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«La place d’une femme parfaite est au foyer de son mari ou dans sa tombe»

Crédit: voiceofdjibouti.com

Dévalorisées, excisées, soumises à leur mari, les Djiboutiennes souffrent en silence

Dans le monde patriarcal de Djibouti, petit pays situé sur la Corne de l’Afrique, le destin des femmes s’accomplit dans l’obéissance à leur mari et leur capacité à mettre au monde des enfants mâles. Faisant taire sa pudeur et sa discrétion, Sarah, Djiboutienne exilée en Belgique, a accepté d’évoquer cette douloureuse réalité pour Voix d’Exils.

Djibouti. Source: Wikipédia.org (CC BY-SA 3.0)

«La place d’une femme parfaite est au foyer de son mari ou dans sa tombe». Ce dicton, effrayant raccourci de la vie des Djiboutiennes, Sarah l’a souvent entendu citer. Pour les femmes, hors le mariage point de salut et cela jusqu’à ce que la mort libère les épouses des liens maritaux qui les condamnent à se mettre totalement au service de leur mari et de leur belle-famille.
Mariée et mère de deux jeunes enfants, Sarah connaît ce modèle de l’intérieur. Depuis la Belgique où elle a émigré, elle profite de sa liberté d’expression toute neuve pour briser le silence et dénoncer les abus et les injustices dont sont victimes ses compatriotes.

Mal aimées dès la naissance

A Djibouti, malheur aux hommes qui n’ont pas de descendance masculine. Dans une société machiste qui survalorise les garçons, les pères qui n’ont que des filles sont considérés comme des hommes sans valeur et sans pouvoir. Pour retrouver leur dignité, la société les incite à se remarier dans l’espoir que cette nouvelle union répare l’affront. Du moment que l’islam les y autorise, rares sont les hommes qui se contentent de n’avoir que des filles et ne fondent pas une nouvelle famille.
Par conséquent, les femmes n’ayant pas enfanté de garçon sont fragilisées. Elles peuvent être répudiées et en cas de décès du mari, elles n’ont aucun droit à l’héritage.

Excisées malgré l’interdiction légale

Entre 8 et 11 ans, toutes les fillettes subissent des mutilations génitales. Pratiquée par une exciseuse ou une sage-femme, cette intervention cruelle a lieu à la maison, en présence de la mère ou d’une tante. L’excision est considérée par la société djiboutienne comme une étape primordiale qui éloignera les jeunes femmes des relations sexuelles hors mariage. Il est vital qu’elles arrivent vierges au mariage, et l’excision est censée protéger leur « pureté ».
Théoriquement, les lois de l’État interdisent ces pratiques d’un autre âge qui sèment la mort et la souffrance. Mais la coutume a la vie dure et la plupart des familles s’y conforment.

Entravées dans leurs mouvements

L’éducation des filles est totalement différente de celle de leurs frères. Par exemple, elles n’ont pas l’autorisation de sortir de la maison familiale sans être accompagnées, en particulier lorsqu’elles atteignent l’âge adulte. Les parents conjurent ainsi la crainte qu’elles se fassent agresser sexuellement et perdent leur virginité. Si cela devait arriver, elles ne trouveraient pas de mari et leur famille serait déshonorée.

Empêchées dans leur scolarité

A Djibouti, l’école est obligatoire mais la position des familles face à la scolarité n’est pas la même selon le sexe des enfants. Alors que les garçons sont encouragés à faire des études, les filles apprennent rapidement que leur avenir de femme et leur réussite dépendront de leur mari et non pas de leurs études.
A leur retour de l’école, pendant que les garçons vont jouer à l’extérieur, puis rentrent faire les devoirs, les filles sont assignées aux tâches ménagères et aux soins à donner aux petits enfants de la maisonnée. Non seulement, elles n’ont pas le temps de faire leurs devoirs, mais en plus elles et se font reprocher d’avoir de moins bon résultats que leurs frères.
Si elles décident d’arrêter l’école, c’est un soulagement pour la famille, parce que les filles éduquées ne seront pas dociles. Elles risquent de prendre leur liberté et de vivre comme bon leur semble, des comportements de femmes modernes qui vont à l’encontre du rôle qui leur est dévolu dans la société traditionnelle.

Malmenées par des traditions archaïques

Même s’il faut relever que ces dix dernières années, les mentalités ont évolué dans les villes, les femmes sont cependant toujours dans l’obligation de fonder un foyer pour être respectées. Les zones rurales, en particulier, restent attachées à leurs archaïsmes. Les fillettes y sont toujours considérées comme des citoyennes de seconde zone et la naissance d’un bébé fille y est vécue comme une honte.

Des pionnières courageuses

A partir des années 2000, Djibouti a connu quelques changements grâce à la persévérance d’une poignée de femmes qui ont eu le courage et la persévérance de finir leurs études dans les années 1970 à 1990. Selon Sarah, ces pionnières ont bénéficié du soutien de leurs parents qui avaient eux-mêmes reçu une bonne éducation lors de l’époque coloniale. Le résultat c’est qu’elles occupent de nos jours des postes à responsabilités dans le monde social et politique, ce qui ne les empêche aucunement d’avoir aussi une famille.

Exilées et libérées

Alors qu’au pays les femmes n’ont, dans leur grande majorité, d’autres droits que celui de se taire, celles de la diaspora qui ne sont pas soumises à la censure s’expriment volontiers sur Facebook et sur Twitter. Vivant en Belgique, en France ou au Canada, les Djiboutiennes exilées surmontent leur pudeur héritée d’une société coutumière pour partager leurs expériences et leurs traumatismes avec leurs sœurs d’infortune. L’anonymat propre aux réseaux sociaux leur donne le courage d’aborder tous les sujets, même les plus tabous. A elle seule, cette libération de la parole démontre qu’il y a un changement possible, qu’il est nécessaire et qu’il est ardemment souhaité par les principales intéressées.

Témoignage recueilli par:

Oumalkaire

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils