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Police cannabis

Un dessin réalisé par réalisé par HKP & TS de la rédaction vaudoise de Voix d'Exils.

Une illustration signée HKP & TS de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Afin de préparer sa retraite, un couple de policiers âgés d’une quarantaine d’années a décidé de cultiver du cannabis à son domicile à Böckten, une commune du Canton de Bâle-Campagne. Mais une perquisition des forces de l’ordre, menée à la fin du mois de février dernier, a permis de dévoiler leur petit business.

En Suisse, la consommation annuelle de cannabis se situe entre 22 et 37 tonnes et le chiffre d’affaire que dégage le trafic du chanvre est compris entre 245 et 418 millions de francs, selon la Police Judiciaire Fédérale (PJF).

HKP

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Des belles «Promess»

Un dessin signé Saras Pages

Une illustration signée Saras Pages.

Enquête

Dans le courant du mois de juillet 2013, une opération policière dénommée «Promess» a été menée dans le canton de Neuchâtel à l’encontre des dealers. Suite à cela, Nicolas Feuz, procureur du canton de Neuchâtel, a soutenu, dans un article de 20 minutes paru le 4 juillet 2013, que « [presque] 90% des demandeurs d’asile originaires de l’Afrique de l’Ouest hébergés par le canton s’adonnent au trafic de cocaïne ». Surpris par cette allégation, la rédaction vaudoise de Voix d’Exils a mené une enquête pour vérifier la consistance de ce chiffre et Fbradley Roland a pris sa plume pour écrire un édito.

Les chiffres de M. le procureur disséqués par Voix d’Exils

Pour vérifier si neuf requérants ouest-africains sur dix seraient des dealers dans le canton de Neuchâtel, la rédaction vaudoise a procédé à une enquête qui s’est déroulée en deux étapes.

Dans un premier temps, nous avons tenté de nous procurer le rapport de l’opération Promess afin de vérifier la méthodologie qui aboutissait au chiffre divulgué à la presse. Mais, malgré nos investigations, nous n’avons pas réussi à obtenir ce rapport. Dans un courriel envoyé par M. le procureur à la rédaction vaudoise, ce dernier mentionne que «[l]’opération PROMESS regroupe en réalité autant de dossiers qu’il y a eu d’appréhensions policières et/ou de personnes formellement mises en cause dans ce cadre, ce qui représente plus d’une centaine à ce jour […] Les autres informations contenues dans ces nombreux rapports demeurent pour l’heure bien évidemment couvertes par le secret de fonction et le secret d’instruction».

Capture d’écran 2014-02-13 à 12.04.16

Les chiffres précis et officiels n’étant pas accessibles, nous avons alors opté pour une méthode comparative. Nous avons contacté l’Office fédéral des migrations (ODM) pour obtenir une liste du nombre total de requérants, notamment ceux d’origines ouest-africaines, enregistrés depuis l’année 2010 jusqu’au premier semestre de l’année 2013 dans le canton de Neuchâtel, afin de vérifier si les chiffres avancés dans l’article sont plausibles. Après analyse, nous nous sommes rendus compte que les chiffres (ou du moins leur interprétation) s’avèrent vraisemblablement très différents des chiffres divulgués par le procureur.

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Selon les données fournies par l’ODM, sur les 433 requérants d’asile ressortissants d’Afrique de l’Ouest, 164 sont originaires du Nigeria et 279 viennent des autres pays de cette région.

Capture d’écran 2014-02-13 à 12.02.36

Si, sur 130 interpellations (avec une marge d’erreur sur la « centaine » citée plus haut) 70% concernent des Nigérians (« la majorité » citée dans l’article), alors 30% des requérants d’asile (91 Nigérians et 39 Autres) sont arrêtés pour deal face à 70% des ressortissants d’Afrique de l’Ouest qui ne dealent pas.

Donc, d’une part, les dealers sont une minorité parmi les requérants d’asile ouest-africains et, d’autre part, selon le procureur, ceux qui dealent seraient en majorité des ressortissants d’un seul pays parmi 15.

Ces résultats sont bel et bien différents de ceux avancés par le Ministère public et la police neuchâteloise. Plus loin, dans ledit article, Monsieur Feuz ajoute : «[qu]’on arrête de nous dire que seule une petite partie des requérants ouest-africains pose problème et fait de l’ombre aux autres, c’est tout simplement faux».

Il est bien connu que les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes. La diffusion de tels chiffres dans l’espace public – avec les conséquences dévastatrices pour l’image des communautés africaines qu’ils engendrent – mérite une fine analyse. Dans ce cas précis, il faut prendre garde à la formulation. A savoir, si la majorité des dealers arrêtés sont des Nigérians et que le Nigeria est en Afrique de l’Ouest, alors il n’est pas faux de dire que 90% des dealers sont d’Afrique de l’Ouest. En revanche, au vu des chiffres, il y a une forte majorité de migrants d’Afrique de l’Ouest qui ne deal pas. Par conséquent, il est entièrement faux de dire que 90% des Africains de l’Ouest sont des dealers, 70% d’entre eux ne l’étant pas.

Loin des polémiques, cet article vise à contrecarrer des amalgames fâcheux qui, malheureusement, préjudicient beaucoup de requérants d’asile. S’agissait-il d’un effet d’annonce ? Pourquoi donc la presse n’a-t-elle pas interrogé ce chiffre, alors même qu’il paraissait surdimensionné ? Comment empêcher que de tels phénomènes se reproduisent à nouveau ?

Seul un travail de vérification est susceptible de restituer les faits, mais le mal est malheureusement trop souvent déjà fait.

Elom et Bamba

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

En Helvétie du deal : chacun trouve son bonheur !

Édito

Nicolas Feuz, procureur du Ministère public du canton de Neuchâtel, se félicite que le nombre de dealers ait diminué, que près de 150 grammes de cocaïne et 12’000 francs suisses aient été confisqués. Et par la même annonce que 56 trafiquants ont été condamnés à de la prison ferme pour une durée d’un à six mois. La présence des dealers en ville de Neuchâtel s’est raréfiée depuis l’opération baptisée «Promess», «La grande majorité des personnes interpellées sont des Nigérians», explique sans ambages Nicolas Feuz dans les colonnes du journal 20 minutes. Mais l’article ne précise pas le nombre de demandeurs d’asile à Neuchâtel, n’indique pas si l’opération est uniquement ciblée sur les ouest-africains, ni qui sont les «vendeurs-grossistes», ou encore comment des trafiquants confinés dans des hôtels luxueux arrivent à recevoir leurs marchandises. Répondre à ces questions permettrait de mieux comprendre et d’analyser ces faits. Comment donc ne pas s’offusquer du manque de volonté en Suisse d’ouvrir un débat en dehors des biais politiques et de ses amalgames fâcheux sur les questions de l’immigration, de la vente de drogues et du racisme ? Un pan du voile devrait être soulevé sur au moins quatre points pour clarifier ces épineuses questions: la corrélation drogue-immigration, les manipulations politiques de cette question, le sensationnalisme qui en est fait autour par les médias et la réalité du terrain.

En attendant cela, on peut dire que la vie en Suisse restera «belle» pour beaucoup de monde. Les barons de la drogue «cinq étoiles» s’en mettent plein les poches; la presse fait feu de quelques boulettes de cocaïne par ci par là et vend ses titres à tour de bras, certains politiciens en profitent pour se faire élire ou pour gagner des votations, une partie de la population s’en met plein les narines, et les petits détaillants ouest-africains jouent au chat et à la souris avec la police.

Bref, en Helvétie du deal, chacun trouve son bonheur!

FBradley Roland

Journaliste, contributeur externe de Voix d’Exils

 




«Le discours pour justifier l’exclusion est aujourd’hui plus sophistiqué et moins identifiable au racisme qu’auparavant»

Dr. Philippe Gottraux. Photo: André / Voix d'Exils

Dr. Philippe Gottraux. Photo: André / Voix d’Exils

Face à la montée de l’extrême droite en Europe et à l’adoption par le peuple suisse de l’initiative portée par l’Union Démocratique du Centre (UDC) dite « Contre l’immigration de masse », Voix d’Exils s’est penché sur le sujet avec Philippe Gottraux, politologue à l’Université de Lausanne, pour mieux comprendre le phénomène.

Voix d’Exils : Quelles sont les spécificités et caractères communs des idéologies d’extrême droite ?

Philippe Gottraux : Historiquement, l’extrême droite européenne est liée à des courants qui ont été marginalisés après la guerre – comme le fascisme et le nazisme -, mais qui ont continué à exister très marginalement dans la société. Ce qui est préoccupant ces derniers temps, c’est la recrudescence des courants d’extrême droite partout en Europe. On observe, bien sûr, des différences entre eux, même si les thématiques peuvent se ressembler. Ils partagent, par exemple, une espèce de phobie envers les étrangers ou, pour les groupes plus modérés comme l’UDC, une obsession du « problème » que représentent pour eux les étrangers. Mais ce n’est quand même pas la chasse à l’homme à coups de barre de fer, organisée par le mouvement grec Aube Dorée dans les rues d’Athènes, sous les yeux complaisants de la police…

Qu’est-ce qui différencie les mouvements d’extrême droite actuels par rapport à ceux des années 30-40 ?

Les mouvements des années 30-40 ont perdu la guerre, puis la bataille idéologique. Il y a eu un tabou – au sens politique et positif du terme – pour interdire le racisme. Il a fallu une modération des discours d’extrême droite dans ce nouveau contexte. S’en est suivi la désignation de nouveaux boucs émissaires. Alors que, tendanciellement, l’antisémitisme est devenu indicible, le racisme anti-Roms se porte bien. A droite, on agite aussi la menace de l’Islam, de l’islamisation de l’Europe, ou encore celle des migrations venant des sociétés du Sud.

Quelle est la vision du monde des mouvements d’extrême droite ?

C’est la construction d’une vision du monde qui est systématiquement organisée autour d’une opposition entre « Eux » et « Nous », d’une conception anti-égalitaire et hiérarchique de la société, ainsi que d’un nationalisme exacerbé. Pour ce qui nous concerne ici, le « Eux », c’est évidemment les étrangers, les « races », les cultures différentes de « Nous », avec lesquels il ne faut pas se mélanger. Prenez le débat qu’il y a eu en Suisse sur les minarets à l’occasion de la votation populaire nationale de novembre 2009. Le « Eux », c’était les musulmans avec leurs pratiques supposées incompatibles avec nos institutions. Il faut savoir qu’au 19ème siècle, une initiative fédérale acceptée par le peuple visait à interdire aux Juifs l’abattage rituel. C’était déjà les mêmes mécanismes : « On n’a rien contre les Juifs, on prend la défense des animaux. » Cette initiative avait bien sûr permis un déferlement de discours antisémites.

Ce refus de l’autre est-il un phénomène que l’on observe dans toutes les sociétés ?

Dans toutes les sociétés, il y a des « Eux » et des « Nous ». Une différenciation se fait entre le groupe d’appartenance comme la nation, la culture, et les « Autres ». La question est de savoir ce qu’on fait de cette différence. Il y a, bien sûr, des différences entre « Eux » et « Nous », mais doit-on les conflictualiser pour renforcer le « Nous » contre les « Autres » ? Je pense qu’un des fonds de commerce de l’extrême droite, c’est de faire une lecture de la réalité sociale sur cette base-là.

Comment les partis d’extrême droite justifient-ils le rejet des étrangers ?

Ce n’est pas nécessairement des étrangers, c’est des « Eux » qui sont la plupart du temps des étrangers ou issus de l’immigration. L’extrême droite a été marginalisée après-guerre, parce que ses arguments pour exclure les « Eux » – en l’occurrence les Juifs ou les Tsiganes – étaient des arguments radicaux qui ont conduit à des extrêmes comme l’extermination. Maintenant, le discours pour justifier l’exclusion des « Eux », ou la séparation avec les « Eux », est en général beaucoup plus modéré, plus sophistiqué, et donc moins rapidement identifiable au racisme. Les gens qui se revendiquent explicitement du racisme ou qui revendiquent explicitement la supériorité des Blancs sur les Noirs ou des Suisses sur les étrangers sont minoritaires. De fait, les arguments qui circulent ne sont ni méprisants ni haineux, ils sont plus subtils. Le danger, c’est que ces arguments plus subtils sont davantage recevables pour la société.

Est-ce le seul danger ?

Non. L’autre danger, c’est la réappropriation tactique par ces courants d’extrême droite de thématiques ou de valeurs qui sont historiquement de gauche. Par exemple, la défense de la laïcité. On entend : « L’Islam est incompatible avec nos valeurs parce qu’il est contre la laïcité. » ; « On ne veut pas de musulmans ou d’immigrés venant du Tiers Monde parce qu’ils traitent différemment leurs femmes que nous. » Sous-entendu : « Ils traitent mal leurs femmes, nous on les traite bien. » L’extrême droite se réapproprie les valeurs de la défense du droit des femmes pour justifier des formes de racisme subtiles. On entend ainsi Marine Le Pen défendre le droit des homosexuels, les droits des femmes, la laïcité, la République, etc. Pour quelqu’un qui est à la tête d’un parti d’extrême droite, c’est quand même nouveau !

Que faire pour contrer ce brouillage politique ?

Il est difficile de combattre ces idéologies d’extrême droite parce que justement elles brouillent les clivages. En gros, elles se réapproprient et dévoient des valeurs de gauche, à tel point que ça fait éclater une partie de la gauche sur ces questions. Sur la question de la laïcité, sur la question du port du voile en France etc. La gauche vole en morceaux. Mais, une autre partie de la gauche a conscience que c’est très dangereux de raisonner ainsi, parce que c’est une manière de faire de la place à ce racisme nouveau.

Les discours apparemment modérés cachent les vraies valeurs de l’extrême droite. Peut-on parler de discours masqués?

Pour le Front National c’est une stratégie politique. Il faut moderniser le discours, être trop franc ça ne passe plus. Sans compter le risque d’avoir des procès, car il existe des normes pénales antiracisme. Donc, pour une partie des acteurs, c’est du maquillage, c’est du calcul. Mais une partie des journalistes ne se rend pas non plus compte de ce que cache ce type de discours. On l’avait vu lors de l’initiative populaire de l’UDC sur les étrangers criminels soumise au peuple en novembre 2010. Du côté de la presse, personne n’osait attaquer de front la logique raciste qu’il y avait là derrière, dans sa logique de double peine qui consiste à punir différemment en rapport à la nationalité.

Comment expliquer la recrudescence des mouvements d’extrême droite actuellement en Europe ?

Il y a plusieurs explications qui tendent à dire que c’est lié à la crise économique, à une situation socio-économique qui se dégrade. C’est en partie vrai. Mais l’Espagne et le Portugal sont des pays qui subissent des politiques d’austérité phénoménales qui dégradent les conditions de vie des populations, qui créent de la misère, sans qu’on n’observe pour autant une montée significative des partis d’extrême droite. Donc, la situation économique dégradée ne suffit pas à elle seule à expliquer la montée de ces partis. La meilleurs preuve c’est qu’en Suisse l’UDC fait de très bons scores, mobilise sur des thématiques de rejet des étrangers, alors que la situation économique est bonne en comparaison internationale.

L’autre argument pour expliquer l’avancée de l’extrême droite, l’idée que la gauche et la droite – au sens gouvernemental – c’est du pareil au même. Les partis politiques de gauche ou de droite ne seraient plus suffisamment différents pour offrir des alternatives politiques claires aux citoyens. Ces derniers iraient chercher ailleurs, on le voit en France avec le Front National. Mais cette explication n’est pas suffisante non plus. J’ai l’impression qu’il faut une combinaison de facteurs explicatifs. Il faut regarder dans chaque situation, dans chaque pays, les éléments d’histoire. Dans l’histoire suisse, on a une tradition politique et culturelle, depuis le 20ème siècle, qui désigne les étrangers comme un « problème ». Dans la loi sur les étrangers datant du début des années 30, on se souciait déjà de l’Überfremdung, c’est-à-dire de « la surpopulation étrangère ». L’État suisse – pas l’extrême droite -, l’État est préoccupé depuis le 20ème siècle par le danger que représenterait la « surpopulation étrangère ».

En Suisse, qu’est-ce qui a changé depuis que l’UDC est devenu le premier parti politique ?

Ce qu’il faut regarder, ce n’est pas seulement les scores d’un parti d’extrême droite au niveau électoral, c’est en quoi ce parti arrive à faire bouger l’ensemble de l’échiquier politique vers la droite, et notamment vers des positions hostiles aux étrangers. Depuis 20-30 ans, en Europe, la situation s’est durcie à tous les niveaux, dans tous les pays. Même si l’extrême droite reste minoritaire – avec des scores électoraux oscillant entre 8% et 10% –, il y a des situations où elle devient le pivot qui tire l’ensemble de l’échiquier politique sur la droite, contre les étrangers. En Suisse, c’est particulièrement clair. Depuis que l’UDC progresse, les autres partis s’emparent des thèmes de l’UDC et font soit de la surenchère – parfois en essayant de la prendre de vitesse – ce qu’a essayé de faire le Parti libéral-radical, avec son initiative sur la mendicité (qu’il a maintenant retirée) ; soit ils proposent des solutions qui vont dans le même sens, mais qui sont un peu plus modérées. Mais ça va quand même dans le sens d’une stigmatisation des étrangers ou d’un renforcement de l’idée que les étrangers sont un problème.

Comment ces courants propagent-ils leurs discours ?

Prenons l’exemple des délits. Dans le discours dominant, on se pose systématiquement la question de savoir si c’est un étranger ou si c’est un Suisse qui l’a commis. Si c’est un Suisse, on va se poser la question de savoir si c’est un « vrai Suisse » avec tous les guillemets qu’il faut, ou si c’est un Suisse naturalisé. Il y a une espèce d’obsession, qui n’est pas seulement le signe de l’extrême droite. L’extrême droite joue à fond sur cet impensé nationaliste partagé, elle ne fait que le radicaliser, le systématiser. Ce qui ressort finalement renforcé, c’est l’idée que le clivage les Suisses / les Autres est une grille de lecture pertinente pour analyser n’importe quoi.

A titre personnel, qu’est-ce qui vous frappe dans ce phénomène ?

Je dirais que la force de l’extrême droite c’est sa force stratégique, alors que la gauche critique est sur ce plan dans les cordes. C’est aussi plus facile d’agiter les peurs que de faire appel à la raison, c’est peut-être ça le problème aussi… Pour finir sur un dernier exemple, celui des dealers, on néglige dans le débat public la plupart du temps les consommateurs, surtout si ce sont des personnes de la bonne société qui leur achètent de la drogue. Lorsque vous dites : « S’il y a des dealers, c’est qu’il y a des consommateurs », vous apparaissez déjà comme suspect !

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 




Edito. Africain ? Alors dealer !

Capture d'écran de l'émission de Temps Présent du 14.03.2013. Source: nsalomon.blogspot.com

Capture d’écran de l’émission de Temps Présent du 14.03.2013. Source: nsalomon.blogspot.com

Il y a déjà certains endroits à Lausanne où je n’ose plus mettre les pieds de peur de me faire arrêter. Mais la cerise a été déposée sur le gâteau jeudi 14 mars 2013. J’étais confortablement installé chez moi dans mon canapé, entouré d’amis Européens, pour visionner l’émission de Temps Présent diffusée sur la chaîne nationale suisse RTS 1 intitulée « Guerre aux dealers ». Et tout d’un coup, j’ai vraiment eu envie de disparaître, tellement j’avais honte de mon africanité. Le lendemain, grâce au recul de la réflexion, j’ai voulu désapprouver publiquement ce sentiment de honte en m’exprimant sur Voix d’Exils.

Il est vrai que certains Africains sont des dealers. Mais est-ce vraiment raisonnable de généraliser en associant le deal à tous les Africains? N’y a-t-il pas des Africains préoccupés à vivre décemment, en sécurité et en paix ? N’y a-t-il pas des Africains qui contribuent à la marche sociale et économique de la Suisse ; notamment dans des secteurs d’activités – parfois boudés par les autochtones – comme la santé ?

Une grande partie de la population prend pour argent comptant ce qu’elle voit à la télévision. Donc il faut faire attention, à fortiori lorsqu’on est une chaîne nationale comme la Radio Télévision Suisse et quand on appartient au corps de police, aux messages qu’on véhicule. Lors de cette émission de Temps Présent, j’ai été choqué d’entendre à de nombreuses reprises des policiers qui nommaient les dealers « les Africains ».  Tout court. Au risque de faire une fois de plus croire à l’opinion publique que le trafic de drogue est une activité propre aux Africains. Les « gros bonnets » sont-ils tous des Africains ? L’on sait bien pourtant que les cerveaux des opérations dans le milieu de la drogue ne sont pas ceux qui arpentent les rues, en été comme en hiver, en menant leur petit business à la sauvette. Si la drogue est un marché si florissant, il doit bien y avoir des acheteurs à quelque part. Les acheteurs sont-ils tous des Africains ? Force est de constater que l’on parle finalement assez peu des gros bonnets et des consommateurs. Le trafic de drogue est un cercle vicieux, dont il ne sert pas à grand chose de désigner la couleur ou les origines des coupables et de s’attaquer à ses manifestations les plus visibles pour tenter de l’éradiquer. Hormis si l’on souhaite uniquement rassurer la population en lui signifiant qu’on affronte vraiment le problème.

Il est très dangereux de réduire la question du deal à d’un côté : les Blancs et de l’autre : les Noirs. La réalité n’est pas manichéenne et le mal est bien plus profond, bien plus complexe que cela…La misère, ainsi que la quête des gains faciles pour certains. La jouissance instantanée ou la dépendance pour d’autres. Pour ne citer que quelques facteurs. Mais soyons clairs, je ne cherche pas ici à excuser mes compatriotes Africains qui s’adonnent au trafic de drogue, même si l’indigence peut inciter certains à sombrer dans la spirale du deal. Dans toutes les situations, nous avons la capacité de faire des choix pour que cela ne porte pas préjudice à soi comme aux autres.

Un proverbe africain dit que « tous les moutons se promènent ensemble, mais ils n’ont pas les mêmes valeurs ». Dealer n’est pas synonyme d’Africain, de même que pédophile n’est pas synonyme d’Européen. Il faut savoir faire la part des choses et ne pas confondre la minorité avec la majorité en mettant tout le monde dans le même panier. Au risque de renforcer d’autres phénomènes aussi dangereux, voire encore plus dangereux que celui du trafic de drogue, comme celui de la haine raciale.

André

Relecture : El sam

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils