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Les conséquences de la dernière révision de la loi sur l’asile

Philippe Stern, juriste au Service d’aide juridique aux exilés (SAJE). Photo: Voix d'Exils.

Philippe Stern, juriste au Service d’aide juridique aux exilés (SAJE). Photo: Voix d’Exils.

Les citoyens suisses ont voté massivement le 9 juin 2013 en faveur du durcissement de la loi sur l’asile. Par voie d’ordonnance, le Conseil fédéral a donc adopté les modifications nécessaires à la mise en œuvre de cette révision et prévu des phases test pour son application. Le mercredi 26 février 2014, il annonce qu’il souhaite prolonger la durée de validité des modifications urgentes de la loi sur l’asile de quatre ans initialement prévues jusqu’en septembre 2015. Afin de mieux comprendre les conséquences de cette nouvelle politique, Voix d’Exils a rencontré Philippe Stern, juriste au Service d’aide juridique aux exilés (SAJE).

Voix d’Exils: Selon vous, quelles sont les principales conséquences de l’entrée en vigueur, le 1 octobre 2013, de la révision de la loi sur l’asile ?

Philippe Stern: La votation de juin 2013 avait pour objectif de confirmer ou non l’entrée en vigueur des mesures urgentes de septembre 2012 concernant la loi sur l’asile. Les citoyens suisses devaient donc notamment se prononcer sur la question de la désertion comme n’étant plus un motif d’asile, sur la suppression des demandes d’asile déposées à l’étranger ou, encore, sur la création de camps pour les requérants «récalcitrants». Un deuxième volet de la révision de la loi sur l’asile a été introduit en février 2014 avec, notamment, la procédure «test» mise en place à Zurich. Quant au dernier volet de la révision, il aura pour but de valider définitivement la nouvelle procédure d’asile accélérée. Ces révisions vont toutes dans la direction d’un durcissement en matière d’asile.

Concernant les mesures urgentes, la principale conséquence est que les demandes d’asile ne peuvent plus être déposées depuis l’étranger auprès des ambassades de Suisse. Cette nouvelle mesure ferme la porte à beaucoup ; pour les Érythréens, notamment, qui déposaient des demandes à l’ambassade de Suisse du Soudan, ainsi que pour les Somaliens en Éthiopie.

Par ailleurs, sur la question de l’accélération de la procédure, nous y sommes naturellement opposés. En effet, avec cette réglementation, il sera difficile d’établir les faits de manière exhaustive, notamment les problématiques médicales, respectivement de défendre équitablement le droit des requérants d’asile. La défense juridique des requérants va donc devenir compliquée.

Concrètement, pouvez-vous nous donner une illustration de ce qui va se passer ?

Pour mettre en œuvre l’accélération de la procédure, un centre d’enregistrement fédéral est ouvert à Zurich depuis le 1er janvier 2014. Le requérant qui a déposé une demande y est transféré pour une dizaine de jours durant lesquels il aura deux auditions. Il pourra aussi bénéficier d’une représentation juridique. Cependant, au SAJE, nous sommes inquiets de l’indépendance de ces représentants par rapport à l’Office fédéral des migrations (ODM), puisque tous travailleront sous le même toit.

Cette centralisation concerne 70% des requérants. Tout devra se passer très, très rapidement. Si la décision est négative, s’y opposer par un recours deviendra extrêmement difficile. En effet, auparavant, même avec une décision négative, les requérants d’asile étaient transférés dans un canton, ce qui laissait du temps pour étudier le dossier. Désormais, une demande d’asile est traitée en dix jours, si la décision est négative, la personne est censée repartir dans le pays déclaré d’origine.

La nouvelle procédure centralise donc tout au niveau fédéral, il n’y a plus d’attribution aux cantons. Même si au cours de la procédure, de nouveaux éléments interviennent et pourraient la prolonger, les requérants seront toujours placés dans des centres d’attente fédéraux. N’ayant pas de lien direct avec ces personnes, le SAJE ne pourra plus rien entreprendre pour eux.

Nous aimerions plus précisément parler de la détention administrative et de l’ouverture, à Zurich, d’un centre destiné aux requérants d’asile dits «récalcitrants» qui pourraient «menacer la sécurité et l’ordre public». Comment va fonctionner cette nouvelle institution?

Le centre de Zurich n’a pas pour but d’héberger les requérants d’asile récalcitrants, mais se concentre sur le traitement accéléré des procédures d’asile. C’est la concrétisation des nouvelles dispositions du deuxième volet de la modification de la loi sur l’asile. La première modification, en vigueur depuis septembre 2012, concerne les mesures urgentes avec notamment la création de centres d’hébergement pour requérants d’asile récalcitrants. Cette dernière mesure n’a pas eu de réelle concrétisation dans le canton de Vaud.

On a beaucoup parlé du vague des termes : « menacer la sécurité publique » ou « récalcitrants ». Du point juridique, que pouvez-vous nous en dire, comment cela se détermine-t-il ?

C’est évidemment très délicat et problématique. Même avec un comportement exemplaire, un requérant pourrait être considéré récalcitrant par le fait de déposer deux ou trois fois une demande d’asile en Suisse. Il abuserait ainsi du système helvétique qui lui aurait déjà rendu une réponse négative. A titre d’exemple, l’on pense qu’il sera de plus en plus difficile d’obtenir des admissions provisoires pour des personnes déboutées mais dont la situation de santé s’est gravement détériorée en Suisse. D’un côté, on ne peut pas humainement renvoyer de force ces personnes malades dans leur pays d’origine. De l’autre, ces requérants vulnérables se verraient privés d’une régularisation possible car dans l’impossibilité de déposer une demande de réexamen de leur situation.

De quelle manière cette révision va influencer le nombre des demandes d’asiles ?

Il y a en effet un aspect vraiment politique. La loi est plus restrictive, on le sait et ce message circule au sein des différents réseaux de requérants d’asile potentiels. La Suisse perd son image de pays d’accueil et, au final, il y aura certainement moins de demandes d’asile.

Lamin et Elisabeth

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Informations

SAJE
Service d’Aide Juridique aux Exilé-e-s
Rue Enning 4
1003 Lausanne
Tél. +41 21 351 25 51



Une flash mob pour dire « non le 9 juin prochain à la révision de la loi sur l’asile »

© Kevin Seisdedos

La flash mob du 13 mai 2013 à Lausanne. Photo: © Kevin Seisdedos

L’on s’imaginait sur la scène d’un drame, après le naufrage d’un navire : des cadavres jonchent le sol sur une plage, emballés dans des sacs noirs et prêts à être expédiés au service d’identification des victimes de la morgue. Le lundi 13 mai, à la Place de l’Europe à Lausanne, un message fort a été porté par une cinquantaine de manifestants à l’occasion d’une flash mob de 7 minutes. Des images chocs dont le but est d’inviter la population suisse à voter non à la révision de la loi sur l’asile le 9 juin prochain.

Sous un soleil radieux en cette fin de journée du lundi 13 mai, un coup de sifflet retentit et, soudain, un groupe d’une cinquantaine des personnes composé d’hommes, de femmes et d’enfants s’étend sur le sol de la place de l’Europe à Lausanne. Une fois à terre, ils se recouvrent de sacs poubelles noirs, rappelant des sacs à cadavres, pour remémorer les corps sans vie des plus de 1500 victimes de noyade et portés disparus lors de leur tentative de traverser la mer Méditerranée pour atteindre l’Europe en 2011.

Deux hommes sandwich sillonnent les corps emballés de plastique et distribuent aux passants des dépliants signés par la Gauche Anticapitaliste qui affirment que « défendre le droit d’asile, c’est défendre (…) tous ceux qui se battent contre des régimes dictatoriaux pour le respect des droits humains et politiques ».

Photo: Sara Page, Voix d'Exils

Photo: Sara Page, Voix d’Exils

A l’extrémité de la place, deux personnes tendent une banderole sur laquelle on peut lire: « complice de

noyade ? Non le 9 juin ».

Je m’adresse alors à la personne qui a sifflé le coup d’envoi de l’action qui répond au nom de Gaëlle Lapique, membre des Verts lausannois et de la coalition du « Non à la révision de la loi sur l’asile du 9 juin ». Elle m’apprend alors que le message principal qui motive cette flash mob est de maintenir la possibilité de déposer une demande d’asile dans des représentations suisses à l’étranger. Clause qui risque en effet d’être supprimée à l’occasion de la révision de la loi sur l’asile suisse du 9 juin prochain. « La suppression de cette possibilité ne ferait qu’augmenter le nombre des victimes de noyade dont les corps sont retrouvés sur les plages de la Méditerranée et favoriserait le développement des réseaux mafieux de passeurs. C’est pourquoi nous devons voter non » martèle Gaëlle Lapique. Notons au passage que la place de l’Europe était le lieu idéal pour mener une telle action, car elle symbolise l’image de « la forteresse européenne », dont les frontières deviennent quasi infranchissables, et qui poussent, parfois, certains migrants à emprunter des chemins dangereux pour rejoindre l’Europe, et ce même au péril de leur vie.

Pastodelou

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Requérants-épouvantails

Un épuvantail. Photo : Jc (CC BY-NC-ND 2.0)

Un épouvantail. Photo : Jc
(CC BY-NC-ND 2.0)

Le 9 juin prochain, le peuple suisse se prononcera sur une énième révision de la loi sur l’asile… Ou plutôt un énième durcissement de la loi sur l’asile consécutif au fait que « le Parlement a révisé la loi sur l’asile et a déclaré urgentes plusieurs dispositions qui sont entrées en vigueur le 29 septembre 2012 ». Pour une population qui représente à peine 1% des résidents en Suisse, les autorités helvétiques n’en font-elle pas trop ?

N’est-ce pas là une sorte de diabolisation d’une couche de personnes très vulnérables, dont la majorité ont été contraintes de quitter leur pays en catastrophe ? On parle notamment de la suppression des demandes d’asile dans les ambassades, de la suppression de la désertion comme motif d’asile, de la création de « centres spéciaux » pour « requérants d’asile récalcitrants ».

Qui sera considéré comme « récalcitrant » ?

Penchons-nous justement sur l’idée de créer des « centres spéciaux » pour « requérants récalcitrants », une idée qui fait couler beaucoup d’encre et de salive. Qui seront les pensionnaires ? Quels seront les critères ? Ne sommes nous pas en train d’assister à la création d’un nouveau statut de requérants par Berne ? Après l’invention du statut de NEM (Non Entrée en Matière), ou encore celui de « requérants à l’Aide d’urgences » pour des requérants déboutés, avec la stigmatisation que l’on sait ? Certains partis de la droite suisse évoquaient dans un premier temps (il y a quelques mois déjà) l’idée de construire des « camps d’internement », nous rappelant les tristement célèbres camps de concentration nazis… Une idée qui avait vite été réfutée par les autres partis suisses, mais qui semble aujourd’hui (au moins pour certains) acceptable. La question qui taraude l’observateur neutre est de savoir pourquoi certains politiciens essaient d’attiser dangereusement les passions anti-immigrés ? par calcul politique à court terme ! Comment en est-on arrivé là ?

Philippe Currat, membre de la commission des Droits de l’homme de l’Ordre des avocats de Genève avertit déjà dans Le Matin dimanche du 30 mars 2013 que « la notion de récalcitrant est très floue et j’ai l’impression que c’est intentionnel. Ça laisse le champ libre aux autorités pour écarter quelqu’un sans avoir à se justifier. » Un requérant, que nous avons rencontré, dit « avoir peur que certains employés dans le milieu de l’asile s’en servent pour « régler des comptes » puisque rien est défini ». Alors qu’un autre nous demandait innocemment si « l’oubli d’acheter un ticket de métro ou de train, qui est déjà sanctionné par une amende, serait considéré comme un motif d’envoi dans un centre pour récalcitrants ? »

Autant de questions sur lesquelles les autorités devront se pencher !

« Acharnement incompréhensible » sur une population qui représente moins de 1% de résidents en Suisse

La création de centres pour récalcitrants, sans en avoir prédéterminé les règles, ouvre la voie à de possibles dérapages. Aldo Brina, co-président de Stop Exclusion, est clair là-dessus : « La création de centres pour récalcitrants n’apporte rien de bon, elle n’apporte que de l’arbitraire, car on ne sait pas qui est un récalcitrant, ni qui va être envoyé. Surtout qu’une personne placée dans un centre spécifique ne peut pas contester la mesure immédiatement. Elle ne peut le faire qu’après avoir passé quelques jours là-bas », conclut-il sur les ondes de la RTS.

Les révisions d’asile se succèdent rapidement en Suisse, certaines ONGs parlent « d’acharnement incompréhensible » sur une population qui représente moins de 1% des résidents en Suisse. Mais Jo Lang, Vice-président des Verts temporise « en Suisse, il n’y a pas que l’anti-asile et la xénophobie, il y a aussi de l’humanisme. »

« On ne reste pas des réfugiés pour la vie »

Les auteurs du referendum contre la modification de la loi sur l’asile dénoncent « des mesures urgentes inutiles et inhumaines », et se plaignent « de l’hystérie permanente et de la méfiance systématique envers les réfugiés. »

A qui profite ce climat malsain ? Cette zizanie semée entre personnes vivant dans un même pays ? La Suisse pays réputés humanitaire ?! Pourquoi vouloir toujours criminaliser, diaboliser, stigmatiser une catégorie minoritaire, souvent silencieuse et désorganisée, qui accepte l’humiliation par nécessité ? L’immigré est-il devenu la victime collatérale des aléas de l’humeur de la classe politique suisse ?

« Je serai toujours reconnaissant à la Suisse de nous avoir accueilli comme réfugiés en 1981. Depuis lors, j’ai été à l’école, je me suis engagé en politique et je suis devenu parlementaire. Je fais partie de la société suisse. Je veux dire qu’on ne reste pas des réfugiés à vie. En général, ils s’intègrent et ils contribuent à l’enrichissement économique et culturel du pays. Je ne comprends donc pas que le Parlement s’acharne de cette manière en durcissant continuellement la loi sur l’asile », dit à haute voix Antonio Hodgers, Président cantonal genevois du parti des Verts et Conseiller national. Propos rapportés par le site swissinfo.ch. Une belle leçon de morale à ceux qui veulent l’entendre, et surtout à ces politiciens qui détournent le regard des vrais problèmes en Suisse.

FBradley Roland

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils