Entre fractures coloniales, guerres civiles et crises humanitaires, un peuple en quête de paix et de dignité
La guerre au Soudan et la séparation entre le Soudan et le Soudan du sud incarnent une tragédie humaine et politique, née de fractures historiques, ethniques et religieuses. Ces conflits, qui mêlent enjeux géopolitiques, économiques et religieux, ont façonné le destin de millions de personnes et continuent de peser sur l’avenir de cette région stratégique de l’Afrique. Depuis plusieurs décennies, le Soudan est le théâtre de conflits armés qui ont causé des pertes humaines massives, des déplacements de population et une instabilité politique chronique. Pour comprendre les origines de ces affrontements, il est essentiel d’examiner les facteurs historiques, politiques, économiques et sociaux qui ont façonné ce pays.
Le Soudan, autrefois le plus grand pays d’Afrique, a été divisé en deux nations distinctes en 2011. Cette séparation est le résultat de décennies de conflits armés, de tensions ethniques et religieuses, et de luttes pour le contrôle des ressources naturelles. La fracture entre le nord et le sud du Soudan trouve ses racines dans l’histoire coloniale. Sous la domination anglo-égyptienne (1899-1956) le nord, majoritairement arabe et musulman, a bénéficié d’un développement économique et politique tandis que le sud, peuplé principalement de communauté africaines chrétiennes et animistes, a été marginalisé. Après l’indépendance en 1956, les tensions entre les deux régions se sont intensifiées. Le gouvernement de Khartoum, dominé par des élites arabes musulmanes, a imposé des politiques discriminatoires, notamment l’application de la charia, qui ont exacerbé les divisions religieuses et ethniques.
Les guerres civiles et le chemin vers l’indépendance
Le Soudan a connu deux longues guerres civiles qui ont profondément marqué l’histoire du pays. La première (1955-1972) a éclaté en raison des revendications d’autonomie au sud et s’est terminée par l‘accord d’Addis Abeba qui a accordé une autonomie limitée au sud du pays. La deuxième, qui a duré plus de 20 ans, entre 1983 et 2005, a été déclenchée par la décision du gouvernement de Khartoum de révoquer l’autonomie partielle du sud et d’imposer la charia. Ce conflit a causé des millions de morts et des milliers de déplacés. En 2005, l’accord de paix de Naivasha a ouvert la voie à un référendum sur l’indépendance du sud. En janvier 2011, 98.83% des sud soudanais ont voté en faveur de la sécession.
Le rôle de la religion dans la séparation du Soudan
La religion a toujours occupé une place centrale dans les tensions qui ont déchiré le Soudan. Le pays est profondément divisé entre un nord musulman et un sud où coexistent des populations chrétiennes et animistes. Cette fracture religieuse a été exploitée par les élites politiques pour justifier des politiques discriminatoires et des guerres. Depuis l’indépendance du pays, les gouvernements successifs ont cherché à imposer une identité islamique et arabe à l’ensemble du territoire. Cela s’est concrétisé sous le régime de Jafar Nimeiri (1969-1985), lorsqu’il a instauré la charia comme loi nationale, exacerbant les tensions avec le sud où les populations ne suivaient pas cette religion et ses pratiques.
Face à l’imposition de l’islamisation, les rebelles du sud, notamment ceux du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), ont adopté une idéologie séculaire afin de contester la domination religieuse et la charia. Cette opposition a renforcé la fracture entre le nord et le sud et a contribué à la guerre civile. Plus tard, sous le régime d’Omar El-Béchir (1989-2019), le pays a vu l’influence croissante de mouvements islamistes radicaux, avec un soutien explicite aux groupes djihadistes et une gouvernance islamique stricte aggravant encore la division du pays.
Les institutions religieuses ont également joué un rôle ambigu dans ce contexte. Certains chefs religieux ont cherché à jouer le rôle de médiateur dans les conflits alors que d’autres ont attisé les tensions en soutenant des politiques discriminatoires ou en promouvant une vision extrémiste de l’Islam, alimentant ainsi les divisions internes du pays. Ainsi, la religion a été à la fois un facteur de guerre et élément de réconciliation, selon les intérêts politiques et religieux en jeu.
Ressources, corruption et sanctions
Il existe un enjeu économique énorme qui influence fortement la stabilité du pays. En effet, le Soudan est un pays riche en ressources naturelles notamment en pétrole, or et en terres agricoles fertiles. Cependant, son économie est marquée par une instabilité chronique due aux conflits internes, à la corruption et aux sanctions internationales. Avant la sécession du pays en 2011, le Soudan dépendait fortement des revenus pétroliers qui représentaient environ 75% des exportations et 50% des recettes publiques. Cependant, le Sud-Soudan a perdu de nombreux champs pétrolifères, ce qui a gravement affecté l’économie locale qui s’est manifesté par une dévaluation de la monnaie et une hyperinflation. Le Soudan possède pourtant un potentiel agricole important, mais le secteur manque d’investissements. De plus, certaines dégradations environnementales, ainsi que les nombreux conflits armés sont des facteurs importants à prendre en compte et qui empêchent une exploitation efficace des terres agricoles.
Une des raisons qui pourrait expliquer le manque d’investissements dans ce secteur est la corruption. En effet, le Soudan est classé parmi les pays les plus corrompus au monde ce qui entrave par conséquent le développement économique et une distribution équitable des ressources. Cette mauvaise gestion des finances publiques mêlée à l’absence de transparence, conduit inévitablement à une crise économique prolongée. Cette crise est d’autant plus exacerbée par l’isolement économique du Soudan dû aux sanctions internationales. En effet, le Soudan a longtemps été sous sanctions américaines en raison de son soutien présumé au terrorisme et aux violations des droits humains. Bien que certaines sanctions aient été levées, le pays reste économiquement isolé et peine à attirer des investissements étrangers.
Enjeux sociaux
Le Soudan est confronté à des défis sociaux majeurs liés aux conflits, aux inégalités et aux crises humanitaires. Les guerres successives ont provoqué le déplacement de plus de 7 millions de personnes, encore plus actuellement, dont beaucoup vivent dans des camps de réfugiés dans des conditions précaires. Le pays accueille également des réfugiés venant d’autres pays instables comme l’Erythrée et le Tchad. Le système de santé soudanais est d’ailleurs sous-financé et manque cruellement de personnel qualifié. La situation humanitaire est d’autant plus alarmante si l’on note que les nombreux conflits ont détruits de nombreuses infrastructures médicales, rendant l’accès aux soins extrêmement difficile, notamment pour les populations rurales et déplacées. Ces mêmes populations rurales sont également les premières touchées en matière d’éducation puisque les conflits ont perturbé l’accès à l’éducation. Avec de nombreuses écoles fermées ou détruites, le taux d’alphabétisation, en particulier chez les femmes, reste relativement bas.
Enjeux politiques
Le Soudan a connu une instabilité politique chronique marquée par des coups d’État, des régimes autoritaires et des conflits internes. Les groupes paramilitaires ainsi que les milices jouent un rôle important dans la politique soudanaise, souvent en opposition au gouvernement central. En effet, depuis son indépendance, le Soudan a été dirigé par plusieurs régimes militaires et a connu plusieurs coups d’Etat. La transition démocratique reste donc difficile, avec des luttes de pouvoir entre l’armée et les groupes civils. Après la chute d’Omar El-Bechir, en 2019, le pays a tenté une transition vers un gouvernement civil mais celle-ci a été entravée par des conflits internes et la population soudanaise continue de réclamer des réformes et une gouvernance plus transparente. Le Soudan a également tenté de réintégrer la communauté internationale après des décennies d’isolement et les relations avec les pays voisins, notamment l’Éthiopie et l’Égypte sont tendues en raison de différents territoriaux et de la gestion du Nil.
La situation actuelle
Actuellement, les Forces Armées Soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al Burhan, et les Forces de Soutien Rapide (FSR), sous le commandement de Mohamed Hamdane Daglo, sont en conflit direct aggravant encore plus l’instabilité du pays. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait il y a un an maintenant, qu’environ 16’000 personnes sont mortes et 33’000 ont été blessées au cours des 13 premiers mois de la guerre, tout en précisant que le bilan réel est probablement plus élevé.
Environ 10,7 millions de personnes ont été déplacées, soit l’un des plus grands déplacements de population du 21ème siècle après la guerre en Syrie. Parmi eux, 1,7 million de personnes ont fui vers des pays voisins comme le Tchad et l’Égypte. La situation humanitaire est catastrophique où près de 30 millions de personnes ont besoin d’aide et des cas de famine ont été confirmés dans plusieurs régions, notamment au Darfour, où 8.9 millions d’enfants sont en insécurité alimentaire dont 4 millions à un niveau d’urgence.
Les violences sexuelles, les attaques contre les civils sont monnaie courante et l’accès à l’aide humanitaire est extrêmement limité. Médecins sans frontières (MSF) qualifie cette crise qui se déroule actuellement au Darfour comme l’une des pires crises en matière de santé maternelle et infantile selon un de leur rapport. Les femmes enceintes et les jeunes mères, ainsi que les enfants, meurent de maladies qui pourraient être évitées. Ce rapport établit que de janvier à août 2024, 46 décès maternels ont été enregistrés dans l’hôpital universitaire de Nyala et dans l’hôpital rural de Kas. Le manque d’établissements de santé fonctionnels et les coûts élevés des transports font que de nombreuses femmes arrivent à l’hôpital dans un état critique. En effet, 78% des décès maternels dans les hôpitaux de Kas et Nyala se sont produits dans les 24 heures suivant leur admission, le plus souvent des suites d’une septicémie.
En août 2024, 30’000 enfants de moins de deux ans ont fait l’objet d’un dépistage de malnutrition dans le Darfour du Sud. Parmi eux, 32,5 % souffraient de malnutrition aiguë, bien au-delà du seuil d’urgence de 15 % fixé par l’OMS. En outre, 8,1 % des enfants dépistés souffraient de malnutrition aiguë sévère.
Le Soudan du Sud a l’une des incidences de paludisme les plus élevée au monde, enregistrant environ 7’680 cas et 18 décès chaque jour, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette infection parasitaire, transmise par les moustiques, est également la principale cause de décès chez les enfants du pays avec 2,8 millions de cas pédiatriques et 6’680 décès enregistrés rien qu’en 2022.
Face à cette crise, une conférence internationale s’est tenue à Londres, le 15 avril 2025, où une quinzaine de pays, ainsi que l’Union Européenne et l’Union Africaine, ont exigé un cessez-le-feu permanent pour mettre fin aux violences. Une mobilisation de fonds a été mis en place et 800 millions d’euros ont été promis pour l’aide humanitaire, s’ajoutant aux 2 milliards d’euros déjà engagés lors d’un sommet précèdent à Paris qui s’était déroulé en mars 2025. Les participants ont dénoncé les atrocités commises par les deux camps, notamment les violences sexuelles, les exécutions de masse et la famine qui touche des millions de Soudanaises et de Soudanais.
Le ministre britannique des affaires étrangères, David Lamy, a exhorté les pays à ne pas détourner le regard, dénonçant une erreur morale face aux souffrances des civils.
Conclusion
Le Soudan est donc un pays marqué par des décennies de conflits, des crises politiques et des bouleversement sociaux qui ont profondément affecté sa population et son avenir. Depuis son indépendance, il n’a cessé de lutter entre guerres civiles, sécession, instabilité gouvernementale, rivalités ethniques et religieuses. L’histoire coloniale a laissé des cicatrices profondes et le rôle de la religion dans ces tensions internes a amplifié les divisions entre le Nord et le Sud, entre islamisation et résistance.
Aujourd’hui, alors que le pays est encore en proie à des affrontements meurtriers et à une crise humanitaire alarmante, plusieurs scénarios se dessinent : prolongation des conflits, émergence d’un régime autoritaire, fragmentation du territoire, ou, dans l’espoir le plus optimiste, un processus de reconstruction mené par une volonté politique solide et soutenu par la communauté internationale. La stabilité du Soudan repose sur des réformes structurelles, une gouvernance transparente et inclusive, ainsi qu’un engagement à apaiser les divisions religieuses et ethniques.
L’avenir du Soudan reste incertain, mais une chose est sûre : la paix ne peut être atteinte sans une prise de conscience collective de l’impact des guerres sur la population et un réel effort de réconciliation nationale.
Yahya Nkunzimana
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils