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Les pizzas du bonheur

Ou l’histoire d’une rencontre improbable autour du fameux met italien

Il y a dans la vie des rencontres que l’on classe rapidement au fond de nos souvenirs, à la limite de l’oubli, tant elles semblent banales. Mais, parfois, au détour d’une conversation, elles remontent à la surface avec une profusion de vie et de couleurs et prennent une dimension porteuse despérance.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils faisait le point sur ses activités et la discussion s’orientait vers le contenu et les messages que pouvaient transmettre nos articles. Il était surtout question de parler de la réalité des choses telles que nous les vivons dans leur vérité et être les témoins des problèmes qui affectent notre quotidien: l’angoisse des permis de séjour, l’emploi, la précarité et la pauvreté qui, parfois, en découle mais aussi la réalité du racisme.

Sortant un peu de nulle part, un rédacteur nous raconta l’histoire « des pizzas du bonheur » .

C’était à la gare de Bâle, un dimanche après-midi à une heure de grande affluence. « Le vieux » – comme on l’appelle affectueusement à la rédaction – attendait dans le grand hall l’arrivée de son train pour le Valais. À quelques mètres de là, un couple de jeunes africains attira son attention: la jeune femme était enceinte et les deux portaient des baluchons, ce qui était insolite dans une gare en Suisse. Ils avaient l’air perdus dans cette cohue.

Le vieux entendit le jeune homme demander en anglais à un passant avec un fort accent ouest africain des informations sur le quai d’embarquement pour l’Allemagne ; il le vit retourner vers sa compagne qui s’était assise à même le sol pour l’aider à se relever, mais cette dernière lui indiquait son ventre. Observant la scène à distance, le vieux pensa que la femme avait des soucis avec sa grossesse. Leurs regards se croisèrent ; elle chuchota quelque chose à l’oreille de son compagnon, celui-ci se retourna, vit notre ami du Valais et se dirigea vers lui. Le vieux, pensant à la réputation douteuse des ressortissants de cette partie du continent africain, tenta de s’éloigner. Le jeune homme cria alors « Baba » ! ou « Papa ». De toute évidence, il s’adressait à lui vu ses cheveux blancs. Le vieux s’arrêta, ne sachant pas très bien ce qu’il allait se passer. Dans son anglais particulier, cet individu que le plus grand des hasards avait mis sur sa route lui dit :

« Baba! Sorry to hambog you. I am here with my woman trying to go to Germany. She is pregnant and we are very hungry ».

Ce qui veut dire en substance: « Excuse-moi Papa. Je suis ici avec mon épouse et nous essayons de nous rendre en Allemagne. Elle est enceinte et nous avons très faim »… Le reste du discours se perdit dans la cohue de la gare.

En face, il y avait un fastfood d’une célèbre enseigne locale. Le vieux remit quelques billets au jeune homme qui fonça dans la boutique et revint avec deux pizzas les yeux brillants. Il le traîna pratiquement vers sa compagne pour les présentations et les trois coururent ensemble vers le quai d’embarquement. Et là, les adieux se firent comme pour une véritable famille.

Il était vraiment temps car les portes du train se refermèrent et le convoi s’ébranla en direction de Hambourg.

Cette rencontre improbable autour d’une pizza était restée enfouie dans le cœur du vieux jusqu’à ce jour où il eut l’occasion de la partager de manière inattendue avec la rédaction valaisanne de Voix d’Exils et ce fut un vrai moment de bonheur auquel vous êtes maintenant également invités… 

Jima

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils