Migrations | Sociétés

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« Retournez d’où vous venez »

« Retournez d’où vous venez »

Illustration: Dariia Daineko

Quand la téléréalité s’approprie l’expérience de l’exil  

L’émission « Go Back to Where You Came From » suit six Britanniques hostiles à l’immigration sur les traces de personnes réfugiées. Entre chocs, prises de conscience et controverses, ce programme soulève des questions profondes sur notre rapport à l’exil et à l’empathie. Diffusée pour la première fois en 2012 sur la chaîne anglaise Channel 4, cette émission de téléréalité plonge les spectatrices et spectateurs dans les périlleuses routes empruntées par les personnes réfugiées fuyant des zones de conflits.

Dans un contexte où le sujet de la migration est souvent instrumentalisé politiquement et colporte de nombreux préjugés, la série britannique « Go Back to Where You Came From » (en français« Retournez d’où vous venez ») offre une perspective inédite. Le but de ce projet n’est pas seulement de montrer les réalités souvent délicates que vivent ͏les personnes migrantes, mais également de choquer les participants de l’émission et ͏les spectateurs pour qu’ils revoient leurs propres idées. L’émission prend l’exemple d’un format australien du même nom qui avait battu des records d’audience en 2015 et qui avait suscité un grand débat public. Les chaînes françaises et belges, qui avaient acheté les droits pour adapter l’émission, avaient finalement renoncé à ce programme, jugeant son contenu trop controversé.

Dans la version britannique, six personnes qui sont fermement opposées à l’immigration, vivent et expérimentent les mêmes routes migratoires que les personnes réfugiées arrivées de Syrie ou de Somalie. Accompagnés par d’anciens soldats, gilets pare-balles sur le dos, ils traversent des étapes dures et dangereuses du parcours de ces personnes. L’idée est qu’ils puissent sentir ce que vivent les personnes migrantes qu’ils rejetaient fortement avant l’émission.

La connaissance et l’empathie pour changer notre regard

Ce programme n͏e cherche pas seulement à amuser mais également à faire réfléchir. À travers cette expérience personnelle, celles et ceux qui rejetaient au départ la migration découvrent des histoires humaines profondes. En vivant la peur, l’insécurité et la souffrance, ils et elles commencent à percevoir les personnes réfugiées non pas comme des « problèmes » mais comme des personnes ͏à part entière avec des vies brisées et des histoires profondément marquantes. La transformation intérieure est au coeur du projet ͏: montrer que la connaissance et l’empathie peuvent changer notre regard.

Cette émission rappelle un cas réel d’un journaliste Irakien qui avait lui-même rejoint un groupe de personnes migrantes venus de Syrie et d’Afghanistan pour faire avec eux ce chemin éprouvant vers l’Europe. Son parcours avait alors commencé en Turquie. D’après son expérience, les personnes migrantes paient entre 7’500 et 10’000 euros pour atteindre la frontière bulgare, puis encore 5’000 euros pour rejoindre Sofia. De là, ils traversent la Serbie, la Hongrie, parfois la Slovaquie ou l’Autriche, pour finalement arriver en Allemagne. En chemin, ils doivent affronter la faim, l’épuisement, la peur constante de la police ou des bandes de criminels. Mais le pire reste la violence et l’indifférence des passeurs. Les personnes migrantes sont souvent traitées comme des marchandises, battues sans raisons, parfois simplement parce qu’elles marchent trop lentement ou parlent trop. Malgré tout cela, beaucoup continuent d’essayer, car chez elles, il ne reste que la guerre, la faim et la mort. Et mêmes arrêtées ou expulsées elles retenteront leur chance.

Voyeurisme ou sensibilisation?

Toutefois, cette émission permet de mettre en lumière une question éthique importante et essentielle : est-ce moral de transformer la détresse humaine en une émission de télévision ? Go Back to Where You Came From a beau vouloir éveiller l’empathie, cette émission joue avec une frontière fragile car filmer la misère, les camps, les familles brisées, pour les mettre sous les projecteurs d’un studio de télévision peut vite ressembler à une forme de voyeurisme. C’est une expérience forte, certes, mais sans vrais risques pour les participantes et les participants, car tout est encadré, payé, sécurisé. Et même si certaines et certains en ressortent changés, d’autres, après avoir vu l’insupportable, gardent leur position : “S’ils viennent légalement, je les accueille. Sinon, ils doivent repartir.” Il est donc nécessaire de se questionner sur l’importance d’une empathie éphémère qui peut s’effacer malheureusement aussi vite qu’un générique de fin.

Quelles alternatives?

Des expériences plus locales, sous forme de formations, permettent également de se mettre à la place des personnes migrantes en donnant l’occasion aux participantes et participants d’augmenter leur empathie à leur égard. Par exemple, en Suisse, l’Organisation d’aide aux réfugiés (OSAR) met en place une simulation intitulée « Passages » permettant aux participantes et participants de la formation de découvrir, sous la forme d’un jeu de rôles, la réalité de la migration forcée, du départ à l’arrivée, ainsi que les dangers relatifs à ces chemins migratoires. Cette formation permet une compréhension plus fine et bienveillante et surtout plus éthique que l’émission Go Back to Where You Came From qui, comme cité précédemment, frôle le voyeurisme. Il est pourtant nécessaire d’affirmer que les réalités concernant l’exil forcé ne sont réellement comprises que par les personnes migrantes qui les ont vécues et que chaque parcours migratoire, additionné au ressenti propre à chacun, est différent. Le témoignage des personnes migrantes est à mon sens le moyen le plus fiable pour appréhender et comprendre au mieux ce qu’est l’expérience de l’exil.

Dariia Daineko 

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils 

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