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«Le débat public sur l’asile et la migration doit cesser d’être envenimé par des campagnes populistes»

M. Jean-Nathanaël Karakash, Conseiller d’État neuchâtelois. Auteur: canton de Neuchâtel

M. Jean-Nathanaël Karakash, Conseiller d’État neuchâtelois, chef du département de l’Économie et de l’Action sociale .

Jean-Nathanaël Karakash est conseiller d’État et chef du département de l’Économie et de l’Action sociale du canton de Neuchâtel depuis le 19 mai 2013. Le Service des Migrations (SMIG) du canton de Neuchâtel dépend de son département et, avec Voix d’Exils, il évoque les différents sujets concernant l’asile dans son canton. Entretien.

Le centre d’accueil de requérants d’asile de Perreux (CAPE) a été ouvert fin janvier 2012 pour désengorger les centres d’accueil de Couvet et Fontainemelon et, surtout, recevoir des requérants d’asile récalcitrants. Moins de deux ans après son ouverture, le CAPE est fermé par le canton de Neuchâtel pour être transformé en un centre fédéral géré par la Confédération. Peut-on connaître la raison de cette fermeture?

Jean-Nathanaël Karakash: Le centre de Perreux a été ouvert alors que le premier accueil était totalement débordé. Il s’agissait d’offrir des conditions d’accueil décentes aux personnes qui étaient précédemment placées dans des abris communaux. Dès le départ, le centre devait être temporaire. Les problèmes sont venus du fait que le canton n’avait pas d’expérience récente dans la gestion d’un centre de cette taille. Les moyens nécessaires n’ont pas été correctement évalués et le centre s’est rapidement retrouvé en situation de crise. Après que les moyens d’encadrement ont été adaptés aux besoins, le centre a fonctionné normalement.

Cependant, en 2013, la Confédération a lancé un grand projet de réorganisation du domaine de l’asile visant l’accélération des procédures et prévoyant, qu’à terme, 60% des requérants seraient accueillis dans des centres fédéraux. Pour le canton, cela signifie qu’il faut se préparer à une diminution progressive des places de premier accueil. Parallèlement, la Confédération doit augmenter ses propres capacités d’accueil et recherche donc des lieux pour installer ses nouveaux centres. L’idée est donc venue de faire de Perreux un centre fédéral. Si, actuellement, les centres de Couvet et Fontainemelon sont pleinement occupés, le déploiement de la réorganisation fédérale devrait en principe permettre au canton de fonctionner durablement dans de bonnes conditions, avec ces deux seuls centres.

Quant à la question des requérants dits « récalcitrants », le Conseil d’État ne croit pas que la réponse se trouve dans la création de structures spécifiques mais, plutôt, dans un accompagnement et un dialogue renforcés.

Avec la fermeture du CAPE, Neuchâtel ne dispose plus que de deux centres cantonaux de requérants d’asile avec une capacité cumulée de 160 requérants d’asile et ce chiffre va encore être revu à la baisse, en fonction du nombre de personnes qui seront placées sous la responsabilité de la Confédération à Perreux. Peut-on dire que Neuchâtel évite les requérants d’asile ?

La conduite de la politique d’asile relève de la Confédération en premier lieu. Ce n’est pas le canton de Neuchâtel qui a décidé de la réorganisation de la politique fédérale! Il n’y a donc aucune volonté de l’État d’éviter les requérants, mais, au contraire, d’offrir un accueil décent à toutes les personnes qui sont placées sous la responsabilité du canton.

Le canton de Neuchâtel accueille aujourd’hui environ 900 personnes en procédure d’asile. Quelle politique mettez-vous en place pour faciliter leur intégration dans la société neuchâteloise et éviter que leur état mental ne se détériore ? Comme le cas d’un requérant d’asile algérien qui s’est suicidé fin juillet 2013 à Fontainemelon, en attendant une décision de l’Office fédéral des migrations (ODM).

Les mesures déployées en matière de soutien à l’intégration sont déjà nombreuses et elles seront encore renforcées à l’avenir. Que ce soit avec l’augmentation du nombre de travaux d’utilité publique organisés dans le cadre du premier accueil, ou de l’optimisation de l’utilisation des forfaits d’intégration au travers du Programme d’intégration et de connaissances civiques (PIC), le nouveau programme d’intégration cantonal. En outre, l’enseignement du français sera renforcé, aussi bien au profit des personnes en premier accueil qu’en second accueil, avec les enseignants qui travaillaient précédemment au centre de Perreux.

Quant au tragique cas du suicide évoqué, il n’a pas été déclenché par une décision négative qui aurait été rendue. L’encadrement et l’ambiance à l’intérieur du centre de Fontainemelon ne sont pas non plus en cause. Mais, il est clair que les traumatismes vécus par les requérants dans leur pays laissent des traces parfois insurmontables, malgré les efforts déployés pour offrir un accompagnement à chacun.

Au début du mois de février 2013, trois mois avant votre entrée en fonction, le canton de Neuchâtel cherchait des fonds pour mieux gérer l’asile. Ces fonds ont-ils été trouvés ?

C’est un travail permanent auquel s’attachent les services concernés. Nous tentons constamment de nous adapter pour faire face à des situations qui changent rapidement en fonction des situations de conflits et des crises humanitaires qui éclatent tout autour de la planète. Ce processus d’amélioration continue ne sera jamais terminé.

Trois mois après leur demande d’asile en Suisse, les requérants d’asile, au bénéfice d’un permis N, ont le droit de travailler pour devenir autonomes financièrement. Mais leurs demandes d’emplois sont souvent refusées par les employeurs. Les requérants d’asile ont l’impression que l’autorité cantonale ne fournit pas assez d’efforts pour inciter les employeurs à engager des requérants d’asile. Qu’en dites-vous ?

Le canton souffre du taux de chômage le plus élevé de Suisse. Il est donc difficile pour tout le monde de trouver du travail et la concurrence est forte pour chaque poste proposé. L’État fait ce qu’il peut pour appuyer toutes les personnes qui recherchent un emploi et promouvoir l’intégration des migrants. Or, même si c’est difficile, c’est d’abord aux personnes concernées qu’il appartient de rechercher du travail.

Une quarantaine de requérants d’asile non- francophones viennent de suivre, pendant cinq mois, des cours de français dispensés par des étudiants bénévoles et le personnel administratif de l’Université de Neuchâtel (UniNE) dans le cadre du projet « Français pour tous ». Comment appréciez-vous cette initiative de l’UniNE, surtout que les requérants d’asile en second accueil n’ont pas de programme de formation pour leur intégration.

De telles démarches citoyennes sont évidemment positives et doivent être saluées. Cela dit, le renforcement de l’accompagnement en deuxième accueil est envisagé actuellement.

Que pensez-vous de Voix d’Exils ?

C’est un blog très bien fait et aussi je suis très intéressé de découvrir certaines des interviews qui avaient déjà été publiées. Félicitations, belle réussite et j’espère que ça puisse se poursuivre.

Votre mot de la fin

Je souhaite que le débat public sur la migration et, en particulier, sur l’asile cesse d’être envenimé par des campagnes populistes dictées par des intérêts politiques partisans indignes d’un pays démocratique. Sans se voiler la face quant aux difficultés objectives posées par la migration et l’intégration, il est urgent de replacer la promotion des droits humains au cœur des priorités de l’État, aussi bien en Suisse qu’à l’échelle européenne.

Paul Kiesse

Journaliste, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




Pas facile d’éduquer des enfants dans les circuits de l’asile

Des enfants du Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d'Exils

Des enfants du Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d’Exils

Dans différents centres pour requérants d’asile, nous découvrons que les adultes sont préoccupés par l’issue de leur procédure d’asile. En même temps, le sort de leurs enfants – en termes d’éducation et d’avenir – se trouve lié à leurs soucis quotidiens. Comment s’y prennent-ils pour assurer l’éducation de leurs enfants dans ces milieux plutôt difficiles où se côtoient, sans préparation préalable, des cultures, des religions, des aspirations et des origines qui, parfois, n’ont rien en commun ? Voix d’Exils a exploré cette question en se rendant au Centre de Perreux à Neuchâtel

La loi suisse stipule que l’enfant d’un étranger obtient le statut juridique de ses parents. Ainsi, les enfants de requérants d’asile reçoivent le statut consécutif au processus d’asile de leurs parents. Ils sont admis avec eux dans les centres d’enregistrement, où seul un billet de sortie fait office de pièce d’identité. Ici, on dort dans un dortoir avec pour unique distinction le sexe et non l’âge. Quelque soit le sexe de l’enfant, jusqu’à l’âge de 10 ans, il reste avec sa mère. Avec les dames, il partage les mêmes douches, fréquentent les mêmes toilettes. Avec le reste des requérants, dont il partage désormais le statut, il occupe le réfectoire et les espaces communs où l’on passe le temps quand les dortoirs sont fermés. Il retrouve les autres enfants qui viennent de plusieurs pays et partage avec eux les espaces de jeux mis à leur disposition.

Si les parents passent « l’épreuve du feu » lors de la première interview, qui est menée par les services de l’Office fédéral des migration peu de temps après l’entrée sur le territoire suisse, et qu’ils sont envoyés dans l’un des centres de premier accueil, où ils reçoivent le permis de séjour temporaire – le permis N-, les enfants reçoivent alors le même permis. Dans ces centres aussi, même si les conditions se modifient un peu du fait que les enfants vivent dans des chambres avec leurs parents, il n’en demeure pas moins qu’ils sont toujours confrontés à la cohabitation avec d’autres enfants, dans un espace où éduquer son enfant comme on le souhaite est difficile. Pour en savoir davantage, nous nous sommes rendus au Centre de Perreux, situé dans le canton de Neuchâtel, pour nous entretenir avec les parents, les enfants et leurs encadrants afin de découvrir la réalité éducative des enfants de requérants d’asile.

Un contexte éducatif difficile

Comme tous les enfants, « les nôtres ont les mêmes envies, les mêmes désirs. Ils nous demandent des

Le Centre de Perreux à Neuchâtel

Le Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d’Exils.

jouets, veulent aller au cinéma pour enfants, à la piscine, sortir de temps en temps. Seulement, ils n’ont pas la possibilité de vivre comme tous les autres enfants et leur donner une éducation saine est un casse-tête pour nous », nous a confié un couple béninois s’occupant de trois enfants qui vit dans le Centre de Perreux.

Malgré toute la bonne volonté des responsables des centres pour apporter une attention particulière aux enfants des requérants d’asile, le contexte reste difficile pour assurer une bonne éducation. L’enfant est un être fragile, mais qui apprend vite par l’observation et le mimétisme. De ce point de vue, la situation dans laquelle vivent les parents, avec une incertitude permanente quant à l’issue de leurs procédures d’asile, ne leur permet pas d’assumer un projet éducatif stable et serein. Ce qui présente le risque de voir les enfants se forger des habitudes de l’environnement ambiant, sans que cela soit forcément du goût éducatif de leurs parents.

C’est ainsi que nous avons voulu savoir comment les parents font concrètement pour éduquer leurs enfants

Des enfants du Centre de Perreux appliqués à bricoler. Photo: Voix d'Exils

Des enfants du Centre de Perreux appliqués à bricoler. Photo: Voix d’Exils

dans un tel contexte. Notre couple béninois n’a eu que deux mots pour exprimer son angoisse : « c’est difficile » mais, poursuit-il, « nous faisons un effort pour parler régulièrement à notre enfant chaque fois que nous sommes seuls dans notre chambre ». En plus, ce couple nous a avoué n’être pas capable de satisfaire les désirs de leur fillette de cinq ans en matière de loisirs : « quand nous allons dans des magasins, par exemple, elle voit des jouets dont elle a envie, mais nous ne pouvons pas les lui offrir par manque de moyens. Elle doit se contenter des jouets mis à la disposition des enfants par le Centre ». Mais leur préoccupation majeure reste la scolarisation de leur enfant: « pourra-t-elle avoir un niveau scolaire qui ne compromet pas son avenir ? », nous a demandé sa mère. C’est à ce sujet que nous nous sommes entretenus avec la responsable du Centre de Perreux, Mme Françoise Robert.

La scolarisation des enfants au Centre de Perreux

Mme Robert, directrice du Centre de Perreux

Mme Françoise Robert, directrice du CAPE. Photo: Voix d’Exils

Selon Mme Françoise Robert, il s’agit d’un programme spécial destiné aux enfants requérants d’asile. Il a été mis sur pied quand les enfants ne pouvaient plus aller à l’école de la commune de Boudry. Le fait que la plupart des enfants ne parlent pas français était une contrainte supplémentaire pour les enseignants qui devaient disposer de plus de temps et de matériel pour ces enfants. Des difficultés financières avec la commune sont venues compliquer la scolarisation des enfants à Boudry.

C’est ainsi que les responsables du programme de l’enseignement obligatoire ont décidé que les enfants requérant d’asile seraient scolarisés dans le Centre, en y ouvrant une classe. Ce qui est regrettable, de l’avis de Mme Françoise Robert car, explique-t-elle, « les enfants prennent l’école au Centre comme un moment de divertissement. Ils arrivent en retard et des fois il faut courir dans les corridors pour les obliger à aller en classe. » En plus, poursuit-elle, « les enfants qui ont connu l’école de la commune sont un peu perdus quand il faut suivre la nouvelle initiative. Ces rencontres avec d’autres enfants de leur âge leur manquent, des enfants francophones avec qui ils assimilaient rapidement le français, sans oublier le manque d’activités comme le sport et la piscine. »

Cependant, sans s’abandonner à des regrets interminables, les responsables du Centre essaient de faire de leur mieux pour que les enfants ne soient pas totalement coupés de la réalité scolaire dans le contexte particulier qu’est le leur. En ce sens, la contribution du Centre consiste à veiller au bon fonctionnement de cette scolarisation en sensibilisant toujours les enfants et en responsabilisant de plus en plus les parents, étant donné qu’il s’agit de l’avenir de leurs enfants. Le Centre veille aussi au maintien de la parfaite collaboration qui existe entre les enseignants et la direction du Centre pour le bien des enfants dont la situation est déjà particulièrement difficile.

Un programme scolaire spécial

On l’aura deviné : à situation scolaire spéciale, programme scolaire spécial. Donné par deux enseignantes, à

Caroline et Geneviève, les deux enseignantes du CAPE. Photo: Voix d'Exils

Caroline et Geneviève, les deux enseignantes du CAPE. Photo: Voix d’Exils

raison de trois matins par semaine pour l’une et de trois après-midis par semaine pour l’autre, les enseignantes font plus de l’encadrement scolaire qu’un programme scolaire précis pour des enfants compris entre 4 et 14 ans.

D’ailleurs cet accompagnement « n’a aucun objectif comme dans une école normale. Il vise juste à donner aux enfants une petite base en français ainsi qu’en en mathématiques, et à disposer d’une approche de l’école suisse afin de pouvoir éventuellement se débrouiller plus tard », nous a confié Mme Marie-Jeanne Tripet, l’une des maîtresses des enfants. Ce qui fait qu’il n’y a pas de méthodologie définie au préalable. Elle est contextuelle et adaptée à la situation de chaque enfant. A noter que certains enfants arrivent sans avoir été scolarisés auparavant : « ils ne savent pas tenir un crayon, écrire sur un papier. Si cela est déjà difficile pour un enfant qui connaît le français, on peut imaginer la situation d’un enfant qui arrive sans connaître un mot de français! », précise Mme Marie-Jeanne. La limite de la langue reste la difficulté majeure de cette classe à domicile, car elle empêche les enfants d’apprendre rapidement.

Le reste du temps

Des enfants du Centre de Perreux

Des enfants du Centre de Perreux. Photo: Voix d’Exils

Les enfants qui se réveillent d’habitude entre 6h30 et 7h00 et occupent leur journée selon leur âge. Ceux qui atteignent l’âge de quatre ans rejoignent l’école, pendant que les autres restent avec leurs parents ou se rendent à la salle de jeux. En dehors des heures de scolarisation, les enfants jouent entre eux. Leur nombre est souvent un facteur de socialisation, car ils s’adonnent plus facilement à des jeux en groupe, ce qui diminue l’envie d’avoir plus de jouets, comme c’est le cas pour des familles à un ou deux enfants.

Il ne leur reste plus qu’à espérer qu’un jour, ils trouveront des conditions plus favorables pour leur vie future. Mais, en attendant, ils supportent mieux leur situation que leurs parents qui se font davantage de soucis pour leur avenir. Ce qui semble loin des préoccupations des enfants. A les voir jouer entre eux, de fois sans se comprendre à cause des différences de langues, on les imagine heureux à leur manière. Pourvu que leur avenir ne leur réserve pas de mauvaises surprises.

Angèle BAWUMUE NKONGOLO

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils