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«L’objet de l’exil»

Françoise Kury, initiatrice du projet "L'objet de l'exil". Photo: Voix d'Exils.

Françoise Kury, initiatrice du projet « L’objet de l’exil ». Photo: Voix d’Exils.

Bracelet en or, chaussures, habit traditionnel, Bible, chapelet, guitare sont quelques objets précieux – parmi d’autres – que les requérants d’asile emmènent avec eux dans leur périple jusqu’en Suisse. Dans le cadre du projet «l’objet de l’exil», initié par Françoise Kury, Suissesse d’origine rwandaise, ces objets, ainsi que les photos de leurs propriétaires avec leurs valises, tous requérants d’asile résidant dans le centre d’accueil de Perreux dans le canton de Neuchâtel ont été exposés. L’exposition s’est déroulée le samedi 7 septembre à la salle paroissiale Notre-Dame de la Paix, à La Chaux-de-Fonds.

Françoise Kury, 43 ans, dont 18 passés en Suisse, fait part des motivations qui l’ont poussée à initier le projet «L’objet de l’exil» : «ll y a 18 ans, j’étais à la place des requérants d’asile. L’idée de ce projet m’est venue car je voulais savoir ce qu’une personne, en quittant son pays, amène dans sa valise. Alors j’ai choisi dix personnes de différents pays (Guinée, Somalie, Érythrée, Nigeria, Syrie, Ghana et Kosovo) pour parler de leur parcours. J’ai travaillé sur quelque chose qui leur tenait à cœur: l’objet. Spontanément, avec beaucoup d’émotions, chacun a apporté son objet. Quand on en parle, il leur évoque beaucoup de souvenirs qu’ils ont de leur pays. Ces objets sont attachés à eux et à leur famille – bref à leur vie – et ce sont des choses dont ils ne peuvent pas se séparer».

A travers un objet, estime l’initiatrice du projet «l’objet de l’exil», on peut évoquer beaucoup de détails dans la vie d’un requérant d’asile, doucement, sans brusquer les choses. «J’ai vu que les gens arrivaient à s’ouvrir facilement et à parler de leur parcours et même avec beaucoup d’émotion, beaucoup de sentiments parce qu’avant de venir en Suisse, ils ont passé une vie quelque part. Cela, on ne l’oublie pas et il ne faut justement pas le gommer. C’est une façon de montrer à des gens que chaque personne qui immigre a sa propre histoire qu’il faut respecter et c’est à travers son histoire qu’elle va pouvoir partager et s’intégrer facilement», conclut Françoise Kury.

Témoignages de participants

La guitare de Peter Otubuar. Photo: Voix d'Exils.

La guitare de Peter Otubuar. Photo: Voix d’Exils.

Peter Otubuar, Ghanéen: «Mon objet précieux, qui me rappelle mon pays, c’est ma guitare. J’en joue depuis bientôt 25 ans. La musique, c’est ma passion. Sans ma guitare, je me sentirais perdu et malheureux. Je joue souvent les morceaux qui me rappellent les jours heureux quand j’étais chez moi.»

Adan Ducaale Hajna, Somalien: «J’ai 16 ans et j’ai quitté mon pays très jeune. Je n’ai ni photo de ma famille ni objets. J’ai quitté mon pays sans affaires, donc mes souvenirs sont dans ma tête et dans mon cœur.»

Le chapelet de Rosnaassan Hussein. Photo: Voix d'Exils.

Le chapelet de Rosnaassan Hussein. Photo: Voix d’Exils.

Rosnaassan Hussein, Syrien: «Mon seul objet de souvenir, c’est un chapelet donné par un ami et un short acheté avant de quitter mon pays. Le chapelet est un objet très précieux pour moi, parce que je suis croyant. Donc ce chapelet est devenu un objet qui m’a accompagné pendant mon passage dans ce pays.

James Emma, Nigérian: «Mon seul objet précieux, c’est ma Bible. Ce livre est très important pour moi pendant cette période de ma vie. Je suis attaché à elle, car elle me permet de trouver la force pour continuer à me battre».

Abraham Genet, Erythréen: «J’ai décidé de montrer mon habit traditionnel, car c’est le seul élément qui me tient à cœur. Il me rappelle les plus belles cérémonies que j’ai passées avec ma famille avant de quitter le pays. Cet habit évoque mes beaux souvenirs.»

Les chaussures de Skates de Dragan. Photo: Voix d'Exils.

Les chaussures de Skates de Dragan. Photo: Voix d’Exils.

Skates de Dragan, Somalien: «Le seul objet que j’ai et qui me rappelle mon pays, ce sont mes chaussures avec lesquelles j’ai traversé le désert. Mes chaussures, j’y tiens beaucoup, car je les ai achetées avant de prendre la route, elles ont protégé mes pieds tout au long de mon voyage.»

le braclet en or de Diallo Mamadou. Photo: Voix d'Exils.

Le braclet en or de Diallo Mamadou. Photo: Voix d’Exils.

Diallo Mamadou, Guinéen: «J’ai 21 ans et je vis en Suisse depuis 4 ans. L’objet que j’ai choisi de montrer est un bracelet en or donné par un ami. Il tient une place importante dans ma vie, car chaque fois que je me sens mal, ce bijou me donne de la force.»

Famille Przic Zvonto, Kosovare: «La seule chose que nous avons de très précieuse, ce sont nos enfants. On ne possède pas d’objets amenés de chez nous. Notre fils est notre meilleur souvenir de notre pays, car il est né là-bas. L’objet le plus important pour lui, c’est sa planche à roulettes. Il passe son temps à jouer avec, car il est souvent tout seul pour jouer.»

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




«L’asile, c’est fou»

Lucienne Serex. Photo: Voix d'Exils

Lucienne Serex. Photo: Voix d’Exils

«L’asile, c’est fou» est un projet qui a été mis en place par l’Eglise réformée évangélique du Joran lors de l’ouverture du centre d’accueil de Perreux dans le Canton de Neuchâtel. L’objectif qu’il poursuit est d’endiguer le repli identitaire de la population que pourrait susciter l’arrivée de ses nouveaux voisins requérants d’asile. Rencontre avec Lucienne Serex, coordinatrice du projet.

La paroisse du Joran regroupe quatre Communes du Canton de Neuchâtel, à savoir : Boudry, Bevaix, Cortaillod et Saint-Aubin et l’idée du projet «L’asile c’est fou» est partie des appréhensions des habitants de ces communes envers les requérants d’asile lors de l’ouverture, en janvier 2012, du Centre d’accueil de Perreux dans la commune de Boudry. C’est donc pour apaiser ces craintes que la paroisse du Joran a jugé utile de mettre en place ce projet qui donne la parole aux requérants d’asile, afin qu’ils puissent partager les histoires et leurs parcours de vie avant d’arriver en Suisse.

Aux origines du projet

Lucienne Serex se souvient très bien du moment fondateur du projet : «l’idée de base est née quand j’ai déménagé à Bevaix. L’un des sujets évoqué avec mes nouveaux voisins était leur peur d’habiter à proximité d’un centre pour requérants d’asile. Du coup, l’idée m’est venue d’en parler à ma paroisse afin de transmettre un message d’apaisement, mais également des informations qui manque trop souvent: l’histoire personnelle des requérants d’asile et le pourquoi de leur venue en Suisse. Ainsi est né le projet Requer’ensemble, au sein duquel se place celui de «l’asile, c’est fou». Quant aux objectifs du projet, ils sont très clairs : « je voudrais que les gens, quels que soient leurs bords politiques, aient moins peur des requérants d’asile, qu’ils comprennent que les droits de l’humain priment sur le confort et le repli identitaire.»

Un projet mené par les jeunes de la paroisse

«L’asile, c’est fou» est un projet qui est mené par les jeunes de la paroisse du Joran. Il se concrétisera sous la forme d’un film, d’un clip et d’un journal. Le film sera projeté dans les paroisses et les communes, le clip sera diffusé via les réseaux sociaux tel que Facebook, et le journal sera vendu par les jeunes de la paroisse du Joran.

A la question de savoir pourquoi avoir baptisé le projet «L’asile, c’est fou», la coordonnatrice nous révèle que ce titre a plusieurs significations. D’abord, le lieu qui abrite le Centre d’accueil de Perreux est un ancien hôpital psychiatrique, qu’on appelait autrefois «l’asile des fous». Ensuite, il s’agit de susciter l’émotion au sein de la population autochtone en l’aidant à concevoir à quel point c’est terrible (fou!) ce que les requérants d’asile vivent avant leur arrivée en Suisse. Enfin, ce titre vise aussi à ajouter une touche d’humour, car l’humour est plus communicatif que qu’un discours sérieux : «on voulait placer dans le projet quelques touches humoristiques afin de réveiller les spectateurs, de briser leur a priori», conclut-elle.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 




« J’ai fui la Guinée car j’étais menacé de mort par des militaires et un imam »

Photo: Bruno Ben MOUBAMBA (CC BY-NC-SA 2.0)

Photo: Bruno Ben MOUBAMBA (CC BY-NC-SA 2.0)

Moussa Diallo, Peul guinéen de 21 ans, était éleveur de vaches dans son Fouta-Djalon natal. Membre d’un parti politique d’opposition, il a échappé à la mort lors d’un rassemblement politique dans le plus grand stade de Conakry réprimé dans le sang par le pouvoir en place. Il sera poursuivi avant de s’exiler en Suisse. Témoignage.

Logé au centre d’accueil de Perreux, dans le canton de Neuchâtel,  depuis moins d’un mois, en passant par le centre d’enregistrement pour requérants d’asile de Vallorbe et le cantonnement militaire des Pradières, toujours à Neuchâtel, il raconte les motifs qui l’ont poussés à s’exiler et comment il est arrivé en Europe.

Le tournant du rassemblement du 28 septembre 2009 à Conakry
« Je suis fils unique. Ma mère est décédée alors que je n’avais que trois mois. Un jour, je participais avec mon père aux réunions politiques de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), principal parti d’opposition dirigé par Celou Dalein Diallo, challenger du président guinéen Alpha Condé lors de la présidentielle de 2010. Après ces réunions, les militaires nous agressaient et nous menaçaient de mort. C’est ainsi que lors d’un rassemblement en date du 28 septembre 2009, j’étais sur les gradins du plus grand stade de Conakry en compagnie de mon père. Il y avait beaucoup d’opposants, comme Cellou Dalein Diallo, Sydia Touré et Mouctar Diallo. La foule avait littéralement envahi le stade. Les bérets rouges sont alors entrés dans le stade et ont commencé à tirer à bout portant, à lancer des gaz lacrymogènes et à violer des femmes. Une balle a alors touché mon père aux côtes et il est tombé. Dans cette cacophonie, j’ai fui de peur d’être touché à mon tour. On a emmené mon père à l’hôpital national de Donka et je l’ai retrouvé là-bas. Il ne parlait plus. Hormis le 1er janvier 2010 lorsqu’il me dit ceci: « Abdoulaye (c’est le nom de son petit frère qui vit en Angola), je te confie les vaches ». Après, il rendit l’âme. J’ai fui l’hôpital et Conakry, car j’étais recherché par les militaires du capitaine Claude Pivi, devenu entre-temps lieutenant-colonel, qui voulaient me supprimer.

 

En fuite pour l’Europe
Rentré à Fouta-Djalon pour élever les sept vaches laissées par mon père, j’ai été obligé de quitter mon village en octobre 2012, suite aux menaces de mort de l’imam local. Ce dernier, qui ne s’entendait pas avec mon père, m’accusait d’avoir mis enceinte sa troisième épouse, qui avait le même âge que moi, surtout que le bébé me ressemblait comme deux gouttes d’eau. Il faut ici préciser que la femme de l’imam me nourrissait et m’aidait à élever les chevaux. Face aux menaces de mort de l’imam, j’ai alors fui le village le 1er octobre 2012, en marchant huit kilomètres à pieds jusqu’à Labe et, de là, je suis monté à bord d’une voiture pour me rendre au Sénégal, où je suis arrivé le 3 octobre 2012. Dans un parc à Dakar, j’ai rencontré une Guinéenne, mariée à un Mauritanien. Elle m’a amené à Nouakchott, en Mauritanie, où j’y ai passé un mois et 26 jours. A Nouakchott, je subsistais en travaillant dans la menuiserie. Un jour, une personne venue m’acheter des armoires m’a proposé de me rendre en Europe. Je n’y croyait pas mais il avait tout préparé. Le 1er décembre 2012, j’ai quitté Nouakchott pour Nouadibo où j’embarquais gratuitement pour l’Espagne.
La traversée dura sept jours. Mon sac de voyage, où se trouvaient ma carte d’identité et ma carte de membre de l’UFDG, ainsi que mes habits sont passés par dessus bord. Arrivé à Malaga, en Espagne, on m’a dit de fuir. J’ai passé la nuit dans une maison abandonnée. Le matin, un Noir m’a vu et m’a invité chez lui, où j’ai passé huit jours en sa compagnie. Le huitième jour, nous avons pris un bus en partance pour Madrid en Espagne. De Madrid, nous avons pris un train pour Lyon, en France et, de Lyon, nous avons changé de train pour atteindre Genève, en Suisse, le 17 décembre 2012.

Nous avons passé la nuit à Genève chez un ami du Noir rencontré en Espagne. Le 18 décembre, je me suis présenté à Vallorbe, où je suis resté quatre jours, avant d’être transféré au cantonnement militaire des Pradières à Neuchâtel, où j’ai logé pendant deux mois et six jours.

Aux Pradières, on mangeait de la nourriture non cuite, parfois de la viande pourrie. J’ai vu des gens qui cassaient leurs assiettes pour protester contre la mauvaise qualité des aliments qu’on nous servait. A Vallorbe, on était 16 personnes dans une chambre mais, aux Pradières, on était 20. De la gare des Geneveys, sur Coffrane, pour atteindre les Pradières, on faisait une heure et demie de marche, sauf le week-end où le bus nous déposait à la gare.

Pour conclure, je peux dire que mon arrivée en Europe est une aubaine pour moi car je n’ai rien dépensé et j’ai tout laissé derrière moi. Je suis persuadé que c’est Dieu qui m’a aidé. J’aimerais apprendre n’importe quel métier pour ne pas vendre de la drogue. Aujourd’hui, j’ai peur de circuler avec des amis requérants d’asile parce qu’ils peuvent être des dealers sans que je le sache et si on nous arrête ensemble, on peut aussi m’accuser de dealer alors que je ne suis pas un dealer. En Guinée, je n’ai plus de famille depuis la mort de mon père. Il me disait qu’il avait un frère qui vit en Angola, mais je ne l’ai jamais rencontré et je ne sais pas s’il est toujours en vie. Les Peuls sont menacés par le pouvoir politique, du fait qu’ils ont le pouvoir économique. En Suisse, j’ai trouvé la sécurité, la paix et tout est beau ici. En Guinée, je vivais tout le temps dans la peur d’être tué, soit par les militaires du lieutenant colonel Pivi ou les gris-gris de l’imam de Fouta-Djalon ».

Propos recueillis par :

Paul Kiesse
Membre de la rédaction neuchâteloise