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Des souvenirs à chérir

Illustration: Kristine Kostava / Voix d’Exils

Témoignage

Les souvenirs positifs de chez soi sont les seuls qui nous restent loin de la maison. Je suis d’origine burundaise. Arrivée ici en Suisse en 2022, j’ai commencé à écrire dans mon journal personnel pour rester connectée à mes origines.

 Les conflits et les guerres nous ont obligés à quitter notre patrie, nos maisons et nos familles ; et les souvenirs qui en découlent restent gravés dans nos cœurs. Cependant, les souvenirs négatifs ont tendance à surpasser les positifs. Les scènes marquantes effraient bien plus que celles qui sont positives. Il est donc impératif d’œuvrer à la construction d’un avenir meilleur en conservant précieusement nos histoires qui nous donnent de l’espoir.

Des souvenirs d’enfance heureux

Bien que je n’aie pas connu la paix dans mon pays, je chéris certains souvenirs d’enfance, tandis que d’autres sont moins agréables. L’un de mes souvenirs les plus précieux est celui de mon école primaire qui se trouvait à une minute de chez moi. Cette école était l’école primaire de Ninga, avec ses arbres environnants, ses élèves qui jouent dans la cour – qu’on pouvait voir depuis le salon de ma maison – et ses jeux pour enfants. Le jeu auquel on jouait à l’époque était un jeu collectif populaire qui chez nous s’appelle « Je déclare la guerre ».

Dans ce jeu, un grand cercle est dessiné avec un cercle plus petit au centre. Chaque segment du cercle représente un pays différent, inscrit avec ses initiales. Les joueurs tirent au sort pour déterminer qui sera le premier à déclarer la guerre. L’objectif est que chaque joueur garde un pied à l’intérieur de son pays tout en étant prêt à fuir le plus loin possible lorsque le signal « déclaration de guerre » est donné. Par exemple, si la France est choisie, elle déclare la guerre à un pays de son choix, comme l’Italie, puis s’enfuit. Tous les joueurs, y compris l’Italie, s’enfuient, mais l’Italie doit rapidement revenir dans le petit cercle au centre et crier « STOP ! ». Une fois que tout le monde s’est arrêté, la France évalue la distance qui la sépare des autres joueurs et choisit celui qui est le plus proche du cercle, ce dernier est éliminé. Le jeu se poursuit ainsi, mêlant du suspense et de l’excitation pour tous les joueurs.

Je ne sais pas très bien pourquoi on jouait toujours à des jeux qui parlent des guerre. Malgré l’ignorance apparente des enfants, peut-être que cela était dû à l’absence de paix dans notre pays. Malheureusement, aujourd’hui, à cause de la guerre, mon école primaire n’est plus la même et tous ces moments qui m’y rattache encore me manquent. Ce manque est semblable à la perte d’un repère et nous ramène à la vérité de l’exil et que les choses, au fond, ne vont pas mieux. Cependant, j’apprends à m’adapter, à vivre de façon à ce que mes souvenirs positifs ne disparaissent jamais.

 

Période de deuil obligatoire

En arrivant dans un pays d’accueil, toute personne migrante, moi inclue, passe par une phase que je surnomme « le deuil obligatoire ». Les personnes migrantes ont souvent une période de transition essentielle au cours de laquelle elles doivent abandonner tout ce qu’elles connaissent de leur pays. Cela implique l’apprentissage d’une nouvelle langue, l’adaptation à de nouvelles coutumes, de nouvelles techniques, de nouveaux outils inconnus etc.

Cette adaptation à une nouvelle vie est souvent faite sans la présence d’êtres chers, d’amis et d’environnements familiers. On peut la comparer au processus de deuil qui accompagne la perte d’un être cher et à la nécessité de découvrir comment avancer malgré tout. Il s’agit donc de s’adapter à la perte, mais aussi d’aller de l’avant en gardant précieusement près de soi les souvenirs de nos proches tout en se concentrant sur la construction d’une nouvelle route pour l’avenir. Mon objectif est de préserver le plus possible les moments de joie afin de transmettre un héritage d’optimisme et de tranquillité à ma descendance.

 

Un nouvel équilibre

Pendant mon exil, j’ai découvert un sens de l’équilibre qui m’est cher aujourd’hui. Bien que mon éducation et l’absence d’espoir de paix dans mon pays m’ont inculqué une prédisposition au pessimisme m’amenant à anticiper les crises du lendemain et à être constamment prête à affronter la guerre, mon séjour en Suisse m’a offert une nouvelle perspective. Mon temps en Suisse m’a ouvert les yeux sur une autre façon de voir le monde. Cette perspective ne se limite pas à la sécurité mais englobe également la vie publique dans un sens plus large. En particulier, j’ai noué de nouvelles relations autour d’une série de questions notamment sur le thème de la protection de l’environnement. Il s’agit d’un défi mondial qui ne fait aucune distinction entre races, religions ou groupes ethniques, et ce, quelles que soient leurs origines ou leurs croyances. Cet équilibre nouveau me permet de regarder le futur sans être prisonnière de la nostalgie d’un passé heureux.

 

Alix Kaneza

Membre de la rédaction de Voix d’Exils