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Criminalité et migration en Suisse

Source: pixabay.com CC0 Creative Commons

Enquête – les prisons romandes paient-elles « les factures de la politique migratoire » ?

 

Franz Walter, directeur de prison, affirme que « les prisons romandes paient les factures d’une politique de l’immigration qui a des effets considérables ». Il a aussi constaté que 80% des détenus dans les prisons romandes sont des étrangers et spécifié des origines ethniques. Enquête sur ces observations et sur les effets qu’elles produisent.

Le 18 février, le journal TV de 19h30 de la RTS a interviewé Franz Walter, directeur des établissements pénitentiaires de Bellechasse (Fribourg), sur la surpopulation et l’origine des détenus dans les prisons de Suisse romande. Pendant l’émission, M. Walter a affirmé que « les prisons romandes paient les factures d’une politique de l’immigration qui a des effets considérables ». Il a aussi constaté que 80% des détenus des prisons romandes sont des étrangers et que les origines ethniques les plus représentées se trouvent dans les pays d’Europe de l’Est, l’Afrique noire et le Maghreb.

Les observations de Monsieur Walter, qui a par ailleurs commencé sa carrière dans le domaine des migrations au sein de l’Office fédéral des réfugiés, qui est entretemps devenu le Secrétariat d’Etat aux Migrations nous interpellent. Nous avons décidé de mener une enquête sur ces observations et l’effet qu’elles produisent. Précisément, nous avons : contacté l’Office fédéral de la statistique et Monsieur Walter lui-même pour procéder à la vérification des données ; contacté Philippe Gottraux, sociologue à l’Université de Lausanne et André Kuhn, criminologue à l’Université de Neuchâtel, pour nous aider à analyser les données ; étudié la couverture du sujet par d’autres médias et organisations ; et contacté le Service de lutte contre le racisme et la Commission fédérale contre le racisme pour leurs positions sur le sujet.

A la recherche des sources

S’agissant les données présentées sur les proportions des détenus étrangers et leurs origines, Monsieur Walter ne nous a ni fournis, ni aidé à établir le contact avec la personne sous la direction de laquelle ces données ont été traitées pour lui. L’OFS nous a fourni la statistique de la proportion de détenus étrangers dans les prisons latines pour la période de 2004-2017 ce qui confirme par la moyenne annuelle la donnée de M. Walter, soit 80%. Nous n’avons en revanche reçu aucune information sur les origines ethniques majoritaires des détenus dans les prisons romandes.

Mise en perspective des données de M. Walter

Dans sa communication avec Voix d’Exils, Philippe Gottraux, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, relève que la situation dans les prisons romandes peut être expliquée plutôt par des facteurs sociaux (situation financière, sociale, etc.) que par le statut ou par l’origine. Il suggère en outre que la discussion devrait prendre en compte les résultats des recherches connexes des sociologues et des criminologues au lieu de « désigner les étrangers comme cibles de tous les maux de la société suisse » et aller « dans le sens du discours d’une certaine droite politique ». M. Gottraux attire aussi l’attention sur l’interaction entre Monsieur Walter et la journaliste, car elle ne questionne pas les observations de son interlocuteur.

Dans son article publié dans la revue en ligne asile.ch, André Kuhn, professeur de criminologie et de droit pénal à l’Université de Neuchâtel, affirme qu’en générale, la nationalité n’influence pas la criminalité, bien que les étrangers représentent 20% de la population et 50% des condamnés en Suisse. Il explique que la considération de la corrélation entre deux phénomènes dans ce cas : la criminalité et un seul autre facteur n’explique rien, mais peut conduire à des conclusions politiques. Donc, il faut considérer tous les facteurs en même temps. Dans l’ordre d’importance, il identifie : le sexe, l’âge, le niveau socio-économique et le niveau de formation. Le professeur assure que la nationalité n’explique pas la criminalité, tout comme la taille de la personne ne l’explique pas. La nationalité ainsi que la taille sont déjà compris dans les autres facteurs. Considérant ces autres facteurs, les criminels sont plutôt des jeunes hommes défavorisés et moins bien formés. Il conclut que pour la prévention du crime, les actions sociales et éducatives sont à prendre en considération en priorité au lieu de pointer les migrants.

Dans sa communications avec Voix d’Exils, le professeur Kuhn constate en outre que le niveau des étrangers dans les prisons romandes étant plus élevé que dans le reste du pays comme le résultat d’une politique de migration différente en Suisse romande que dans d’autres régions de Suisse n’est pas vérifiable. Ceci n’est qu’une hypothèse. Et la différence entre 50% des étrangers dans les condamnations et 80% dans les prisons montre que « le système pénal ne fonctionne pas de la même manière pour les étrangers que pour les Suisses » et les étrangers sont plus souvent condamnés à la prison.

Du pain béni pour les organisation de droite anti-immigration

Les observations de Monsieur Walter n’ont pas été abondamment couvertes par les médias. Concernant la différence entre les proportions d’étrangers dans les condamnations (50%) et les détenus (80%), un article paru dans Le Courrier semble donner une explication. Il souligne que la liberté conditionnelle n’est pas accordée aux étrangers sans statut de séjour, car ceux-ci, sans moyens de subsistance, « plongeraient dans la délinquance ». A part cet article, l’information a été partagée par des journaux ou organisations de droite anti-immigration, tels que :

Donc, sans surprise, ce sont des organisations de droite anti-immigration qui ont profité et relayé les observations de M. Walter pour faire avancer leurs agendas anti-migratoire.

S’agissant du Service de lutte contre le racisme et de la Commission fédérale contre le racisme, ces organismes n’ont pas voulu se prononcer sur le sujet.

M. Walter, un employé du secteur public, a exprimé de tels propos dans un média public un dimanche soir quand beaucoup de monde était devant la télé. On peut imaginer l’impact d’une telle intervention. Pourtant, il n’est pas un expert, et la journaliste de la RTS a accepté ses observations sans les contrebalancer ou les questionner. Je pense que les observations de Monsieur Walter, la manière dont la statistique a été présentée, le dispositif choisi de présentation peuvent attiser la haine en Suisse romande envers les immigrés en général et envers des origines spécifiques.

MHER

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 

 

 

 

 




« L’initiative de l’UDC pour le renvoi effectif des criminels étrangers nous ramène au système du bannissement »

Magalie Gafner, sociologue et juriste au Centre Social Protestant (CSP) Lausanne.

Magalie Gafner, sociologue et juriste au Centre Social Protestant (CSP) Lausanne.

Voix d’Exils a  rencontré Magalie Gafner, sociologue et juriste au Centre Social Protestant (CSP) de Lausanne pour s’interroger sur les enjeux de l’initiative du 28 février prochain dites de renvoi effectif des étrangers criminels.

Quelle est la différence entre la dernière initiative concernant le renvoi des criminels étrangers et celle-là ? Est-ce uniquement une « mise en œuvre » de la précédente ?

L’application faite par le Parlement de l’initiative sur le renvoi des étrangers délinquants laisse une marge d’interprétation aux juges, leur permettant de traiter différemment un migrant fraîchement arrivé et qui commettrait un délit et une personne née en Suisse qui commettrait le même acte.

 Dans cette initiative « Pour le renvoi des étrangers criminels », quelles catégories d’étrangers sont visées ?

A priori toutes les  catégories d’étrangers sont visées : du touriste à l’étranger de la deuxième ou troisième génération. Il est toutefois clair qu’un renvoi automatique, tel que prévu dans l’initiative de mise en œuvre, contrevient à l’interprétation faite par la Cour de justice de l’Union Européenne qui exige un danger actuel pour l’ordre public et réfute toute automaticité. Sans remise en cause de l’Accord sur la libre circulation des personnes, le texte constitutionnel ne pourrait s’appliquer aux ressortissant-e-s européens. De plus, ce texte, mènera à des violations très systématiques de l’article 8 de la Convention Européenne des Droit de l’Homme qui protège la vie familiale mais aussi la vie privée, soit notamment l’enracinement ancien d’une personne dans une société quand bien même elle  n’en n’aurait pas la nationalité. Là aussi, soit on renonce à appliquer cette convention, soit on renonce à appliquer le nouvel article constitutionnel aux migrants installés de très longue date ou qui auraient leur famille en Suisse et dont le ou les crimes ne revêtent qu’une gravité relative.

Est-ce que cette initiative pose des problèmes (ou pas ?) du point de vue du droit ?

 

En plus des difficultés soulevées à la question précédente, l’initiative entrave clairement le travail du juge qui doit appliquer le cadre légal à une situation particulière et respecter le principe de proportionnalité.

Pensez-vous que cette initiative va renforcer la sécurité de la population suisse ?

Si cette campagne participe à créer un sentiment d’insécurité, la modification de la Constitution ne changera rien à la sécurité objective en Suisse, puisque aujourd’hui les bases légales et la pratique des tribunaux permettent déjà de renvoyer les étrangers qui mettent en danger l’ordre public. Les seules personnes qui ne peuvent être actuellement renvoyées et qui présentent un danger ne le pourront pas non plus avec cette initiative, puisqu’il s’agit de personnes dont l’identité est impossible à établir et/ou qui ne sont pas réadmises par leur Etat national.

Cette initiative ne risque-t-elle pas de créer un régime de « double peine » ?

Il est clair qu’une sanction de renvoi qui s’ajoute à une peine pénale purgée est une double peine.

Dans quelle « direction » les différentes initiatives de l’UDC nous mènent ?

Ces initiatives nous éloignent d’une certaine conception du droit et nous ramènent  à travers des réponses apparemment simples au système ancien du bannissement qui, indépendamment des questions éthiques que cela soulève, n’est, dans une société mondialisée, qu’une illusion.

Propos recueillis par:

Rama Kouria

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Info :

Article paru dans le 20 minutes qui détaille des cas de figure concrets de renvois

 

 

 

 




«Le fichage ADN des requérants d’asile serait une mesure stigmatisante voire discriminatoire»

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l'information du canton de Vaud.

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud.

S’appuyant sur les statistiques policières de huit cantons qui établissent une augmentation de la criminalité depuis le Printemps arabe sur le sol suisse, Christophe Darbellay – président du Parti démocrate-chrétien et conseiller national – a déposé une motion intitulée «Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité» qui a été adoptée par le Conseil national le 17 avril 2013. Cette motion permettrait d’établir des profils ADN de manière préventive et systématique de certaines catégories de personnes pouvant potentiellement commettre des délits. Si le Conseil des États valide la motion, le Conseil fédéral devra créer une loi pour la concrétiser. Voix d’Exils a souhaité mettre en perspective les enjeux d’une telle motion en donnant la parole à Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Interview.

Pouvez-vous commencer par présenter votre fonction et votre travail 

Je suis préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Nous sommes trois personnes à travailler dans l’équipe. Nous avons une double casquette : l’une porte sur la protection des données et l’autre sur la transparence. Du côté de la protection des données, il y a une loi cantonale qui s’applique aux administrations cantonales et communales, et des organismes comme l’EVAM par exemple. Nous sommes en étroite collaboration avec les autorités tout en veillant au respect de la loi ainsi qu’aux installations de vidéosurveillance exploitées par les communes ou le canton. Cependant, nos actions ne couvrent pas le traitement des données des établissements privés, comme par exemple l’installation d’une caméra par la Coop, ou encore la Migros avec la carte Cumulus. Ceci n’entre pas du tout dans notre champ de compétences, mais dans celui du préposé fédéral à la protection des données.

Nous sommes aussi l’instance de recours contre des décisions que pourraient prendre les autorités cantonales ou communales en matière de protection des données sur une tierce personne.

Comment l’utilisation de l’ADN est-elle encadrée juridiquement actuellement ?

Le Code de procédure pénale suisse autorise le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil ADN pour élucider un crime ou un délit. Un tribunal peut aussi ordonner l’établissement d’un profil ADN lorsqu’une personne est condamnée pour des délits d’une certaine gravité. La loi sur les profils ADN impose des règles sur la manière de procéder; elle prévoit aussi la création d’une base de données centralisée. Les profils ADN des personnes mises hors de cause, acquittées ou bénéficiant d’un non-lieu sont retirés de la base de données. Il en va de même pour les personnes condamnées après des durées fixées par la loi. Seul l’Office fédéral de la police peut faire le lien entre un profil et une identité.

La motion de Monsieur Darbellay concernant le test ADN de certains  requérants d’asile, notamment à titre préventif, a été adoptée par le Conseil national en avril 2013. Quel est votre avis à ce sujet?

Il est à noter ici que prendre les empreintes digitales ou l’ADN de quelqu’un constitue, du point de vue de la construction juridique, une atteinte à la personnalité. Considérée comme une atteinte grave par certains et anodine par d’autres, elle constitue dans tous les cas une atteinte au droit de la personne, donc à un droit fondamental. C’est pourquoi on peut le faire, mais à certaines conditions, notamment des conditions de restrictions des droits fondamentaux. Cela nécessite une base légale, il faut aussi qu’il y ait un intérêt public qui justifie cette restriction et que la restriction du droit fondamental soit proportionnelle à l’intérêt public considéré. Après, il y a aussi des choix politiques qui sont faits par le législateur qui a un large pouvoir d’adopter ou pas ce type de mesures (la prise d’ADN), sachant aussi qu’en Suisse, il n’y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois. Une des questions que soulève ce projet est la discrimination d’un groupe ciblé de la population. Un groupe évalué selon certains critères est jugé particulièrement à risques, et tous les membres de ce groupe sont considérés comme suspects potentiels, en tout cas plus suspects que le reste de la population. Donc, c’est clairement une mesure qui est stigmatisante voire discriminatoire. Avec une remise en cause d’un principe qui est fondamental dans l’Etat de droit : la présomption d’innocence. Après, ce sont des choix politiques qui doivent être faits. Et ces questions soulèvent aussi des problèmes au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a une position plutôt restrictive s’agissant du fichage préventif. On admet le fichage ADN de manière générale pour les personnes qui ont été condamnées; mais il y aurait un pas de franchi si on l’autorisait a priori sur des personnes jugées à risques.

Selon l’article 33 de la loi fédérale sur l’analyse de la génétique humaine, le prélèvement nécessite notamment le consentement écrit de la personne. Au cas où la personne ne veut ou ne peut pas écrire ce consentement, que se passerait-il ?

Le prélèvement peut se baser soit sur une base légale, soit sur le consentement de la personne. Donc on peut tout à fait imaginer une base légale qui oblige les personnes à donner leur ADN par un frottis ou un autre procédé sans qu’elles aient la possibilité de s’y opposer. On peut passer outre le consentement si on a une base légale suffisamment claire qui le permet. Après, du point de vue de l’intérêt public, on peut considérer qu’on va lutter contre la criminalité et que cela constitue donc un intérêt public. On peut être d’accord que cet intérêt public existe, mais la question est celle de la proportionnalité d’une telle mesure. Donc, par rapport aux entorses que la mesure porte aux droits fondamentaux de la personne, cela pose problème. Est-ce que vraiment ça se justifie ? Est-ce que le but qu’on veut atteindre, à savoir résoudre un certains nombre de délits, dont la plupart sont mineurs et commis par des délinquants venus du Printemps arabe ? On n’est pas en règle générale dans le grand banditisme. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter contre, mais là on a un problème qu’on veut résoudre, et on propose un moyen pour le résoudre. Est-ce que ce moyen qu’est le fichage ADN est vraiment proportionnel par rapport au problème de criminalité qui se pose ? Là est la question.

Cette motion respecte-t-elle la Constitution suisse? Est-elle applicable ?

Elle ne doit pas impérativement respecter la Constitution suisse. Le système juridique suisse n’a pas de Cour constitutionnelle au niveau de la Confédération. Le Parlement peut adopter des lois qui constituent des entorses aux principes constitutionnels voire qui s’y opposent. Dans le canton de Vaud, on a une Cour constitutionnelle, mais au niveau de la Confédération non. Du coup, si cette motion poursuit son chemin parlementaire, il va y avoir d’innombrables débats pour savoir si la mesure est constitutionnelle ou non. Mais, même si elle ne l’était pas, on ne peut pas exclure qu’elle soit adoptée. Après, c’est un choix politique encore une fois qui, en Suisse, ne peut pas être remis en cause par un tribunal. Ce qui pourrait arriver c’est une remise en cause par une instance internationale comme, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme.

Les requérants d’asile doivent déjà donner leurs empreintes digitales lors de leur arrivée en Suisse. Comment cela est-il encadré ? Et en quoi la prise d’ADN serait-elle différente ?

Les empreintes digitales des requérants d’asile sont prises pour s’assurer que les requérants n’ont pas déjà déposé une demande ailleurs, c’est le cas avec l’accord Schengen et de Dublin. On est vraiment ici dans des finalités qui ne sont pas les mêmes que la finalité proposée par la motion Darbellay qui est policière et répressive.

Du coup, les empreintes digitales des requérants d’asile prises selon la législation Schengen pourraient être utilisées dans le cadre d’enquêtes policières ?

Les empreintes digitales sont stockées dans le système EURODAC dans le but de déterminer l’Etat qui est responsable de la demande d’asile. A l’origine, il n’était pas prévu de pouvoir utiliser ces données à des fins répressives. Toutefois, le Parlement européen vient sauf erreur d’adopter des modifications réglementaires qui permettront d’accéder à ces informations pour l’élucidation de crimes graves.

Concrètement, pensez-vous que le fichage ADN soit une mesure utile pour lutter contre la criminalité de certains requérants d’asile ?

Je précise évidemment que je ne suis pas policier. Après, j’ai de la peine à me rendre compte, mais rappelons par exemple que lorsqu’on a commencé à récolter les empreintes dans le cadre d’enquêtes policières, les criminels ont commencé à porter des gants. Maintenant, si on met l’ADN, qu’en sera-t-il ? J’imagine que dans un certain nombre d’enquêtes, cela peut-être utile. Après il y a des choix politiques qui doivent être faits. Donc, il y a aurait une certaine efficacité, c’est très probable, mais avec des effets négatifs, dont une inégalité de traitement entre certains ressortissants d’un pays qui seront soumis au fichage et d’autres non.

Où vont être rangés les fichiers s’il y a la prise d’ADN pour certains requérants d’asile ?

Cela dépend du niveau de la juridiction cantonale ou fédérale. Les deux étant envisageables. Mais j’imagine que ça serait plutôt au niveau fédéral, avec une possibilité d’accès pour les autorités cantonales. Après, pour l’accès, cela concernerait les normes usuelles : les données seraient très protégées dans des systèmes très sécurisés. Il faut rappeler que la sécurité absolue n’existe pas, et c’est un des problèmes avec l’informatisation croissante, mais les bases de données publiques sont en général très bien sécurisées. Après, la faiblesse est humaine. Les banques en savent quelque chose. Ce peut aussi être une défaillance au niveau de la sécurité des données. C’est pour cela aussi qu’au niveau de la collecte des données, un principe veut que l’on collecte le minimum de données nécessaires pour minimiser les risques. Sachant qu’une fois qu’une base de données existe, elle suscite, en général, un certain nombre de convoitises.

Si dans 10 ans toute la population devait donner ses empreintes ADN, comment qualifieriez-vous le monde dans lequel nous vivrions ?

La motion Darbellay pose une question de principe : si le législateur pense que c’est justifié de créer une base de données à titre préventif visant une partie de la population, on met alors le doigt dans un engrenage. Si on le fait pour ce type de population, pourquoi est-ce qu’on ne le ferait pas pour d’autres groupes de population ? Au hasard, les personnes de sexe masculin entre 18 et 25 ans qui sont célibataires, qui sont parmi les groupes de populations les plus criminogènes, les plus susceptibles de commettre des délits. On peut identifier un certain nombre de groupes, dont d’ailleurs vous (nous, les deux journalistes de Voix d’Exils) feriez partie. Alors après pourquoi pas vous ? Ou pourquoi pas tous les oncles ? Parce qu’on considère que c’est surtout les oncles qui commettent des abus sexuels sur les enfants, ou tous ceux qui travaillent avec la finance, et après on peut tout imaginer.

Personnellement, je préférerais la situation dans laquelle l’ensemble de la population serait fichée plutôt que des groupes cibles. Cela ne veut pas dire que je souhaiterais que l’ensemble de la population soit fichée. Mais, quitte à le faire, soyons cohérents et allons jusqu’au bout. Mais cela ne serait pas une société qui me réjouit particulièrement, où par principe on suspecte les personnes plutôt que de faire primer la présomption d’innocence. Mais là aussi, quels sont les intérêts que l’on considère comme étant prépondérants ? A ce propos, le débat autour des services secrets américains : la National Security Agency (NSA) avec l’affaire Snowden est intéressant. Beaucoup de personnes considèrent que l’atteinte à leur sphère privée se justifie vu le bien qu’on veut atteindre, c’est-à-dire une sécurité maximum. Et du coup certains disent «mais est-ce que les terroristes n’ont pas déjà gagné ?», vu que l’on remet en cause les acquis essentiels au sein de nos sociétés démocratiques. Donc, à titre personnel, je ne suis pas pour cette tendance de surveillance accrue. Mais cette tendance de placer l’aspect sécuritaire avant tout est là. Pour revenir aux caméras de vidéosurveillance, on peut mettre des caméras partout, et probablement que cela va résoudre un certain nombre de délits et d’infractions. Mais au vu des atteintes que cela constitue pour l’ensemble de la population, est-ce que ça se justifie ? A mon sens non.

On est ainsi face à des choix de société. Nous sommes dans une société démocratique, mais on ne sait pas comment sera la Suisse ou l’Europe dans 40 ou 50 ans. On peut se dire aussi que certains outils de surveillance sont acceptables quand ils sont dans les mains de dirigeants en démocratie, et qu’ils le sont moins dans des régimes non démocratiques. Là aussi, il y a un principe de prudence à respecter. Et qui peut prévoir l’évolution d’une société sur 50 ans ? Personne, je pense.

Propos recueillis par :

Cédric Dépraz et El Sam

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Pour consulter la motion de Christophe Darbellay « Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité » cliquez ici