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« Pour ouvrir son commerce, il faut vite apprendre le français »

Photo : Ferit Karçan (au centre) et son équipe. Auteur : Voix d’Exils

Neuchâtel – Rencontre avec Ferit Kaçan, entrepreneur d’origine kurde à Peseux

Voix d’Exils : Pouvez-vous vous présenter et depuis quand êtes-vous en Suisse ?

Je m’appelle Ferit Kaçan, je suis kurde de Turquie, je suis marié, j’ai deux enfants, j’habite à Peseux (NE). En 1994, on est allés en Irak à cause des problèmes politiques entre la Turquie et les kurdes. De 1994 jusqu’à 2003, je suis resté en Irak et après je suis parti parce qu’il y avait la guerre, je suis arrivé illégalement en Europe puis en Suisse en 2004.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris en arrivant en Suisse ?

C’est la démocratie et l’égalité entre les gens, je n’avais jamais vu ça avant. Chez nous, en Turquie, on n’avait pas le droit de parler notre langue maternelle (Kurde). Ici,, il y a beaucoup de gens différents, d’étrangers et il n’y a aucun problème.

Comment vous est venue l’idée d’ouvrir une pizzeria-kebab ?

Quand je suis arrivé en Suisse, j’ai demandé l’asile. Après trois mois, j’ai trouvé un travail dans un magasin à Neuchâtel, j’y ai travaillé pendant une année. Après, j’ai aussi travaillé dans une fabrique. En 2006, j’ai commencé un nouveau job à la Chaux-de-Fonds dans un « Döner Kebab ». En 2009, avec un ami, j’ai ouvert mon « Döner Kebab ». Une année, j’ai continué seul et aujourd’hui, je travaille, j’arrive à payer mon crédit. En 2013, juste à côté, j’ai ouvert un magasin d’alimentation, je n’ai pas eu besoin de l’aide sociale depuis mon arrivée en Suisse.

Il y a combien de personnes qui travaillent pour vous ?

Trois personnes travaillent pour moi dans le « Döner Kebab » et une autre dans le magasin.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontré?

Aucune difficulté.

Quel est votre conseil pour les nouvelles personnes migrantes qui arrivent en Suisse?

Quand je suis arrivé en Suisse, je ne parlais pas bien français et c’était difficile. Je conseille à tout le monde qui veut ouvrir un commerce de ne pas perdre de temps et d’apprendre le français par tous les moyens. C’est important d’apprendre le français, trouver un travail, il faut bouger !

Que pensez-vous de la Suisse?

Ça me plaît beaucoup d’être en Suisse. C’est un pays démocratique, c’est une garantie pour ma vie. Tout le monde s’entend très bien. Quand on voit la Turquie c’est bien différent. Il y a 80 millions de personnes, une langue, un drapeau et ils ne s’entendent pas. Je vois la Suisse où il y a 26 cantons et quatre langues nationales, il y a beaucoup d’étrangers et tout le monde s’entend, c’est un pays magnifique.

Qu’est-ce que vous avez laissé dans votre pays qui vous manque?

J’ai laissé tout le reste de ma famille, mes amis et bien sûr ça me manque.

 

Muslim Sabah Muhammad Faraj

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 




S’aider soi-même en aidant les autres

La bibliothèque de la Chaux-de-Fonds. Photo: rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Témoignage

Abdullahi Osmail a reçu un soutien important de Caroline Buit, bibliothécaire à la Chaux-de-Fonds, dans une démarche personnelle d’écriture. Touché, il fait part de sa volonté d’aider à son tour d’autres requérants, comme il a pu être aidé.

J’ai commencé à prendre des documents de français à la bibliothèque de la Chaux-de-Fonds où je travaille mon français depuis trois ans. Quand j’ai rencontré des difficultés dans mes devoirs, je n’ai pas hésité à demander de l’aide aux bibliothécaires. Durant une année et demie, j’ai écrit un livre dans ma langue qui raconte mon histoire. J’ai demandé à une bibliothécaire de m’aider à traduire ce livre. Elle a accepté ma requête. Elle m’a consacré son temps libre pour travailler avec moi.

Dans un premier temps je traduisais tout seul. Cela m’a beaucoup aidé à progresser dans la langue française. J’ai tellement écrit que ça m’a fait de la corne au bout du doigt ! Cette personne corrigeait ma traduction, en même temps elle me posait des questions pour développer ou préciser certains points. Nous avons développé beaucoup de complicité, j’ai beaucoup apprécié son intérêt et son écoute sincère. Une grande confiance s’est installée entre nous, j’ai pu lui parler des émotions que j’avais à cause de mon histoire. Cela m’a beaucoup aidé à me sentir mieux et à traverser les moments difficiles.

Comment j’aide les autres migrants ?

Depuis le début il y avait des requérants d’asile qui ne connaissaient pas la bibliothèque où je travaillais mon français. Je leur ai expliqué qu’il y avait un endroit où j’étudiais et qu’ils pouvaient y venir pour emprunter des livres en français qui sont assez faciles et très efficaces. Ils n’avaient pas de carte de la bibliothèque, alors ils ont rempli un formulaire pour pouvoir emprunter des documents. Maintenant, il y a beaucoup de requérants d’asile de différents pays qui viennent régulièrement à la bibliothèque. Je leur donne un coup de main pour leurs devoirs et pour faire de la conversation. Je le faisais bénévolement, mais ils m’ont proposé de me donner en échange un peu d’argent selon leurs moyens.

Pourquoi je les aide ?

J’aimerais aider les autres car j’ai été aidé. Je leur apprends le français et je les aide à s’intégrer dans cette ville. Quand on est réfugié, il faut que nous puissions parler le français et avoir des contacts avec les gens du pays. Quand vous avez bien appris le français, vous avez la possibilité de trouver une place d’apprentissage ou bien une formation.

Moi aussi j’ai appris beaucoup avec cette expérience et j’ai amélioré mes compétences en français. Partager ses pensées et rencontrer d’autres cultures permet de se sentir utile, plus ouvert et heureux.

Abdullahi Osmail,

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 




Une conférence-débat pour mieux cerner les contours du mot «intégration»

De gauche à droite, le député UDC Pierre Hainard, le conseiller communal Miguel Perez et la modératrice Claude Grimm. Photo: Voix d'Exils

Les orateurs de la conférence-débat « Migration, Citoyenneté et Intégration ». Photo: Voix d’Exils.

Les thèmes «Migration, Citoyenneté et Intégration» ont été débattus dans le cadre de la journée interculturelle qui s’est déroulée le samedi 7 septembre 2013 à La Chaux-de-Fonds. Organisé par Josianne Jemmely, la représentante de la communauté africaine résidant sur les montagnes neuchâteloises, ce débat, qui a clos la manifestation, a confronté quatre orateurs aux visions parfois fort divergentes à propos de la signification du mot «intégration». Compte-rendu.

La conférence-débat «Migration, Citoyenneté et Intégration» a réuni autour d’une table quatre orateurs, à savoir : le conseiller national socialiste zurichois Andreas Gross, le député UDC de La Chaux-de-Fonds Pierre Hainard, le conseiller communal écologiste du Locle Miguel Perez et le professeur ordinaire de migration et citoyenneté Gianni d’Amato de l’Université de Neuchâtel. Environ 300 personnes, essentiellement des migrants sri-lankais et africains, se sont rendues à cette journée interculturelle qui a été ponctuée par des danses et contes sri-lankais, ainsi que d’un défilé de mode africaine.

Développant le sujet, le conseiller national et membre du Conseil de l’Europe Andreas Gross a estimé que par rapport à la Suisse alémanique «la Suisse romande est traditionnellement plus ouverte en matière d’immigration et seulement les cantons romands ont octroyé aux immigrés le droit de vote au niveau cantonal».

Le conseiller communal Miguel Perez, un immigré espagnol, a, quant à lui, partagé son expérience personnelle en affirmant qu’il avait été «traumatisé» en arrivant en Suisse car, enfant, il avait dû s’adapter au changement de milieu. Pour lui, l’intégration n’est pas un vain mot, «elle s’obtient par la langue, les études et le travail».

Quant au député Pierre Hainard, il a indiqué que l’intégration n’est pas dictée par l’État, mais qu’elle est le résultat de la volonté du migrant qui décide de vivre en Suisse. «L’intégration est un droit, mais surtout un devoir de chaque migrant. Si un migrant refuse de s’intégrer, refuse d’apprendre la langue, ne respecte pas les lois et vit toujours aux frais de l’État, moi je dis que le permis de séjour (permis B) ou d’établissement (permis C) doit lui être refusé ou retiré», a-t-il martelé.

Le professeur Gianni d’Amato est, quant à lui, d’avis que «la réussite dans les études et le travail est un facteur d’intégration des immigrés». Selon lui, l’immigration récente a commencé dans les années 50 avec une immigration économique. La connaissance de la langue a son importance dans l’intégration, tout comme les qualifications qu’on peut acquérir, surtout pour les jeunes. Le travail est aussi important pour intégrer les immigrés dans la société, a-t-il souligné.

L’ensemble des orateurs ont unanimement reconnu que les partis politiques ont un rôle à jouer dans l’intégration des immigrés. Pour le député UDC Pierre Hainard, «les partis politiques ont le rôle d’intéresser un maximum d’électeurs, mais à l’UDC on a peu d’immigrés et il ne faut pas désespérer». Le conseiller communal écologiste Miguel Perez lui a rétorqué «qu’il est suicidaire pour un immigré d’adhérer à l’UDC, car c’est un parti anti-immigration».

Après le brillant exposé des orateurs, il s’en est suivi une partie dédiée aux questions du public au cours de laquelle les intervenants ont reconnu les efforts fournis par le canton pour l’intégration des immigrés, bien qu’il existe des cas de discrimination à l’embauche et de xénophobie dans certains milieux. La question du peu d’intérêt que manifestent les immigrés naturalisés Suisses ou détenteurs d’un permis d’établissement pour participer aux échéances électorales a également été épinglée. Certains immigrés ont reconnu qu’ils viennent de pays dans lesquels le jeu politique n’est pas démocratique, ce qui pourrait expliquer en partie le problème. L’assistance a par ailleurs vivement souhaité que de tels thèmes soient régulièrement abordés, afin de sensibiliser les immigrés sur les questions d’intérêt général lors des différentes votations.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 «La politique envers l’autre est un miroir de la politique envers les siens»

A la question de Voix d’Exils de savoir si la Suisse peut être considérée comme une terre d’asile comme la France, la Suède ou le Canada, le conseiller national socialiste Andreas Gross soutient que «chaque pays a ses spécificités et ses problèmes». Il pense que la France et même la Suède ne sont pas de bons exemples, car il y a énormément de ghettoïsation et de violences. Et la violence est, selon lui, un critère pour mesurer le succès de l’intégration. La Suisse a un grand pourcentage d’étrangers sur son sol, «mais elle a fait trop peu d’efforts pour les intégrer. Elle a pensé que la nature, l’école, la famille le ferait automatiquement». Selon lui, «on commence à apprendre qu’il faut faire beaucoup plus pour que tout le monde trouve sa place ici». Il avance également que «le problème est qu’il y a aussi beaucoup de Suisses qui pensent qu’ils n’ont pas encore trouvé leur place en Suisse et que c’est eux qui votent souvent contre une politique libérale envers les immigrés, parce qu’ils ne se sentent pas assez soutenus par l’Etat». Et dans ce sens, «ils ne sont pas prêts à donner aux autres ce qu’ils pensent eux-mêmes n’avoir pas assez reçu». Pour Andrea Gross, «c’est un aspect qu’on a peut-être pas assez discuté, réfléchi. La politique envers l’autre est un miroir de la politique envers les siens».

P.K.




De requérant d’asile à conseiller général

Njo Moubiala. Photo: Voix d'Exils

Njo Moubiala. Photo: Voix d’Exils.

Originaire de La Chaux-de-Fonds, approchant la soixantaine, Njo Moubiala a échappé à la dictature du Maréchal Mobutu dans l’ex-Zaïre, en se réfugiant en Suisse, ce il y a près de trois décennies. D’abord requérant d’asile, cet électrotechnicien de formation est aujourd’hui Suisse, conseiller général  (membre du parlement communal) et membre de la commission de la naturalisation à Peseux, sa commune de résidence, dans le canton de Neuchâtel. Témoignage.

De 1965 à 1997, la République démocratique du Congo (RDC), alors Zaïre, était dirigé par le dictateur Mobutu Sese Seko. Dans les années 80, la dictature avait atteint son apogée en supprimant notamment le pluralisme politique et syndical et en ayant réduit les libertés individuelles. Trouvant sa situation de travailleur impayé «complètement inacceptable et admissible», Njo Moubiala a tout laissé derrière lui et a pris le chemin de l’exil. Arrivé en Suisse en 1986, il dépose sa demande d’asile et découvre les réalités de l’asile. Il est alors accueilli par deux religieux d’heureuse mémoire : l’Abbé Nicolas Desboeuf et le Père Cyrille Perrin.

Un parcours exemplaire

«Mon parcours en Suisse est élogieux, je remercie le ciel. J’ai eu le privilège d’être bien accueilli dans ce pays. L’Abbé Nicolas Desboeuf m’a présenté à un éminent professeur de droit de l’Université de Neuchâtel, M. Philippe Bois, très actif dans la défense du droit d’asile qui m’a défendu honorablement et avec qui j’ai tissé des liens d’amitié solides ainsi qu’avec sa famille. Avec mon ami Philippe, j’ai saisi cette opportunité, je me suis intégré et j’ai fait un effort pour apprendre, comprendre et respecter la manière de vivre des Suisses. Mon parcours de requérant d’asile m’a beaucoup marqué et m’a encore donné l’envie de me valoriser. J’ai fait «l’université de la rue», c’est-à-dire j’ai fait des travaux manuels que je n’avais pas l’habitude de faire dans mon pays d’origine. J’ai travaillé dans la restauration, les bâtiments, les travaux publics, dans le transport et cela m’a permis de connaître la vraie vie suisse dans la pratique. Aujourd’hui, je fais une formation de validation des acquis qui sera sanctionnée par une attestation dans les prochains mois.»

Naturalisé suisse, Njo Moubiala vit sa double nationalité comme une vraie richesse culturelle, et il s’en défend: «Je ne peux pas renier mes origines, je suis originaire de la RDC et je suis aussi fier d’être un citoyen suisse. Les Suisses m’ont accordé cette nationalité et je les remercie pour ce geste de cœur généreux au regard de la misère indescriptible que vit mon pays d’origine résultant de sa mauvaise gouvernance.»

Conseiller général socialiste

Électrotechnicien et diplômé cafetier formé en Suisse, Njo Moubiala est divorcé et père de deux enfants. Il est conseiller général du groupe socialiste de la commune de Peseux. «Je me suis engagé en politique dans la section de la Chaux-de-Fonds du Parti socialiste grâce au conseiller aux États neuchâtelois Didier Berberat et j’ai suivi une formation politique sur la démocratie directe dispensée par le conseiller national zurichois et politologue Andreas Gross», déclare Njo Moubiala, qui se bat pour l’intégration des Africains dans le monde professionnel. «Bon nombre d’Africains viennent de pays où il n’y a pas de démocratie ni d’État de droit et quand ils arrivent en Suisse, ils sont déboussolés, désemparés. C’est pour cela que je suis là pour les encourager à pouvoir s’intégrer et à comprendre non seulement qu’il faut vivre de façon indépendante en travaillant, mais aussi qu’il faut remplir certains devoirs et obligations que nous demande l’État. C’est pour tout le monde pareil, que l’on soit Suisse ou non. L’État est là pour nous garantir nos droits».

Regards d’un homme aux cultures plurielles

Parlant de l’Afrique, il estime que «c’est un continent formidable, potentiellement riche, non seulement en matières premières mais aussi à travers son peuple très hospitalier où la gentillesse est souvent mal interprétée par quelques profiteurs.»

Reconnaissant envers la Suisse, le député socialiste de Peseux affirme qu’il a trouvé dans la Confédération helvétique non seulement la tranquillité et le bien-être mais, aussi et surtout, la rigueur et l’amour du travail de qualité. «Ma plus grande réussite en Suisse est d’avoir appris de vraies valeurs, dans le travail, le respect, l’engagement et la foi. Car le Suisse est consciencieux, travailleur et patriote».

Jetant le regard sur la RDC, son pays d’origine, Njo Moubiala reconnait qu’«Au Zaïre, il y avait la dictature et aujourd’hui, on évolue encore dans la dictature, le chaos politique plus que celle de Mobutu et cela fait très mal de voir un pays potentiellement riche en personnes humaines, en sols et sous-sols, se retrouver en dernière position du classement mondial des pays les plus pauvres de la planète. Malgré le bon sens du soutien de la communauté internationale pour encourager et soutenir les dirigeants politiques afin d’établir un État de droit, les deux élections dites «démocratiques» qui ont été organisées en 2006 et 2011 ne sont qu’une mascarade. Force est de constater encore que la corruption est devenue monnaie courante en RDC.»

Son message aux requérants d’asile vivants en Suisse

Il conseille aux requérants d’asile d’approcher, de fréquenter et de discuter avec des citoyens Suisses qui sont là aussi pour partager avec eux leurs dures expériences de la vie. Il les exhorte, en outre, à s’intégrer politiquement et à s’imprégner des réalités politiques helvétiques, afin de comprendre le système politique suisse qui n’est pas si facile, ce même pour les Helvètes eux-mêmes.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils