L’histoire de la migration des Burundais vers l’Europe
Celles et ceux qui sont déjà passés par l’aéroport international de Belgrade ont sans doute déjà vu la pancarte : « REMEMBER, KOSOVO IS SERBIA » (N’oubliez pas que le KOSOVO appartient à la SERBIE). Comment une simple affiche peut-elle résumer à elle seule l’histoire du mouvement d’un peuple dans le temps ?
Bien que le Burundi ait été confronté, depuis son indépendance en 1962, à des conflits et massacres interethniques récurrents, les mouvements de personnes réfugiées se sont confinés quasiment dans la région des Grands Lacs (africains) ou de simple déplacements internes. Malgré le temps qui continue de s’écouler, de nombreux camps de déplacés existent encore au Burundi.
Genèse politique
Tout commence en 2018. Sous le poids des sanctions internationales suite au troisième mandat du Président Pierre NKURUNZIZA – troisième mandat qui n’était pas prévu par la Constitution – le Burundi est considéré comme un Etat paria dans le concert des Nations. Tout particulièrement puisqu’il s’alignait jusque-là aux puissances occidentales. Justement, alors qu’il dépendait fortement de l’aide des occidentaux (La Belgique, l’Allemagne, l’Union européenne en général, la Banque mondiale, le Fonds Monétaire International etc, …), tant au niveau de l’aide budgétaire que de celui de l’aide au développement, le Burundi les considère désormais comme des soutiens aux « putschistes » de 2015. Le pays bascule alors dans « le bloc de l’Est », composé de pays considérés comme dissidents des États occidentaux. La Russie et la Chine ont par ailleurs régulièrement opposé leur véto à toutes les résolutions proposant des sanctions contre le Burundi au Conseil de sécurité des Nations Unies en raison de nombreuses violations des droits de l’homme qui étaient commises dans le pays. Et dans « ce bloc » se trouve aussi la Serbie.
Ainsi, dans sa politique de redistribution des cartes diplomatiques, le Burundi a révoqué sa reconnaissance de l’indépendance du Kosovo. En contrepartie, la Serbie lui a rendu la pareille. En effet, pour les séjours d’une durée de moins de 30 jours, les Burundais.e.s seront alors autorisé.e.s à entrer en Serbie sans visas. Pendant longtemps, la nouvelle n’est pas parvenue au Burundi. Cependant, elle finit par se répandre comme une trainée de poudre dans les deux années suivantes. C’est en 2021 que de plus en plus croissant de Burundais.e.s commencent à se rendre dans ce pays d’ex-Yougoslavie au cœur des Balkans, les uns pour poursuivre leur chemin dans d’autres pays de l’Union européenne, tandis que les autres choisissant d’y rester.
Contexte humanitaire
Au cours des années 2021 et 2022, les organisations de défense des droits humains, internationales telles que le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (CDHNU) tout comme les burundaises, ont documenté des meurtres, disparitions forcées, actes de tortures et mauvais traitements, des cas d’arrestations arbitraires ainsi que des violences sexuelles et sexistes. Des cadavres non identifiés, souvent ligotés ou mutilés, ont été découverts à des intervalles réguliers dans différentes provinces du pays et souvent enterrés à la va-vite par les autorités locales et les « imbonerakure » (jeunesse du parti au pouvoir qualifiée de milice par les Nations Unies) ou des policiers sans qu’il y ait d’enquête.
Au 30 septembre 2022, 269’330 Burundais.e.s étaient toujours officiellement refugiées dans les pays voisins, sans oublier celles et ceux qui étaient parvenus à rejoindre les pays occidentaux.
Ainsi, le Burundi est devenu, par concours de circonstances malheureuses, le pays de graves violations de droits humains où la presse indépendante est muselée par le gouvernement en place. C’est aussi un pays de toutes les pénuries de devises, carburant et médicaments et dans le quel pour accéder au moindre service quelle qu’il soit il faut être membre du parti au pouvoir. La décision de la Serbie est venue comme une aubaine pour une jeunesse désespérée et des parents obligés de vendre tous leurs biens pour échapper à l’emprisonnement, voire à une mort certaine.
Une mesure de courte durée
Cependant, ces noces n’auront duré que le temps d’une rosée. La mesure a commencé à inquiéter partout en Europe. L’Union européenne a rapidement considéré que la Serbie était devenue un pays de transit et força, sous le joug de pressions diplomatiques, ce pays des Balkans à revoir son accord avec le Burundi. D’après certaines estimations, environ 20’000 personnes migrantes, dont des burundais.e.s, ont utilisé ce chemin vers les Balkans.
Sous ces fortes pressions diplomatiques, la Serbie a annoncé qu’elle allait changer sa politique de visa pour l’adapter à celle de l’Union européenne, alors que cette dernière menace déjà de suspendre sa politique d’exemption de visas envers la Serbie elle-même. Le 20 octobre 2022, le gouvernement serbe révoque son accord d’exemption de visas pour les Burundais. Une cinquantaine d’entre eux seront alors bloqués en Turquie et au Qatar le jour suivant.
Dans les interviews à suivre, des réfugiés et demandeurs d’asile Burundais vont nous raconter leur calvaire. De la mafia des trafiquants de migrant.e.s, de sournoises escroqueries, des violences dans les pays de transition, vous trouverez les parcours des gens qui nouent pour la première fois avec la migration intercontinentale. Les blessures physiques et psychiques que ces chemins « de croix », pourtant choisis, laissent sur un être humain. C’est le prix à payer pour obtenir la protection internationale.
Jean Claude NIMENYA
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils