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Fragments du début de la guerre en Ukraine

Arrivée des troupes russes dans Kharkiv, le 27 février 2022. Capture d’écran réalisée à partir d’une vidéo extraite du photoreportage ci-dessous de Natalia Rafalska.

Deux ans de guerre en Ukraine #3

Le 24 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine. Cela fait donc deux ans que la guerre a éclaté. Voix d’Exils a décidé de publier une série d’articles autour de cet événement marquant. Dans cette nouvelle publication, Liana Grybanova, rédactrice à Voix d’Exils originaire d’Ukraine, revient sur les premiers jours de la guerre à travers des témoignages de personnes ayant vécu ces événements et un photoreportage de Natalia Rafalska.

Le 24 février 2022, j’ai été réveillée à 5 heures du matin par un appel de ma voisine. D’habitude, elle ne se réveille pas avant l’heure du petit-déjeuner. Elle m’a dit que trois mots : « Ils bombardent Kharkiv ! ». En un instant, c’était clair: ce que nous ne voulions pas croire était en train d’arriver! En effet, nous ne pouvions pas imaginer que nous pourrions être attaqués un jour par nos frères et sœurs Russes, celles et ceux que nous considérions comme les plus proches par la culture, par l’esprit, par notre passé soviétique commun. C’est ainsi que malgré tous les avertissements que nous ne voulions pas entendre, la guerre avait soudainement commencé. Et le choc était accentué par l’incrédulité et l’incompréhension de ce qui se passait. Mais il fallait néanmoins réagir très vite!

J’ai donc décidé d’appeler ma mère. J’ai essayé de trouver les mots justes pour ne pas l’inquiéter. Mais ce n’était pas la peine: la liaison téléphonique était défaillante car elle ne pouvait pas supporter la vague d’appels qui étaient passés en même temps. Mon mari et moi on vivait alors dans la banlieue de Kiev et nous avons alors décidé de nous rendre en ville. La première chose que nous avons vu c’est une file d’attente de plusieurs kilomètres aux stations d’essence. À 8 heures du matin, il y avait également d’énormes files d’attente dans les magasins d’alimentation, les distributeurs de billets et les pharmacies. En même temps, il était surprenant de voir à quel point les gens restaient calmes, attendaient leur tour et étaient le plus souvent silencieux. Les gens achetaient de la nourriture, des médicaments, des allumettes, des bougies et du ruban adhésif pour sceller leurs fenêtres.

Le compte à rebours de la guerre s’était enclenché et il fallait dorénavant vivre avec !

Porte d’entrée de la maison Liana Grybanova. Au début de la guerre, les Ukrainiens mettaient du ruban adhésif sur les fenêtres pour faire en sorte qu’en cas de bombardements, l’onde de choc ne brise pas le verre. Photo: Liana Grybanova le 24.02.2022.

« Non seulement les événements et les modes de vie ont changé, mais nous avons nous-mêmes changé intérieurement »

Le 24 février 2022, nous avons franchi une ligne de démarcation, une ligne rouge, au-delà de laquelle il ne nous est aujourd’hui plus possible de vivre comme avant. Non seulement les événements et les modes de vie ont changé, mais nous avons nous-mêmes changé intérieurement. Beaucoup de gens ont commencé à aider davantage les autres, à les comprendre, à faire du bénévolat.  D’autres, au contraire, ont commencé à utiliser le malheur commun à des fins égoïstes. La guerre a divisé la vie entre l’avant et l’après, les gens ont été sommés de choisir leur camp et les personnes se sont concentrées sur les valeurs les plus importantes: la paix, la famille, l’amour et la vie.

Une de mes amies, écrivaine et directrice d’un théâtre à Kiev, m’a dit qu’elle n’aurait jamais imaginé qu’elle enverrait à l’un de ses acteurs non pas un scénario pour une nouvelle pièce de théâtre, mais des colis au front. Une autre de mes amies, directrice d’une clinique privée, attend, quant à elle, que sa fille de 19 ans revienne du champ de bataille.

Nous sommes devenus différents, peut-être plus forts. Mais chaque jour de cette guerre, qui dure depuis deux ans maintenant, renforce notre certitude qu’il n’y a rien qui la justifie.

