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Moi, ton petit fils

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Photo de Mahbuba Zehra

Pour Mahbuba Zehra, ma grand-mère maternelle

« Marcher dans un champs de blé est un péché » m’avais-tu dit une fois. Dès lors, je n’ai jamais effrayé les oiseaux qui étaient tout le temps dans les champs de blé. Je n’ai jamais essayé non plus de trouver mes copains qui s’y cachaient quand nous jouions à cache-cache. Durant toute ma vie, j’ai uniquement contemplé les champs de blé: durant la germination, la floraison, l’épiage… Et, chaque fois que je les contemplais, je me souvenais de toi. A la période des moissons, le paysan ramassait la récolte d’une longue année de labeur. Moi, je moissonnais la nostalgie de toi, trempé jusqu’au cou.

Il y avait une fille que j’aimais: les cheveux et la peau, comme la couleur du blé. Elle comparait ses sentiments aux battements d’ailes des oiseaux. Je n’ai jamais effrayé les oiseaux qui vivaient en elle. Elle germait, fleurissait et épiait l’endroit où je déposais mes lèvres quand je l’embrassais. 

Il n’y a pas de temps de récolte pour l’amour qui reste à jamais en germination, en floraison. J’ai compris cela lorsqu’elle m’a quitté. Alors, je suis venu à toi avec l’espoir de sentir tes caresses sur ma tête. J’ai vu le Dieu dans tes mains, dans ta douceur lorsque tu caressais ma tête. Je le voyais dans ton cœur… qui était comme de la batiste, faite de sérénité, du vert de l’amour, de l’azur infini d’une vie inépuisable!

Toi, tu n’étais plus à ce moment-là, je le savais. Je me suis souvenu des histoires que tu me racontais. J’étais un enfant espiègle. Pour me faire peur et mettre ainsi des limites à mon espièglerie, tu racontais parfois des histoires de monstres effrayants. Mais tu appelais aussi à la raison les gens qui vivaient avec nous lorsqu’ils s’en prenaient à moi. « La branche se casse lorsqu’elle est mince » leur disais-tu. Néanmoins, si tu vivais encore, je te poserais une question à ce sujet: si j’avais cru un peu trop à l’existence de ces monstres effrayants et devenu ainsi un homme timoré et lâche, qu’en dirais-tu?

Tout d’abord, tu aurais souri, je le sais. Comme toute personne intelligente… Comme une paysanne ayant obtenu sa récolte… Comme si elle ne mourrait jamais… En pensant à tout cela, j’ai souri à ta place. Comme si tu vivais toujours…

J’étais comme les montagnes qui se dressent à la perpendiculaire de la mer: orageux, pluvieux et humide, étais-je. Toi, tu étais comme une plaine: patiente, impassible, sans peur et sans souci… Par quels déluges tu es passée pour te faire ressembler à une plaine, pour t’installer dans une plaine? Quelle était la raison pour que tu sois si patiente? Ce qui te faisait oublier la mort, était-ce une chose que tu attendais? Était-ce une personne que tu attendais?

Il existe un bassin vers lequel tout cours d’eau se jette. Tu pleurais parfois. Tu nourrissais ta patience avec tes larmes. As-tu pu rejoindre une mer?

Moi, ton petit-fils, je me suis brisé en petits morceaux. J’ai fait avec mon corps rempart à la plaine de ton cœur et j’ai suivi les traces de l’eau. Non pas pour arriver à la mer, mais à tes yeux.

Delil Aral

Contributeur de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 



Un commentaire a Moi, ton petit fils

  1. Didier dit :

    Un beau texte sur une autre manière d’exil.

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