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Les luttes féministes

La grève nationale des femmes du 14 juin 2019 en Suisse. Un cortège à Lausanne. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils.

Une histoire écrite avec le sang

L’histoire des luttes féministes, de ses débuts à nos jour, montre la voie à notre génération pour enfin parvenir à l’égalité entre les femmes et les hommes.

On observe les premières figures de libération des femmes vers la fin du treizième siècle avec, par exemple, Guglielma de Milan qui créa la première église de femmes.

La Révolution française marque un changement important dans l’évolution de l’égalité entre les sexes. Olympe de Gouges, une femme politique et l’une des pionnières du féminisme français, affirme déjà en 1791 dans sa Déclaration des droits des femmes et des citoyens que « les droits naturels des femmes sont limités par la tyrannie des hommes, situation qui doit être réformée selon les lois de la nature et de la raison ». Elle fut guillotinée le 3 novembre 1793 par le gouvernement de Robespierre.

En Angleterre, Mary Wollstonecraft écrivit en 1792 que « la revendication des droits des femmes » soulève les questions du droit de divorcer librement, de l’égalité des droits civils, du travail, des droits politiques et de l’accès à l’éducation.

C’est surtout au dix-neuvième siècle que commence une lutte organisée et collective. A cette époque, les femmes décident de participer à de grands événements historiques jusqu’à obtenir le droit de vote et avec lui la reconnaissance de leur autonomie. Les femmes ont commencé par faire partie des révolutions socialistes mais de manière subordonnée. Flora Tristan est une figure de ces femmes engagées dans les luttes ouvrières féministes. Elle écrit en 1842 que « la femme est la prolétaire du prolétariat […] même le plus opprimé des hommes veut opprimer un autre être: sa femme ». Le 19 septembre 1893, les femmes accèdent au droit de vote en Nouvelle-Zélande. Puis d’autres pays vont suivre tels que l’Australie, la Finlande, la Norvège, l’Union soviétique, l’Allemagne et les États-Unis 20 ans plus tard. Rappelons qu’en Suisse, les femmes n’eurent le droit de vote qu’en 1971!

La grève nationale des femmes du 14 juin 2019 en Suisse. Un cortège à Lausanne. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils.

De nos jours

Dans l’histoire contemporaine, la militante et combattante pour l’égalité des sexes Malala Yousafzai a changé l’histoire des droits des femmes au Pakistan. La jeune écolière de 15 ans défie les talibans qui interdisaient aux filles d’aller en classe. Elle tenait un blog dans lequel elle racontait sa vie, comment elle progressait et ses difficultés quotidiennes pour se rendre à l’école. Le 19 octobre 2012, des hommes armés arrêtent le bus dans lequel elle se trouve et lui tirent dessus à trois reprises. L’un des coups de feu atteint son crâne, la laissant presque morte. Elle passe alors plusieurs semaines aux soins intensifs et réussit à s’en sortir in extremis.

Malala est devenue le symbole de la lutte féministe pour l’égalité. Son message de courage a eu un écho mondial. Elle a notamment déclaré que « l’éducation est un pouvoir pour les femmes, et c’est pourquoi les terroristes ont peur de l’éducation. Ils ne veulent pas qu’une femme soit éduquée car dès lors celle-ci sera plus puissante. »

L’autonomie pour toutes et tous

Lors de la convention de l’ONU sur les droits des femmes qui s’est déroulée à New York en juin 2017, l’un de nos principaux thèmes était l’égalité et le respect entre les sexes et cela commence par l’éducation de nos enfants, garçons et filles.

Il est essentiel de déconstruire la soumission des femmes au cours des siècles et de chercher à atteindre une autonomie pour toutes et tous au-delà des différences de genre.

Durant mon exil, en raison de mon engagement politique et en tant que défenseuse des droits des femmes, je continue à insister sur le fait que l’autonomisation des femmes passe nécessairement par leur pleine intervention dans la vie politique et dans la prise de décisions.

Nous ne pouvons pas abandonner les luttes qu’ont mené les femmes qui nous ont précédées. Nous sommes leurs héritières et c’est grâce à elles que nous vivons aujourd’hui avec de plus grandes opportunités. Il y a encore un long chemin à parcourir, de nombreux combats à mener et droits à conquérir.

Il y a eu des progrès substantiels dans la lutte contre le machisme, la violence et les abus. Mais il faut trouver davantage de mécanismes pour éliminer les obstacles qui empêchent les femmes d’exercer leurs droits économiques ce qui les maintient dans la pauvreté.

Martha CAMPO

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




BUSCAME

Un coucher de soleil sur Lausanne (Suisse) en hiver. Photo: Mariana Nanzer.

Un poème de Martha Campo de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils. Version originale en espagnol accompagnée de sa traduction en français.

Cherche-Moi  

 

Cherche-moi…

quand le coucher du soleil blesse le soir,

quand les pas se retirent des

rues et le bruit des voitures se réduit au silence.

 

Cherche-moi…

quand la solitude appelle le silence,

et le froid ternit les fenêtres,

quand le vent se fait chuchotement,

le chant, la complainte, quand les oiseaux se reposent,

et les chéloniens déploient leurs ailes,

quand la cigale avec son chant

attire sa bien-aimée.

 

Cherche-moi…

Quand les portes se ferment et

les fenêtres, quand s’épuise la lumière de la lampe,

quand les lits ouvrent leurs bras,

quand les murs gardent des secrets,

et la voix n’est plus qu’un souffle,

et les regards se lassent de tenir

les paupières et la fatigue domine les corps.

 

Trouve-moi,

quand l’aube caresse la fenêtre,

et le brouhaha se réveille

et regardons-nous face à face.

Búscame

 

Búscame…

cuando el ocaso hiera la tarde,

cuando se recojan los pasos de las

calles y se silencie el ruido de los carros.

 

Búscame…

cuando la soledad llame al silencio,

y el frió empañe las ventanas,

cuando el viento sea el susurro,

el canto, el lamento, cuando las aves reposen,

y las quelonias abran sus alas,

cuando la chicharra con su canto

atraiga a su amada.

 

Búscame…

cuando se cierren las puertas y

ventanas, cuando se agote la luz de la lámpara,

cuando las camas abran sus brazos,

cuando los muros guarden secretos,

y la voz no sea más que el aliento,

y se cansen las miradas de sostener los

pàrpados y el cansancio domine los cuerpos.

 

Encuéntrame,

cuando el alba acaricie la ventana,

y se despierte el bullicio

y nos miremos cara a cara.

 

Martha Campo

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Revue de presse #44

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils.

Sous la loupe : Augmentation des migrations vers les Canaries / France : les associations redoutent les conséquences du Brexit / De plus en plus de détentions illégales en Europe

Augmentation de la fréquentation de la route de l’Afrique vers les Canaries

Ouest France, le 6 janvier 2021

Durant le mois de décembre dernier, le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations Unies annonçait que 21’028 personnes avaient rejoint les îles Canaries par la mer depuis janvier 2020. Il s’agit d’une situation inédite, car depuis 2006 un tel chiffre n’avait pas été atteint. Le nombre de personnes ayant débarqué aux Canaries en 2019 s’élevait à seulement 2’600. Aldo Liga, analyste indépendant sur les questions migratoires, a souligné que cette situation est due à des raisons qui sont essentiellement politiques. En effet, ​avec l’arrivée de Pedro Sanchez à la tête de l’Espagne en 2018, de nouveaux accords ont été conclus avec le Maroc et les contrôles ont été renforcés au Nord du pays. Cela a poussé les personnes migrantes à emprunter d’autres routes.

Selon le lieu de départ, la durée de la traversée s’échelonne entre un et douze jours. Une navigation plus longue que sur la route de la Méditerranée centrale mais un voyage globalement plus rapide, car la circulation entre les pays du Sahel est quasi libre. Par la Libye, au contraire, le trajet peut durer plusieurs années.

France : les associations redoutent les conséquences du Brexit pour les migrants présents à Calais

Yahoo !, le 5 janvier 2021

Alors que le Brexit est entré en force en ce début d’année, les politiques d’asile et d’immigration ne figurent pas dans l’accord signé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Ces thématiques feront l’objet de négociations ultérieures. Néanmoins, chaque jour dans le port de Calais en France, situé à seulement 38 kilomètres des côtes britanniques, des personnes exilées risquent le passage vers l’Angleterre. Ces tentatives donnent régulièrement lieu à des courses-poursuites avec les forces de l’ordre et se soldent parfois par des drames. Juliette Déplace, chargée de mission au sein de l’association du Secours Catholique, prévient que l’extrême surveillance de la zone, accentuée par le Brexit, rendra ces traversées encore plus périlleuses. Selon ses dires, les contrôles aux frontière vont encore être renforcés et les personnes vont prendre davantage de risques pour tenter la traversée. Pour rappel, la commune de Calais est située en face de l’Angleterre. Son port et le tunnel sous la manche en font la principale ville française de liaison avec la Grande-Bretagne.

De plus en plus de détentions illégales de migrants dans 4 pays européens clés

InfoMigrants, le 6 janvier 2021

La rétention administrative des personnes migrantes en dehors des cadres juridiques existants est une pratique exponentielle. Tel est le constat dressé par Migreurop, un réseau d’associations et de chercheurs qui a enquêté sur les pratiques de privation de liberté des personnes exilées en 2019 dans quatre pays européens : l’Espagne, la Grèce, l’Italie et l’Allemagne. Dans un rapport publié en décembre dernierMigreurop démontre que des formes de rétention informelles – voire illégales – ont gagné en importance et sont devenues partie intégrante du fonctionnement du régime frontalier de l’Union européenne. Migreurop craint que ces pratiques deviennent la règle au sein du continent, à l’heure où un nouveau pacte européen sur la migration et l’asile est en discussion à Bruxelles.

Masar Hoti

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 




Nos différences sont une grande richesse

 

Masar Hoti. Photo: Ahmed Mohammed / Voix d’Exils.

Réflexion

Nos différences, les façons de les aborder aujourd’hui comme dans le futur, l’influence positive du pouvoir de l’amour : tels sont les sujets abordés dans cette réflexion proposée par Masar Hoti, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Grâce à son besoin d’existence et aux biens naturels, l’être humain a eu l’opportunité d’explorer le monde. Depuis toujours, l’humanité est en lutte constante avec la nature pour assurer son existence. Grâce à ses besoins, elle a toujours été dans l’observation de la nature et de ses biens. Par conséquent, lors de cette observation, les gens ont été exposés à des choses sur lesquelles ils n’avaient aucune connaissance, des choses appartenant au monde végétal, animal et aquatique.

Ce manque de connaissances a également influencé sur la mauvaise méthode d’observation et sur la mauvaise approche des biens que la nature nous offre. Ne pas savoir les choses a causé des préjugés qui ont amené une grande peur. Par conséquent, nous avons eu une mauvaise approche. Nous approchons et abordons encore aujourd’hui de manière irrespectueuse et sauvage les biens que la nature nous offre.

Pour cela, nous sommes arrivés à la situation actuelle dans laquelle de nombreuses espèces du monde animal, aquatique et végétal sont en voie d’extinction. L’extinction de ces biens naturels, ce déséquilibre de l’écosystème a pour conséquence ce grand changement climatique que nous connaissons. Peut-être que ce changement climatique a également affecté l’émergence de diverses maladies, dont certaines sont mortelles et auxquelles l’humanité est confrontée aujourd’hui.

Je pense que sur cette planète, tout ce qui existe à commencer par nous, les humains, mais aussi les animaux, les plantes et le monde sous-marin a son rôle et son importance. Je pense que l’univers est UN, et tout ce qui y est créé a sa place, sa valeur et une fonction très importante dans le processus existentiel, évolutif et écologique. Tout ce qui compose l’univers est existentiellement, merveilleusement, parfaitement et nécessairement lié.

Je pense que c’est la même chose pour nous et pour les différences entre nous, qu’elles concernent nos pensées, notre sexe, notre développement humain, notre couleur de peau, notre langue, notre origine, notre culture, nos traditions, nos coutumes, etc. Je pense que ces différences sont existentielles. Celles-ci nous rendent beaucoup plus intéressants, plus beaux, nous permettent d’aller de l’avant et de nous développer davantage.

En raison de nos mauvaises approches de nous-mêmes et des autres espèces qui nous entourent nous avons fait des erreurs. Ces erreurs sont dues au fait que nous nous sommes concentrés sur la vision des différences entre nous de l’extérieur (surface) et non de l’intérieur (contenu).

Je pense donc que la coexistence entre nous est nécessaire mais pour en jouir il faut se concentrer sur la fonction et non sur la surface. Je pense que c’est seulement lorsque nous regardons les choses dans leur essence que nous pouvons goûter leurs fruits.

La coexistence entre les peuples est comme un trésor

Les différences entre nous sont des choses essentielles pour notre existence. Avec elles, le monde est beaucoup plus beau, plus intéressant et il est toujours en évolution constante. Mais ce qui est essentiel, c’est que le monde est toujours en circulation peu importe s’il progresse ou s’il régresse. Je pense que cela est très important, très intéressant, essentiel et vital pour notre existence.

Imaginez un instant que nous vivions sans nos différences. Le monde dans lequel nous vivons serait-il intéressant ? Si nous avions, par exemple, toutes et tous la même apparence, les mêmes pensées, les mêmes goûts, les mêmes désirs, la même langue, la même intelligence, le monde se serait-il développé tel qu’il est aujourd’hui ?  Moi, personnellement, je ne le pense pas.

Je pense que les êtres humains sont comme les fleurs : leur beauté se cache dans leurs variétés et leurs parfums. Imaginez qu’il n’y ait qu’un seul type de fleur et qu’elle n’ait qu’un seul parfum, serait-elle aussi belle et intéressante qu’elle l’est aujourd’hui ? Je ne le crois pas.

Le constat est pareil avec des personnes ayant des différences de pensées, de cultures, de traditions, d’idéologies, et parlant des langues différentes. N’est-ce pas un miracle merveilleux ?

Je pense que nous avons mal compris ces différences entre nous ! Au cours des siècles, nous avons eu diverses guerres et haines qui ont causé des régressions intellectuelles et économiques.

Certaines des différences entre nous sont dues aux systèmes que nous avons traversés. Nous avons également des différences entre nous en raison de notre passé héréditaire. Je pense ici à l’héritage légué par nos ancêtres se rapportant aux traditions, coutumes, habitudes, légendes, folklores, modes de vie etc. Ces différences sont enrichissantes car elles nous donnent une excellente occasion de profiter des traditions, de l’éducation et des cultures de l’autre. Elles nous permettent ainsi de nous compléter et de nous développer davantage. Malgré toutes les différences que nous avons, nous sommes essentiellement pareils au niveau des choses existentielles et essentielles. A partir de l’anatomie du squelette jusqu’aux cellules, tissus, organes, etc. nous sommes pareils. Ce qui est également vital à comprendre, c’est que nous ressentons toutes et tous les mêmes choses, ce indépendamment de notre couleur de peau, de notre langue, de nos origines. Par exemple, la tyrannie, la douleur, la haine, la liberté, l’amour, la joie etc.

La coexistence entre les peuples de différentes couleurs, traditions, cultures, ayant des coutumes et parlant des langues différentes est comme un trésor composé de différents diamants et d’or. Les différences que nous avons sont celles qui nous attirent et nous développent, car tout ce qui nous distingue comble aussi les lacunes que nous avons. Les différences nous attirent, nous complètent, nous unissent.

Avez-vous vu comment les parties d’un aimant aux pôles opposés se rejoignent et créent une partie plus forte, plus stable et plus grande ?

L’homme est une valeur pour l’homme

Tout le problème, comme je l’ai dit au début, est de savoir comment nous comprenons les choses et comment nous les abordons.

Pour commencer à profiter des choses de grande utilité mentionnées ci-dessus, nous devons d’abord éliminer les préjugés et commencer à aborder les choses avec connaissance et amour, en particulier les choses qui nous distinguent. La source de tout mal est la haine, comme l’amour est la source de tout bien.

Nous avons donc vraiment besoin d’éduquer les futures générations avec amour et non avec haine. Tout cela, je pense, dépend de nous : est-ce que nous voulons aborder les choses comme le philosophe anglais Thomas Hobbes qui affirmait que « l’homme est un loup pour l’homme »? Ou voulons-nous changer d’approche ? Cela voudrait dire qu’il faudrait commencer à aborder les choses avec amour.

Je pense que nous ne devons pas penser que « l’homme est un loup pour l’homme ». Néanmoins, bien sûr que si nous regardons l’homme de cette façon cela pourrait devenir vrai. Je pense cependant que nous devrions regarder les choses d’une autre manière et commencez à penser que « L’homme est une valeur pour l’homme ». Cela pourrait conduire notre être vers la paix, la prospérité et un développement plus rapide et plus grand.

Le remède ici est l’amour. La seule force qui éradique la haine est la force sacrée de l’amour. Je pense que c’est la graine qui devrait être semée et cultivée dans les générations à venir. Peut-être que la haine terrestre ne nous permet pas d’admirer la beauté du ciel.

La Suisse: un exemple pour le monde

Lorsque je suis arrivé en Suisse, j’ai vu un très bon exemple de coexistence dont je souhaiterais vous faire part. En effet, j’ai vu la société Suisse coexister à merveille avec des personnes des couleurs et de langues différentes venant du monde entier. Il y avait des milliers des personnes hébergées en tant que demandeuses d’asile ou réfugiées.

L’État suisse comme une mère au grand cœur les abrite, les nourrit et les guérit. Elle essaie de les intégrer dans la société avec différents programmes d’intégrations comme des cours de langues ou divers autres modules qui leur permettent de potentiellement trouver un métier ou d’intégrer un apprentissage par la suite. Cela donne également la possibilité d’étudier à celles et ceux qui souhaitent étudier.

A travers mon article, je voudrais donc remercier du fond du cœur l’Etat suisse pour son humanité. Cet Etat est un très bon exemple pour le monde entier sur la façon d’aborder les choses qui nous enrichissent.

Masar Hoti

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« Nous » de Ievgueni Zamiatine

1ères de couverture de « Nous ».

Recension – des fictions dystopiques devenues les miroirs de notre réalité ?

Ievgueni Ivanovitch Zamiatine (1884 – 1937), est un écrivain russe, créateur d’un genre unique et moderne : le roman anti-utopique ou dystopique. Ceux qui ont déjà lu des ouvrages du genre dystopique, comme « 1984 » de George Orwell ou encore « Le meilleur des mondes » de Aldous Huxley, ne savent peut-être pas que le pionnier de ce genre est justement Zamiatine. Tout commence avec son roman « Nous ». Cet article est le premier d’une nouvelle rubrique de Voix d’Exils qui consiste en des recensions de livres et de films qui éclairent notre réalité d’aujourd’hui. 

Écrit en 1920, « Nous », connu également sous le titre « Nous autres », a tout d’abord été traduit et publié en anglais en 1924. En raison du contexte soviétique, l’œuvre ne sera publiée en Russie, pays d’origine de son auteur, qu’en 1988. La version française, quant à elle, est parue aux éditions « Gallimard » en 1929 sous le titre « Nous autres » puis a été rééditée en 2017 par la maison d’édition « Actes Sud » sous le titre « Nous ».

Le récit du roman se situe dans le futur et se concentre sur « D-503 », un ingénieur de l’espace vivant dans le « One State » ou l’État Unique. Il s’agit d’une nation urbaine construite presque entièrement en verre, ce qui facilite la surveillance de masse. Dans le roman, les habitants et habitantes de l’État unique sont dépersonnalisés. Il n’y a pas d’autres moyens de se référer aux gens que par le nombre qui leur est attribué. Ces derniers sont également constamment vêtus d’un uniforme ce qui les dépersonnalise encore plus. Le comportement de l’individu et la société dans laquelle ils évoluent sont basés sur la logique définie par l’État unique grâce à des formules et des équations produites par lui-même. Le travail de « D-503 » consiste en la fabrication d’un vaisseau spatial destiné à convertir les civilisations extraterrestres au bonheur, ces dernières ayant été soi-disant découvertes par l’État Unique. Alors que cet État totalitaire définit avec précision toutes les activités de ses habitants, « D-503 » commence à envier le passé et à être attiré par un autre monde plus ancien…

Pourquoi (re)lire « Nous » de Zamiatine aujourd’hui ?

Il apparaît que la lecture « Nous » de Zamiatine est intéressante à plusieurs titres. Tout d’abord, car il s’agit d’un roman fondateur du genre dystopique, un genre très populaire actuellement. Deuxièmement, car le contexte historique dans lequel s’est déroulé la publication de l’œuvre est controversé. En outre, il regorge d’allusions à des expériences personnelles de son auteur ainsi qu’à la culture et à la littérature. Le roman reste très actuel.

Avec ce roman, Zamiatine prédit la tendance à la concentration des pouvoirs au niveau d’un seul parti (communisme, fascisme, nazisme) et entre les mains d’un chef unique qui contrôle tous les autres pouvoirs concurrents au sein et en dehors du parti. Notre continent a connu des expériences totalitaires similaires au cours du XXe siècle avec les régimes communistes, fascistes et nazi qui vouaient un culte absolu au chef (Lénine, Staline, Mussolini, Hitler, etc.). La réactualisation du roman de Zamiatine intervient à un moment où l’on assiste à une réactivation des structures totalitaires des pouvoirs politiques que l’on rencontre ces dernières décennies dans certains régimes d’Europe centrale et orientale.

La recension: une nouvelle rubrique de Voix d’Exils

J’ai débuté cette rubrique en choisissant « Nous » pour deux raisons principales :

Premièrement, connu seulement des lecteurs et lectrices spécialisés, Zamiatine n’est pas assez crédité en tant que fondateur de la dystopie, ce qui lui fait, à mon avis, du tort en quelque sorte. Nous connaissons principalement Orwell ou encore Huxley cités plus haut. Dernièrement, Margaret Atwood est également arrivée sur le devant de la scène avec son conte « La Servante Ecarlate ». L’œuvre d’Atwood, une romancière que j’apprécie et dont j’ai traduit des poèmes en albanais est, je pense, une pâle tentative d’approche du roman dystopique avec sa fin très faible et controversée.

Deuxièmement, nous vivons à une époque où toute la science-fiction ainsi que les réalités les plus incroyables issues des romans dystopiques écrits au début du XXe siècle semblent se transformer en réalités telles des prophéties. Alors que les romans dystopiques semblaient dévoiler les réalités les plus absurdes issues de l’imagination des auteurs, nous pouvons nous demander si ce genre littéraire qui a précédé les régimes totalitaires que le monde a connu (et continue de connaître) remplit toujours sa fonction compte tenu de la réalité dans laquelle nous évoluons? La question que je me pose également est la suivante : quelles connaissances ou quel pouvoir avaient ces écrivains pour prévoir une réalité qui désormais dépasse la fiction d’une certaine manière ? Cette interrogation me fait penser que durant les premiers mois de la pandémie, il y a eu la redécouverte d’un livre où tout ce qui se passait était en train d’arriver en quelque sorte. Je parle du roman de Dean Koontz « Les Yeux des ténèbres » dans lequel est évoqué un virus dont les propriétés sont proches de celles du coronavirus. Ainsi, l’œuvre décrit les ravages causés par une pneumonie perçue comme une arme biologique.

Elvana Tufa

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils