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Revue de presse #62

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils.

Sous la loupe : Le Danemark poursuit son objectif « zéro migration » / Le canton de Neuchâtel innove en matière d’intégration / Délit de solidarité : retour sur la cas d’Anni Lanz

Le Danemark poursuit son objectif « zéro migration »

RFI, le 13 mai 2021

Après plusieurs mois des pourparlers, la Danemark et le Rwanda ont signé un protocole d’entente stipulant que les personnes enregistrées dans le pays nordique seront désormais renvoyées dans le pays africain. C’est en effet dans un centre de réfugiés au Rwanda que seront déposés leurs demandes. Selon le ministre danois de l’Immigration, Mattias Tesfaye, lui-même fils de réfugié, ce système sera plus humain et équitable, car il réduira les flux sur les routes migratoires où l’on risque sa vie. Cet accord s’inscrit dans la ligne directrice de politique migratoire du Danemark dont l’objectif présupposé est de réduire la migration à zéro. Cette mesure est néanmoins dénoncée par des organisations de défense des droits de l’Homme pour lesquelles la crainte que d’autres pays européens suivent le Danemark subsiste. Pour rappel, cet accord intervient au moment où les autorités danoises ont décidé de révoquer les permis de séjour temporaires des centaines de Syriennes et Syriens car elles jugent que la situation en Syrie est désormais stable.

Le canton de Neuchâtel innove en matière d’intégration

RTS, le 7 mai 2021

En faisant appel à 16 partenaires, le canton de Neuchâtel a lancé début février le projet ESPACE (Espace Social et Professionnel d’Acquisition de Compétences et d’Expériences). Ce projet propose notamment des cours pour acquérir des compétences de base en français et en informatique. Le but est également d’offrir des clés de compréhension aux personnes migrantes sur l’environnement dans lequel elles évoluent et de proposer des activités telles que du théâtre ou de l’expression écrite. Pour les personnes réfugiées, les cours sont gratuits, tandis que pour les autres nouveaux venus en Suisse, ils sont disponibles à des prix très abordables. ESPACE offre également des places de stages dans les domaines de la restauration, du secrétariat ou de l’intendance. Ce projet a bénéficié du soutien du Secrétariat d’État aux migrations qui le considère comme un projet-phare de l’Agenda Intégration Suisse.

En 2020, notre rédaction a consacré un article au projet ESPACE:

Un ESPACE pour vivre la diversité

Délit de solidarité : retour sur la cas d’Anni Lanz

Human Rights, le 21 avril 2021

En 2020, Anni Lanz – une septuagénaire active dans le domaine des droits humains – a été condamnée en vertu de l’article 116 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI). Pour rappel, en février 2018, Anni Lanz a été arrêtée à la frontière entre la Suisse et l’Italie alors qu’elle tentait de ramener sur le territoire helvétique un Afghan souffrant d’un grave stress post-traumatique. Conformément à la procédure Dublin, ce dernier avait été renvoyé par les autorités en Italie et ce malgré l’existence des rapports médicaux attestant qu’il ne devrait pas être séparé de sa famille. En décembre 2018, Anni Lanz intente sans succès un recours de première instance auprès du Tribunal du district de Brigue. Par la suite, l’affaire est portée devant la Tribunal fédéral. Au final, Anni Lanz écopera d’une amende de 800 francs suisses, en plus des frais de procédure s’élevant à 3000 francs suisses. Au cours du procès, une initiative parlementaire visant à dépénaliser la solidarité en Suisse a été lancée. Elle n’a cependant pas obtenu la majorité au Conseil national. Le cas d’Anni Lanz a néanmoins permis de mettre en évidence la profonde fracture de la société suisse sur le sujet et il invite à une réflexion tant individuelle que collective sur la question.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Rêves de prison

Robert Brinkley – pexels.com

Parfois plus vrais que le réel

Nous avons combattu jusqu’au bout mais le mal a gagné, une fois encore : j’ai été arrêté avec un ami, à la hâte et dans la nuit. On ne nous a même pas fourni un avocat.

Entre rêve et réalité

Le juge nous a présenté les papiers sur lesquels figurait un mandat d’arrêt et a dit :

« Vous êtes arrêtés! »

Puis il a fixé un point inconnu de ses yeux rouges et fatigués, en haussant les épaules. Il a ensuite pointé son index vers le plafond et a poursuivi :

« La décision à votre sujet est la suivante… »

Cela n’a pris que quelques minutes ; dans un stress sans fin, je pensais: comment le mal peut-il gagner aussi facilement?

Bien sûr, il n’est pas facile de trouver la réponse à cette question rude et ancienne qui bat sans interruption dans mon cerveau. Mais, soudain, je me suis souvenu de quelque chose de complètement différent: j’avais déjà vu cette pièce, ce juge, ce groupe de prisonniers en civil. Cette histoire m’était déjà arrivée il y a bien longtemps, de la même manière, dans ses moindres détails…

Mais quand? Il y a combien d’années, de siècles?

Je pensais : peut-être que tout cela n’est pas vrai? C’est peut-être un cauchemar?

Qu’est-ce qui est plus vrai: le sommeil ou la vie?

J’ai dormi pendant mes trois premiers jours et trois premières nuits en prison. Je me réveillais seulement quand les geôliers faisaient leur ronde de surveillance.

***

Il neige. Le monde ressemble à une immense ruelle, blanche de tous les côtés. Je suis seul. J’avance dans cette ruelle solitaire et enneigée…

Ceci est mon premier rêve en prison. J’ai fait ce même rêve à plusieurs reprises durant ma détention. Ce qui est étrange, c’est que je l’ai fait encore à plusieurs reprises après ma libération. La dernière fois, c’était ici, en Suisse, et, ce jour-là, j’ai décidé d’écrire ce texte.

***

Je me réveille subitement. Je vois ma mère dans ma cellule de prison. Elle est assise à mon chevet et caresse mes cheveux.

« Comment es-tu arrivée ici? » – dis-je, bouleversé.

Ma mère, au lieu de me répondre, pose à son tour une question :

« Pourquoi es-tu si maigre mon enfant ? Il fait trop froid ici », et ses yeux se remplissent de larmes.

« Va-t’en ! Il fait assez chaud ici. Ne t’inquiète pas, ils nous donnent de la bonne nourriture. »

« Non, je ne peux pas te laisser seul ici. »

« S’il te plait, Maman, quitte cet endroit au plus vite, les geôliers pourraient te surprendre. » – je la saisis par le bras et la force à sortir.

Quand j’ai été libéré, j’ai appris qu’au moment où j’ai fait ce rêve, la tension artérielle de ma mère, malade depuis longtemps, s’était brutalement élevée et qu’elle avait même failli en mourir.

***

Une salle de spectacle vide. Il n’y a personne, sauf le président azerbaidjanais, Ilham Aliyev, son épouse, Mehriban Aliyeva, et moi.

Avec colère et étonnement, je regarde le président assis à côté de moi. Il fait semblant de ne pas me voir, fixant la scène vide de ses yeux froids. Puis il commence à suivre un spectacle invisible sur la scène toujours vide. La première dame, elle, a cassé le talon d’une de ses chaussures et reste occupée uniquement par ce petit désagrément.

À différents moments, j’ai vu en rêve les dirigeants des États-Unis, de la Russie, du Turkménistan, de la France, de l’Iran et de l’Allemagne. Mais Ilham Aliyev est revenu plusieurs fois dans mes rêves.

***

C’est une immense place avec beaucoup de monde. Quelqu’un m’appelle, je me retourne : le mari de ma tante, accompagné de son gendre, se tient devant moi.

« Allons manger et boire », propose-t-il.

Et nous avons mangé et bu quelque part.

« Pourquoi êtes-vous ici? » ai-je demandé.

« Nous ne nous sommes pas rencontrés depuis longtemps. Nous avons un travail important à faire et devons y aller de toute urgence. Nous avons voulu venir te voir avant de partir ». Le mari de ma tante a levé son verre de vin.

Je me suis réveillé au tintement de nos verres qui s’entrechoquaient.

Après ma libération, j’ai appris que le mari de ma tante et son gendre étaient morts durant ce même mois.

***                                    

Peut-être que certains ne le croient pas. Mais j’ai vu en rêve et su à combien d’années je serai condamné, dans quelles conditions je serai libéré et bien d’autres choses encore. Aujourd’hui, je continue à faire des rêves au sujet de mon avenir ou sur des œuvres à écrire.

C’est un fait incontestable: les gens peuvent être arrêtés, mais il est impossible d’arrêter leurs pensées et leurs rêves.

Qu’est-ce que la liberté? Est-elle peut-être, tout simplement, l’un de nos rêves les plus anciens?

Samir Murad

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Les disparitions forcées

Auteur: Free-Photos, CC0 Creative Commons, pixabay.com.

 Des crimes contre l’humanité!

La question des personnes dont la disparition est intentionnelle est un problème grave dans le monde et constitue une violation manifeste des droits fondamentaux d’une personne et de sa famille.

On parle de disparition forcée lorsqu’une personne disparaît suite à une intervention des forces de l’ordre, sans accusation de crime, sans procès et sans avoir été présentée devant un tribunal.

Quand les proches et les militants des droits de l’homme tentent de faire enregistrer une disparition dans un commissariat de police, la police refuse. Toutes les tentatives des familles pour obtenir des renseignements restent vaines ; elles ne reçoivent que peine et douleur.

Il est très difficile pour les familles de personne disparues de vivre dans la société ; elles subissent rumeurs et spéculations sur les raisons qui ont conduit à cet enlèvement. La situation des femmes est particulièrement sensible : sans nouvelles de son mari disparu, une femme n’est ni veuve ni mariée ; elle n’a pas légalement le droit de se remarier parce qu’elle n’est pas en mesure de fournir des papiers de divorce ou le certificat de décès de son mari. Dans la région du Cachemire, on les désigne sous l’appellation parlante de demi-veuves « half-widows ».

Des milliers de personnes, enlevées à leur domicile ou sur leur lieu de travail, sont répertoriées comme personnes disparues par diverses organisations de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International et Human Rights Watch.

Dans les régions où certains groupes sont en conflit avec l’Etat, il y a plus de cas de disparitions forcées. C’est la raison pour laquelle on admet généralement que les organismes d’État sont impliqués ; dans de nombreux cas, des femmes figurent également parmi les personnes disparues.

On peut se demander pourquoi des agences d’État seraient impliquées dans de telles activités illégales puisqu’elles disposent de tous les mécanismes pour présenter la personne devant un tribunal du pays et la faire condamner si elle a commis un crime ou n’a pas respecté la loi.

Parfois, l’Etat a des soupçons sur les activités d’une personne mais ne dispose pas de preuves pour la présenter devant un tribunal. Dans d’autres cas, la personne est morte sous la torture au cours de l’enquête, c’est pourquoi l’État n’est pas en mesure de la présenter devant le tribunal et ne peut pas annoncer sa mort parce qu’elle a été détenue illégalement et que c’est contraire à la constitution du pays.

Il faut rappeler haut et fort que les disparitions forcées constituent un crime contre l’humanité. Il est de la responsabilité de l’État d’assurer la sécurité de tous les citoyens, conformément à la constitution du pays. C’est le droit fondamental d’un détenu d’être présenté devant un tribunal dans les 24 heures; L’Etat doit absolument restaurer les droits de toute personne disparue s’il ne veut pas que, à la recherche d’un coupable, on pointe le doigt dans sa direction.

Jamal Bugti

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

 




«Le fichage ADN des requérants d’asile serait une mesure stigmatisante voire discriminatoire»

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l'information du canton de Vaud.

Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud.

S’appuyant sur les statistiques policières de huit cantons qui établissent une augmentation de la criminalité depuis le Printemps arabe sur le sol suisse, Christophe Darbellay – président du Parti démocrate-chrétien et conseiller national – a déposé une motion intitulée «Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité» qui a été adoptée par le Conseil national le 17 avril 2013. Cette motion permettrait d’établir des profils ADN de manière préventive et systématique de certaines catégories de personnes pouvant potentiellement commettre des délits. Si le Conseil des États valide la motion, le Conseil fédéral devra créer une loi pour la concrétiser. Voix d’Exils a souhaité mettre en perspective les enjeux d’une telle motion en donnant la parole à Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Interview.

Pouvez-vous commencer par présenter votre fonction et votre travail 

Je suis préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud. Nous sommes trois personnes à travailler dans l’équipe. Nous avons une double casquette : l’une porte sur la protection des données et l’autre sur la transparence. Du côté de la protection des données, il y a une loi cantonale qui s’applique aux administrations cantonales et communales, et des organismes comme l’EVAM par exemple. Nous sommes en étroite collaboration avec les autorités tout en veillant au respect de la loi ainsi qu’aux installations de vidéosurveillance exploitées par les communes ou le canton. Cependant, nos actions ne couvrent pas le traitement des données des établissements privés, comme par exemple l’installation d’une caméra par la Coop, ou encore la Migros avec la carte Cumulus. Ceci n’entre pas du tout dans notre champ de compétences, mais dans celui du préposé fédéral à la protection des données.

Nous sommes aussi l’instance de recours contre des décisions que pourraient prendre les autorités cantonales ou communales en matière de protection des données sur une tierce personne.

Comment l’utilisation de l’ADN est-elle encadrée juridiquement actuellement ?

Le Code de procédure pénale suisse autorise le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil ADN pour élucider un crime ou un délit. Un tribunal peut aussi ordonner l’établissement d’un profil ADN lorsqu’une personne est condamnée pour des délits d’une certaine gravité. La loi sur les profils ADN impose des règles sur la manière de procéder; elle prévoit aussi la création d’une base de données centralisée. Les profils ADN des personnes mises hors de cause, acquittées ou bénéficiant d’un non-lieu sont retirés de la base de données. Il en va de même pour les personnes condamnées après des durées fixées par la loi. Seul l’Office fédéral de la police peut faire le lien entre un profil et une identité.

La motion de Monsieur Darbellay concernant le test ADN de certains  requérants d’asile, notamment à titre préventif, a été adoptée par le Conseil national en avril 2013. Quel est votre avis à ce sujet?

Il est à noter ici que prendre les empreintes digitales ou l’ADN de quelqu’un constitue, du point de vue de la construction juridique, une atteinte à la personnalité. Considérée comme une atteinte grave par certains et anodine par d’autres, elle constitue dans tous les cas une atteinte au droit de la personne, donc à un droit fondamental. C’est pourquoi on peut le faire, mais à certaines conditions, notamment des conditions de restrictions des droits fondamentaux. Cela nécessite une base légale, il faut aussi qu’il y ait un intérêt public qui justifie cette restriction et que la restriction du droit fondamental soit proportionnelle à l’intérêt public considéré. Après, il y a aussi des choix politiques qui sont faits par le législateur qui a un large pouvoir d’adopter ou pas ce type de mesures (la prise d’ADN), sachant aussi qu’en Suisse, il n’y a pas de contrôle de la constitutionnalité des lois. Une des questions que soulève ce projet est la discrimination d’un groupe ciblé de la population. Un groupe évalué selon certains critères est jugé particulièrement à risques, et tous les membres de ce groupe sont considérés comme suspects potentiels, en tout cas plus suspects que le reste de la population. Donc, c’est clairement une mesure qui est stigmatisante voire discriminatoire. Avec une remise en cause d’un principe qui est fondamental dans l’Etat de droit : la présomption d’innocence. Après, ce sont des choix politiques qui doivent être faits. Et ces questions soulèvent aussi des problèmes au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a une position plutôt restrictive s’agissant du fichage préventif. On admet le fichage ADN de manière générale pour les personnes qui ont été condamnées; mais il y aurait un pas de franchi si on l’autorisait a priori sur des personnes jugées à risques.

Selon l’article 33 de la loi fédérale sur l’analyse de la génétique humaine, le prélèvement nécessite notamment le consentement écrit de la personne. Au cas où la personne ne veut ou ne peut pas écrire ce consentement, que se passerait-il ?

Le prélèvement peut se baser soit sur une base légale, soit sur le consentement de la personne. Donc on peut tout à fait imaginer une base légale qui oblige les personnes à donner leur ADN par un frottis ou un autre procédé sans qu’elles aient la possibilité de s’y opposer. On peut passer outre le consentement si on a une base légale suffisamment claire qui le permet. Après, du point de vue de l’intérêt public, on peut considérer qu’on va lutter contre la criminalité et que cela constitue donc un intérêt public. On peut être d’accord que cet intérêt public existe, mais la question est celle de la proportionnalité d’une telle mesure. Donc, par rapport aux entorses que la mesure porte aux droits fondamentaux de la personne, cela pose problème. Est-ce que vraiment ça se justifie ? Est-ce que le but qu’on veut atteindre, à savoir résoudre un certains nombre de délits, dont la plupart sont mineurs et commis par des délinquants venus du Printemps arabe ? On n’est pas en règle générale dans le grand banditisme. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter contre, mais là on a un problème qu’on veut résoudre, et on propose un moyen pour le résoudre. Est-ce que ce moyen qu’est le fichage ADN est vraiment proportionnel par rapport au problème de criminalité qui se pose ? Là est la question.

Cette motion respecte-t-elle la Constitution suisse? Est-elle applicable ?

Elle ne doit pas impérativement respecter la Constitution suisse. Le système juridique suisse n’a pas de Cour constitutionnelle au niveau de la Confédération. Le Parlement peut adopter des lois qui constituent des entorses aux principes constitutionnels voire qui s’y opposent. Dans le canton de Vaud, on a une Cour constitutionnelle, mais au niveau de la Confédération non. Du coup, si cette motion poursuit son chemin parlementaire, il va y avoir d’innombrables débats pour savoir si la mesure est constitutionnelle ou non. Mais, même si elle ne l’était pas, on ne peut pas exclure qu’elle soit adoptée. Après, c’est un choix politique encore une fois qui, en Suisse, ne peut pas être remis en cause par un tribunal. Ce qui pourrait arriver c’est une remise en cause par une instance internationale comme, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme.

Les requérants d’asile doivent déjà donner leurs empreintes digitales lors de leur arrivée en Suisse. Comment cela est-il encadré ? Et en quoi la prise d’ADN serait-elle différente ?

Les empreintes digitales des requérants d’asile sont prises pour s’assurer que les requérants n’ont pas déjà déposé une demande ailleurs, c’est le cas avec l’accord Schengen et de Dublin. On est vraiment ici dans des finalités qui ne sont pas les mêmes que la finalité proposée par la motion Darbellay qui est policière et répressive.

Du coup, les empreintes digitales des requérants d’asile prises selon la législation Schengen pourraient être utilisées dans le cadre d’enquêtes policières ?

Les empreintes digitales sont stockées dans le système EURODAC dans le but de déterminer l’Etat qui est responsable de la demande d’asile. A l’origine, il n’était pas prévu de pouvoir utiliser ces données à des fins répressives. Toutefois, le Parlement européen vient sauf erreur d’adopter des modifications réglementaires qui permettront d’accéder à ces informations pour l’élucidation de crimes graves.

Concrètement, pensez-vous que le fichage ADN soit une mesure utile pour lutter contre la criminalité de certains requérants d’asile ?

Je précise évidemment que je ne suis pas policier. Après, j’ai de la peine à me rendre compte, mais rappelons par exemple que lorsqu’on a commencé à récolter les empreintes dans le cadre d’enquêtes policières, les criminels ont commencé à porter des gants. Maintenant, si on met l’ADN, qu’en sera-t-il ? J’imagine que dans un certain nombre d’enquêtes, cela peut-être utile. Après il y a des choix politiques qui doivent être faits. Donc, il y a aurait une certaine efficacité, c’est très probable, mais avec des effets négatifs, dont une inégalité de traitement entre certains ressortissants d’un pays qui seront soumis au fichage et d’autres non.

Où vont être rangés les fichiers s’il y a la prise d’ADN pour certains requérants d’asile ?

Cela dépend du niveau de la juridiction cantonale ou fédérale. Les deux étant envisageables. Mais j’imagine que ça serait plutôt au niveau fédéral, avec une possibilité d’accès pour les autorités cantonales. Après, pour l’accès, cela concernerait les normes usuelles : les données seraient très protégées dans des systèmes très sécurisés. Il faut rappeler que la sécurité absolue n’existe pas, et c’est un des problèmes avec l’informatisation croissante, mais les bases de données publiques sont en général très bien sécurisées. Après, la faiblesse est humaine. Les banques en savent quelque chose. Ce peut aussi être une défaillance au niveau de la sécurité des données. C’est pour cela aussi qu’au niveau de la collecte des données, un principe veut que l’on collecte le minimum de données nécessaires pour minimiser les risques. Sachant qu’une fois qu’une base de données existe, elle suscite, en général, un certain nombre de convoitises.

Si dans 10 ans toute la population devait donner ses empreintes ADN, comment qualifieriez-vous le monde dans lequel nous vivrions ?

La motion Darbellay pose une question de principe : si le législateur pense que c’est justifié de créer une base de données à titre préventif visant une partie de la population, on met alors le doigt dans un engrenage. Si on le fait pour ce type de population, pourquoi est-ce qu’on ne le ferait pas pour d’autres groupes de population ? Au hasard, les personnes de sexe masculin entre 18 et 25 ans qui sont célibataires, qui sont parmi les groupes de populations les plus criminogènes, les plus susceptibles de commettre des délits. On peut identifier un certain nombre de groupes, dont d’ailleurs vous (nous, les deux journalistes de Voix d’Exils) feriez partie. Alors après pourquoi pas vous ? Ou pourquoi pas tous les oncles ? Parce qu’on considère que c’est surtout les oncles qui commettent des abus sexuels sur les enfants, ou tous ceux qui travaillent avec la finance, et après on peut tout imaginer.

Personnellement, je préférerais la situation dans laquelle l’ensemble de la population serait fichée plutôt que des groupes cibles. Cela ne veut pas dire que je souhaiterais que l’ensemble de la population soit fichée. Mais, quitte à le faire, soyons cohérents et allons jusqu’au bout. Mais cela ne serait pas une société qui me réjouit particulièrement, où par principe on suspecte les personnes plutôt que de faire primer la présomption d’innocence. Mais là aussi, quels sont les intérêts que l’on considère comme étant prépondérants ? A ce propos, le débat autour des services secrets américains : la National Security Agency (NSA) avec l’affaire Snowden est intéressant. Beaucoup de personnes considèrent que l’atteinte à leur sphère privée se justifie vu le bien qu’on veut atteindre, c’est-à-dire une sécurité maximum. Et du coup certains disent «mais est-ce que les terroristes n’ont pas déjà gagné ?», vu que l’on remet en cause les acquis essentiels au sein de nos sociétés démocratiques. Donc, à titre personnel, je ne suis pas pour cette tendance de surveillance accrue. Mais cette tendance de placer l’aspect sécuritaire avant tout est là. Pour revenir aux caméras de vidéosurveillance, on peut mettre des caméras partout, et probablement que cela va résoudre un certain nombre de délits et d’infractions. Mais au vu des atteintes que cela constitue pour l’ensemble de la population, est-ce que ça se justifie ? A mon sens non.

On est ainsi face à des choix de société. Nous sommes dans une société démocratique, mais on ne sait pas comment sera la Suisse ou l’Europe dans 40 ou 50 ans. On peut se dire aussi que certains outils de surveillance sont acceptables quand ils sont dans les mains de dirigeants en démocratie, et qu’ils le sont moins dans des régimes non démocratiques. Là aussi, il y a un principe de prudence à respecter. Et qui peut prévoir l’évolution d’une société sur 50 ans ? Personne, je pense.

Propos recueillis par :

Cédric Dépraz et El Sam

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Pour consulter la motion de Christophe Darbellay « Effectuer un test ADN sur certains requérants d’asile pour lutter contre la criminalité » cliquez ici