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Flash Infos #74

Kristine Kostava / Voix d’Exils.

Sous la loupe : Nouvel appel de l’Italie pour une répartition des personnes réfugiées dans l’UE / Attente difficile pour des milliers de personnes migrantes en Colombie / La migration depuis la Biélorussie repoussée aux frontières lituaniennes

L’Italie lance un nouvel appel à l’UE en faveur d’une répartition des personnes réfugiées

RTBF, le jeudi 5 août 2021

Une fois de plus, l’Italie invite les pays de l’UE à répartir les personnes migrantes en provenance des côtes tunisiennes ou libyennes entre les membres de l’Union. Le pays a annoncé avoir enregistré en 2021 plus du double d’arrivées qu’au même moment de l’année précédente. En même temps, les conditions de vie sur les navires de sauvetage des ONG actives en Méditerranées (Ocean Viking, Sea-Watch-3) se détériorent pour les personnes qui sont bloquées à leur bord.

Il n’y a que peu de doutes sur le fait que les revendications de l’Italie ne seront pas entendues en raison des désaccords importants à cet égard au sein de l’UE, visibles dans les négociations pour parvenir à une réforme du système d’immigration et d’asile européen en général.

Blocage de milliers de personnes migrantes dans la ville colombienne de Nécoclí

Tribune de Genève, le jeudi 5 août 2021

Des milliers de personnes migrantes se rendant de l’Amérique du Sud vers les États-Unis et tentant de rejoindre le Panama par la voie maritime depuis la Colombie se retrouvent bloquées dans la ville de Necoclí, faute de traversées disponibles suffisantes. Sur place, elles font face au coût élevé de l’hébergement, après avoir déjà pris de gros risques et épuisé une bonne partie de leurs économies en cours de route.

En raison de la pandémie de Coronovirus, la traversée avait été rendue impossible suite à la fermeture des frontières. Mais depuis leur réouverture, l’afflux des personnes migrantes a repris de plus belle dans cette ville qui se trouve au Nord du pays.

La Lituanie a commencé à refouler les personnes migrantes arrivant depuis la Biélorussie

RTS, le mardi 3 août 2021

Les gardes-frontières lituaniens ont déclaré qu’ils repoussaient les personnes migrantes qui tentaient d’entrer dans le pays depuis la Biélorussie voisine, alors que Vilnius est aux prises avec une crise migratoire sans précédent. La Lituanie accuse les autorités biélorusses d’exercer des représailles aux sanctions de l’UE contre le régime de Loukachenko en favorisant des flux migratoires.

Les autorités lituaniennes se sont arrogées le droit de recourir à la force pour diriger les personnes migrantes vers les postes frontières officiels ou les missions diplomatiques où l’asile peut être demandé légalement. Le chef des gardes-frontières affirme que la force n’avait pas été utilisée jusque-là. Pour les ONG lituaniennes, repousser ces personnes migrantes constitue une violation des droits humains. «Cela restreint le droit de l’Homme fondamental de demander l’asile dans un État sûr» selon la chercheuse Akvile Krisciunaite. Le nombre d’arrivées en Lituanie de personnes migrantes est passé de 81 en 2020, à plus de 4’000 en 2021.

Depuis l’année dernière, le rôle de la Lituanie de terre d’accueil pour l’opposition biélorusse – notamment pour sa cheffe: Svetlana Tikhanovskaïa – a aggravé les tensions entre les deux pays.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« En Suisse, je me sens valorisée et acceptée »

Source: pixabay.com

La culture de l’encouragement

Lorsqu’elle dépose sa demande d’asile en Suisse, il y a cinq ans, Zahra découvre progressivement ce qu’on pourrait définir comme la culture de l’encouragement. A son grand étonnement, plutôt que de relever son ignorance des us et coutumes locaux, ses différents interlocuteurs répondent à sa curiosité, la soutiennent dans ses démarches et la félicitent pour ses progrès. Malgré son statut précaire – elle est à l’aide d’urgence -, la jeune Kurde veut croire qu’elle a un avenir possible dans ce pays où elle se sent bien.

Elle a souhaité partager avec les lecteurs et lectrices de Voix d’Exils quelques expériences marquantes et dire sa reconnaissance aux personnes qui l’ont aidée depuis son arrivée sur le sol helvétique.

En Iran, on échange beaucoup de critiques et peu de compliments

« En 2016, j’habitais dans le foyer d’accueil des migrants de Sainte-Croix, dans le canton de Vaud. Grâce à l’aide d’un groupe de bénévoles qui venaient trois soirs par semaine nous donner des cours, j’ai appris le vocabulaire de base pour me débrouiller dans la vie quotidienne.

Un jour, j’ai reçu un courrier pour un rendez-vous médical mais sans précision de l’adresse. J’ai croisé mon assistante sociale dans les corridors et je lui ai demandé si elle pouvait m’aider. Pascal, le responsable du foyer qui passait par là, m’a entendue et il a pris la peine de s’arrêter pour me complimenter sur mes progrès en français.

J’ai été très surprise par la façon chaleureuse et encourageante dont il s’est adressé à moi. D’ailleurs, des années plus tard, je m’en souviens comme si c’était hier… Pour que vous compreniez ma réaction, je dois préciser que dans mon pays d’origine, ça ne se passe pas du tout comme ça. Les relations interpersonnelles sont plutôt rugueuses, et les compliments sont très rares contrairement aux critiques qui sont faites pour un oui ou pour un non.

En Suisse, mon handicap n’a pas été une barrière

Avant d’arriver à Sainte-Croix, j’avais été hébergée pendant deux semaines dans le foyer de Vallorbe. Je venais d’arriver en Suisse, et je découvrais une nourriture dont le goût, la préparation, les couleurs étaient très différents de la nourriture que j’avais l’habitude de manger en Iran. Comme le domaine culinaire m’a toujours beaucoup intéressée, j’ai cherché des informations sur Internet et j’ai aussi posé des questions aux cuisiniers du foyer pour connaître les recettes et les ingrédients des plats qui nous étaient proposés. Ils ont répondu à ma curiosité avec une patience et une gentillesse qui m’ont beaucoup touchée.

Par la suite, je me suis inscrite dans le Programme cuisine proposé aux migrant.e.s par l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (l’EVAM). J’avais peur de ne pas être acceptée, parce que j’ai une main handicapée à laquelle il manque des doigts. Mais j’ai été rapidement rassurée, mon handicap ne constituait pas une barrière pour la réalisation de mon projet qui était d’obtenir le certificat d’aide en cuisine. J’ai fait une semaine de stage préliminaire dans le self-service de l’EVAM à Lausanne et tout s’est très bien passée. Là encore, personne ne m’a fait de remarques désobligeantes, et personne n’a mis en doute mes capacités à travailler en cuisine.

A la fin de ma formation, avant d’obtenir mon certificat, j’ai fait un mois de stage à la Fondation Mère Sophia, à Lausanne. Avec une petite équipe de bénévoles, nous préparions la soupe que nous servions tous les soirs, dans la grande salle de la fondation, aux personnes dans le besoin. J’épluchais et je coupais les légumes, le travail était simple et se faisait dans une très bonne ambiance. Les bénévoles m’ont tout de suite adoptée et j’ai pu prolonger le stage d’un mois. J’aurais bien voulu continuer, mais l’expérience s’est ensuite arrêtée parce que mon statut – je suis à l’aide d’urgence -, ne me donne pas le droit de travailler.

J’ai été rassurée sur mes compétences

Je suis une jeune femme célibataire qui – comme beaucoup de migrant.e.s – vit seule, loin de sa famille. Mes parents et une de mes sœurs sont restés en Iran. Mon autre sœur habite en Suisse alémanique, dans le canton d’Argovie, mais je la vois seulement deux-trois fois par année, car le train coûte très cher et j’ai un tout petit budget.

Cet isolement est difficile à supporter. Comme tout le monde, j’ai besoin de contacts humains pour préserver mon équilibre, j’essaie aussi d’avoir des objectifs, un but à atteindre. J’ai l’espoir de voir ma demande d’asile évoluer. Je rêve d’obtenir le permis B et de pouvoir enfin travailler dans mon domaine de formation qui est la comptabilité.

En attendant, et pour ne pas rester les bras croisés après mon passage en cuisine, je me suis intéressée à une autre activité proposée par l’EVAM : le Programme Cybercafé. Ma mission consistait à gérer de façon presque autonome le relais internet destiné prioritairement aux migrants hébergés dans le foyer de Sainte-Croix. Malheureusement, un mois après mes débuts dans ce programme, le Cybercafé a été fermé pour cause de Covid…

Que faire ? J’ai alors été orientée vers le Programme Voix d’Exils. Omar, mon responsable, m’a proposé d’écrire des articles pour le site Voix d’Exils. Le premier jour, je n’avais aucun sujet d’article à proposer. Pour moi, qui vient de la comptabilité, c’était un exercice très difficile. J’étais très stressée et déçue, j’étais sûre que Omar allait me dire que je n’avais pas les compétences nécessaires et que je ne pouvais pas rester. Mais, à ma grande surprise, il m’a rassurée, il m’a dit qu’on allait en parler avec Afif, le deuxième responsable du programme. Les deux ont pris le temps de m’expliquer à nouveau quel était mon rôle et ce qu’ils attendaient de moi. Comme ils m’ont fait confiance et qu’ils m’ont encouragée, je n’ai pas voulu les décevoir, je me suis accrochée et maintenant, cinq mois après mes débuts, grâce à l’aide et au soutien de différents collaborateurs de ce média en ligne, j’ai écrit et publié plusieurs articles dont je suis très fière.

Ma situation n’est pas facile, mais j’essaie d’avancer, de ne pas perdre l’espoir. À toutes les personnes qui, depuis mon arrivée en Suisse, m’ont soutenue, à toutes celles et ceux qui m’ont redonné confiance et qui m’ont permis de grandir, je voudrais ici vous dire : MERCI !

Zahra Ahmadiyan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Revue de presse #55

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils

Sous la loupe : La migration, un « élément essentiel pour l’équilibre et la stabilité du monde » / Rapport 2020 sur les activités de politique migratoire extérieure de la Suisse / Camps de réfugié.e.s : le Conseil fédérale doit agir!

La migration, un élément essentiel pour l’équilibre et la stabilité du monde

maexpress.ma, le 30 mars 2021   

« La migration constitue un élément essentiel pour l’équilibre et la stabilité du monde » s’est exprimé ainsi à Rabat Abdellah Boussouf, Secrétaire général du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger CCME, lors de la 98ème rencontre diplomatique organisée le mardi 30 mars 2021 par la Fondation diplomatique.

Il a souligné que la migration facilite le dialogue et le rapprochement entre les religions, les cultures et les peuples, étant donné qu’elle constitue l’un des principaux éléments de la construction de l’avenir et du monde de demain.

La migration constitue, selon lui, un acteur principal dans la lutte contre la Covid-19. Dans ce cadre, il a rappelé les rôles principaux des migrants du Maroc, de la Turquie et de la Grèce dans le développement du vaccin anti-Covid, ajoutant que dans d’autres pays, les migrants ont joué des rôles pionniers dans l’opération de solidarité avec leurs pays de résidence ou leur pays d’origine, comme c’est le cas pour le Maroc.

Le rapport 2020 sur les activités de politique migratoire extérieure de la Suisse

admin.ch, le 31 mars 2021

Le Conseil fédéral a publié le 31 mars 2021 un communiqué au sujet de son rapport 2020 sur la politique migratoire extérieure de la Suisse. Ce document met en évidence les différents défis auxquels est confrontée la politique européenne en matière de migration et d’asile malgré le recul du nombre de demandes d’asile et d’entrées irrégulières dû à la pandémie. Cette problématique est prise très au sérieux par la Suisse puisqu’elle a renforcé son engagement en Grèce en assurant son soutien concret à un certains nombres de mesures, telles que : apporter une aide humanitaire dans les centres d’accueil des migrants, appuyer des projets menés par des organisations d’entraide et accueillir sur son territoire des requérants d’asile mineurs non accompagnés.

Le rapport relève également la grande importance du nouveau pacte sur la migration et l’asile pour la Suisse puisqu’il prend en considération de nombreuses préoccupations et priorités que le pays a exprimé à plusieurs occasions, notamment au sujet du renforcement de la politique en matière de retour et la solidarité entre les États Dublin.

Hors de l’Europe, la Suisse a continué la mise en œuvre des partenariats migratoires existants et renforcé la coopération migratoire bilatérale. Malgré le contexte difficile dû au COVID-19, toujours selon le rapport, la Suisse a pu mener des dialogues migratoires avec d’importants pays partenaires, tels que l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Iran, le Kosovo et le Sri Lanka, et a réussi à négocier un accord migratoire avec la Gambie.

Suisse/Grèce : Camps de réfugié.e.s: le Conseil fédéral doit agir

Amnesty.ch, le 29 mars 2021

Il y a un an maintenant, #evacuerMAINTENANT, 132 organisations et 50’000 personnes, ont lancé un appel pour demander au Conseil fédéral d’accueillir un important contingent de réfugié·e·s des îles grecques de la mer Égée. Des dizaines de villes, communes et paroisses ont, alors, répondu favorablement et proposé leur soutien au Conseil fédéral pour participer, d’une manière significative, à soulager la souffrance de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés bloqués sans aucune protection.

À ce jour, ni le Conseil fédéral ni le Secrétariat d’État aux migrations n’a fait usage de ces disponibilités. Raison pour laquelle, l’Alliance « Villes et municipalités pour l’accueil des réfugiés », qui comprend les 8 plus grandes villes de Suisse et 8 autres municipalités dont Montreux, Bienne, Fribourg, Lausanne et Genève, réitère, aujourd’hui, sa volonté d’accueillir des réfugié·e·s en provenance de Grèce et demande au Conseil fédéral un geste politique clair dans cette direction.

Il convient de rappeler ici que le Conseil fédéral avait décidé, dans le cadre de son programme de réinstallation, l’admission en Suisse d’un contingent de 1’600 réfugié.e.s particulièrement vulnérables pour 2020/2021. À ce jour, seules 330 personnes en provenance de Grèce ont été admises. Amnesty International souligne que « l’accueil de ces quelques dizaines de réfugié.e.s est une bonne chose, mais demeure largement insuffisant ».

Amnesty International appelle, de son côté le gouvernement à soutenir, au niveau européen, l’évacuation complète du camp de Moria et demande l’entrée en matière de Madame la Conseillère Karine Keller-Sutter à propos de la proposition des villes d’accueillir rapidement un fort contingent de réfugiée.e.s des îles grecques.

Masar Hoti

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 




Revue de presse #49

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils.

Sous la loupe : Le gouvernement suisse favorable au Pacte mondial pour les migrations / Un migrant sur trois en situation irrégulière renvoyé par l’UE en 2019 / Londres promet de vacciner gratuitement les migrants quel que soit leur statut

Le gouvernement suisse favorable au Pacte mondial pour les migrations

RTS, le 4 février 2021

Dans un message adressé au Parlement, le Conseil fédéral a soutenu l’adhésion de la Suisse au Pacte mondial pour les migrations. Selon le gouvernement, refuser ce pacte aurait des répercussions négatives pour le pays, notamment concernant la gestion de sa politique migratoire, tant au niveau bilatéral que multilatéral. Brigitte Crottaz, conseillère nationale socialiste, insiste quant à elle sur la notion de cohérence, en soulignant que la Suisse a participé à l’élaboration de ce projet. Elle rappelle également que la Confédération se présente comme le pays des droits humains avec le siège des Nations Unies en matière de politique migratoire à Genève. Ses arguments sont néanmoins rejetés par le conseiller national UDCMichaël Buffat – qui insiste sur l’impact défavorable qu’aurait ce traité sur la politique migratoire suisse. Selon lui, ce pacte est une ouverture totale à l’immigration en direction de notre pays. « Pour gagner un siège à l’ONU, ça ne vaut pas la peine » conclut-il. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) souligne cependant que la signature de ce pacte n’implique rien de contraignant, d’autant plus qu’une modification de la législation n’est pas obligatoire.

Une personne migrante sur trois en situation irrégulière a été renvoyée par l’UE en 2019

Euractiv, le 11 février 2021

Selon un rapport de la Commission européenne, sur les 491’195 ressortissantes et ressortissants de pays tiers qui se trouvaient en situation irrégulière sur le territoire de l’Union européenne (UE) en 2019, seuls 142’320 ont été renvoyés par les États membres. Jugé insatisfaisant par Bruxelles, ce taux de retour et de réadmission est dû aux divers défis auxquels les États membres sont confrontés lorsqu’ils mettent en œuvre les procédures pour ordonner le retour des personnes migrantes en situation irrégulière et lorsqu’ils coopèrent avec les pays tiers en matière de réadmission. Le rapport relève également qu’il existe de grandes différences entre les procédures juridiques et administratives de chaque État membre. Par ailleurs, la Commission européenne reconnaît que la pandémie de Covid-19 a rendu plus complexe le fonctionnement des opérations de retour et de réadmission. A cet effet, Bruxelles souligne qu’un système européen commun de retour nécessite des règles et des procédures claires, par le biais de démarches efficaces, qui garantissent le respect des droits fondamentaux. Le futur pacte sur les migrations et l’asile, actuellement en cours de négociation, va dans ce sens.

Londres promet de vacciner gratuitement les personnes migrantes quel que soit leur statut

InfoMigrants, le 9 février 2021

Le 8 février, un porte-parole du gouvernement du Royaume-Uni a annoncé que les vaccins contre le coronavirus seront proposés gratuitement à toutes celles et ceux qui vivent au Royaume-Uni, quel que soit leur statut migratoire. Ainsi, le gouvernement a fait savoir aux responsables du service public de santé du pays que la vaccination, de même que le dépistage et les traitements du coronavirus, ne seraient pas soumis à des vérifications du statut migratoire. Figurant parmi les pays européens comptant le plus grand nombre de morts dus à la Covid-19, une vaste campagne de vaccination à récemment été lancée dans le pays. Selon certaines estimations, le nombre de sans-papiers au Royaume-Uni se monterait à 1,3 million.

Masar Hoti

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 




« Nous » de Ievgueni Zamiatine

1ères de couverture de « Nous ».

Recension – des fictions dystopiques devenues les miroirs de notre réalité ?

Ievgueni Ivanovitch Zamiatine (1884 – 1937), est un écrivain russe, créateur d’un genre unique et moderne : le roman anti-utopique ou dystopique. Ceux qui ont déjà lu des ouvrages du genre dystopique, comme « 1984 » de George Orwell ou encore « Le meilleur des mondes » de Aldous Huxley, ne savent peut-être pas que le pionnier de ce genre est justement Zamiatine. Tout commence avec son roman « Nous ». Cet article est le premier d’une nouvelle rubrique de Voix d’Exils qui consiste en des recensions de livres et de films qui éclairent notre réalité d’aujourd’hui. 

Écrit en 1920, « Nous », connu également sous le titre « Nous autres », a tout d’abord été traduit et publié en anglais en 1924. En raison du contexte soviétique, l’œuvre ne sera publiée en Russie, pays d’origine de son auteur, qu’en 1988. La version française, quant à elle, est parue aux éditions « Gallimard » en 1929 sous le titre « Nous autres » puis a été rééditée en 2017 par la maison d’édition « Actes Sud » sous le titre « Nous ».

Le récit du roman se situe dans le futur et se concentre sur « D-503 », un ingénieur de l’espace vivant dans le « One State » ou l’État Unique. Il s’agit d’une nation urbaine construite presque entièrement en verre, ce qui facilite la surveillance de masse. Dans le roman, les habitants et habitantes de l’État unique sont dépersonnalisés. Il n’y a pas d’autres moyens de se référer aux gens que par le nombre qui leur est attribué. Ces derniers sont également constamment vêtus d’un uniforme ce qui les dépersonnalise encore plus. Le comportement de l’individu et la société dans laquelle ils évoluent sont basés sur la logique définie par l’État unique grâce à des formules et des équations produites par lui-même. Le travail de « D-503 » consiste en la fabrication d’un vaisseau spatial destiné à convertir les civilisations extraterrestres au bonheur, ces dernières ayant été soi-disant découvertes par l’État Unique. Alors que cet État totalitaire définit avec précision toutes les activités de ses habitants, « D-503 » commence à envier le passé et à être attiré par un autre monde plus ancien…

Pourquoi (re)lire « Nous » de Zamiatine aujourd’hui ?

Il apparaît que la lecture « Nous » de Zamiatine est intéressante à plusieurs titres. Tout d’abord, car il s’agit d’un roman fondateur du genre dystopique, un genre très populaire actuellement. Deuxièmement, car le contexte historique dans lequel s’est déroulé la publication de l’œuvre est controversé. En outre, il regorge d’allusions à des expériences personnelles de son auteur ainsi qu’à la culture et à la littérature. Le roman reste très actuel.

Avec ce roman, Zamiatine prédit la tendance à la concentration des pouvoirs au niveau d’un seul parti (communisme, fascisme, nazisme) et entre les mains d’un chef unique qui contrôle tous les autres pouvoirs concurrents au sein et en dehors du parti. Notre continent a connu des expériences totalitaires similaires au cours du XXe siècle avec les régimes communistes, fascistes et nazi qui vouaient un culte absolu au chef (Lénine, Staline, Mussolini, Hitler, etc.). La réactualisation du roman de Zamiatine intervient à un moment où l’on assiste à une réactivation des structures totalitaires des pouvoirs politiques que l’on rencontre ces dernières décennies dans certains régimes d’Europe centrale et orientale.

La recension: une nouvelle rubrique de Voix d’Exils

J’ai débuté cette rubrique en choisissant « Nous » pour deux raisons principales :

Premièrement, connu seulement des lecteurs et lectrices spécialisés, Zamiatine n’est pas assez crédité en tant que fondateur de la dystopie, ce qui lui fait, à mon avis, du tort en quelque sorte. Nous connaissons principalement Orwell ou encore Huxley cités plus haut. Dernièrement, Margaret Atwood est également arrivée sur le devant de la scène avec son conte « La Servante Ecarlate ». L’œuvre d’Atwood, une romancière que j’apprécie et dont j’ai traduit des poèmes en albanais est, je pense, une pâle tentative d’approche du roman dystopique avec sa fin très faible et controversée.

Deuxièmement, nous vivons à une époque où toute la science-fiction ainsi que les réalités les plus incroyables issues des romans dystopiques écrits au début du XXe siècle semblent se transformer en réalités telles des prophéties. Alors que les romans dystopiques semblaient dévoiler les réalités les plus absurdes issues de l’imagination des auteurs, nous pouvons nous demander si ce genre littéraire qui a précédé les régimes totalitaires que le monde a connu (et continue de connaître) remplit toujours sa fonction compte tenu de la réalité dans laquelle nous évoluons? La question que je me pose également est la suivante : quelles connaissances ou quel pouvoir avaient ces écrivains pour prévoir une réalité qui désormais dépasse la fiction d’une certaine manière ? Cette interrogation me fait penser que durant les premiers mois de la pandémie, il y a eu la redécouverte d’un livre où tout ce qui se passait était en train d’arriver en quelque sorte. Je parle du roman de Dean Koontz « Les Yeux des ténèbres » dans lequel est évoqué un virus dont les propriétés sont proches de celles du coronavirus. Ainsi, l’œuvre décrit les ravages causés par une pneumonie perçue comme une arme biologique.

Elvana Tufa

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils