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« Faciliter le regroupement familial est dans l’intérêt de tous »

Eddy-Claude Eddy-Claude Nininahazwe. Photo: Voix d’Exils.

Le projet Opinions! de Voix d’Exils #3 : le thème du regroupement familial

En Suisse depuis 2 ans, Eddy-Claude Nininahazwe est au bénéfice d’un permis B mais est séparé de sa famille. Dans son intervention, il décrit sa situation et explique en quoi faciliter le regroupement familial bénéficierait autant aux personnes réfugiées, à leur famille qu’au pays d’accueil. Dans un second temps, il répond à trois questions que lui adresse Kristine Kostava

La rédaction

Articles publiés précédemment:

« Malgré mon expérience et mes compétences, je ne peux pas entrer dans le marché du travail », article publié le 11 janvier 2024

« Faire des vacances… imaginaires », article publié le 21 décembre 2023

« Le projet Opinions ! », article publié le 24 novembre 2023

 

 




Elles sont différentes

Sahar Rezai.

Et je les admire

Ces personnes sans façade, sans paillettes

Qui ne sont pas sans cesse soucieuses

De ce que les autres peuvent penser

Ces personnes qui ne s’angoissent pas d’être soi 

Qui n’estiment pas impérieuse

L’apparence de toute leur existence

Ces personnes qui ne disent jamais

Si je pouvais recommencer!

Qui ne regrettent pas leur destinée 

Ces personnes qui ne disent en aucun cas

Si j’avais une énorme gomme

Pour tout effacer à commencer par ma pomme

Ces personnes qui avouent la vérité quand elles ont fauté 

Qui font preuve d’audace et s’excusent

Qui sont sincères et se moquent de la censure

Ces personnes qui ne ruminent pas les maldonnes de la journée

La nuit, elles dorment sans culpabilité 

Même quand elles ont culbuté

Ces personnes libres et rebelles

Quand facebook leur demande quoi de neuf

Trouvent des formules pour avouer leurs malheurs

Ces personnes qui se moquent de leur réputation

Dévoilent docilement leurs dédales

Car elles savent qu’elles ne sont pas les seules à se perdre

Ces personnes sans peur de heurter

Qui, sans cesse, tiennent tête à l’hostilité

Qui préfèrent se bagarrer que plier bagage

Ces personnes qui savent qu’aucune localité

N’a de stabilité durable dans ce monde malade  

Et se battent pour ne pas dissiper leur paix intérieure 

Ces personnes sont conscientes

Que ce qu’on n’a pas n’est pas nécessaire

Elles n’estiment pas avoir plus de privilèges que l’étranger 

Ces personnes qui ne se tiennent pas en haute estime d’elles-mêmes

Qui ne considèrent pas les besoins d’autrui inférieurs et sans valeur

Et qui ne se vantent de rien car tout est vanité

 Je les admire spécialement.

 

Mireille Niyonsaba

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Le voleur de Singapour

Quand se faire dérober son portefeuille déclenche une chaîne d’événements surprenants!

Après avoir perdu son emploi, un fils écrit une lettre à sa mère. Un geste surprenant lui permet de surmonter l’adversité. Une histoire touchante de solidarité inattendue.

En 2002, je me suis rendu à Singapour pour travailler. Suite à un désaccord avec mon employeur, je me suis vu être forcé de quitter mon emploi. Un jour, en descendant du bus, j’ai réalisé que j’avais égaré mon portefeuille contenant neuf dollars ainsi qu’une lettre que j’avais écrite à ma mère. Le message exprimait ceci :

« Ma chère Maman, comme tu le sais, j’ai été viré de mon travail. Ce mois-ci, ma situation est difficile au point que je ne pourrai pas t’envoyer la somme de cinquante dollars que je t’envoie habituellement ».

J’avais glissé cette lettre dans mon portefeuille avec l’intention de l’expédier ultérieurement. J’étais inquiet : bien que neuf dollars puissent sembler insignifiants, dans ma situation d’antan, ils représentaient toute ma fortune.

Une lettre mystérieuse

Quelques jours passèrent et j’ai reçu une lettre de ma mère. Je me sentais très gêné, craignant qu’elle ne réclame la somme d’argent que je lui envoyais chaque mois. Cependant, en lisant la lettre, j’ai été agréablement surpris par les remerciements de ma mère. Voici ce qu’elle m’a écrit:

« J’ai reçu cinquante dollars de ta part grâce à ton envoi. Mon fils, tu es vraiment merveilleux ! Tu as réussi à m’envoyer la somme à temps, malgré la perte de ton emploi. Je prie pour ton succès. »

Ces mots ont suscité en moi de l’hésitation et de la perplexité pendant plusieurs jours. Qui avait bien pu envoyer cet argent à ma mère ? Quelques jours plus tard, une autre lettre arriva, signée par l’auteur suivant :

« J’ai trouvé votre adresse au dos de l’enveloppe de votre lettre. J’ai ajouté quarante et un dollars à vos neuf dollars et j’ai envoyé cette somme à l’adresse indiquée sur l’enveloppe. Franchement, j’ai pensé à ma mère, puis à la vôtre, et je me suis dit : pourquoi laisser votre mère affamée et pourquoi devrais-je porter ce fardeau ? 

S’il vous plaît, acceptez mes excuses et pardonnez-moi.

Salutations à vous. Je suis l’ami qui vous a volé dans le bus. »

Il arrive parfois que l’on tombe sur des voleurs bien honorables !

Wael Afana

Membre de la rédaction valaisanne Voix d’Exils

 




Ma belle vue

Photo de Sameer Srivastava sur Unsplash.com.

L’espace « Belle vue » du centre fédéral pour requérants d’Asile (CFA) de Giffers n’est pas uniquement un balcon d’où l’on peut contempler le paysage, depuis ce bâtiment géographiquement éloigné de tout, c’est également un carrefour d’aventures et de regards croisés. Je raconte mon passage par cet endroit et je partage mon intention actuelle de m’approprier, sans permis, la magnifique vue du foyer de St-Gingolph, en Valais, où je vis désormais.

« Belle Vue », c’est un lieu de rencontres éphémères mais avec des récits de toute une vie. C’est un endroit sympa, le seul endroit ouvert du CFA Giffers où, lorsqu’on en ressort, on ne subit pas de fouille par la sécurité.

La fameuse Belle Vue est l’espace fumeur, clôturé de fils barbelé pour éviter d’éventuelles chutes suicidaires. Car certaines histoires racontées ici donnent le vertige.

Comment tu t’appelles?

Je m’appelle Mireille

Tu viens d’où?

De la Côte d’Ivoire.

Mais quand les camarades de Belle Vue te demandent d’où tu viens, ils veulent connaître ton pays d’origine. 

Vous me demanderez peut-être pourquoi je ne leur ai pas révélé le mien.

Quand je suis arrivée au CFA de Boudry, des informations sur le tableau d’affichage ont attiré mon attention. Parmi elles, un communiqué proposait une aide au retour aux ressortissant.e.s du Burundi. J’ai trouvé ce communiqué étrange. Je me suis demandée pourquoi un seul pays pouvait être ciblé alors que le centre accueille des hommes et des femmes de très nombreuses nationalités : l’Ukraine, la Turquie, ­la Tunisie, la Tchétchénie, le Maroc, la Jordanie, l’Iran, le Congo, le Cameroun, l’Ethiopie, l’Afghanistan, etc. 

Répondre que je viens de la Côte d’Ivoire, c’était pour éviter d’être un objet de curiosité. Je n’ai pas non plus inventé ce pays; j’ai décollé directement d’Abidjan et je résidais là-bas depuis six ans.

Revenons à notre Belle vue du CFA de Giffers. 

Idrissa, originaire de Guinée, me raconte qu’il vient de passer 18 ans en Europe. Je l’écoute avec toute l’attention d’une apprentie.

Pourquoi es-tu ici alors? Ici au centre je veux dire? Lui demandais-je, avec mes yeux étonnés.

Je cherche un permis, je n’ai pas pu en avoir un dans tous les pays où je suis passé.

Ah, tu penses que tu auras quelque chose ici?

En fait, avant d’aller en Allemagne puis en Espagne, j’avais d’abord eu un refus ici, en Suisse, explique Idrissa avec une voix épuisée.

Sans me rendre compte de la gravité de la situation je lui lance : Ah quel courage! 

18 ans c’est rien, s’indigne Rachid, un camarade Tunisien assis sur une table à côté.

A Belle vue, il n’y a pas vraiment de secrets. Tout le monde écoute tout le monde. Là-bas, il y a des experts en matière d’asile. Évitez surtout de suivre leurs conseils. 

Moi je viens de faire 32 ans, poursuit Rachid en tirant sa chaise pour se joindre à nous. C’est une longue histoire ; 12 ans en Belgique, 10 ans en France et 14 en Allemagne et aucun permis.

Je pense qu’il s’est trompé soit sur le total, soit sur le nombre d’années qu’il a passé dans chaque pays.

A Belle Vue, même les mensonges sont permis et certaines histoires peuvent gâcher la vue et l’espoir.

D’habitude, j’aime poser beaucoup de questions pour mieux comprendre le pourquoi du comment. Là, curieusement, je m’abstiens.

Cette fois-ci, ça ira, soyons tous courageux! leur dis-je avec un sourire de soutien. 

A vrai dire, je m’adressais plus à moi-même qu’à eux. Car je me demandais si j’allais pouvoir tenir longtemps dans cet environnement.

Tournant mon regard, je vois Samia, une camarade géorgienne, le visage froissé, les larmes aux yeux… Une de ses compatriotes la prend dans ses bras. Je comprends tout de suite ce qui vient de lui arriver : sa demande d’asile a été refusée. Je vais vers elle pour la réconforter à mon tour.

A Belle Vue, il y a également des bonnes nouvelles. Derrière Samia, je vois Lulu, une autre camarade Erythréenne, un grand sourire aux lèvres, criant qu’elle vient d’obtenir le statut de réfugiée. Et là, j’hésite: Par quoi commencer? Par les félicitations ou par les consolations?

Je juge bon de commencer par ces dernières. Cela dans le but de ne pas mélanger les sujets.

Fort heureusement, en face de Belle Vue, à l’intérieur, il y a une salle de jeu.

C’était mon espace préféré. Le tennis de table était mon échappatoire. Je devenais un peu championne, avec un autre angle de vue. J’oubliais carrément que j’étais à l’intérieur d’un bâtiment hautement surveillé. 

La durée maximale de séjour au CFA Giffers est fixée à 140 jours. J’en étais à mon 132ème, quand on m’a annoncé que j’allais être transférée le lendemain. Je n’avais toujours aucune réponse par rapport à mon dossier. J’étais inquiète.

Quand j’ai su que ma prochaine affectation était quelque part dans le canton du Valais, mes camarades connaisseurs de Belle Vue m’ont cité tous les noms des foyers de ce canton, sauf celui de St-Gingolph, où je me trouve aujourd’hui. 

Je me suis quand même interrogée sur certaines choses. Si, par exemple, ma prochaine demeure ne serait pas située dans un endroit éloigné de tout, ou si sa clôture ne serait pas en barbelés… Qu’en sera-t-il de la liberté là-bas? Sera-t-elle régulée avec des horaires prédéfinis et des fouilles à chaque entrée?

Pour ne pas sombrer dans le désespoir, j’ai dû m’inventer une histoire : je vais désormais être une grande exploratrice. Je pars à l’aventure, vers l’inconnu, dans un endroit différent de celui que j’ai connu. Cette sortie allait me permettre de m’échapper et de casser la routine du CFA de Giffers. J’ai pris ma résolution: « effectuer un bon et heureux voyage, peu importe le trajet ».

Quelle belle vue ! C’est le cri qui m’a échappé en descendant de la voiture qui m’a amenée à mon nouveau foyer, à St-Gingolph. Réaliser que j’allais habiter, pour une durée indéterminée, au bord du lac Léman a été une bonne nouvelle pour moi.  

J’ai été agréablement surprise par l’accueil : les responsables du foyer m’ont aidé à porter mes bagages, non pas pour aller les fouiller mais pour les déposer gentiment dans ma nouvelle chambre. 

Avant de franchir les portes du foyer de St-Gingolph, j’ai déclaré : « Rien de rien ne me gâchera cette belle vue ».

Mais croyez-moi, il y aura toujours quelqu’un ou quelque chose avec la mission de bousiller votre magnifique panorama.

Cet endroit me plaît beaucoup, affirmais-je devant mes nouveaux camarades.

« La plupart de celles et ceux qui viennent ici sont contents », me fait savoir Ladji avec un sourire accueillant. 

Il me révèle qu’il y en a également qui ne rêvent que de quitter cet endroit. Surtout celles et ceux qui ont déjà obtenu leur permis depuis un bon moment. 

« Ici, parfois c’est compliqué », me chuchote-t-il à l’oreille.

Une autre camarade s’approche.

Je m’appelle Anny, bienvenue! Moi, quand je suis arrivée ici, je pleurais matin et soir, me confie-t-elle.

Je ne voulais pas me laisser contaminer par cette évidente incertitude du lendemain. J’avais une résolution à honorer: « un bon et heureux voyage, c’est tout ». Je lui demande alors sévèrement : Comment ça tu pleurais

Je trouvais cet endroit tellement loin de tout, répond Anny.

Loin? Loin par rapport à quoi? De toute façon, je suis déjà très loin. Et ce n’est pas seulement la distance terrestre qui rend le voyage long et lointain, mais également le temps qui s’écoule. Et le temps sera encore très long même après l’obtention du permis et de toutes ces autres choses dont on a toujours besoin. 

L’écrivain suisse Denis de Rougemont a dit dans « Journal d’un intellectuel en chômage » que « Posséder ce n’est pas avoir. Ce n’est pas même l’usage éventuel de quelque chose.  Mais c’est user en fait de cette chose-là. C’est donc un acte, et pas du tout un droit. Et ce n’est pas une sécurité, ni rien qui dure au-delà du temps qu’on en jouit. »

Ainsi, la plage et le beau paysage de St-Gingolph seront miens pendant que le temps s’envole. Chaque jour, je choisirai le meilleur angle de vue et j’en profiterai sans modération.

Mireille Niyonsaba

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




Phobie du printemps

Une frappe de l’aviation israélienne menée le 10 octobre à Gaza City a détruit trois immeubles résidentiels se trouvant à 150 mètres de la « tour Palestine ». Source: TV Al Araby. Image sous licence creative commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported.

Palestine : quand l’espoir est empêché

Wael Afana est Palestinien. Ancien rédacteur de Voix d’Exils, il est aujourd’hui installé en Egypte.

Toujours en contact avec notre équipe, il nous a envoyé un poème, en mai dernier, intitulé «Phobie du printemps», dans lequel il énonce toutes les occasions qu’il a d’éprouver de la peur.

Un mois tout juste après l’embrasement de sa région d’origine, l’automne venu, son texte garde tout son sens.

 

Franchement je vous le dis :

J’ai l’audace d’admettre que je suis devenu un lâche.

J’ai peur du bulletin d’informations et du chagrin qu’il porte !

J’ai peur des dernières nouvelles sur le Liban !

J’ai peur d’un SMS sans adresse.

J’ai peur de l’odeur des fleurs.

J’ai peur du bruissement des arbres.

J’ai peur que mon téléphone sonne !

J’ai peur de me taire !

Je tremble quand la sonnette retentit !

Je suis inquiet quand personne ne frappe à ma porte!

J’ai peur de la voiture de police et de ses phares.

Des ambulances et de leurs bruits.

Si je monte dans un avion, j’ai peur qu’il ne décolle pas !

Et s’il décolle, j’ai peur qu’il tombe !

Et s’il atterrit sans encombre, j’ai peur des douaniers !

J’ai peur de dormir à cause des cauchemars !

Et si je me réveille,

J’ai peur du jour et des malheurs qu’il apportera !

J’ai peur du présent

Et j’ai encore plus peur de l’avenir.

J’ai peur de la faim et de la soif !

J’ai peur d’être sans abri et de ne pas trouver de toit pour m’abriter.

J’ai peur de tomber malade et qu’aucun hôpital ne puisse me soigner.

J’ai peur de pleurer, personne ne peut m’aider…

J’ai peur d’écrire par peur du glissement de mon stylo.

Et j’ai peur de me noyer dans la mer de mon encre !

Ils ont dit : Vous êtes une personne malade.

J’ai dit : Je suis plutôt un Palestinien avec une phobie du printemps.

 

Wael Afana,

Ancien membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils