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« La diversité culturelle apporte une énorme richesse aux soins dispensés aux résidents »

Mme Lydia Pasche, résidente et Laetitia Toh, auxiliaire de santé

Mme Lydia Pasche, résidente et Laetitia Toh, auxiliaire de santé à la Résidence La Girarde. Photo: Voix d’Exils.

La Résidence La Girarde, sise à Épalinges à proximité de Lausanne, accueille des personnes d’âge avancé en longs séjours. Voix d’Exils s’est rendu sur place pour rencontrer une auxiliaire de santé d’origine africaine, une résidente vaudoise et la directrice des soins de l’établissement. Regards croisés.

Laetitia Toh, 28 ans, est auxiliaire de santé à La Résidence La Girarde depuis novembre 2013. Originaire de Côte d’Ivoire, elle a demandé l’asile en Suisse en 2012.

Voix d’Exils : Quelles sont vos tâches quotidiennes à La Résidence la Girarde ?

Laetitia Toh : Durant la matinée, jusqu’à 11:00, je m’occupe de six résidents : je leur prépare le petit déjeuner, je les aide à se laver et je range leurs vêtements. Je fais en sorte que chacune des personnes dont je m’occupe soit propre et jolie. Ensuite, il y a un colloque, soit une petite réunion entre les infirmiers et les aides pour faire le point sur ce qui s’est passé pendant la matinée. A 11:30, je commence à les installer à table pour le dîner. L’après midi, et ce jusqu’à la collation, je partage avec eux différentes activités comme, par exemple, les accompagner en promenade, discuter et je leur lis les journaux pour les mettre au courant des événements qui se produisent dans le monde.

Aviez-vous de l’expérience dans le domaine des soins avant de venir en Suisse ?

Non, mais j’ai fait la formation d’auxiliaire de santé proposée par l’Établissement vaudois d’accueil des migrants. Cela a duré 6 mois, plus un mois de stage.

Comment avez-vous été accueillie lors de votre arrivée par les résidents et par le personnel de La Résidence La Girarde?

L’équipe m’a bien accueillie dès le premier jour d’observation. Je me suis aussi investie auprès des résidents, ce qui m’a permis de mieux les approcher.

Quelles ont été vos premières impressions?

Le premier jour, c’était un peu stressant. Je n’avais jamais travaillé auparavant… J’étais un peu perdue, je me demandais : « Qu’est-ce que je fais ici ? ». Mais ça a été en fait.

Vous est-il arrivé de ressentir une distance ou une réticence de la part de certains résidents au regard de vos origines?

Non. Ils n’ont pas cette mentalité de prendre de la distance à cause de mon origine étrangère. Au contraire, ils sont curieux de savoir qui je suis. Les résidents m’apprécient moi et ma couleur de peau. Ça fait plaisir ! Je n’ai jamais ressenti de distance entre les résidents et moi.

Qu’appréciez-vous le plus aujourd’hui à La Résidence La Girarde?

J’ai trouvé une famille ici. Je m’occupe de personnes très sociables qui s’occupent aussi de moi quand je vais mal.

Comment évoluent vos relations avec les résidents dont vous vous occupez ?

Les relations sont très amicales, parfois familiales. Comme avec Madame Pache, par exemple. Cette résidente m’apporte beaucoup d’amour. Je l’appelle « Maman » parce qu’elle demande à ce que je l’appelle ainsi. Ce sont des liens qui se sont tissés au fur et à mesure.

Que pensez-vous leur apporter ?

Au niveau des soins, je participe avec toute l’équipe soignante pour qu’ils se sentent bien. Sinon, j’apporte mon naturel. Dans ma culture, on prend soin des personnes âgées pour lesquelles on a beaucoup de respect et que l’on considère comme des petits dieux. Ma culture est axée sur la famille. C’est ce que je cultive aussi ici.

Madame Pache (lire son interview ci-dessous) est l’une des résidentes de La Girarde, pourriez-vous nous dire comment s’est déroulé votre première rencontre?

Je me suis présentée, elle s’est présentée. C’est plus tard que des liens se sont formés, gentiment. C’est une dame qui aime bien rigoler. Je me suis adaptée à son humeur du moment, et ce même lorsqu’elle ne va pas bien.

Qu’est-ce que cela vous apporte de partager votre quotidien avec des personnes âgées?

De la satisfaction.

Auriez-vous un message à adresser aux personnes migrantes à la recherche d’un emploi ?

Tout est possible pour celui qui le veut ! Si tu as l’occasion d’avoir une formation, il faut la prendre, il faut vouloir se battre pour réussir. Si tu te dis que tu ne vas pas y arriver, tu n’y arriveras pas ! Moi, je n’ai pas pensé aux obstacles, comme la langue française ou l’âge. Après tout ce que j’avais traversé, je n’allais pas m’arrêter là, je suis allée de l’avant. Quand tu arrives ici, tu dois te plier aux lois d’ici, les respecter. Quand tu les respectes et que tu appliques ce que tu dois appliquer, tout s’ouvre.

Mme Lydia Pache est résidente à La Girarde depuis 6 mois. Cette Vaudoise a fêté ses 93 ans.

Voix d’Exils : Côtoyiez-vous beaucoup de personnes d’origine étrangère avant d’arriver à la La Résidence La Girarde ?

Mme Lydia Pasche : J’ai l’habitude des étrangers ! Pour moi, il n’y a pas de différences et pas de problème. Quand j’étais patiente au Service de gériatrie et réadaptation gériatrique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), il y avait aussi beaucoup d’étrangers.

Cela fait presque 6 mois que Laetitia s’occupe de vous, racontez-nous comment s’est déroulé votre première rencontre…

Super dès le premier contact, elle est très sympathique ! J’ai essayé de l’approcher aussi parce que nous sommes de couleurs différentes. Il faut qu’on s’habitue et cela va tout seul.

Qu’appréciez-vous spécialement chez elle ?

J’apprécie sa simplicité, son sourire, sa gentillesse. Elle est toujours prête à rendre service. Elle n’a que des qualités.

Que vous apporte-t-elle ?

Tout d’abord la tranquillité, parce qu’on est bien ici, la maison est bien et Laetitia est toujours là, quand elle n’a pas congé. On s’entend bien. Elle a toujours le sourire quand elle vient, et moi pas toujours parce que ce n’est pas toujours facile de vivre comme je vis maintenant. Mais autrement ça va. Je crois que je suis facile, je m’adapte. Et puis, au fond, Madame s’adapte aussi avec moi.

Quelles sont les activités communes que vous partagez ?

Elle m’apporte du thé, un sourire, on regarde le sport à la télé.

Avez-vous un message à transmettre aux personnes qui vivent en Établissement socio-médicaux (EMS) et qui sont entourées de personnes d’origine étrangère ?

Les personnes de couleurs ne sont pas différentes de nous, elles ont un cœur, elles sont comme nous. Elles vivent comme nous et elles ont besoin de nous car ça ne va pas dans leur pays. Elles sont contentes de venir en Suisse. Et nous, en Suisse, nous pouvons aussi faire un geste pour bien les recevoir. Vous ne croyez pas que tout le monde peut faire un effort ?

Ellen Cart est directrice des soins de l’EMS La Résidence «La Girarde. Elle y travaille depuis 11 an.

Mme Ellen Cart est directrice des soins de l’EMS La Résidence «La Girarde». Photo: Voix d'Exils

Mme Ellen Cart est directrice des soins de l’EMS La Résidence «La Girarde». Photo: Voix d’Exils

Voix d’Exils: Vous avez, dans votre établissement, du personnel issu de la migration et de l’asile. Combien de requérants d’asile avez-vous engagé dans votre établissement ces dernières années?

Ellen Cart : Il y a 11 employés engagés à La Girarde qui sont requérants d’asile.

Êtes-vous satisfaite des auxiliaires de santé formés par l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) ?

Je les engage pour la formation, donc je sais qu’ils sont bien. Sophie Rothrock, qui est l’une des deux coordinatrices du Programme de santé EVAM, les forme pour qu’ils acquièrent les connaissances nécessaires pour avoir le bagage demandé. Nous avons confiance et la collaboration avec l’EVAM est excellente.

Qu’apportent-ils à votre établissement ?

Je pense que nous avons besoin de toutes sortes de personnes. Nous avons besoin de mélanger les cultures et les croyances pour avancer. Si tout le monde est identique, on tombe dans la monotonie, on ne se remet pas en question. La diversité culturelle amène et apporte une richesse, qu’on ne trouve pas si tout le monde vient du même moule. Elle nous apporte une richesse énorme dans les soins dispensés aux résidents.

Sont-ils appréciés par les équipes, les résidents et les familles ?

Laetitia a une joie débordante ! Cette joie traverse tout son travail. Elle a cet engagement, cette reconnaissance ; c’est beau à voir et beau à partager avec les résidents.

Recommanderiez-vous ces auxiliaires de santé EVAM à d’autres employeurs

Non, je les garde pour moi (rires) ! Oui, je parle de l’EVAM autour de moi et j’en ai parlé dans les autres services de La Résidence La Girarde. Au début, il y avait beaucoup d’hésitations et, maintenant, je vois qu’il y a une deuxième personne qui a rejoint la cuisine par exemple.

Vous arrive-t-il qu’un résident refuse le contact ou la prise en charge par un auxiliaire d’origine étrangère? Si oui, cette réticence peut-elle être dépassée ?

Certains résidents ont des problèmes avec les auxiliaires hommes : ils refuseront donc un homme quel que soit son origine ou sa religion. Certains ont plus de peine avec les personnes de couleur. Mais là où il y a le plus de problèmes, c’est lorsque les auxiliaires ne parlent pas bien le français, car cela met autant le résident que le patient en porte-à-faux. Il y a une difficulté de communication. Si nos résidents n’arrivent pas à rentrer en contact et à tisser des liens, il y aura davantage de frustration. Ainsi, en raison du niveau de français d’une personne, j’ai dû lui demander de diminuer son pourcentage pour qu’elle puisse travailler son français. C’est essentiel, parce qu’un résident qui ne comprend pas les instructions du soignant et un soignant qui ne comprend pas un résident, et bien ça ne va pas.

Dans le cas d’un comportement raciste avéré de la part d’un résident envers un soignant, que feriez-vous ?

Il faut toujours protéger le soignant, parce qu’il est là pour faire son travail. Il ne vient pas pour se faire maltraiter. Nous parlons alors avec les résidents qui se permettent d’être malhonnêtes en raison de leur maladie ou de leur âge.

Trouvez-vous que le personnel d’origine étrangère s’intègre bien dans l’établissement ?

Tout à fait. C’est vrai que certains sont plus timides que d’autres, mais ce n’est pas forcément en lien avec l’origine.

Quelles sont selon vous les facilités que rencontre le personnel d’origine étrangère?

C’est individuel. Si j’engage des gens, c’est que j’ai vraiment l’impression qu’ils vont s’intégrer. Nous avons un système, le compagnonnage. Cela veut dire : manger son pain avec, être avec les résidents. Nous ne faisons pas pour les résidents, mais avec les résidents. C’est exactement la même chose avec le personnel : nous faisons avec les collaborateurs. Ce qui fait que, quand un nouveau collaborateur arrive, on lui attribue quelqu’un qui va l’aider à s’intégrer dans son service et dans les autres, qui va le suivre dans son travail quotidien pour apprendre le système informatique, la communication de la maison, et où se trouvent les choses. Il y a les ressources humaines qui aident avec tout ce qui est administratif. Nous suivons la personne sur les trois premiers mois, d’une manière très proche, pour faciliter au maximum son intégration.

… et les difficultés ?

Le français, mais c’est rare ; autrement, c’est la fatigue. Quand on commence un nouveau métier, on prend un autre rythme de vie. Ici, il y a des horaires très irréguliers. J’essaie d’engager des gens qui n’habitent pas trop loin. Si les gens habitent trop loin, ils ne peuvent pas s’impliquer dans les activités.

Votre établissement pourrait-il se passer de ce personnel issu de la migration ?

Quand je mets une annonce, sur 20 dossiers reçus, 19 sont envoyés par des personnes d’origine étrangère. La majorité des auxiliaires de santé ne sont pas suisses.

Que diriez-vous aux employeurs qui hésitent encore à engager des requérants d’asile et des migrants en général ?

Il faut donner à chacun sa chance ! C’est vrai qu’il faut être prêt à proposer un accompagnement, parce que si ces gens sont des requérants d’asile, c’est qu’ils ont vécu des choses personnelles dans leur pays qui ne sont pas très gaies. Il faut être prêt à les accompagner, à pouvoir les soutenir. Il faut s’investir.

Amra

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Participer à la vie politique pour mieux s’intégrer

Monsieur le syndic de Lausanne Daniel Brélaz. Photo: Chulio

A Lausanne, la participation des étrangers et des étrangères à la vie politique communale est vivement encouragée par la Municipalité pour favoriser leur intégration.

Dans le cadre de la campagne « Votre ville, votre vie et votre voix », une visite-apéritif était organisée samedi 8 septembre dernier par le Bureau lausannois pour l’intégration des immigrés (BLI) dans la salle du Conseil communal lausannois à l’Hôtel de Ville. L’événement a été suivi par des étrangers et des Suisses résidant à Lausanne et dans les environs.

Monsieur Daniel Brélaz, le syndic de la Ville et Madame Janine Resplendino, présidente du Conseil communal ont respectivement animé l’événement. Daniel Brélaz a commencé son allocution en présentant l’exécutif – la Municipalité – qui est responsable de la gestion de la commune de Lausanne et qui met en œuvre les décisions prises par le Conseil communal. L’exécutif  est composé de sept membres appartenant à différents partis politiques, élus par le corps électoral pour une durée de cinq ans. Le syndic lausannois a aussi parlé d’autres compétences de cet organe, comme celle de préparer et d’analyser le budget. Il a informé l’audience sur les possibilités de participation des étrangers à la vie politique (lire interview ci-dessous).

Monsieur Brélaz a aussi évoqué les trafiquants de drogue dont il a affirme que « presque 60% sont des étrangers qui proviennent d’autres cantons et qui sont attirés par le laxisme des lois vaudoises en la matière ». Il a précisé que « la plupart d’entre eux sont des requérants d’asile ». Il a aussi indiqué que, « d’ici peu, les lois changeraient et qu’il fallait éviter tout amalgame entre requérants et trafiquants et que la Municipalité restera totalement humaine ».

Après le discours de Monsieur Brélaz, Madame Resplendino a pris la parole pour parler de l’organe législatif du Conseil communal qui est responsable de la création des lois. Il est composé de cent membres élus pour cinq ans par la population lausannoise et se réunit environ deux fois par mois, les mardis soirs, tout au long de l’année. Elle a poursuivi en parlant des cinq groupes politiques représentés au Conseil communal, dont le Parti Socialiste qui occupe 29 sièges, les Verts (20 sièges), La Gauche (13 sièges), les Libéraux-Radicaux (24 sièges) et l’Union Démocratique du Centre (14 sièges). Chaque année, le Conseil communal élit en son sein un président, un vice-président, deux scrutateurs et deux scrutateurs suppléants chargés du contrôle de présence des conseillers communaux, du dépouillement des scrutins et du décompte des voix lors des votations.

C’est dans un climat de convivialité et avec beaucoup de sympathie que Monsieur Daniel Brélaz a répondu à nos questions.

Voix d’Exils : Quels sont les droits politiques dont bénéficient les étrangers de Lausanne ?

Daniel Brélaz : Ils peuvent prendre part aux élections et aux votations populaires, se faire élire et signer des initiatives populaires ou des référendums.

A quel niveau de la politique lausannoise les étrangers peuvent-ils participer ?

A tous les niveaux de la politique communale.

Quelles catégories d’étrangers sont habilitées à participer à la vie politique lausannoise ?

Tout étranger ayant dix-huit ans révolus, résidant légalement et continuellement en Suisse depuis au moins les dix dernières années, ou étant domicilié de façon continue dans le canton de Vaud durant les trois dernières années.

Quels sont les moyens mis en place par la commune pour favoriser la participation des étrangers à la vie politique ?

La commune organise des activités interculturelles, des campagnes de sensibilisation et des rendez-vous d’information.

En quoi la participation à la vie politique est-elle un moyen d’intégration pour des personnes étrangères ?

Elle est un moyen d’intégration parce qu’elle permet d’accéder au processus politique Suisse et elle facilite la compréhension entre les étrangers et la population locale. Elle est aussi une manière possible de ne pas s’isoler dans sa propre communauté.

Lamin et Chulio

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Commentaire

Dans le contexte actuel de stigmatisation des migrants, la possibilité qu’offre la commune de Lausanne aux étrangers de pouvoir participer à la gestion des affaires publiques est remarquable. Cependant, pour que des droits politiques deviennent effectifs, encore faut-il être informé de leur existence, savoir comment les exercer, vouloir participer au jeu politique et réussir à faire entendre sa voix ! Comme le dit un proverbe africain « il faut suivre les pas de danse du milieu qui vous accueille ».

                                                                                                                                                          Chulio

Infos et précisions:

« Droits politiques des étrangers et des étrangères sur le plan communal mode d’emploi ». Cliquez ici.

Site Internet du Bureau pour l’intégration des immigrés (BLI). Cliquez ici.

Prochaine visite du Conseil communal le 3 novembre prochain en présence de Monsieur le syndic de Lausanne Daniel Brélaz et de Madame la présidente du Conseil communal Janine Resplendino,  (sur inscription). Cliquez ici

 




Les dangereuses illusions de la prostitution

La prostitution: un chemin semé d’embûches.

«Je suis une mère célibataire au bénéfice de l’aide d’urgence. Je survis avec moins de trois cents francs suisse par mois. Je me prostitue pour pouvoir subvenir à mes besoins et à ceux de mes enfants. Je suis en Suisse depuis dix ans et je ne suis pas autorisée à y travailler, que faire d’autre ?» questionne Anouchka, requérante d’asile déboutée et mère de quatre enfants.

L’histoire d’Anouchka illustre les «raisons» qui poussent certaines immigrées à entrer dans l’univers impitoyable de la prostitution. Un monde tentaculaire, un cercle vicieux dans lequel Voix d’Exils a pu pénétrer. Enquête.


La prostitution : un marché très lucratif 

En Suisse, 90% des prostituées sont des étrangères en situation irrégulière et le plus souvent victimes de réseaux. La réalité est que la plupart d’entre elles sont en situation d’esclavage: elles souffrent d’extorsion, de menaces, de séquestration, elles ont été piégées et sont exploitées par des réseaux mafieux très bien organisés.

La prostitution est une activité lucrative qui, selon l’ONU, génère 5 à 7 milliards de dollars par année, affecte 4 millions de victimes et est sous le contrôle des mafias criminelles transnationales qui organisent le trafic des femmes de la même manière que celui des armes ou de la drogue.

La prostitution en Suisse se caractérise par le fait que la plupart des prostituées sont originaires d’Europe de l’Est, d’Amérique latine et d’Afrique. Ces femmes sont issues de l’immigration et sont majoritairement des «sans-papiers» qui vivent dans la clandestinité ou dans les centres d’aide d’urgences.

L’abondance de prostituées étrangères s’explique par deux «avantages» caractéristiques de ce «secteur informel» : des horaires de travail variables et la non nécessité de maîtriser parfaitement les langues pour pouvoir exercer cette activité. Les prostituées sont généralement jeunes, sans éducation et en majorité des femmes. Il s’agit d’une main-d’œuvre peu qualifiée.

Un voyage en enfer 

Bon nombre des travailleuses du sexe que nous avons rencontrées disent clairement qu’elles ont fui les contraintes sociales, politiques et économiques qu’elles subissent dans leur pays, et qu’elles ont préféré partir même si elles sont diplômées ou qualifiées.

La plupart des Africaines sont passées par l’Espagne ou l’Italie, après un périple dans différents pays d’Afrique subsaharienne qui les ont menées au Maroc. D’autres ont eu la « chance » de pouvoir prendre un avion depuis une ville africaine et sont arrivées dans une capitale européenne. Elles ont en majorité moins de vingt-cinq ans. Leur décision de quitter leur pays d’origine s’est faite pour les unes pour des raisons politiques ou pour échapper à un mariage forcé avec un « vieux », pour les autres parce qu’elles ont été piégées par des réseaux mafieux via internet ou par le biais d’annonces dans des magazines.

Certaines sont parties en sachant qu’elles allaient travailler dans l’industrie du sexe en Europe ; tandis que d’autres ont été abusées sur la nature du travail qu’elles allaient devoir effectuer. C’est le cas de la plupart des Nigérianes, mais aussi des Camerounaises, Sénégalaises et Congolaises que nous avons rencontrées à la rue de Genève ou à la rue de Berne, leur « quartier général », respectivement à Lausanne et à Genève.

Monique et Sonia* tiennent plus ou moins le même discours: elles disent travailler sous la contrainte pour se libérer des réseaux mafieux à qui elles doivent payer des sommes colossales. D’autres comme Anouchka, citée ci-dessus, disent le faire par nécessité.

Une fois arrivées en Suisse, elles doivent rembourser une lourde dette. Nombre d’entre elles s’acquittent de la seule partie de la dette qu’elles estiment acceptable, puis s’arrangent pour disparaître de l’entourage de leur créancier.

Quant aux prostituées originaires d’Europe de l’Est que nous avons rencontrées, elles disent négocier leur voyage essentiellement avec des agences de passeurs qui ont pignon sur rue dans leur pays d’origine. Certaines ont des liens d’amitié ou de solidarité avec ceux que la loi désigne comme leur proxénète, d’autres ont été trompées par des individus isolés qui profitent du contexte favorable aux trafics, d’autres, encore, sont parties avec un fiancé en qui elles avaient confiance…

«J’ai été obligée d’avoir des rapports sexuels avec des animaux»

Certaines de ces femmes expriment de la satisfaction à être en Suisse au regard des conditions de vie qu’elles ont laissées. Mais d’autres déplorent les

La souffrance derrière les apparences.

conséquences désastreuses sur le long terme. Sonia, originaire d’Afrique, regrette amèrement ce que sa vie est devenue après de longues années dans la prostitution. «Je me suis échappée d’un centre d’aide d’urgence, car quelques jours plus tôt j’avais été informée qu’un laissez-passer avait été signé par l’ambassadeur de mon pays en Suisse et donc j’étais expulsable à tout moment. Désespérée, je me suis retrouvée dans la rue, et pour survivre je n’avais pas d’autre choix que de me prostituer, n’ayant nulle part où aller et ne connaissant personne ici en Suisse. Quelques jours plus tard, j’ai fait la connaissance d’un Monsieur qui me proposait un travail digne dans une autre ville et un toit. En fait, cela a été le début d’un autre calvaire qui n’a pas de nom !», dit Sonia, avec un sourire douloureux qui en dit long sur ce qu’elle a subi en acceptant de suivre cet inconnu qui était en réalité un proxénète redoutable et impitoyable. «Une fois arrivée chez lui, il m’a droguée, battue, violée pendant des semaines et m’a vendue à un autre pervers qui a un bordel. Celui-ci, un vieux Suisse, me confie à sa compagne, une vieille femme africaine qui me fait comprendre que je suis leur esclave et que j’ai coûté très cher. J’apprends que j’ai une dette de 40’000 francs suisses, ce qui équivaut à 5 années de travail à plein temps. Elle me demande de me préparer pour la nuit. Pendant 5 ans, je vais travailler pendant des heures dans leur bordel avec d’autres filles. Comme une chienne. Des dizaines de clients à satisfaire par jour, la douleur au fond des entrailles, la violence, l’alcool, la drogue pour tenir le rythme infernal imposé par la cadence des clients… J’ai été forcée à pratiquer la scatologie (manger des excréments, ndlr) et la zoophilie (avoir des rapports sexuels avec des animaux, ndlr) pour assouvir les désirs sexuels de certains clients : des pervers sexuels européens de la pire espèce! Je me sentais sale, une machine à foutre, une poubelle, une vraie merde, je n’avais plus de larmes, ni de force, c’est dans la drogue que je me réfugiais. Aujourd’hui, j’essaie de tourner la page, malgré les séquelles. Ce n’est pas facile, c’est une blessure qui, je crois, ne pourra jamais cicatriser. J’ai fait la connaissance de Madame Mbog et son association m’ont aidés à tourner la page avec des soutiens psychologiques, un accompagnement et une réinsertion entre autres. Madame Mbog redonne une dignité aux femmes prostituées si souvent méprisées. Même si le combat n’est de loin pas encore gagné ».

Une issue possible ?

Mme Mbog Gemaine Epoula, est une Camerounaise qui a créé l’association «Femme, berceau de l’humanité malgré tout ». Son principal but? «Sortir les filles du trottoir et les aider à se réinsérer. Nous sommes installées en France, mais voyageons un peu partout en Europe, où se trouvent le plus de prostituées Africaines», nous explique la fondatrice que nous avons rencontrée à Genève. «Au départ, les femmes venaient vers nous pour les préservatifs et nous en avons profité pour leur poser des questions. Avec certaines, nous avons commencé à réfléchir à une stratégie commune pour les sensibiliser et les sortir de la rue», nous explique t-elle. Cette avocate de profession, a abandonné sa carrière pour se consacrer à plein temps à son association. «Toutes n’arrivent pas à tenir le coup. Seule une minorité écoute la sensibilisation et ne retourne pas dans la rue. La majorité y retourne, en expliquant que c’est la pauvreté qui les pousse, qu’elles doivent gagner de quoi nourrir leur famille entre autres. Par contre, elles promettent que si on leur propose une source de revenus, elles sont prêtes à quitter définitivement la prostitution», poursuit Mme Mbog, qui avoue n’avoir jamais imaginé qu’un jour elle laisserait tomber son métier pour inciter les travailleuses du sexe à se trouver une autre profession. Elle dit avoir pris «cette décision un jour… par hasard…», car, dans le cadre d’une enquête, elle découvre avec horreur qu’une mère prostituée, pour «garder» ses clients pervers, accepte l’offre que lui font ces derniers de sodomiser son fils de deux ans. Malheureusement, le fils ne résiste pas et meurt suite au viol. Mme Mbog, très marquée par cette horrible histoire, décide alors «de comprendre ce qui pousse les prostituées à accepter de subir tout ce qu’elles subissent! ».

Visiblement marquée, Mme Mbog interpelle avec une voix d’ange tous les concernés : «J’aimerais attirer l’attention sur le trafic d’êtres humains et communiquer deux messages. Le premier est que l’Afrique, en matière de prostitution, est en train de prendre tout ce que l’Europe a de plus sale pour miser ses espoirs là-dessus. Il faut expliquer aux gens que la vie est dure, mais que ce n’est que la solidarité qui nous fera dépasser les obstacles. Le deuxième message est pour les parents qui ont démissionné de leur rôle. On fait un enfant en essayant de lui donner les moyens d’aller plus haut. Ce sont les valeurs qu’on donne à un enfant aujourd’hui qui feront de lui la femme ou l’homme qu’il sera demain. Si on apprend à un enfant qu’il doit se prostituer pour avoir de l’argent, il pensera que son corps est sa seule source de revenus. Alors qu’il peut travailler. Même si c’est difficile. Nous pouvons encore arrêter les choses. Le message est aussi de demander aux gouvernements de trouver des solutions pour que les enfants aillent à l’école, que les gens soient protégés et, que les lois de l’asile et de l’immigration soit plus souples vis-à-vis des couches vulnérables, comme les femmes, parce que c’est quand elles traînent dans les rues qu’elles sont en danger », conclut-elle.

Fbradley Roland

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

*Prénoms d’emprunt