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L’exil, l’autre enfer #2

L’aéroport de Frankfort. Source: wikipedia.org

Des complications à l’aéroport de Frankfort

Un adage dit : « On n’est nulle part mieux que chez soi », mais certaines réalités ne nous laissent pas toujours le choix face au péril, à la menace et à l’insécurité. Billy est un défenseur des droits humains au Togo, un pays de l’Afrique de l’ouest qui vit sous un régime dictatorial de père en fils depuis plus de cinquante ans. Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils, il nous livre le récit de son calvaire, depuis son pays jusqu’en Suisse où son vécu quotidien rime toujours avec angoisse et incertitude. Episode 2/3.

Je débarquai à l’aéroport de Frankfort. Très peu renseigné sur les usages de l’exil, je savais toutefois que je devais demander l’asile à l’aéroport. J’ai salué un Africain et lui ai exposé mon problème. L’homme, sans doute un Nigérian, me répondit en anglais « You are in the right place ». Il passa un coup de fil et quelques instants après Stone, un de ses complices, vint me récupérer pour « m’aider à remplir les formalités de demande d’asile ».

Je me suis retrouvé dans un appartement de trois chambres et un grand salon où je m’installai. Stone me demanda mon passeport et s’enquit de la somme d’argent que j’avais sur moi. Je lui remis 500 euros des 1500 que j’avais. « Dans quoi me suis-je fourré? » pensais-je. J’étais interdit de toute sortie « pour ne pas me faire appréhender par la police et jeter en prison » comme Stone me l’avait expliqué dès mon entrée dans l’appartement. J’étais très fatigué et très malade. Les jours passaient, Stone me promettait que je pourrai bientôt entrer dans le camp d’enregistrement. Au bout de quelques jours, il vint me demander 500 euros de plus que je lui remis. Il ne me restait donc que le tiers de l’argent. J’ai passé en tout deux semaines chez mes ravisseurs, témoin de va-et-vient interminables de Blancs et de Noirs qui défilaient chaque jour chez Stone. Au lendemain de l’expiration de mon visa, il me dit: « Ton visa a expiré hier et tu ne m’en as pas informé ? » J’ai répliqué avec colère : « you have my passport and my visa is Inside! ». Il me fit comprendre que désormais, les choses allaient être difficiles et qu’il avait besoin du reste de mon argent ; et il promit que le lendemain nous partirions déposer ma demande d’asile.

Quelques jours plus tard, le 2 décembre 2017, nous nous mîmes en chemin vers je ne sais où ; j’étais avec Stone et une autre personne qui venait souvent à la maison. D’après eux, nous allions au camp de réfugiés. Le trajet fut très long, environ quatre ou cinq heures, après quoi, nous arrivâmes près d’une gare. Je lus le nom de la ville sur la façade : j’étais à Bâle. Stone me fit descendre du véhicule et me dit de me rendre à Vallorbe dans le canton de Vaud. Le temps de descendre du véhicule et de chercher à récupérer ma valise dans le coffre arrière, je ne vis que de la fumée : ils étaient partis à vive allure avec mon bagage et toutes mes affaires, dont mon passeport. Je suis resté hagard avec mon sac à dos.

Une femme dont j’ai gardé le prénom en mémoire – Eliane – avait assisté à la scène et m’approcha. Je lui racontai comment ces bandits m’avaient arnaqué. Je tremblais de froid et d’effroi. Elle pensa tout d’abord à alerter la police puis elle me dit qu’elle allait m’aider à rejoindre Vallorbe car elle y allait justement. J’étais dépouillé jusqu’au dernier centime. Eliane paya mon billet de train et, après une correspondance à Lausanne, nous arrivâmes à Vallorbe. Eliane m’accompagna jusqu’à la porte du centre d’enregistrement et me laissa sur ces mots : « Tout de bon, cher Billy, sois prudent et ne te laisse plus jamais avoir ! ». Après son départ, je tremblais toujours. Deux jours plus tard, ma tension artérielle s’éleva au point où je fus admis aux urgences de l’hôpital Saint-Loup à Yverdon-les-Bains.

Les terribles accords de Dublin

Huit jours après mon enregistrement au centre d’accueil de Vallorbe, je passais ma première audition. On me signifia que je devais retourner en Allemagne car c’était le pays responsable de ma demande d’asile selon les accords de Dublin. La Suisse n’entrait donc pas en matière sur ma demande d’asile. J’essayais d’objecter que je ne pourrai pas retourner en Allemagne et racontai ma mésaventure ; j’étais très fatigué et désespéré, la mort dans l’âme. J’avais aussi peur que lorsque j’étais dans mon pays.

Un mois plus tard, je fus transféré dans le canton du Valais, attendant le sort que me réservaient les fameux accords de Dublin. Je subissais des crises à répétition dues aux lésions de ma moelle épinière. Des associations, qui avaient assisté à l’une de mes crises lors d’une retraite spirituelle organisée à l’intention des refugiés et requérants d’asile, adressèrent plusieurs courriers au Secrétariat d’Etat aux migrations aux fins de surseoir à mon renvoi vers l’Allemagne, sans succès. Je reçus avec angoisse les réponses qui, toutes, exigeaient mon retour en Allemagne.

Billy

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Les épisodes précédents:

L’exil, l’autre enfer  « De la défense des droits humains à la contrainte de l’exil » épisode 1, article publié le 17.02.2020

 




L’exil, l’autre enfer #1

unsplash.com / Auteur: Spenser

De la défense des droits humains à la contrainte de l’exil

Un adage dit : « On n’est nulle part mieux que chez soi », mais certaines réalités ne nous laissent pas toujours le choix face au péril, à la menace et à l’insécurité.

Billy est un défenseur des droits humains au Togo, un pays de l’Afrique de l’ouest qui vit sous un régime dictatorial de père en fils depuis plus de cinquante ans. Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils, il nous livre le récit de son calvaire, depuis son pays jusqu’en Suisse où son vécu quotidien rime toujours avec angoisse et incertitude. Episode 1/3.

« C’était le matin du 13 juin 2012, le deuxième jour d’une série de manifestations qui ont vu une marée humaine envahir les rues de Lomé. Les Togolais réclamaient des réformes institutionnelles, constitutionnelles et électorales devant normalement déboucher sur une alternance du pouvoir. J’étais au sein de la manifestation pour faire du monitoring. Alors que la foule se dirigeait vers un carrefour dénommé Déckon où elle prévoyait faire un sit-in, l’armée débarqua, faisant usage de gaz lacrymogènes et même de tirs à balles réelles. Après une course-poursuite, je suis tombé aux mains des militaires et la seule chose dont je me souviens encore est cette phrase : « ôtez-lui la camera » ; j’ai pris un coup à la nuque et me suis effondré. Je me suis réveillé en fin de journée dans une clinique de la ville avec des hématomes et des douleurs atroces tout au long de la colonne vertébrale.

Au bout de six mois, il m’était difficile de marcher et comme les hôpitaux de mon pays sont des mouroirs, j’ai dû me rendre au Maroc en 2013 pour me faire opérer d’une fracture de la colonne au niveau cervical avec un arrachement de tissus osseux.

Togo. Source: Wikipedia.

La lutte continue

De retour du Maroc, j’ai créé une association visant à impliquer les chrétiens dans la lutte pour la libération du peuple. Notre objectif était de défendre les droits humains aux côtés des autres organisations de la société civile togolaise.

En août 2016, lors d’une campagne organisée par une association en faveur des victimes de 2005, j’ai dénoncé les violations des droits humains dans mon pays lors d’une interview à la radio, relayée aussi en langue Ewé. Mes propos me valurent des messages de félicitations mais aussi de nombreuses menaces de mort. C’est ainsi qu’en 2017, lorsque le peuple descendit à nouveau dans les rues des villes du Togo pour réclamer le départ du régime, je fus ciblé et battu par des milices armées par le pouvoir. A terre, sous les coups de bottes de quatre forcenés, j’ai pensé que mon dernier jour était arrivé. Heureusement, j’eus la vie sauve grâce à l’intervention de témoins qui hurlèrent : « lâchez-le, lâchez-le ! ». Mes agresseurs montèrent à bord de leur pick-up et partirent en trombe. On me fit asseoir ; je voulus informer ma femme de ce qui m’était arrivé et elle me conjura de ne pas rentrer, car les mêmes individus étaient passés à la maison et l’avaient menacée, lui demandant où je me trouvais. « Ils n’ont pas quitté le quartier, ils sont là et attendent que tu rentres ! »

Je dus me réfugier pendant environ deux semaines dans un orphelinat dirigé par un confrère engagé en faveur des droits des enfants.

Un visa pour l’Europe

Une invitation à participer à la conférence de la COP23 de 2017 à Bonn en Allemagne me permit d’avoir un visa. Sortir du pays restait un problème à résoudre. Comment échapper aux contrôles à l’aéroport ? De plus, j’étais très mal en point, je marchais désormais avec deux cannes depuis mon agression. Mon ami directeur de l’orphelinat persuada un officier de l’armée de me faire passer jusqu’à bord de l’avion. Était-ce la fin du cauchemar ? »

Billy

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Voix d’Exils poursuit son développement et gagne en visibilité

Les trois rédactions cantonales à la formation multimédia en Valais, juin 2012

Les trois rédactions cantonales à la formation multimédia en Valais, juin 2012.

Voix d’Exils, le blog des personnes migrantes coordonné par le Programme d’occupation Communication de l’EVAM, a poursuivi le développement de ses activités en recourant notamment à des nouveaux supports de communication. Bilan des principales réalisations pour l’année 2012 et perspectives pour l’année 2013.

Voix d’Exils se compose de trois rédactions cantonales : les rédactions vaudoise, neuchâteloise et valaisanne, qui fonctionnent en réseau, ce qui permet d’assurer des publications régulières sur le blog, mais aussi de regrouper des compétences ainsi que des infrastructures complémentaires.

Des activités éditoriales pointues et diversifiées

De janvier à novembre 2012, les trois rédactions cantonales de Voix d’Exils ont publié 74 articles, parfois très pointus, sur des thèmes variés en lien avec la problématique de la migration. Mentionnons trois articles exemplaires : l’article du rédacteur vaudois Roland FBradley, qui immerge le lecteur dans l’univers sordide de la prostitution des femmes migrantes en Suisse ; la couverture très bien documentée du 14 ème Sommet de la Francophonie, qui s’est tenu en octobre de cette année à Kinshasa, par Angèle Bawumue Nkongolo et Paul Kiesse, membres de la rédaction neuchâteloise ; ou, encore, le témoignage lumineux de Pita, rédacteur valaisan, qui invite les requérants d’asile à garder l’espoir, malgré les nombreuses difficultés qu’ils rencontrent sur les chemins tortueux de l’asile.

Voix d’Exils a également diversifié ses activités éditoriales. Ainsi, durant le mois de juillet, Sara Pages, de la rédaction vaudoise, a tourné et monté le premier film documentaire signé Voix d’Exils qui est consacré à l’utilisation des murs d’un abri PC de Monthey en Valais comme support d’art communautaire.

Caravane FM. Photo: Gilaine Heger

Caravane FM. Photo: Gislaine Heger.

A la fin de l’été, la participation de Voix d’Exils au nouveau projet de la Ville de Lausanne : la Caravane des Quartiers et à sa radio a offert aux membres de la rédaction vaudoise la possibilité d’expérimenter le reportage radiophonique en interviewant des animateurs et des résidents de la structure de jour EVAM des Boveresses.

Enfin, une nouvelle rubrique a aussi fait son apparition : l’Edito, qui permet aux rédacteurs chevronnés de s’exprimer de manière plus directe et plus personnelle sur des thèmes d’actualité et de société.

Consolidation de la formation multimédia pour personnes migrantes

La collaboration inter-cantonale est assurément le pilier qui permet au projet de se développer et d’innover dans ses différents domaines d’activités. Chaque semestre, les trois rédactions cantonales se rencontrent à l’occasion de réunions inter-cantonales où se définissent les orientations générales de Voix d’Exils. Notons que 28 participants étaient réunis le 31 mai dernier à Lausanne pour débattre des projets communs du blog.

En 2012, Voix d’Exils a centré son développement sur l’amélioration de sa formation multimédia qui est destinée aux trois rédactions cantonales et qui est coordonnée par la rédaction valaisanne. Cette dernière offre également l’accueil et l’infrastructure nécessaires pour dispenser les cours. La formation multimédia vise à initier les participants aux techniques de rédaction du journalisme, au web publishing, à la photographie et au droit de la communication, dans le but de rendre les rédacteurs autonomes dans la gestion d’un blog.

Voix d’Exils a notamment amélioré la formule de sa formation multimédia cette année, car les cours ont été préparés de façon à dynamiser la participation des membres. La durée des modules a été également augmentée, ce qui a permis d’approfondir les matières.

Une fréquentation en constante progression

Statistiques du nombre de pages vues par mois sur Voix d’Exils de juillet 2010 à novembre 2012.

Statistiques du nombre de pages vues par mois sur Voix d’Exils de juillet 2010 à novembre 2012.

La fréquentation du blog par les internautes est, quant à elle, en progression constante, ce qui atteste de la vitalité du média. La courbe de la fréquentation de ses pages a même connu une nette augmentation en octobre de cette année en passant de de 19’032 pages vues en septembre à 24’696 en octobre. Notons aussi, qu’en moyenne, la fréquentation du blog a quasi doublée entre les années 2011 et 2012. Cette hausse peut être notamment corrélée à deux facteurs. D’une part, le développement de nouveaux supports de communication et de promotion. A l’instar du nouveau dépliant présentant de manière succincte le blog en français, en anglais et en arabe, ce qui permet de mieux faire connaître le projet auprès des populations migrantes et du grand public suisse. D’autre part, à la médiatisation du projet, car Voix d’Exils s’est vu accorder une pleine page dans le quotidien romand Le Courrier (édition du 14.08.12), et une autre dans le mensuel des étudiants de l’Université de Lausanne L’Auditoire (édition de novembre 2012).

Perspectives pour 2013

Les objectifs pour l’année 2013, qui ont été discutés lors de la réunion inter-cantonale du 3 décembre, sont les suivants:

  1. Augmenter le nombre d’heures d’enseignement de la formation multimédia,
  2. Augmenter la visibilité du blog,
  3. Élargir la collaboration inter-cantonale à de nouveaux cantons romands.

Malgré la modestie des ressources dont dispose Voix d’Exils, ce média fait preuve d’un dynamisme surprenant et réjouissant. Cependant, la réalisation des nouveaux objectifs pour 2013 est aussi tributaire des moyens qui seront alloués au projet.

N’hésitez pas à consulter nos dernières actualités sur http://voixdexils.ch/ ou à nous suggérer des sujets d’articles.

Omar ODERMATT

Responsable de la rédaction de Voix d’Exils

Coordonnées des trois rédactions cantonales:

Rédaction vaudoise

+41 (0) 21 557 05 45

Etablissement vaudois d’accueil des migrants

Avenue du Bugnon 42

1020 Renens

redaction-vd@voixdexils.ch

Rédaction valaisanne

+41 (0) 27 606 18 95

Centre de formation et d’occupation du Botza

Zone industrielle 4

Case postale 53

1963 Vétroz

redaction-vs@voixdexils.ch

Rédaction neuchâteloise

Centre d’accueil de Couvet

Chemin des Prises 8

2108 Couvet

+41 (0) 32 889 90 01

redaction-ne@voixdexils.ch




Sommet de la Francophonie à Kinshasa: chronique d’une rencontre controversée

Le président français François Hollande. Photo: Jean-Marc Ayrault (CC BY 2.0)

Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), accueille du 12 au 14 octobre 2012 le 14ème Sommet de la Francophonie, qui réunit les chefs d’Etats et de gouvernements des 75 Etats membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) autour du thème : « Francophonie, enjeux environnementaux et économiques face à la gouvernance mondiale ».

Si cette rencontre est une grande opportunité pour la RDC – le plus grand pays francophone et le plus peuplé du globe – de présenter au monde l’état de son évolution politique, économique et sociale ; son organisation politique par un pouvoir contesté pose problème et suscite diverses interrogations. 

L’on se rappelle que le 28 novembre 2011, les Congolais étaient appelés à élire leur président et la Commission électorale nationale et indépendante (CENI) qui avait annoncé la victoire du président sortant Joseph Kabila, 41 ans, vainqueur de ce scrutin avec 49,95 % face à l’opposant historique Etienne Tshisekedi, 79 ans, qui n’aurait obtenu que 32,33%.

Élections truquées

Après la proclamation des résultats définitifs par la Cour suprême de justice, des observateurs nationaux et internationaux, y compris la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE), avaient déploré de nombreuses irrégularités lors du processus électoral et douté de la légalité et de la transparence du scrutin présidentiel.

Suite à des fraudes massives constatées à travers le pays, plusieurs associations de Congolais à travers le monde avaient demandé au nouveau président français François Hollande de ne pas se rendre en RDC lors du Sommet de la Francophonie pour ne pas cautionner la mauvaise situation des droits de l’homme dans le pays ainsi que le régime de Joseph Kabila au pouvoir depuis 2001, en soulignant que les élections de 2011 avaient suscité de nombreuses critiques.

L’association Convergence pour l’Emergence du Congo (CEC) a même engagé une action en référé (procédure d’urgence) devant le tribunal de grande instance de Paris dans le but d’empêcher la tenue de ce Sommet à Kinshasa. Pour la CEC, il serait « immoral » que le Sommet de l’OIF se tienne à Kinshasa alors que Kabila « n’a pas tenu ses promesses » d’organiser des élections « transparentes et démocratiques ». Mais la CEC a été déboutée.

Les conditions de Hollande

Le 9 juillet 2012, dans un communiqué, François Hollande demandait aux « autorités de la RDC de démontrer leur réelle volonté de promouvoir la démocratie et l’État de droit », tout en parlant de la réforme de la CENI et de la Justice afin d’assurer la transparence des prochains scrutins et le jugement des « vrais coupables » dans l’assassinat de Floribert Chebeya, un éminent défenseur des droits de l’homme congolais dont le corps sans vie a été retrouvé le 1er juin 2010 dans la périphérie de Kinshasa alors qu’il avait rendez-vous la veille avec le chef de la police, le général John Numbi.

Avant de se décider à se rendre à Kinshasa, le président français avait posé deux conditions: la réforme de la CENI et celle de la Justice. Et pour s’assurer que ces deux conditions soient remplies avant sa venue en RDC, il dépêcha fin juillet sa ministre déléguée à la Francophonie, Yamina Benguigui. Une fois à Kinshasa, la ministre française déclara être venue sans à priori ni préjugé, et après avoir reçu plusieurs opposants au régime de Kabila, ainsi que des défenseurs des droits de l’homme, elle affirma que « très peu ne veulent pas que le Sommet ait lieu ». A l’arrivée mercredi 25 juillet à Kinshasa de la ministre française, l’Union pour le progrès et le progrès social (UDPS), principal parti d’opposition dirigé par Etienne Tshisekedi, avait demandé, dans une pétition à l’ambassade de France la délocalisation du Sommet qui confirmerait, selon elle, une victoire électorale « usurpée ».

 Changement de cap de Hollande

Un mois après la venue de son envoyée spéciale à Kinshasa, le lundi 27 août à Paris, le président François Hollande annonce, lors de son discours de politique étrangère inaugurant la traditionnelle conférence des ambassadeurs, qu’il participera au Sommet de la Francophonie.

« Je me rendrai dans quelques semaines au Sommet de la Francophonie à Kinshasa. J’y rencontrerai l’opposition politique, des membres de la société civile et des militants », a-t-il déclaré. En promettant de se rendre à Kinshasa, François Hollande a-t-il oublié ses conditions posées pour des avancées concrètes en matière de démocratie et de respect des droits de l’homme ? A cette question, C’est Yamina Benguigui qui répond : « les élections de 2011 y ont été contestées mais validées par la communauté internationale. On ne pouvait pas pratiquer la politique de la chaise vide ».

Le 9 octobre, lors du passage à Paris du Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, le président français a tenu une conférence de presse conjointe lors de laquelle il a tenu des propos durs envers le régime du président Kabila. « La situation dans ce pays est tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie, et de la reconnaissance de l’opposition », a fustigé le président français.

Kinshasa ne s’est pas fait prier pour répondre. « Nous sommes le pays le plus avancé dans les droits de l’opposition », a soutenu le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, pour qui les propos de François Hollande ne correspondent « à aucune réalité ». Et de suggérer au président français de « compléter son information » pour rendre son bref séjour à Kinshasa « très utile ».
Le prochain déplacement de François Hollande au Sommet de Kinshasa est considéré par la rébellion qui sévit dans l’est de la RDC comme une « légitimation du pouvoir de Kabila ». Pour le coordinateur politique de la rébellion M23, Jean-Marie Runiga, « François Hollande viendra à Kinshasa légitimer un pouvoir en difficulté. Un pouvoir illégitime, décrié par la majorité du peuple congolais qui risque même de se soulever pour barrer la route à la présence du président français sur son sol ».

Avis contrastés

Cet avis est aussi partagé par la majorité des Congolais vivant à l’extérieur des frontières nationales. « En décidant de fouler le sol congolais lors de ce Sommet, François Hollande a trahi nos attentes, il nous a déçu et je ne crois plus à ses promesses électorales » a déclaré, dépité et à la limite de la colère, Paul Ndombele, un Congolais vivant à Genève, en Suisse. Pour sa compatriote Armandine Luvuezo, mère au foyer vivant à Neuchâtel, « Que Hollande vienne ou pas à Kinshasa, il n’arrangera aucun problème, l’ennemi du Congolais  c’est le Congolais lui-même ». Cependant, Alfred Mbila, un Congolais de 42 ans, est d’avis que la tenue à Kinshasa du Sommet de la Francophonie « permettra à la RDC de se présenter sous un beau jour ». C’est aussi l’avis de Sara Kabongo, une Chaux-de-fonnière d’origine congolaise, qui soutient que « les élections sont désormais derrière nous, regardons l’avenir pour reconstruire la patrie de nos  ancêtres »

Samedi 6 octobre, les Congolais vivant en Suisse ont manifesté à Zurich pour dénoncer la tenue à Kinshasa du Sommet de la Francophonie.

Redorer le blason terni

Mais pour Kinshasa, ce Sommet aiderait à redorer le blason terni de la RDC. « Ce sera l’occasion d’attirer davantage l’attention des investisseurs congolais comme étrangers pour d’éventuels partenariats de type public-privé », confiait Augustin Matata Ponyo, premier ministre congolais, à notre consœur de Jeune Afrique. Évoquant la réforme de la Justice, souhaitée par François Hollande, Matata affirme en être conscient. « Des efforts doivent être consentis pour donner à la Justice de notre pays une image qui sécurise le citoyen aussi bien dans sa personne que dans ses biens, une image qui rassure les opérateurs économiques sur la sécurité de leurs investissements », conclut-il.

Un seul bémol, l’audience qui devait statuer sur la comparution ou non du général John Numbi dans le procès en appel des présumés assassins de Floribert Chebeya a été renvoyée par la Haute cour militaire après le Sommet de la Francophonie. Une décision avant tout politique, selon les défenseurs des droits de l’homme et une manœuvre visant à faire passer le Sommet et que les regards ne soient plus braqués sur la RDC.

Il faudra aussi souligner l’absence annoncée du premier ministre Elio Di Rupo de Belgique, ancienne puissance coloniale, car les dates du Sommet (du 12 au 14 octobre) coïncident avec les élections municipales en Belgique. Premier francophone à diriger un gouvernement en Belgique depuis les années 1970, Elio Di Rupo sera représenté par son ministre des Affaires étrangères Didier Reynders et le chef de la Fédération Wallonie-Bruxelles Rudy Demotte, précisent les services de Di Rupo.

Assuré du double fait que le Sommet ne sera pas délocalisé comme en 1991, à la suite d’un massacre d’étudiants à Lubumbashi, capitale de la riche province minière du Katanga, et de la présence de François Hollande, Kinshasa a accéléré les travaux pour porter sa plus belle robe aujourd’hui.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 




« La situation est devenue ingérable dans les camps kenyans de Dadaab»

Julien Rey. Photo: Hochardan

Situé à la frontière entre le Kenya et la Somalie, Dadaab est le plus grand complexe de camps de réfugiés du monde. Peuplé de plus de 400’000 réfugiés somaliens – alors qu’il était initialement prévu pour 90’000 personnes – sa construction date du début des années 90 et est la conséquence de l’éclatement de l’Etat somalien et du début de la guerre civile. En automne 2011, Médecin Sans Frontière (MSF) a organisé un projet de reportage sous la forme d’une bande dessinée intitulée « Out of Somalia » qui retrace le quotidien de quelques-uns de ses habitants. Interview de Julien Rey qui travaille au sein du département communication de MSF à Genève et qui a accompagné les auteurs de la BD lors d’un séjour dans ces camps.

Voix d’Exils : Quelles sont les motivations qui vous ont conduit à réaliser cette BD ?

La BD est un medium qui est devenu très à la mode aujourd’hui. Ce projet est né parce que MSF est présent au Fumetto, un festival de bande dessinée à Lucerne qui a lieu chaque année au printemps. La BD « Out of Somalia » a mis près deux ans avant de paraître et notre volonté est de commémorer cette année le vingtième anniversaire des camps de Dadaab. Le but est aussi de communiquer d’une manière différente et de toucher un public large afin de sensibiliser des gens qui ne sont pas forcément en contact avec ce genre d’informations au quotidien.

Le projet a donc débuté en automne 2010, lorsqu’on a décidé de réaliser un reportage illustré sur les camps de réfugiés de Dadaab au Kenya, afin de parler la crise somalienne d’une manière indirecte. A cette fin, MSF a donc pris contact avec deux dessinateurs zurichois : Andrea Caprez et Christoph Schuler. Durant le mois de février 2011, on a organisé une visite du camp. D’abord, ce livre est paru en allemand et en français au printemps 2012. La version anglaise est sortie après et a été distribuée au Kenya à l’occasion de la journée des réfugiés la même année.

 

Quel est le message que vous voulez faire passer à travers cette BD ?

Notre message est de dire au monde : regardez la réalité des camps de Dadaab qui représentent la plus grande concentration de réfugiés au monde, où l’on ne voit toujours pas de solutions qui se profilent, alors que le camp a plus de vingt ans. En effet, lorsque ces camps ont été créés dans les années 90, ils étaient destinés à accueillir 90’000 réfugiés. Aujourd’hui, l’on en compte près d’un demi million. D’où notre message d’alerter le public, car la situation est devenue ingérable aujourd’hui. On parle souvent des réfugiés en Suisse, malheureusement plutôt d’une façon négative. En collaboration avec ces dessinateurs, nous avons aussi la volonté de présenter la réalité à laquelle ces personnes sont confrontées, avant que quelques unes d’entre elles aient la possibilité de se rendre en Europe.

 

Pourriez-vous décrire, de manière générale comment vivent les réfugiés dans les camps de Dadaab depuis vingt-ans ?

Le camp de Dagahaley, où MSF travaille et que nous avons visité à Dadaab, est un camp où il n’y a ni barbelés, ni barrières, ni murs. C’est une sorte de petite ville qui fonctionne en vase clos. Avec Hagadera, Ifo, Ifo 2 et Kambios, ces camps représentent la troisième « ville » du Kenya. Les gens sont libres d’aller et de venir autour des camps et certains retournent même en Somalie et reviennent ensuite. On peut classer grossièrement les réfugiés en deux groupes : ceux qui s’y sont installés depuis longtemps et ceux qui viennent d’arriver. Le premier groupe s’est installé et a construit des maisons en terre. On voit aujourd’hui l’arrivée de la nouvelle génération qui est née dans les camps. Ils n’ont pas un avenir enviable et les jeunes sont dans un état de désœuvrement total. Le deuxième groupe, composé des nouveaux arrivants, s’installe en bordure des camps et là on voit l’arrivée de familles fatiguées, épuisées qui fuient le conflit somalien et la sécheresse. Ils sont démunis et n’ont rien, hormis le peu de choses qu’ils ont pu ramener de Somalie. Le trajet qui les mène aux camps se fait rarement sans problèmes, avec notamment des agressions. Les points d’eau étant inexistants dans la zone des nouveaux arrivants, l’on peut voir des petits enfants qui traînent des bidons de 20 litres sur plusieurs centaines de mètres, et cela plusieurs fois par jour. On y voit aussi des gens en très mauvaise santé. Par exemple, nous avons rencontré une famille dont le père, la mère et les enfants étaient tous malades dans un état catastrophique.

 

Pensez-vous qu’avec ce travail vous avez vraiment réussi à refléter la réalité comme elle est sur le terrain ?

La réalité est multiple. Notre ambition n’est pas de montrer toute la complexité de ces camps. Notre but est de présenter le quotidien de ces réfugiés et de mettre en évidence le travail de MSF. Nous avons plutôt montré des petits flashs pris à droite et à gauche sur certains aspects, certaines personnes, pour donner un aperçu de moments de la vie là-bas. Donc, loin de nous l’idée de faire un reportage exhaustif.

 

Quels sont vos futurs projets ? Allez-vous revenir dans ce camp ou vous rendre à nouveau en Somalie pour enrichir votre travail ?

MSF travaille depuis 30 ans en Somalie dans des conditions qui sont toujours très difficiles, pour nos équipes et surtout pour la population somalienne et je rêve qu’un beau jour, la situation en Somalie s’améliore. On ne va pas tout de suite refaire une bande dessinée sur les camps de Dadaab, vu qu’on vient d’en faire une. On envisage plutôt de traiter d’autres thématiques qui sont intéressantes pour MSF, telle que la lutte contre le SIDA.

Propos recueillis par Hochardan.

Hochardan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Infos :

BD onlinede MSF « Out of Somalia » réalisée par Andrea Caprez et Christoph Schulerau. Cliquez ici

Médecins Sans Frontières (MSF)

Médecins Sans Frontières (Suisse)

Médecins Sans Frontières (projets au Kenya)