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FLASH INFOS #140

Sous la loupe : nouvelles restrictions pour les demandeurs d’asile aux États-Unis? / L’Italie interdit au « Geo Barents » de reprendre la mer / Tunisie : violences contre les migrants subsahariens 

Nos sources:

Aux Etats-Unis, Joe Biden propose de nouvelles restrictions pour les demandeurs d’asile

Le Monde, le 22 février 2023

 

L’Italie interdit au Geo Barents de reprendre la mer

InfoMigrants, le 27 février 2023

 

Tunisie : violences contre les migrants subsahariens après les propos du président Saïed

RFI, le 26 février 2023




Harcèlement sexuel dans l’espace public

Photo: Ahmad Mohammad / Voix d’Exils

Le ras-le-bol des femmes d’ici et d’ailleurs

Hors de leur foyer, les jeunes Iraniennes courent le risque de se faire lourdement draguer, insulter, voire agresser par des hommes qui règnent en maîtres dans l’espace public. Leurs comportements déplacés et violents pèsent sur la liberté de mouvement des femmes et leur équilibre psychique. Moins touchée, la Suisse n’est pourtant pas épargnée par ce phénomène. Notre rédactrice iranienne Zahra raconte.

En Iran, les hommes se sentent supérieurs aux femmes. Ils nous embêtent soi-disant pour rire et pour le plaisir. Ils prétendent que ce qu’ils appellent des « taquineries » sont un moyen de communiquer avec nous et que nous aimons être taquinées. De notre point de vue, c’est complètement faux ! Les hommes n’ont rien à gagner avec des comportements sexuellement agressifs et des paroles déplacées. Mais ils ne nous écoutent pas ! Pour eux, la parole des femmes ne compte pas. Pour illustrer cette réalité, je vais vous raconter trois situations vécues par des amies et par moi-même.

Zahra, 15 ans, victime d’un violent attouchement dans la rue

J’habitais la ville iranienne de Sardasht. C’était la fin de l’année scolaire et, après avoir passé un examen, je rentrais à la maison à pied en compagnie d’une camarade. Nous étions deux adolescentes sans histoires et complices qui papotent tout en marchant. Alors qu’on traversait une ruelle, deux garçons à moto nous ont dépassées et le passager m’a frappée sur les fesses. Cet acte à la fois sexuel et violent m’a profondément choquée. Après, j’en ai longtemps tremblé de peur.

En arrivant chez moi, je n’ai pas osé parler avec mes parents de ce qui m’était arrivé. Je n’avais rien fait et pourtant je me sentais coupable. J’avais peur qu’ils se fâchent et me grondent… C’était inutile aussi de dénoncer ces violences à la police. En Iran, la police prend généralement le parti des agresseurs: « Si tu t’étais bien comportée et si tes habits t’avaient couverte décemment le corps, alors il ne te serait rien arrivé… », voilà la réaction habituelle.

On attendrait de la police qu’elle se montre compréhensive, qu’elle soutienne les femmes qui portent plainte, qu’elle dise que les hommes qui les harcèlent sont des malades, qu’ils n’ont pas d’éducation, mais la plupart des policiers ne valent pas mieux que les harceleurs.

Personnellement, je n’avais rien à me reprocher, je n’étais pas provocante du tout, j’étais habillée avec une longue robe et je portais le voile. Cela n’a pas empêché un inconnu de se sentir autorisé à me donner une fessée. Après cet épisode, je me suis sentie très vulnérable. A chaque fois que je sortais dans la rue, je regardais autour de moi pour m’assurer que je n’allais pas à nouveau me faire agresser.

Farzaneh, 25 ans, victime d’un rodéo-drague sur l’autoroute

Les hommes de mon pays se font un plaisir de harceler aussi les femmes qui conduisent. Il y a quelques temps, mon amie Farzaneh, qui habite dans la ville d’Ouromiye, avait pris sa voiture pour se rendre au travail.

En entrant sur l’autoroute, elle s’est aperçue qu’un homme la suivait. Il se comportait comme s’il était fou : pendant tout le trajet, il se déplaçait à sa hauteur sur la piste de dépassement, lui faisait de grands gestes obscènes et puis revenait derrière elle en la collant pare-chocs contre pare-chocs, il allumait et éteignait ses phares, il la klaxonnait…

Au début, elle a juste pensé que c’était une mauvaise plaisanterie sans importance, puis le comportement et les gestes de cet homme lui ont vraiment fait peur. Elle s’est sentie en danger. En sortant de l’autoroute près de son travail, elle a pensé qu’il allait laisser tomber. En fait, il l’avait suivie discrètement dans les ruelles et lorsqu’elle s’est garée, elle l’a vu surgir devant sa voiture.

A ce moment-là, elle s’est sentie impuissante, elle ne savait pas comment réagir. Et puis, elle s’est reprise, elle a fait marche arrière et elle est partie. Cette fois, l’homme ne l’a pas suivie. Il avait probablement atteint son objectif : lui faire peur et lui montrer qu’il était le plus fort…

Mon amie n’a même pas pensé à noter la plaque de la voiture de cet homme pour le dénoncer à la police. De toute façon, ça n’aurait probablement servi à rien.

Bafrin, 22 ans, victime de gestes déplacés dans un taxi

Alors qu’elle rentrait à la maison en taxi, Bafrin, étudiante à l’université de Khoy a vécu une mésaventure particulièrement stressante.

C’était le début des vacances scolaires et, après 6 heures de bus elle était enfin arrivée à la gare principale. Elle avait encore un peu de chemin à faire et elle a opté pour le taxi. Il était 19h, il faisait déjà sombre en cette fin d’après-midi d’automne et elle ne voulait pas marcher seule dans la rue. Elle pensait être en sécurité à l’arrière du taxi dans lequel elle était montée. Mais lorsque le chauffeur a démarré, il a commencé à lui caresser la jambe et lui a proposé des relations sexuelles.

Heureusement, Bafrin n’a pas perdu tous ses moyens. Elle a eu le réflexe d’appeler discrètement son père et de mettre sur haut-parleur sa conversation avec le chauffeur sans que ce dernier ne s’en rende compte.

Le père, qui entendait tout ce qui se disait dans le taxi, a compris que sa fille était en danger. Il a pris sa voiture et sur la base des indications que sa fille lui donnait indirectement, – elle citait les lieux par lesquels le taxi passait -, il a pu les retrouver.

Quand le chauffeur de taxi s’est rendu compte qu’il était suivi, il a aussitôt fait descendre Bafrin. Mais son père avait eu le temps de noter le numéro de plaque et il a porté plainte au commissariat au nom de sa fille. D’homme à hommes, le courant est passé. La police a pris la situation de ce père outragé au sérieux. Elle a arrêté le chauffeur et l’a emprisonné en attente de sa comparution devant le juge.

Lors de son jugement, il a prétendu qu’il était innocent, mais le père de Bafrin qui avait enregistré la discussion dans le taxi a pu prouver le contraire. Comme le chauffeur avait menti, il a été frappé en plein tribunal devant Bafrin… Pour elle, cette pénible expérience suivie par des actes de violence jusque dans un tribunal ont été très traumatisantes. Elle n’est plus jamais montée seule dans un taxi.

En Suisse aussi…

En parlant autour de moi de cet article sur le harcèlement dans l’espace public vécu par mes compatriotes, j’ai réalisé que cette problématique dépassait le cadre de mon pays. A Lausanne, mon amie Julie a, elle aussi, été victime de harcèlement. Elle a accepté de témoigner d’un épisode qui l’a durablement marquée.

Julie, 18 ans, victime d’un harceleur au petit matin

Après avoir fait la fête à Lausanne, Julie descendait seule la rue très pentue du Petit-Chêne en direction de la gare. A un moment, elle a senti une présence derrière elle. Elle s’est retournée, elle a vu un homme et s’est demandée avec un début d’inquiétude s’il avait l’intention de la draguer. Elle a continué sa route en se disant qu’elle se faisait un film dans sa tête et qu’elle ne risquait rien.

A cette heure avancée – il devait être près de 3 heures du matin – le seul souhait de Julie était de pouvoir prendre son train sans être molestée et de rentrer à la maison.

Mais, en continuant son chemin, elle a compris que cet inconnu la suivait réellement. Il s’était rapproché d’elle et lui faisait des propositions sexuelles. Elle avait beau lui répondre qu’elle n’était pas intéressée en espérant qu’il allait laisser tomber, il insistait.

Plus elle avançait, et plus il se rapprochait. Elle accélérait, il faisait de même. Ils étaient seuls dans la rue. Elle avait tellement peur qu’elle s’est mise à courir jusqu’à la gare pour rejoindre un endroit avec du passage et des personnes qui pourraient éventuellement l’aider.

Arrivée à la gare, elle avait constaté que l’individu ne la suivait plus. Aujourd’hui encore, elle se souvient du tremblement de ses mains et de son cœur battant. Pour trouver du réconfort, elle avait appelé un ami qui était avec elle en ville ce soir-là. Elle avait besoin de lui raconter sa mésaventure et de lui demander de la rejoindre au plus vite afin d’être rassurée.

Zahra Ahmadyan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

EyesUp: une application pour lutter contre le harcèlement

Le harcèlement sexuel s’invite partout : dans la rue, dans le bus, en soirée, mais également à la salle de sport ou au travail. Et ses victimes sont nombreuses. A titre d’exemple, 72 % des jeunes Lausannoises ont été confrontées, au moins une fois, à un épisode de harcèlement de rue au cours des 12 derniers mois.

La plupart du temps, pour les femmes harcelées, il est impossible de réagir sans se mettre en danger. Elles baissent les yeux, rasent les murs, accélèrent le pas et tentent d’oublier au plus vite ces pénibles moments… D’où des sentiments d’injustice, de colère et d’impuissance.

Pour aider les femmes à relever la tête, un groupe de bénévoles Lausannois a mis au point EyesUp: une application pour smartphones qui permet de signaler les comportements déplacés à caractère sexuel, tout en restant anonyme. Plus largement, l’objectif de EyesUp est de documenter, sur la base des signalements reçus, le phénomène du harcèlement pour que les pouvoirs publics réalisent son niveau de gravité et prennent des mesures pour en libérer les femmes.

Sur son site, EyesUp regroupe des ressources pour soutenir, informer et sensibiliser. Elle rassemble des articles de vulgarisation scientifique, des fiches d’informations, des astuces ainsi qu’un recueil des associations actives dans les domaines pouvant toucher au harcèlement sexuel.

Z.A

Pour aller plus loin :

Consultez le site internet de Eyesup:

eyesup – l application contre le harcèlement (eyesupapp.ch)

 

 




Débat à l’Université de Neuchâtel autour du renvoi des criminels étrangers

De gauche à droite

Les intervenants et intervenantes du débat. Photo: Voix d’Exils.

A l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme, le Centre Suisse de compétence pour les droits humains (CSDH) a organisé à l’Université de Neuchâtel une conférence-débat sur la question du renvoi des criminels étrangers en lien avec le droit au respect de la vie familiale et le respect du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le mercredi 11 décembre dernier, sous la modération de la journaliste Valérie Kernen, les conseillers d’État neuchâtelois en charge de l’Économie et de l’Action sociale, Jean-Nathanaël Karakash, et vaudois en charge de l’Economie et du Sport, Philippe Leuba, ainsi que la politologue Nicole Wirchmann ont décortiqué ce thème, tout en revenant sur la question de faire cohabiter la sécurité intérieure et le respect des droits fondamentaux. Relevons tout de suite que le Service des migrations (SMIG) de Neuchâtel et l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) dépendent des départements dirigés par Messieurs Karakash et Leuba.

Plus de 2000 étrangers expulsés de Suisse depuis 2008

La politologue Nicole Wirchmann est revenue sur les différents instruments juridiques suisses qui prévoient le renvoi des criminels étrangers et qui protègent les droits de l’enfant. Selon les statistiques qu’elle a fournies, depuis 2008, plus de 2000 criminels étrangers sur le 1,2 million d’étrangers vivant en Suisse ont été expulsés et le pic a été atteint en 2010 avec 550 expulsions. Elle a par ailleurs souligné qu’«un étranger non Européen condamné à une peine privative de liberté de longue durée (12 mois au minimum), ou qui a fait l’objet d’une mesure pénale, peut voir son permis de séjour révoqué et être expulsé de la Suisse. Les Européens, pour être expulsés, doivent constituer une menace réelle et porter une atteinte d’une certaine gravité sur la sécurité de la société ou en cas de récidive». Donc, les Européens jouissent d’une protection très importante. Ensuite viennent les détenteurs d’une autorisation d’établissement (permis C) et les personnes mariées avec des Suisses ou des Suissesses ou ayant des enfants suisses et, enfin, les personnes détentrices d’autorisation de séjour (permis B). En définitive, conclura-t-elle, «plus votre droit de séjourner en Suisse est consolidé, plus votre durée de séjour en Suisse est longue, plus vous êtes protégé contre un renvoi». La politologue a terminé son exposé en précisant que la décision de renvoi d’un étranger criminel est prise par l’autorité cantonale en charge des questions relatives à la migration à la suite d’une action juridique où les cours et tribunaux décident si le renvoi de la personne est légitime ou non. Toutefois, a-t-elle indiqué, la Cour européenne des droits de l’homme n’accepte pas le renvoi des personnes mineures.

Aucun mineur étranger vivant en famille expulsé dans le canton de Vaud

Parlant de la pratique du renvoi des criminels étrangers dans le canton de Vaud, «canton réputé répressif et dur en matière de renvoi des étrangers criminels», selon les termes de la journaliste Valérie Kernen, le Conseiller d’État vaudois Philippe Leuba, en fonction depuis 2007, soutient que «lorsque les conditions légales permettent une révocation d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement, j’ai demandé à mes services d’analyser systématiquement les situations. Pour les détenteurs de permis C, c’est moi personnellement qui assume la révocation et c’est une décision très lourde à prendre, parce que vous touchez de très près la vie humaine dans ce qu’elle a de chair et d’os. Et j’estime qu’il appartient au politique de l’assumer et pas à l’administration. Pour les permis B et N, c’est l’administration qui est compétente en la matière, sous réserve évidemment d’une voie de recours au Tribunal Fédéral. Le taux de validation de nos décisions par le Tribunal Fédéral est très important et on a très peu d’échecs. Nos décisions sont rarement cassées, rendant le renvoi effectif lorsque le pays d’origine de la personne à expulser a signé un accord de réadmission avec la Suisse». S’agissant du renvoi des mineurs, M. Leuba a indiqué qu’il ne connaît pas dans le canton de Vaud de cas d’expulsion de mineurs ayant une famille en Suisse, sauf le cas d’un mineur Africain non accompagné venant d’Italie, renvoyé dans le cadre des accords de Dublin.

S’agissant de «l’amalgame qui assimile les requérants d’asile à des délinquants en puissance», le conseiller d’État Leuba affirme qu’il condamne cet amalgame à travers une politique expliquée, assumée et démontrée et lutte, par ailleurs, contre les politiques de «yakafokon» (ndlr : le yakafokon est une expression qui s’emploie pour critiquer et se moquer des personnes qui proposent à d’autres des solutions simplistes et irréalistes car négligeant des obstacles majeurs), dont l’initiative de l’Union démocratique du centre (UDC) sur le renvoi des criminels étrangers est l’illustration. Pour M. Leuba, «si l’initiative de l’UDC a été acceptée par une majorité de Suisses, c’est parce qu’elle a profité d’un sentiment populaire», relevant tout de même que «lorsqu’on expulse un étranger qui refuse délibérément de respecter notre ordre juridique, c’est comme ça qu’on démontrera qu’on a une politique cohérente et équilibrée».

Approche prudente sur le renvoi des criminels étrangers dans le canton de Neuchâtel

Intervenant en dernier lieu, le conseiller d’État neuchâtelois Jean-Nathanaël Karakash, en fonction depuis mai 2013, a relevé que dans le canton de Neuchâtel, les recours contre les décisions de révocation des autorisations de séjour et d’établissement sont traités par lui. «A Neuchâtel, on applique le droit, en tenant compte de la pesée des intérêts, de l’examen de la proportionnalité au cas par cas, du risque de récidive, de la prise de conscience, de la durée de séjour en Suisse, de la solidité des liens sociaux, de la situation familiale, de la nationalité, de la possibilité du retour au pays, de l’état de santé, de la connaissance de l’infraction, de l’existence des liens de mariage, de l’intérêt des enfants, autant de facteurs qui sont analysés», a-t-il dit, avant de poursuivre : «A Neuchâtel, on est plutôt dans une approche prudente, et si on considère qu’il y a risque de récidive assez faible et un danger limité pour la société d’accueil, on a une possibilité de réexaminer le dossier, plutôt que de voir nos décisions être révoquées. Neuchâtel se trouve dans un arbitrage constant d’allocations de moyens, l’opportunité de déployer un arsenal pour rendre des décisions de recours et pour exécuter les renvois lorsqu’ils sont possibles». Selon M. Karakash, «il est aberrant de gaspiller les fonds publics lorsque la personne qu’on a renvoyé de la Suisse y retourne au même moment que les personnes qui ont exécuté son renvoi». Il s’interroge aussi sur la pertinence des lenteurs de dispositifs qu’on met en place pour forcer les renvois.

Quid du renvoi d’un père de famille ?

Au cours du débat, répondant à une question de l’avenir de la famille en cas de révocation du permis de séjour et d’expulsion du père, M. Leuba a noté que dans le canton de Vaud, «si c’est le père qui est expulsé, la famille a la possibilité de le suivre, mais ce n’est pas parce qu’on révoque le permis B ou C de Monsieur Dupont, que celui de Madame Dupont doit aussi tomber. Le traitement est individualisé et ne concerne pas les autres membres de la famille». Cependant, a-t-il précisé, «pour une personne mineure, la procédure d’expulsion est collective car un mineur ne peut être séparé de ses parents».

Évoquant la mise en œuvre de l’initiative de l’UDC sur le renvoi des criminels étrangers, votée le 28 novembre 2010 et adoptée par 53% des citoyens ayant participé au scrutin, les trois orateurs ont unanimement reconnu des difficultés d’application, car l’initiative entre en conflit avec le droit international, surtout sur les points qui contreviennent à des principes fondamentaux comme ceux de la proportionnalité et des droits de l’homme. Il y a également le problème des ressortissants des pays dont la Suisse n’a pas signé d’accords de réadmission.

Pour la politologue Wirchmann, le débat sur le renvoi des criminels étrangers fait apparaître un conflit entre le renvoi, les considérations de la famille et l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle souligne qu’il y a globalement un conflit entre les droits de l’homme et la démocratie et entre le droit national et le droit international.

Pour M. Karakash, «on ne peut pas appliquer l’initiative UDC comme telle. La population l’a votée en connaissance de cause en sachant qu’elle ne serait pas applicable». Pour M. Leuba, «le peuple était informé mais n’en a pas tenu compte, il faut que la population ait la conviction qu’une politique normale est possible ».

Position du Tribunal fédéral

En fin de débat, la position du Tribunal fédéral (TF), qui refuse l’application de l’initiative de l’UDC parce qu’elle viole le droit international, a été expliquée. Dans sa jurisprudence du 12 octobre 2012, le TF affirme que le droit international impératif prime sur le droit national, qu’il soit constitutionnel ou légal. Or, le droit international parle de la proportionnalité en cas de renvoi, tandis que la Constitution suisse parle de l’automaticité du renvoi des criminels étrangers. D’où la nécessité, pour les autorités cantonales en charge des questions relatives à la migration, d’appliquer la Constitution et le droit pénal suisses avec le risque de voir en cas de recours leurs décisions cassées par le TF ou la Cour européenne des droits de l’homme.

Fin novembre 2013, le Conseil fédéral prévoyait de revoir le texte de l’initiative afin de le conformer au droit international impératif et mi-février 2014, la Commission des institutions politiques du Conseil des États a décidé de reprendre la grande majorité des propositions de l’UDC pour mettre en œuvre le renvoi des criminels étrangers.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




Les conséquences de la dernière révision de la loi sur l’asile

Philippe Stern, juriste au Service d’aide juridique aux exilés (SAJE). Photo: Voix d'Exils.

Philippe Stern, juriste au Service d’aide juridique aux exilés (SAJE). Photo: Voix d’Exils.

Les citoyens suisses ont voté massivement le 9 juin 2013 en faveur du durcissement de la loi sur l’asile. Par voie d’ordonnance, le Conseil fédéral a donc adopté les modifications nécessaires à la mise en œuvre de cette révision et prévu des phases test pour son application. Le mercredi 26 février 2014, il annonce qu’il souhaite prolonger la durée de validité des modifications urgentes de la loi sur l’asile de quatre ans initialement prévues jusqu’en septembre 2015. Afin de mieux comprendre les conséquences de cette nouvelle politique, Voix d’Exils a rencontré Philippe Stern, juriste au Service d’aide juridique aux exilés (SAJE).

Voix d’Exils: Selon vous, quelles sont les principales conséquences de l’entrée en vigueur, le 1 octobre 2013, de la révision de la loi sur l’asile ?

Philippe Stern: La votation de juin 2013 avait pour objectif de confirmer ou non l’entrée en vigueur des mesures urgentes de septembre 2012 concernant la loi sur l’asile. Les citoyens suisses devaient donc notamment se prononcer sur la question de la désertion comme n’étant plus un motif d’asile, sur la suppression des demandes d’asile déposées à l’étranger ou, encore, sur la création de camps pour les requérants «récalcitrants». Un deuxième volet de la révision de la loi sur l’asile a été introduit en février 2014 avec, notamment, la procédure «test» mise en place à Zurich. Quant au dernier volet de la révision, il aura pour but de valider définitivement la nouvelle procédure d’asile accélérée. Ces révisions vont toutes dans la direction d’un durcissement en matière d’asile.

Concernant les mesures urgentes, la principale conséquence est que les demandes d’asile ne peuvent plus être déposées depuis l’étranger auprès des ambassades de Suisse. Cette nouvelle mesure ferme la porte à beaucoup ; pour les Érythréens, notamment, qui déposaient des demandes à l’ambassade de Suisse du Soudan, ainsi que pour les Somaliens en Éthiopie.

Par ailleurs, sur la question de l’accélération de la procédure, nous y sommes naturellement opposés. En effet, avec cette réglementation, il sera difficile d’établir les faits de manière exhaustive, notamment les problématiques médicales, respectivement de défendre équitablement le droit des requérants d’asile. La défense juridique des requérants va donc devenir compliquée.

Concrètement, pouvez-vous nous donner une illustration de ce qui va se passer ?

Pour mettre en œuvre l’accélération de la procédure, un centre d’enregistrement fédéral est ouvert à Zurich depuis le 1er janvier 2014. Le requérant qui a déposé une demande y est transféré pour une dizaine de jours durant lesquels il aura deux auditions. Il pourra aussi bénéficier d’une représentation juridique. Cependant, au SAJE, nous sommes inquiets de l’indépendance de ces représentants par rapport à l’Office fédéral des migrations (ODM), puisque tous travailleront sous le même toit.

Cette centralisation concerne 70% des requérants. Tout devra se passer très, très rapidement. Si la décision est négative, s’y opposer par un recours deviendra extrêmement difficile. En effet, auparavant, même avec une décision négative, les requérants d’asile étaient transférés dans un canton, ce qui laissait du temps pour étudier le dossier. Désormais, une demande d’asile est traitée en dix jours, si la décision est négative, la personne est censée repartir dans le pays déclaré d’origine.

La nouvelle procédure centralise donc tout au niveau fédéral, il n’y a plus d’attribution aux cantons. Même si au cours de la procédure, de nouveaux éléments interviennent et pourraient la prolonger, les requérants seront toujours placés dans des centres d’attente fédéraux. N’ayant pas de lien direct avec ces personnes, le SAJE ne pourra plus rien entreprendre pour eux.

Nous aimerions plus précisément parler de la détention administrative et de l’ouverture, à Zurich, d’un centre destiné aux requérants d’asile dits «récalcitrants» qui pourraient «menacer la sécurité et l’ordre public». Comment va fonctionner cette nouvelle institution?

Le centre de Zurich n’a pas pour but d’héberger les requérants d’asile récalcitrants, mais se concentre sur le traitement accéléré des procédures d’asile. C’est la concrétisation des nouvelles dispositions du deuxième volet de la modification de la loi sur l’asile. La première modification, en vigueur depuis septembre 2012, concerne les mesures urgentes avec notamment la création de centres d’hébergement pour requérants d’asile récalcitrants. Cette dernière mesure n’a pas eu de réelle concrétisation dans le canton de Vaud.

On a beaucoup parlé du vague des termes : « menacer la sécurité publique » ou « récalcitrants ». Du point juridique, que pouvez-vous nous en dire, comment cela se détermine-t-il ?

C’est évidemment très délicat et problématique. Même avec un comportement exemplaire, un requérant pourrait être considéré récalcitrant par le fait de déposer deux ou trois fois une demande d’asile en Suisse. Il abuserait ainsi du système helvétique qui lui aurait déjà rendu une réponse négative. A titre d’exemple, l’on pense qu’il sera de plus en plus difficile d’obtenir des admissions provisoires pour des personnes déboutées mais dont la situation de santé s’est gravement détériorée en Suisse. D’un côté, on ne peut pas humainement renvoyer de force ces personnes malades dans leur pays d’origine. De l’autre, ces requérants vulnérables se verraient privés d’une régularisation possible car dans l’impossibilité de déposer une demande de réexamen de leur situation.

De quelle manière cette révision va influencer le nombre des demandes d’asiles ?

Il y a en effet un aspect vraiment politique. La loi est plus restrictive, on le sait et ce message circule au sein des différents réseaux de requérants d’asile potentiels. La Suisse perd son image de pays d’accueil et, au final, il y aura certainement moins de demandes d’asile.

Lamin et Elisabeth

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

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SAJE
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Tél. +41 21 351 25 51