Liana Grybanova

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

« Notre hôtel est situé dans un endroit magnifique au bord du lac. Mais au début, les Ukrainiens ne pouvaient pas apprécier cette beauté »

Ludmila, originaire d’Ukraine, installée à Estavayer-le-Lac en Suisse

Je vis en Suisse depuis 13 ans. Lorsque j’ai appris que les villes Ukrainiennes avaient été bombardées et attaquées par les roquettes russes le 24 février 2022, j’ai été choquée car ma sœur, sa famille ainsi que ma mère étaient sur place. Heureusement, ils ont pu quitter Kiev et venir en Suisse dès les premiers jours de l’invasion russe. Je les ai tous accueillis chez moi.

Mais j’ai réalisé que je pouvais faire plus en aidant d’autres Ukrainiens et Ukrainiennes aussi. Travaillant comme réceptionniste à l’hôtel SeePark, situé à Morat, j’ai proposé aux gérants de l’hôtel d’accueillir des réfugiés Ukrainiens. L’hôtel appartient à une société dont les propriétaires vivent en Europe occidentale et ont des origines Russes. Non seulement ils ont accepté, mais ils ont aussi mis en place toutes les conditions d’hébergement pour accueillir les réfugiés. Les responsables de l’hôtel sont allés personnellement chercher les gens à la gare. Ils ont installé une cuisine provisoire sur le toit de l’hôtel dans une pièce donnant sur le lac. Les autres chambres disposaient de lits supplémentaires pour accueillir les familles avec enfants.

Notre hôtel est situé dans un endroit magnifique au bord du lac. Mais au début, les Ukrainiens et Ukrainiennes ne pouvaient pas apprécier cette beauté. Les enfants pleuraient tout le temps et les femmes s’inquiétaient pour leurs maris restés en Ukraine.

Propos recueillis par L.G.

 

Les premiers jours de la guerre

Un photoreportage de Natalia Rafalska

Réfugiée Ukrainienne actuellement en année préparatoire à l’Université de Lausanne, Natalia Rafalska livre son témoignage qu’elle accompagne de photos qui retracent les premiers jours de la guerre telle qu’elle les a vécus.   

Nous vivions à Kharkiv. Cette ville a été l’une des premières à être bombardée par l’armée russe. Lorsqu’on a entendu les première détonations, nous avons appelé nos connaissances qui vivent en périphérie de la ville. Ils nous ont dit que des soldats russes étaient déjà dans la ville…. sous leurs fenêtres!

La prise de conscience d’un terrible désastre, d’une catastrophe, nous a fait agir rapidement et clairement. Nous avons rassemblé des documents, de l’eau et des rations sèches. Je travaillais alors dans l’un des magasins d’une grande chaîne de produits laitiers fermiers. Les rames du métro circulaient encore durant la matinée et j’ai pu me rendre au travail. Mes jambes tremblaient de peur, mais nous devions travailler car les gens avaient besoin de nourriture, de produits laitiers pour leurs familles.

La première nuit, mon mari et moi avons dormi sur le sol d’une station de métro. Les rames avaient cessé de circuler et les gens utilisaient les stations pour s’abriter des bombardements. Le matin, mon mari est rentré à la maison parce que notre chat était seul. Quant à moi, je suis retournée au travail.

Pendant les neuf jours qui ont suivi, je suis allée travailler et j’ai dormi dans l’abri antiatomique le plus proche. Je n’avais rien d’autre qu’un petit sac à dos et un tapis de yoga pour m’allonger. Il faisait terriblement froid. J’étais émue aux larmes lorsque des inconnus partageaient avec moi un bol de soupe chaude, une couverture ou un vieux manteau. Ils m’ont aidée en silence, sans attendre de remerciements.

Les habitants et habitantes de l’abri, unis par le malheur qui leur est soudainement tombé dessus – la guerre – sont devenus une grande famille. J’ai pu ensuite quitter notre refuge pour rentrer chez moi pendant une courte période et je suis finalement partie pour rejoindre la Suisse.

Vidéo envoyée à Natalia Rafalska et datée du 27.02.2022, 7 heures ou 8h du matin. Traduction des échanges: « Les gars ils réfléchissent à l’endroit où aller. Ils tournent à nouveau. Ils doivent être en train de réfléchir à l’endroit où aller. Le voilà assis dans la voiture, prêt. Il y a deux personnes sur le toit de chaque voiture. Bâtards, pourquoi, pourquoi ? Ici, ils se sont promenés le long du 335 rue Shevchenko, dans le quartier de Lower Shishkovka, Saperca. C’est une matinée amusante. Je suis rentré juste à temps ».

