre signée par les trois collectifs organisateurs au Conseil d’Etat, lui demandant la régularisation collective de tous les sans-papiers.

Durant leur marche, les manifestants scandaient : « Nous n’avons qu’un seul monde, nous partageons une même condition humaine. » « Nous ne voulons pas que les êtres humains soient classés, encadrés, contrôlés, réprimés et donc traités de manière inégalitaire ». Sur les banderoles, des slogans dénonçaient les abus faits aux droits de l’homme. Certaines exprimaient la valeur de l’humain : « Nous avons quitté un pays mais non l’humanité » et « Expulsez les lois racistes pas les êtres humains ! ».

 « L’origine n’est pas un crime ! »

Au moment où les manifestants passaient  dans la rue du Grand-Pont, une partie d’entre eux se sont allongés dans la rue portant des tissus sur lesquels était écrit : « L’origine n’est pas un crime ».  Des dizaines de requérants ont pris la parole : « Que nous soyons passés par la filière de l’asile ou que nous soyons venus clandestinement, notre seul objectif est d’avoir aspiré à une vie meilleure. » « L’Etat nous met dans des situations pénibles : il nous interdit de séjour, nous exclut d’une existence légale, nous enlève toute perspective d’avenir, nous en sommes réduits à travailler au noir ou à nous terrer dans des abris de protection civile. » « Ça suffit ! Qu’on le veuille ou non, nous sommes ici, nous participons activement à construire la société dont nous faisons partie ! »

Photo: Hochardan

« L’immigration n’est pas un choix, mais c’est une chance ! »     

 La majorité des manifestants vivent des souffrances, des peurs, des angoisses et de l’incertitude quant à leur sort. Beaucoup d’entre eux sont en Suisse depuis plusieurs années. Qu’ils vivent dans des abris, dans des centres d’aide d’urgence ou ailleurs, ils revendiquaient tous le droit de vivre librement et de sortir de cette situation précaire. «Marre de se cacher, on vit ici, on reste ici », grognaient-ils. Tout au long de leur marche, les manifestants ont adressé au peuple suisse un message à travers le slogan : « L’immigration n’est pas un choix, mais c’est une chance ».

Malgré le fait que la situation soit précaire, que la vie soit difficile, que l’angoisse soit présente, même si le chagrin et la peur sont permanents, ils gardent pourtant l’espoir et le rêve de revoir un jour ceux qui leur sont chers, disaient-ils en écho au grand martyr américain Martin Luther King qui a dit lors de la manifestation du 28 octobre 1963 à Washington : « Je rêve que mes quatre jeunes enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés pour la couleur de leur peau, mais à la mesure de leur caractère. »

Hochardan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

« La Suisse a longtemps été un pays d’émigration »

Graziella de Coulon, membre du collectif Droit de rester a accordé une interview à Voix d’Exils.

Voix d’Exils : Quel est le but de cette manifestation ?

Graziella de Coulon : Nous demandons la régularisation de tous les sans-papiers et de tous les déboutés de l’asile. Ce sont des personnes qui sont mises à l’écart, elles font partie des gens qui n’ont plus de droits, plus rien.

Qu’espérez-vous de cette manifestation en tant que défenseur des sans-papiers ?

On n’espère pas grand chose de cette manifestation. C’est pour rassembler les gens et pour dire : « On est toujours là, et on continue de réclamer la même chose ! » Mais, cette fois, nous avons adressé nos revendications aux Conseillers d’Etat. Vu que maintenant, la majorité est de gauche… (elle rigole). Nous demandons surtout que Vaud défende à Berne les personnes qui ont été acceptées par le canton. Et non pas que le canton dise : « Berne ne les veut pas ! ».

Photo: Hochardan

Quels sont les obstacles que vous rencontrez avec le Département de l’Intérieur ?

Ils disent qu’ils n’ont pas de marge de manœuvre et que c’est Berne qui décide… Ce qui n’est pas vrai, le canton a une marge de manœuvre. Il peut, par exemple, mettre ou pas à l’aide d’urgence un débouté, mais il les met tous à l’aide d’urgence. Donc, le canton fait le bon élève auprès de Berne, et c’est ça  que nous contestons. La majorité au Conseil d’Etat est de gauche, mais c’est une gauche qui n’a pas le courage politique d’affirmer une autre position que celle de la droite musclée de Berne, qui est celle qui régit maintenant toutes les questions d’immigration.

Photo: Hochardan

Qu’éprouvez-vous face aux expulsions ?

Déjà une grande honte pour le pays qui viole le droit de ces personnes au point de les obliger à partir dans leur pays, alors que pour certaines ce n’est plus leur pays. Parmi les personnes expulsées, certaines sont en Suisse depuis 10 ans et plus ! C’est une honte, la façon dont on les expulse. Les expulser vers le néant, vers aucune autre solution, alors qu’elles pourraient rester ici.  Il y en a beaucoup qui ont du travail, mais par la faute des lois uniques qui ont été votées, maintenant elles sont toutes déboutées… Personnellement, je ressens vraiment une grande honte et puis un grand regret pour ces personnes parce que souvent je les connais. Après leur expulsion, on les perd… On ne sait pas du tout ce qu’elles deviennent dans leur pays.

On voit souvent des blacks arrêtés et fouillés. Ils vivent dans la peur et la menace permanente. Qu’en dites-vous ?

Photo: Hochardan

Ce qu’il faut dire, c’est que ces personnes ont quitté leur pays et ont traversé la Méditerranée en risquant leur vie et beaucoup sont morts. Personne n’a quitté son pays et fait ce trajet pour venir vendre de la coke ou devenir un criminel ici. Ce sont les conditions de vie dans lesquelles ces gens sont ici qui font qu’ils sont obligés à un certain moment de se mettre dans cette criminalité qui est une petite criminalité de survie. Les gens ne peuvent pas rester ici sans être jamais heureux, sans avoir la possibilité de travailler, sans avoir des contacts avec les gens. N’être vus que comme des criminels…. Ce n’est pas possible ! A un certain moment ils deviennent, oui, des  criminels parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement.

Comment expliquez-vous que le peuple suisse ait voté des lois qui sont contre l’immigration ?

Aux Suisses, j’aimerais premièrement dire de se souvenir de leur passé, parce que pendant de longues années, la Suisse a été un pays d’émigration. Les Suisses devaient émigrer parce qu’on ne mangeait pas assez dans ce pays.  Maintenant, ils ont oublié et veulent fermer toutes les frontières, ils veulent laisser tous les pauvres en dehors. C’est vraiment une lutte des pauvres contre les riches. Et quand on dit que ces lois ont été votées par la population, il faut voir sous quelles pressions et avec quelle propagande elles ont été votées. Les personnes qui défendent les requérants ou qui défendent l’immigration n’ont pas un grand espace de parole pour convaincre les gens. Et les gens ont peur parce que pour eux aussi cela ne va pas bien : ils ont peur du chômage, ils ont peur pour l’éducation de leurs enfants, ils ont peur pour leur logement et ils prennent juste l’immigration comme bouc émissaire. Mais ça, c’est l’UDC et  les partis de droite qui disent ça au peuple, et le peuple vote. Mais finalement, il y a quand même beaucoup de solidarité en Suisse, il n’y a pas que ça…

Propos recueillis par Hochardan