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Revue de presse #38

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils

Sous la loupe : « La migration n’est pas une menace pour le christianisme » / Biden très attendu par les migrants mexicains / Quatre pays européens réclament plus de solidarité en matière d’accueil des migrants / Evacuation mouvementé d’un camp de migrants à Paris

« La migration n’est pas une menace pour le christianisme »

L’OBS, le 23 novembre 2020

Dans un nouveau livre dévoilé le 23 novembre 2020 et intitulé « Un temps pour changer », le pape François a soutenu que « la migration n’est pas une menace pour le christianisme, sauf dans l’esprit de ceux qui gagnent à prétendre qu’elle l’est. ». Selon le pape, rejeter un migrant en difficulté, quelle que soit sa croyance religieuse, c’est déformer de manière grotesque à la fois le christianisme et la culture. Son ouvrage, met également en lumière la précarité des migrants vivants dans la promiscuité de camps insalubres en pleine pandémie du coronavirus. « Les camps de réfugiés transforment les rêves d’une vie meilleure en chambres de torture » écrit-il. Le pape appelle également à la mise en place de voies migratoires sûres qui permettraient aux migrants de se déplacer sans craintes.

Biden très attendu par les migrants mexicains

24 Heures, le 27 novembre 2020

Alors qu’ils ont été expulsés vers leur pays natal sous l’administration Trump, de nombreux Mexicains s’attendent à pouvoir revenir aux Etats-Unis dès que Joe Biden sera officiellement au pouvoir. Parmi eux, Mauricio Lopez. Né à Mexico, ce jeune homme de 26 ans a grandi en Caroline du Nord sans les moindres papiers d’immigrations. Après avoir été contraint de quitter les Etats-Unis en 2016, il annonce désormais s’attendre à ce que le futur président américain favorise la mise en place des réformes visant à assouplir les lois sur l’immigration. Cependant, les experts rappellent qu’il ne faut pas oublier que Biden a été le vice-président de Barack Obama dont l’administration avait atteint des records en terme d’expulsion d’étrangers sans papiers. Ils précisent, en plus, que les processus de réforme peuvent prendre beaucoup de temps.

Quatre pays européens réclament plus de solidarité en matière d’accueil des migrants

Euronews, le 25 novembre 2020

La question de la migration a été au premier plan lors d’un sommet entre l’Espagne et l’Italie qui s’est tenu à Palma de Majorque le 25 novembre 2020. Les dirigeants des deux pays ont réagi au pacte sur la migration et l’asile proposé par la Commission européenne en septembre dernier. Dénonçant un manque de solidarité des autres Etats membres, les deux pays ont également été soutenus par Malte et par la Grèce. En effet, les quatre pays n’acceptent plus de supporter la pression migratoire pour l’ensemble de l’Union européenne. A cette occasion, le premier ministre espagnol, Pedro Sànchez, a soutenu qu’un débat constructif au niveau européen était nécessaire afin d’aboutir à une politique migratoire commune. Le président du Conseil des ministres d’Italie, Giuseppe Conte, a ajouté qu’à l’avenir un flux migratoire brutal pourrait venir de l’Est et que d’autres pays souffriront du manque de solidarité.

Evacuation mouvementé de un camp de migrants à Paris

RTS INFO, le 24 novembre 2020

Le ministre de l’intérieur français, Gérald Darmanin, a annoncé le 24 novembre 2020, l’ouverture d’une enquête sur les circonstances qui ont entouré la violente évacuation de migrants regroupés sur la place de la République à Paris. Via Twitter, l’homme politique a annoncé avoir demandé à la plus haute instance de la police nationale de remettre ses conclusions sur les violences intervenues lors de l’évacuation par les forces de l’ordre du campement improvisés par les migrants. De nombreuses séquences de cette évacuation ont été diffusées sur les réseaux sociaux, certaines montrant des policiers frappant des manifestants ou confisquant les tentes dressées par les migrants. Ces agissements ont été condamnés par le secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), David Le Bars, ainsi que par les ministres de la citoyenneté et du logement, Marlène Schiappa et Emmanuelle Wargon. Ces dernières ont rappelé que les migrants doivent être traités avec humanité et fraternité.

Masar Hoti

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




L’exil, l’autre enfer #2

L’aéroport de Frankfort. Source: wikipedia.org

Des complications à l’aéroport de Frankfort

Un adage dit : « On n’est nulle part mieux que chez soi », mais certaines réalités ne nous laissent pas toujours le choix face au péril, à la menace et à l’insécurité. Billy est un défenseur des droits humains au Togo, un pays de l’Afrique de l’ouest qui vit sous un régime dictatorial de père en fils depuis plus de cinquante ans. Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils, il nous livre le récit de son calvaire, depuis son pays jusqu’en Suisse où son vécu quotidien rime toujours avec angoisse et incertitude. Episode 2/3.

Je débarquai à l’aéroport de Frankfort. Très peu renseigné sur les usages de l’exil, je savais toutefois que je devais demander l’asile à l’aéroport. J’ai salué un Africain et lui ai exposé mon problème. L’homme, sans doute un Nigérian, me répondit en anglais « You are in the right place ». Il passa un coup de fil et quelques instants après Stone, un de ses complices, vint me récupérer pour « m’aider à remplir les formalités de demande d’asile ».

Je me suis retrouvé dans un appartement de trois chambres et un grand salon où je m’installai. Stone me demanda mon passeport et s’enquit de la somme d’argent que j’avais sur moi. Je lui remis 500 euros des 1500 que j’avais. « Dans quoi me suis-je fourré? » pensais-je. J’étais interdit de toute sortie « pour ne pas me faire appréhender par la police et jeter en prison » comme Stone me l’avait expliqué dès mon entrée dans l’appartement. J’étais très fatigué et très malade. Les jours passaient, Stone me promettait que je pourrai bientôt entrer dans le camp d’enregistrement. Au bout de quelques jours, il vint me demander 500 euros de plus que je lui remis. Il ne me restait donc que le tiers de l’argent. J’ai passé en tout deux semaines chez mes ravisseurs, témoin de va-et-vient interminables de Blancs et de Noirs qui défilaient chaque jour chez Stone. Au lendemain de l’expiration de mon visa, il me dit: « Ton visa a expiré hier et tu ne m’en as pas informé ? » J’ai répliqué avec colère : « you have my passport and my visa is Inside! ». Il me fit comprendre que désormais, les choses allaient être difficiles et qu’il avait besoin du reste de mon argent ; et il promit que le lendemain nous partirions déposer ma demande d’asile.

Quelques jours plus tard, le 2 décembre 2017, nous nous mîmes en chemin vers je ne sais où ; j’étais avec Stone et une autre personne qui venait souvent à la maison. D’après eux, nous allions au camp de réfugiés. Le trajet fut très long, environ quatre ou cinq heures, après quoi, nous arrivâmes près d’une gare. Je lus le nom de la ville sur la façade : j’étais à Bâle. Stone me fit descendre du véhicule et me dit de me rendre à Vallorbe dans le canton de Vaud. Le temps de descendre du véhicule et de chercher à récupérer ma valise dans le coffre arrière, je ne vis que de la fumée : ils étaient partis à vive allure avec mon bagage et toutes mes affaires, dont mon passeport. Je suis resté hagard avec mon sac à dos.

Une femme dont j’ai gardé le prénom en mémoire – Eliane – avait assisté à la scène et m’approcha. Je lui racontai comment ces bandits m’avaient arnaqué. Je tremblais de froid et d’effroi. Elle pensa tout d’abord à alerter la police puis elle me dit qu’elle allait m’aider à rejoindre Vallorbe car elle y allait justement. J’étais dépouillé jusqu’au dernier centime. Eliane paya mon billet de train et, après une correspondance à Lausanne, nous arrivâmes à Vallorbe. Eliane m’accompagna jusqu’à la porte du centre d’enregistrement et me laissa sur ces mots : « Tout de bon, cher Billy, sois prudent et ne te laisse plus jamais avoir ! ». Après son départ, je tremblais toujours. Deux jours plus tard, ma tension artérielle s’éleva au point où je fus admis aux urgences de l’hôpital Saint-Loup à Yverdon-les-Bains.

Les terribles accords de Dublin

Huit jours après mon enregistrement au centre d’accueil de Vallorbe, je passais ma première audition. On me signifia que je devais retourner en Allemagne car c’était le pays responsable de ma demande d’asile selon les accords de Dublin. La Suisse n’entrait donc pas en matière sur ma demande d’asile. J’essayais d’objecter que je ne pourrai pas retourner en Allemagne et racontai ma mésaventure ; j’étais très fatigué et désespéré, la mort dans l’âme. J’avais aussi peur que lorsque j’étais dans mon pays.

Un mois plus tard, je fus transféré dans le canton du Valais, attendant le sort que me réservaient les fameux accords de Dublin. Je subissais des crises à répétition dues aux lésions de ma moelle épinière. Des associations, qui avaient assisté à l’une de mes crises lors d’une retraite spirituelle organisée à l’intention des refugiés et requérants d’asile, adressèrent plusieurs courriers au Secrétariat d’Etat aux migrations aux fins de surseoir à mon renvoi vers l’Allemagne, sans succès. Je reçus avec angoisse les réponses qui, toutes, exigeaient mon retour en Allemagne.

Billy

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Les épisodes précédents:

L’exil, l’autre enfer  « De la défense des droits humains à la contrainte de l’exil » épisode 1, article publié le 17.02.2020

 




L’exil, l’autre enfer #1

unsplash.com / Auteur: Spenser

De la défense des droits humains à la contrainte de l’exil

Un adage dit : « On n’est nulle part mieux que chez soi », mais certaines réalités ne nous laissent pas toujours le choix face au péril, à la menace et à l’insécurité.

Billy est un défenseur des droits humains au Togo, un pays de l’Afrique de l’ouest qui vit sous un régime dictatorial de père en fils depuis plus de cinquante ans. Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils, il nous livre le récit de son calvaire, depuis son pays jusqu’en Suisse où son vécu quotidien rime toujours avec angoisse et incertitude. Episode 1/3.

« C’était le matin du 13 juin 2012, le deuxième jour d’une série de manifestations qui ont vu une marée humaine envahir les rues de Lomé. Les Togolais réclamaient des réformes institutionnelles, constitutionnelles et électorales devant normalement déboucher sur une alternance du pouvoir. J’étais au sein de la manifestation pour faire du monitoring. Alors que la foule se dirigeait vers un carrefour dénommé Déckon où elle prévoyait faire un sit-in, l’armée débarqua, faisant usage de gaz lacrymogènes et même de tirs à balles réelles. Après une course-poursuite, je suis tombé aux mains des militaires et la seule chose dont je me souviens encore est cette phrase : « ôtez-lui la camera » ; j’ai pris un coup à la nuque et me suis effondré. Je me suis réveillé en fin de journée dans une clinique de la ville avec des hématomes et des douleurs atroces tout au long de la colonne vertébrale.

Au bout de six mois, il m’était difficile de marcher et comme les hôpitaux de mon pays sont des mouroirs, j’ai dû me rendre au Maroc en 2013 pour me faire opérer d’une fracture de la colonne au niveau cervical avec un arrachement de tissus osseux.

Togo. Source: Wikipedia.

La lutte continue

De retour du Maroc, j’ai créé une association visant à impliquer les chrétiens dans la lutte pour la libération du peuple. Notre objectif était de défendre les droits humains aux côtés des autres organisations de la société civile togolaise.

En août 2016, lors d’une campagne organisée par une association en faveur des victimes de 2005, j’ai dénoncé les violations des droits humains dans mon pays lors d’une interview à la radio, relayée aussi en langue Ewé. Mes propos me valurent des messages de félicitations mais aussi de nombreuses menaces de mort. C’est ainsi qu’en 2017, lorsque le peuple descendit à nouveau dans les rues des villes du Togo pour réclamer le départ du régime, je fus ciblé et battu par des milices armées par le pouvoir. A terre, sous les coups de bottes de quatre forcenés, j’ai pensé que mon dernier jour était arrivé. Heureusement, j’eus la vie sauve grâce à l’intervention de témoins qui hurlèrent : « lâchez-le, lâchez-le ! ». Mes agresseurs montèrent à bord de leur pick-up et partirent en trombe. On me fit asseoir ; je voulus informer ma femme de ce qui m’était arrivé et elle me conjura de ne pas rentrer, car les mêmes individus étaient passés à la maison et l’avaient menacée, lui demandant où je me trouvais. « Ils n’ont pas quitté le quartier, ils sont là et attendent que tu rentres ! »

Je dus me réfugier pendant environ deux semaines dans un orphelinat dirigé par un confrère engagé en faveur des droits des enfants.

Un visa pour l’Europe

Une invitation à participer à la conférence de la COP23 de 2017 à Bonn en Allemagne me permit d’avoir un visa. Sortir du pays restait un problème à résoudre. Comment échapper aux contrôles à l’aéroport ? De plus, j’étais très mal en point, je marchais désormais avec deux cannes depuis mon agression. Mon ami directeur de l’orphelinat persuada un officier de l’armée de me faire passer jusqu’à bord de l’avion. Était-ce la fin du cauchemar ? »

Billy

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




La fabrication d’un dealer

Daniel Lofredo Rotta "Drug dealer from Golden Gate Park" (CC BY-NC-SA 2.0)

Daniel Lofredo Rotta
« Drug dealer from Golden Gate Park »
(CC BY-NC-SA 2.0)

Le trafic de drogues obnubile les médias et la figure du dealer hante aujourd’hui la population suisse. Qui se cache derrière le dealer posté au coin de la rue ? Quelles sont les raisons qui peuvent pousser à dealer? Comment se sortir de la spirale du trafic de drogues ?

Témoignage exclusif d’un ex-dealer – également rescapé d’un massacre perpétré par les djihadistes de Boko Haram – qui a réussi à s’extraire des tentacules du deal.

Né au sud du Nigeria, plus précisément dans la région de Calabar de parents chrétiens, Edouard a aujourd’hui 40 ans et a suivi dans son pays des brillantes études universitaires couronnées par un diplôme d’ingénieur. Par la suite, il est engagé par une importante société basée au nord du Nigeria. Il s’installe alors dans la ville de Kano et mène une vie très paisible et confortable. Marié et père de trois enfants, il est parmi les membres influents d’une église locale qu’il fréquente chaque dimanche accompagné de sa famille. Jusqu’à ce fameux jour en printemps 2004 où, en plein culte, l’église est attaquée par la secte islamiste nigériane Boko Haram. Le bilan est lourd : l’église est brulée, plusieurs fidèles sont assassinés, des femmes et des enfants sont massacrés, et sur la liste des victimes figure sa belle-sœur !

La route vers l’exil forcé

Édouard, qui ne comprend pas encore les raisons de cette attaque, et encore moins qui sont les assaillants (comme la quasi-totalité des Nigérians à l’époque) réussit à se mettre à l’abri avec sa femme et ses trois enfants. Il se faufile dans la brousse pour regagner son domicile et se rend compte que sa maison a été pillée et brulée, comme la majorité des maisons appartenant aux chrétiens de cette ville à majorité musulmane. Pris de panique, il profite de la nuit et de l’obscurité pour fuir avec sa famille. Il juge alors plus prudent de rejoindre le Niger – pays voisin limitrophe, accessible à pieds et dont le trajet est moins exposé à d’éventuelles embuscades des assaillants – que de se rendre dans sa ville d’origine qui se trouve au sud du Nigeria, ce qui nécessiterait, pour l’atteindre, de traverser tout le nord avec les risques que cela entraîne.

 Talatu Carmen (CC BY-NC-SA 2.0)

Talatu Carmen
(CC BY-NC-SA 2.0)

Traverser le désert et la mer

Ainsi, Édouard se retrouve du jour au lendemain avec sa famille au Niger, et pose ses valises à Agadez, une ville connue comme une véritable plaque tournante de l’immigration vers l’Europe par le désert. Édouard n’a plus assez d’argent pour continuer la route avec sa famille et, surtout, il ne veut pas risquer la vie de ses enfants dans le désert. Il se confie au prêtre de l’unique Eglise catholique de la ville et ce dernier accepte d’héberger ses enfants et sa femme pour «le temps qu’il faudra». Edouard affronte alors le Sahara dans un pick-up 4×4 dans lequel les passagers sont «entassés comme des bagages», avec la peur au ventre d’y laisser sa peau, mais aussi avec l’espoir de se retrouver sur un continent qui, selon lui, respecte les droits de l’homme et où règne la paix. Après une semaine passée dans le désert, le convoi arrive en Libye. Édouard se débrouille pour regagner Tripoli dans un autre pick-up, toujours par le Sahara, pour déjouer les contrôles de police car il est à présent un clandestin. Une fois à Tripoli avec ses compagnons de fortune, ils sont conduits dans des ghettos où habitent d’autres Africains tous dans l’attente de traverser la mer pour l’Europe… «l’Eldorado».

Six mois plus tard, à Tripoli, Édouard a déjà réussi à rassembler la somme d’argent exigée par le passeur, lui qui n’avait plus rien à son arrivée, notamment en travaillant dans des chantiers. Il embarque en pleine nuit dans une pirogue de fortune avec une centaine d’autres immigrés clandestins venus des quatre coins du monde (dont l’Afrique de l’ouest, le Maghreb et l’Asie). Après avoir passé toute une nuit d’angoisse en pleine mer, ils arrivent enfin à l’île italienne de Lampedusa. Ils sont arrêtés par les garde-côtes italiens et transportés dans un camp de réfugiés. Certains sont emmenés à l’hôpital. Il décide alors de quitter l’Italie car, dit-il, «je voulais aller au cœur de l’Europe, là où je raconterai mon histoire sans peur d’être rejeté, au pays connu de par le monde pour son hospitalité légendaire, au pays connu pour son respect des droits de l’homme, le pays qui symbolise le respect des droits des réfugiés : la Suisse!»

L’Eldorado Suisse…

Il arrive en Suisse et dépose une demande d’asile dans le centre d’enregistrement basé à Vallorbe. Il est ensuite transféré dans un centre pour demandeurs d’asile du Canton de Vaud. Là-bas, le jeune ingénieur africain sombre dans la dépression ou presque. Après toutes ses tentatives pour décrocher un emploi il baisse les bras. Il s’ennuie à longueur de journées et fait la rencontre de quelques compatriotes. Tous ou presque ne travaillent pas en raison de leur statut. On lui explique que sa demande d’asile ne va pas aboutir, comme la majorité d’entre eux, «car il est Nigérian». Il n’arrive pas à en croire ses oreilles. Il se dit qu’avec ce qu’il a vécu, il mérite la protection de la Suisse: «et puis, c’est mon histoire qui compte et non mes origines» se dit-il en y croyant dur comme fer. Ses compatriotes tentent de lui expliquer qu’ici, ils sont tous «associés à des dealers, à de vulgaires vendeurs de drogues». Quel que soit son parcours académique en Afrique, ici il n’est plus rien. Des propos qui ont le mérite de le choquer. Il met ces allégations sur le compte du fait que la plupart des compatriotes qu’il a rencontré au centre n’ont pas son niveau d’éducation et donc ont peu de chances de s’en sortir. Lui croit avoir plus de ressources… Mais il n’arrive toujours pas à décrocher un travail pour envoyer de quoi vivre à sa famille restée à Agadez à cause de son statut de demandeur d’asile.

(CC BY-NC-SA 2.0) Drugs Elle Kay "Drugs" (CC BY-NC-SA 2.0)

Elle Kay
« Drugs »
(CC BY-NC-SA 2.0)

La tentation

Chaque matin, certains de ses compatriotes sortent du centre et ne rentrent que le soir. Ceux-ci ont de l’argent. Certains envoient «de grosses sommes» pour soutenir leurs familles restées au pays. Edouard reste toute la journée couché. Un matin, il reçoit un coup de fil de sa femme depuis le Niger qui lui annonce une terrible nouvelle : sa fille est tombée gravement malade. Il lui faut urgemment de l’argent pour la soigner, mais il n’a rien pour lui venir en aide. Il essaie de faire un emprunt auprès de certains de ses compatriotes qui sont toujours «bourrés de fric», mais personne ne veut lui donner un coup de main. Ils lui reprochent d’être «un peureux qui ne veut pas prendre de risques, un saint». Un seul lui propose de lui venir en aide, mais avec…cinq grammes de cocaïne. Faudra-t-il «mettre de côté ses valeurs, risquer de perdre sa liberté pour avoir de quoi soigner sa fille?» Cette question taraude son esprit toute une nuit. Le matin suivant, il décide d’accepter l’offre et entre alors dans l’engrenage du deal. Il se retrouve dans le centre-ville de Lausanne pour «tacler» (ndlr : tacler signifie dans le jargon des dealers «accoster les clients de différentes manières»). Avec «une peur olympique au ventre», il réussit à écouler la fameuse marchandise. Lui qui méprisait auparavant les dealers, bizarrement, il prend goût  au «métier». Édouard sent alors qu’il est «transformé par le système».

«Je n’avais jamais imaginé qu’un jour je vendrai de la drogue. Je ne savais même pas à quoi ça ressemblait. A force de chercher du travail en Suisse j’étais prêt à faire n’importe quoi et à laisser tomber ma profession d’ingénieur. J’ai vraiment fait tout ce qui était possible. A force de recevoir des réponses négatives à cause de mon statut temporaire en Suisse, je me suis retrouvé le dos au mur».

Marco Gomes "Crack” (CC BY-NC-SA 2.0)

Marco Gomes
« Crack”
(CC BY-NC-SA 2.0)

La rédemption par la foi

Mais, après des mois de «taclage» sous le soleil, la pluie et la neige; à courir devant les gendarmes en civil, Édouard est fatigué de cette vie gagnée dans l’illégalité. Dans son cœur, il sait que cette vie ne lui convient pas et qu’elle ne reflète pas ses valeurs. Malgré le fait qu’il parvienne maintenant à envoyer régulièrement de l’argent à sa famille, il décide de couper court avec sa vie de dealer ! Il dit être aidé dans cette «difficile décision» par «sa foi en Dieu». Il «s’est rapproché de Dieu», il prie beaucoup et croit fermement que «Dieu à un plan plus propre, plus juste pour lui». Aujourd’hui, Edouard n’a toujours pas une situation stable, il ne vit qu’avec l’aide donnée aux demandeurs d’asile, il a des problèmes pour subvenir aux besoins de sa famille restée en Afrique, mais il vit au moins dans la légalité !

*Nom d’emprunt

FBradley Roland

Journaliste-éditorialiste, contributeur externe de Voix d’Exils




La ferveur de pèlerins africains gagne Saint-Maurice

Le 12ème édition du pèlerinage aux Saints d’Afrique à Saint-Maurice. Photo: Voix d'Exils.

Le 12ème édition du pèlerinage aux Saints d’Afrique à Saint-Maurice. Photo: Voix d’Exils.

Quelques 1200 immigrés chrétiens venus d’Afrique ont fait vibrer la commune valaisanne de Saint-Maurice , le 2 juin dernier, à l’occasion de la 12ème édition du pèlerinage aux Saints d’Afrique. Récits de martyrs, prières, chants et danses, accompagnés par des chorales africaines ont rythmé cette journée particulière.

La cérémonie a débuté en matinée avec la salutation de bienvenue de Pierre-Yves Robatel, représentant de la commune de Saint-Maurice. S’en est suivi le mot de circonstance de Claude Didierlaurent, secrétaire de l’Association pour le pèlerinage aux Saints d’Afrique. La prière d’ouverture fut récitée par le président de cette association, le chanoine Michel Ambroise Rey de l’Abbaye de Saint-Maurice. Puis, la chanson de Jean-Claude Gianadda, «Rêve d’un monde», devenue l’hymne de ce pèlerinage, a été entonnée pour mettre tous les pèlerins dans l’ambiance de cette fête aux couleurs africaines.

Communauté érythréenne à l’honneur

Tour à tour, les pèlerins ont écouté le récit de la vie de martyrs d’Afrique en commençant par l’Africain dont la ville valaisanne porte le nom, à savoir l’Egyptien Maurice. Puis le récit de la vie de Sainte Bakhita, une esclave soudanaise convertie au christianisme, devenue religieuse, qui pardonna sa captivité à ses négriers. Tout ce moment était accompagné de chants et de danses, dans une ambiance électrique faite de joie et de bonne humeur.

Signalons que pour cette 12ème édition, c’est la communauté érythréenne qui était à l’honneur, avec un de ses moines du 18ème siècle, Ghebré Michaël, dont le récit de vie a été lu par Ferdinand Ilunga, coordinateur de l’Association qui organise ce pèlerinage aux Saints d’Afrique.

Tous les pèlerins ont prié pour que la guerre cesse, non seulement en Erythrée, mais aussi dans toute

Le 12ème édition du pèlerinage aux Saints d’Afrique à Saint-Maurice. Photo: Voix d'Exils.

Le 12ème édition du pèlerinage aux Saints d’Afrique à Saint-Maurice. Photo: Voix d’Exils.

l’Afrique, afin que celle-ci retrouve sa dignité d’origine qui a fait d’elle le berceau de l’humanité et garantisse une vie meilleure à ses fils.

La matinée s’est terminée par un repas apporté par les pèlerins. Les tables ont été dressées pour la circonstance et ouvertes aux participants, de sorte que tous puissent manger à leur faim, à la table de leur choix. Ainsi va la solidarité africaine.

En début d’après-midi, les pèlerins se sont rendus à la basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice pour la célébration eucharistique présidée par Monseigneur Joseph Roduit, l’Abbé territorial de l’Abbaye de Saint-Maurice. Une belle cérémonie «à l’africaine», lors de laquelle on chante, danse et loue Dieu.

Célébrer les valeurs africaines

Michel Ambroise Rey a déclaré que « cette journée est une réussite, pleine d’émotions et de joie partagées. Que Dieu en soit loué !». Quant à Ferdinand Ilunga, membre du comité d’organisation, il souligne que «ce pèlerinage est un rassemblement symbolique qui milite en faveur de l’unité et du développement de l’Afrique à partir de la foi chrétienne. Non seulement on y fait des cultures africaines les vecteurs de l’expression de la foi chrétienne, mais on y réfléchit aussi aux moyens adéquats pour sortir l’Afrique de sa déchéance actuelle. Ici, on célèbre les valeurs africaines comme la joie de vivre, la solidarité, l’hospitalité et le sens religieux.» Pour sa part, Marie Alphonsine, venue de Bâle, n’a pas caché sa satisfaction : «ce pèlerinage est une réussite totale. Une belle journée, une profonde prière, une intense émotion partagée; Dieu était avec nous. Qu’il en fasse autant pour toutes nos préoccupations. Et qu’il sauve l’Afrique !»

Ainsi s’est terminé ce grand weekend. Rendez-vous pour le prochain pèlerinage aux Saints d’Afrique le 1er juin 2014.

Angèle Bawumue Kongolo

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 

Un pèlerinage d’origine suisse

C’est le père Fridolin Zimmermann, ancien missionnaire en Afrique, qui eut l’idée de rassembler chaque année tous les immigrés africains vivant en Suisse. Le père Zimmermann partit en mission à Tunis, en 1973, et y travailla comme curé de paroisse et bibliothécaire. Revenu en Suisse fin 1999, il assuma plusieurs fonctions pastorales, notamment l’animation missionnaire. Avec le soutien de différents groupes d’étudiants et de missions, il créa le pèlerinage aux Saints d’Afrique en 2001.