Un engin blindé des défenseurs de la ville touché par les forces spéciales russes lors des combats. Photo prise le 27.02.2022.


Un véhicule blindé tigré des forces spéciales russes détruit par les défenseurs de la ville. Photo prise le 27.02.2022.


L’école numéro 134 à Kharkiv après une bataille entre l’unité spéciale du MUU Kraken, les combattants de la brigade 92, l’unité de volontaires Freikor, l’unité de police de la ville et les forces spéciales russes. Photo prise le 27.02.2022.


« Peaches », le chat de Natalia, attend de monter dans un bus pour quitter Kharkiv. Photo prise le 06.03 2022.


Bus à la gare d’Oujgorod au poste de douane à la frontière entre l’Ukraine et la Slovaquie. Il est inscrit sur la bande lumineuse « Navire de guerre russe, va te faire foutre ! ». Cette phrase a été prononcée par un militaire Ukrainien sur l’île des serpents le 24.02.2022, alors qu’un navire russe le sommait de se rendre sinon il allait bombarder sa position. Au début de la guerre, tous les Ukrainiens connaissaient cette phrase qui était devenue un slogan de ralliement. Photo prise le 08.03.2022.


Natalia Rafalska, ici à un passage piétons entre Oujgorod (Ukraine) et Vyšné Nemecké (Slovaquie). Photo prise le 08.03.2022.

La guerre en quelques chiffres 

En 2 ans de guerre, plus de 14 millions d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes ont été contraints de fuir leur foyer à un certain moment. Cela équivaut à presque un tiers de la population du pays. 

Eurostar rapporte que 4.2 millions de réfugiés en provenance d’Ukraine ont été enregistrés pour une protection temporaire ou des mécanismes similaires dans l’Union Européenne.

Selon l’agence des Nations Unies pour les Réfugiés, plus de 8 millions de réfugiés en provenance d’Ukraine ont été enregistrés à travers l’Europe.

Environ 17,6 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence en Ukraine.

Plus de 5 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur de l’Ukraine.

La mission de surveillance des droits de l’homme de l’ONU en Ukraine a indiqué qu’à la fin du mois de novembre 2023, au moins 10’000 civils avaient été tués depuis le début de l’invasion armée de l’Ukraine par la Russie. Quelque 18’000 personnes ont été blessées selon les données disponibles. Les chiffres peuvent être considérablement plus élevés. 

L.G.

Les autres articles de la série « Deux ans de guerre en Ukraine »




A la découverte des combats de reines en Valais

Manathan versus Fleuron lors de la finale

Des journalistes de Voix d’exils – l’un Serbe du Kosovo, l’autre Togolais – ont assisté à la finale nationale des combats de reines, les 7 et 8 mai derniers à Aproz. Tandis que les animaux bataillaient pour gagner des trophées, ils ont mené leur propre bataille, dans la poussière et les clameurs, pour comprendre les règles de ces combats dont ils ignoraient tout.

Un après-midi de mai, en pleine séance de rédaction, une discussion démarre devant l’affiche annonçant la prochaine finale des combats de reines. L’image montre deux vaches, sonnette au cou, s’affrontant avec hargne. Des vaches qui se battent entre elles? Nous avions connaissance des combats de taureaux mais pour les vaches, c’est du jamais vu. Intrigués, nous décidons de nous rendre sur place.

Le public en liesse

Deux jours durant, nous avons donc arpenté l’arène d’Aproz. Sous un soleil de plomb, nous avons pu observer la combativité des vaches d’Hérens et mesurer l’attachement que les Valaisans éprouvent pour cette race et ces combats traditionnels.

 

 

 

Le triomphe de Manathan

Manathan tirée par un rabatteur

Manathan! Retenez ce nom, c’est celui de la vache d’Alain Balet, déclarée victorieuse à l’issue des joutes. Elle y a vraiment fait sensation. Solidement bâtie avec ses 806 kg, elle a tout d’abord joué avec le public et feint une sortie. Rattrapée à toute vitesse par son maître et des rabatteurs, la bête a malgré tout fait demi-tour et s’est positionnée pour le combat. Cette fois-ci, non plus pour faire défection, mais pour donner du fil à retordre à toutes ses adversaires, jusqu’à la victoire finale. L’enjeu était de taille. Manathan le savait probablement, à en juger par la manière dont elle s’est montrée sans pitié vis-à-vis de ses adversaires. Alors que Veielett, tout effrayée, venait de déclarer forfait contre elle, Flora s’est avancée pour l’affronter. Mais pas pour longtemps, le combat n’a duré que le temps d’un éclair. Les commentaires vont bon train dans le public. Un spectateur apprécie le courage des bêtes en compétition et rappelle tout particulièrement, concernant Veielett, qu’elle a fait de son mieux. Cette bête de Williner Anton, dit-il, est à peine à 90% de sa forme. Elle ne s’est pas totalement remise de son hospitalisation, il y a deux ans, à l’hôpital vétérinaire de Berne. Manathan, au top des pronostics s’est plu à regarder le duel entre Natty et Simba de Samuel Dorsaz. Un combat serré que Simba va gagner, mais dont elle sortira épuisée. Après quelques minutes de pause, elle affrontera Manathan qui va triompher, s’octroyant ainsi le ticket de la finale nationale des reines. Mais, jusque-là, rien n’est encore gagné.

Un entrainement d’athlète

Le combat final

Il sonne 18h20. Nous sommes à quelques minutes de la finale. Dans le stade, 12000 spectateurs sont impatients de connaître la reine des reines. Le présentateur annonce le contrôle antidopage des concurrentes. Un trompettiste met de l’ambiance. Les minutes s’égrènent. Un groupe de spectateurs rend hommage aux éleveurs sans lesquels ce spectacle n’aurait pas été possible. Ces derniers entraînent leurs bêtes comme des athlètes, spécialement à l’approche des combats : course d’une demi-heure par jour sur des terrains pentus pour la musculature, alimentation équilibrée, riche en foin, céréales, vitamines… sans compter les petites recettes personnelles. Le moment tant attendu arrive enfin. Pouky, Versailles, Fleuron et Manathan, les quatre vaches qualifiées pour la finale, font leur entrée dans l’arène. Ces bêtes, bien connues pour leur performance, ont toutes été une fois reine. L’heure n’est donc pas à l’amateurisme. La moindre erreur peut s’avérer fatale. Très vite, Manathan et Fleuron éliminent leurs adversaires respectives. Maintenant vient le dernier face à face. Alors que Fleuron, dont Mikael Udry est l’heureux propriètaire, présente des signes de fatigue et n’arrête pas de baver, Manathan, elle, est pleine forme. Le dernier duel sera vraiment court. Manathan enchaîne les coups de cornes et Fleuron abandonne la partie en l’espace de trois minutes, consacrant ainsi la victoire de la redoutable Manathan. Sous les ovations d’un public passionné, constitué de politiciens et de citoyens ordinaires, cette dernière fait ses adieux, fière d’avoir livré avec brio le dernier combat de sa carrière. Le calme revenu, nous réalisons qu’après bien des fatigues, nous avons progressé dans notre connaissance de notre pays d’accueil. Nous avons touché l’âme du Valais, nos cœurs battant à l’unisson au fil des combats. C’est confirmé : l’intégration peut passer par des voies bien étranges en terre valaisanne !

Dusan et CDM

Membres de la rédaction de Voix d’Exils


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Les règles du combat

Rencontres sportives drainant des foules, les combats se déroulent entre deux vaches qui se dressent l’une en face de l’autre et se poussent avec acharnement front contre front jusqu’à ce que l’une d’entre elles se détourne. Celle qui a gagné va en affronter une autre et, après maintes joutes, la meilleure combattante est déclarée « Reine » par un jury.

Ce sont les vaches de la race d’Hérens qui s’affrontent durant les combats de reines. Ces dernières sont dotées d’un tempérament vif et belliqueux qui se traduit par l’exercice d’un rituel de domination. En effet, lorsqu’elles rencontrent une congénère pour la première fois ou qu’elles ne se sont pas vues pendant un moment, la plupart d’entre elles se battent avec hargne. Cette aptitude est la base des combats de reines qui ont lieu chaque printemps. Les affrontements sont donc naturels et occasionnent rarement des blessures. Les combats auxquels se livrent naturellement les vaches lors de la mise à l’herbe, de la montée à l’alpage (inalpe) ou lors de la réunion de deux troupeaux en témoignent.

En Valais, ils opposent des centaines d’animaux répartis en diverses catégories selon l’âge et le poids. Des combats similaires ont lieu depuis quelques années en France, notamment dans la vallée de Chamonix qui jouxte d’ailleurs la Suisse.