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Fortuna

Photo: Voix d'Exils

Interview de Germinal Roaux par la rédaction valaisanne de Voix d’Exils. Photo: Voix d’Exils.

« Fortuna » est le nouveau film du cinéaste franco-suisse Germinal Roaux qui sortira en salle en 2017. Rencontre avec le réalisateur sur le plateau du tournage.

Depuis plusieurs années, le monde du cinéma s’intéresse à la problématique de l’asile. Après La forteresse, Vol spécial ou encore l’Abri de Fernand Melgar qui documente les parcours semés d’embuches des requérants d’asile en Suisse; « Fortuna », du photographe et cinéaste franco-suisse Germinal Roaux, est un long métrage qui interroge notamment la valeur helvétique de l’accueil: « Ouvrir les portes pour accueillir les réfugiés qu’est-ce que cela signifie ? »

Qui est cet artiste dont l’observation et la sensibilité portent aujourd’hui sur la question de la migration ? Germinal Roaux est né le 8 août 1975 à Lausanne, d’un père français et d’une mère suissesse. Il a un frère ainsi que deux sœurs adoptive d’origine africaine. Prenant de la graine chez son oncle photographe, il devient autodidacte en photographie noir/blanc et en cinéma. À 17 ans, il se rend au Burkina Faso avec l’association Nouvelle Planète pour son travail de fin d’étude qui porte sur le problème de la désertification dans ce pays du Sahel. Il réalise alors son premier documentaire intitulé « Une pluie et des hommes ». Il y reviendra une année après, avec un ami, à bord d’une vieille Land Rover et ils profiteront de leur périple pour visiter plusieurs pays du Nord-Ouest africain. « […] c’est en traversant ainsi l’Afrique que j’ai rencontré pour la première fois les problèmes de l’exil, en écoutant des jeunes qui voulaient partir pour l’Europe, la tête pleine de rêves. Mais moi, je mesurais le décalage avec la réalité d’ici ».

C’est par l’intermédiaire de Claudia, sa compagne, qui travaille avec des réfugiés à Lausanne, qu’il rencontre des mineurs non accompagnés et qu’il aura l’occasion de partager leur quotidien; et de ces échanges éclot l’idée d’écrire une histoire qui relate de leur drame existentiel. « Mon idée était alors d’écrire une histoire sur une jeune Erythréenne ou Ethiopienne qui passerait son premier hiver en Suisse avec en arrière-plan la question de l’accueil ». Finalement, son choix se portera sur une Ethiopienne pour plusieurs raisons, notamment le fait que l’Éthiopie est considérée comme le berceau de l’humanité avec la découverte du plus vieux squelette humain «Lucy ».

Photo: Voix d'Exils

Interview de Germinal Roaux par Etienne de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils. Photo: Voix d’Exils

À travers son film Fortuna, Germinal essaie de montrer la difficulté que l’être humain éprouve à faire le pas vers l’autre. Il fait aussi remarquer la résilience du peuple africain car « […] malgré les difficultés de l’existence ici, il y a cette force de vie que nous perdons souvent. C’est comme le sourire, on voit des africains qui ont traversé les difficultés du monde et […] qui arrivent ici avec un sourire qui illumine. J’ai eu envie de montrer cette énergie, cette force, cette connexion au réel ainsi que ce lien à la nature et au monde qui permet aussi de se ressourcer».

Le tournage s’est déroulé à l’Hospice du Simplon en Valais. pendant 37 jours, les claps et les scènes se sont succédés faisant jouer environ 40 acteurs et figurants à 2000 mètres d’altitude. Tourner un film n’est jamais facile car, selon Germinal, « pour le réalisateur, c’est du deuil quotidien et, en même temps, une invention permanente pour rebondir et trouver des choses. C’est dur et gratifiant à la fois, parce que la vie nous amène toujours quelque chose de nouveau qu’on n’avait pas imaginé au départ et qui peut être très beau aussi, souvent plus beau que ce qu’on a pu écrire… ». En définitive, l’artiste est satisfait de son travail et il espère que son film permettra au public d’avoir une meilleure compréhension des problèmes liés à l’asile. Quel est le message du cinéaste à travers Fortuna? « ce qui m’intéresse le plus, c’est le parcours singulier des hommes, qui est une école du vivre ensemble. Si cela peut nous apprendre à nous tendre la main, c’est une bonne chose ». Et quelle est la valeur à laquelle le cinéaste tient le plus ? « La valeur la plus chère pour moi ? C’est évidement l’amour! Si on peut s’aimer les uns les autres, si on peut travailler ensemble, […], le partage vient de fait et puis la paix aussi ».

Le film met donc en valeur la rencontre spirituelle et humaine. Fortuna n’est pas seulement une requérante d’asile, elle est aussi en quête de foi, d’amour, de paix et de partage. Finalement, ses aspirations rejoignent celles des chanoines de l’Hospice du Simplon car pour eux: accueillir c’est aimer.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




Il échappe à Daesh mais pas au SEM

Said. Photo: rédaction vaudoise de Voix d'Exils.

Said. Photo: rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

Témoignage saisissant de Saïd ⃰, un jeune Erythréen qui raconte son périple jusqu’en Suisse. Emprisonné dans son pays pour avoir déserté l’armée, il s’enfuit et gagne la Libye. Traité comme du bétail par les passeurs qui lui promettent la traversée de la Méditerranée, il croise le chemin des troupes de Daech. Il leur échappera de justesse et continuera sa route jusqu’en Suisse où il espère enfin trouver la paix. Ses espoirs seront vite déçus : le SEM (Secrétariat d’Etat aux migrations) prononce à son encontre une décision de non entrée en matière.

Voix d’Exils (VE): Voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Saïd : Je suis né en septembre 1993 à Asmara, en Érythrée, où vivent encore deux de mes frères ; le troisième est au Soudan. J’ai une sœur, également requérante d’asile,  qui vit à Saint-Gall ; Ma mère est en Israël et mon père est militaire en Erythrée.

VE: Quand est-ce que vous avez quitté votre pays? Et pourquoi l’avez-vous fait?

Saïd : En Erythrée, le service militaire est obligatoire. En 2011, j’ai été appelé. Comme j’avais eu un accident et reçu une balle dans la main gauche, je pensais que je serais dispensé. Mais ils m’ont retenu et j’ai dû continuer jusqu’à la fin. Après cela, j’ai été affecté à un régiment du renseignement militaire. Une semaine après, j’ai quitté mon poste et je suis rentré chez moi. Les autorités se sont mises à ma recherche. J’ai essayé de m’enfuir en traversant la frontière avec l’Ethiopie, mais j’ai été vite rattrapé et jeté en prison. C’est là-bas que j’ai rencontré ma femme. Dès que je suis sorti de prison, j’ai essayé à nouveau de quitter le pays et cette fois-ci j’ai réussi en passant par la frontière soudanaise.

VE: Comment s’est déroulé votre périple ?

Saïd : Je suis parti seul ; ma femme m’a rejoint plus tard au Soudan. A ce moment-là, elle était déjà enceinte. En compagnie de neuf amis d’enfance, nous avons traversé la frontière libyenne sans aucun problème jusqu’à Ajdabiya, une ville contrôlée par les trafiquants qui vous retiennent en otage jusqu’au paiement des frais de traversée de la mer. Ma femme n’ayant pas assez d’argent pour continuer le voyage, ils ont décidé de nous séparer. Ils m’ont envoyé vers un lieu où étaient regroupés ceux qui s’étaient déjà acquittés de leurs frais. Mes nuits se sont alors peuplées de cauchemars et de toutes sortes de frayeurs. Au mois de mars 2015, à Tripoli, un certain Monsieur Aman nous a conduits chez lui, nous informant qu’il y avait un groupe de personnes prêtes à faire le voyage en mer. Comme je n’avais aucune nouvelle de ma femme, j’ai refusé d’embarquer. Après un mois environ, j’ai pu la joindre. Nous sommes alors partis dans le même bateau pour l’Italie. Après deux jours, nous avons continué notre voyage pour la Suisse.

VE: Avez-vous été retenu par Daesh⃰⃰  ⃰  en Libye?

Saïd: Je n’ai pas été capturé personnellement par les terroristes. Mais le lendemain de mon arrivée à Ajdabiya, les trafiquants, profitant de notre détresse, nous (138 personnes) ont entassés dans de gros containeurs sur des camions remorques. Ils ont d’abord fait entrer les femmes en rangs bien serrés et, enfin, les hommes, en nous obligeant à rester debout. Il n’y avait ni eau ni nourriture ; certains ont perdu connaissance à cause du manque d’air. Nous avons crié pour faire arrêter le camion mais en vain. A environ trois heures du matin, ils ont décidé de nous transborder du camion vers des véhicules plus petits. Au bout d’un certain temps, nous sommes arrivés à une route montant sur une colline au bas de laquelle, nous ne l’avions pas remarqué, la route était bloquée par Daesh. Nous descendions, lorsque soudain, des coups de feu éclatèrent, accompagnés de cris nous intimant l’ordre de nous arrêter. Les véhicules étant lancés à toute vitesse, ils ne pouvaient plus s’arrêter. Nous avons essuyé des tirs ; certains d’entre nous furent blessés. Soudain, notre voiture s’est arrêtée, j’ai sauté dehors avec quatre autres compagnons et nous avons couru aussi vite qu’on pouvait. Tout le monde criait et pleurait ; notre voiture a explosé sous un tir de roquette en une boule de feu gigantesque. Caché derrière de gros rochers sur le sommet de la colline, j’ai essayé de voir ce qui se passait mais je n’entendais que les cris « Allahou Akbar, Allahou Akbar » des terroristes. Tous les véhicules étaient en flammes. Ce souvenir reste encore vivant dans mon esprit et continue à me hanter. J’étais sûr que j’allais mourir là-bas.

VE: Comment avez-vous échappé aux griffes de l’EI ⃰  ⃰  ⃰ ?

Saïd: Nous n’étions que quatre survivants et les terroristes n’ont pas tardé à se mettre à notre recherche à l’aide de lampes torches. Finalement, ils sont retournés à leurs voitures et sont partis en nous laissant sous le choc. Vite ressaisis, nous avons poursuivi notre course dans le sens opposé à celui pris par les terroristes de l’EI. Le lendemain, nous avons rencontré des fermiers ; Lorsque leur patron est venu, il nous a donné à boire et à manger. Nous sommes restés trois jours chez lui et nous avons pu joindre Tripoli en taxi avec son frère.

VE: Qu’arrivait-il à ceux qui se faisaient prendre par Daesh ?

Saïd: Ceux qui ont eu le malheur de se faire prendre m’ont raconté les sévices qu’ils ont subis. Au début, il y avait un grand nombre de prisonniers aux mains de l’Etat islamique. L’un des geôliers a commencé à marquer certains avec des signes sur le bras. Il a pris ceux qu’il n’avait pas marqués et a laissé les autres. Il y avait deux frères parmi ces victimes de l’EI, qui étaient mes amis. Un a été marqué et l’autre non. Ceux qui n’avaient pas été marqués étaient très jeunes et subissaient un endoctrinement intensif de Daesh (changement de nom, apprentissage du coran, entrainement à la décapitation,…). Un jour, ils ont décapité le groupe dans lequel se trouvait le frère qui avait été marqué. L’autre frère ne pouvait pas pleurer ni montrer son chagrin devant ses geôliers. Il a fait comme s’il n’était pas du tout affecté par l’exécution de son propre frère. Bien sûr, la nuit, aucun d’entre eux ne pouvait s’empêcher de laisser sortir sa peine en pleurant. Cependant, le fait d’avoir apparemment accepté leur sort leur a fait gagner la confiance de leurs bourreaux et une certaine liberté de mouvement. Dès que la chance s’est montrée, ils se sont échappés. Malgré les moyens que les terroristes ont déployés pour les capturer, ils ont pu s’éloigner. La décapitation du frère de mon ami et de ses compagnons d’infortune s’est passée le 7 mars 2015.

VE: À l’issue de ce périple de tous les dangers, quels sont vos sentiments?

Saïd: La seule chose que je souhaite dire c’est que ma femme a accouché, il y a de cela cinq mois. Mais notre demande d’asile, à tous les trois, a été rejetée. J’ai fait tout ce chemin, bravant tous les dangers, dans l’espoir qu’en arrivant en Suisse notre enfant puisse avoir une vie moins tumultueuse que la nôtre. Hélas, jusqu’ici, on ne m’a même pas donné la chance de dire ce que j’ai vécu. J’étais au centre d’enregistrement de Bâle et pendant la première interview on ne m’a questionné que sur le moment où j’ai quitté mon pays, sur les routes que j’ai empruntées et sur les circonstances de mon arrivée en Suisse. Je n’ai pas eu l’opportunité d’exposer les conditions qui m’ont poussé à quitter mon pays. Je voudrais profiter de cette tribune pour dire que j’ai réellement besoin d’être aidé car nous souffrons énormément. Au moment où je vous parle, ma femme et moi avons un statut de NEM (Non Entrée en Matière).

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils ⃰ Nom d’emprunt ⃰⃰  ⃰ l’Etat Islamique en arabe ⃰  ⃰  ⃰ Acronyme de l’Etat Islamique




Des obscures croyances menacent les personnes atteintes d’albinisme

Femme atteinte d'albinisme avec sa petite fille. Nathalie, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d'Exils

Femme atteinte d’albinisme avec sa petite fille. Nathalie, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Les personnes atteintes d’albinisme sont victimes en Afrique subsaharienne de pratiques de sorcellerie. 

Depuis 2007, les personnes atteintes d’albinisme font face à des tueries, à des mutilations, à des  et différentes et à différentes formes de violation des droits de l’homme dans 25 pays plus spécialement  africains (Tanzanie, Burundi, Kenya, république démocratique du Congo, Malawi, Mozambique, Afrique du sud, guinée …). Ces sévices qui leur sont infligés sont le fait de certaines croyances et pratiques de sorcellerie colportés par les marabouts.

L’albinisme est une condition génétique caractérisée par l’absence totale ou partielle de mélanine dans l’épiderme. La mélanine est une substance qui donne une coloration naturelle et qui protège la peau et les yeux contre des rayons ultraviolets du soleil. Il existe deux grandes formes d’albinisme :

La première est l’albinisme oculo-cutané, où les yeux et la peau sont touchés. Les personnes atteintes de cette forme d’albinisme ne sécrètent que peu ou pas de mélanine, ce qui fait que leur peau est très blanche et que leurs cheveux sont très clairs. La seconde forme est l’albinisme oculaire  mais, dans ce cas, seuls les yeux sont touchés.

Femme abandonnée avec enfant. Photo: Nathalie, rédaction neuchâteloise de Voix d'Exils

Femme abandonnée avec enfant. Photo: Nathalie, rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Le taux de prévalence de l’albinisme dans le monde selon le résultat des recherches publiées en 2006 par l’Organisation Mondiale sur la Santé (OMS) est d’une naissance sur 20 000. En Afrique, cette prévalence passe de 1 sur 4000, et même de 1 sur 1000 dans certains endroits. En Tanzanie, notamment, la prévalence est de 1 sur 1429 ; en Afrique du Sud 1 sur 3900 ; au Zimbabwe (Tribu de Tonga) de 1 sur 4728 ; au Cameroun de 1 sur 7900.

Depuis toujours, les personnes  atteintes d’albinisme font l’objet de persécutions par des obscures pratiques de sorcellerie. A fortiori, au cours des dix dernières années,  elles se sont intensifiées et se concrétisent par des assassinats et des mutilations. Ces actes de violence extrêmes sont dus à une croyance selon laquelle les parties du corps d’une personne atteinte d’albinisme – spécialement celles des femmes et des enfants – procurent richesse, bonheur, chance, pouvoir et élévation sociale via les potions magiques produites par les marabouts. Une autre croyance affirme que les personnes atteintes d’albinisme peuvent aussi guérir certaines maladies incurables telles que le SIDA et l’impuissance. Le trafic d’organes des personnes atteintes d’albinisme est un marché juteux qui brasse beaucoup d’argent car selon le magazine Jeune Afrique, le prix  de vente de ces organes varie entre 2.000 et 75.000 dollars américains.

Cette situation a conduit à un déplacement massif de ces personnes et leurs familles qui se sont concentrées dans des zones urbaines certes moins exposées aux violences, ce qui restreint toutefois leur mobilité. Aussi, beaucoup d’entre eux sont contraints de vivre en cachette de peur d’être assassinés ce qui contribue fortement à leur isolement social.

Autre femme abandonnée avec enfant. Nathalie, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d'Exils

Autre femme abandonnée avec enfant. Nathalie, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Pour faire face à cette situation dramatique, l’Assemblée Générale des Nations Unies a établi dans sa résolution 69/170 en date du 18 décembre 2014 que le 13 juin de chaque année «Journée internationale de sensibilisation sur l’albinisme». Elle invite ainsi l’ensemble des Etats membres, les Organisations internationales et régionales, ainsi que la société civile – y compris les organisations non gouvernementales et les particuliers – à célébrer cette journée et à prendre toutes les mesures nécessaires afin de protéger et de favoriser le développement personnes atteintes d’albinisme.

Sophie Light

Membre de rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils   




Le Musée de l’immigration est à la recherche de nouveaux locaux

Interview d'Ernesto Ricou par Niangu. Dessin: Giorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d'Exils.

Interview d’Ernesto Ricou par Niangu. Dessin: Giorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Le plus petit musée de Suisse, sis à Lausanne, a été contraint de mettre la clé sous la porte en janvier de cette année mais il ne baisse pas les bras ! 

Crée en 2005 par Ernesto Ricou et anciennement situé à l’avenue de Tivoli 14 à Lausanne, le musée des migrations avait une double vocation. D’une part, sauvegarder la mémoire des migrants et d’autre part, améliorer le dialogue intercommunautaire. Pari réussi, puisque le Musée à réalisé de multiples actions éducatives et culturelles en organisant des conférences, des colloques, des cours et des expositions.

Comment le Musée de l’immigration a-t-il  vu le jour et qu’est ce qui vous a motivé à le créer ?

Le musée a officiellement ouvert en 2005 mais, ce qui est curieux, c’est qu’à cette date, le musée tournait en réalité déjà depuis une année. Au début, je ne peux pas vous cacher que j’avais un petit peu la crainte que cette initiative tombe dans dérisoire – voire tourne au ridicule – parce qu’on avait des installations tellement modestes que je me suis dit « bon, il faut voir si ça marche ou pas ». Donc, pendant une année, on a mené nos activités en appelant les communautés étrangères à participer, à recevoir et accueillir les personnes âgées afin qu’elles puissent témoigner de leurs parcours de vie et de leur enracinement en Suisse. Et puis, on s’est dit à un certain stade qu’on était au point. On a alors pris contact avec Monsieur Michel Sartori, qui est le directeur du Musée Zoologique de Lausanne et le président de l’association des musées Suisse, pour lui exposer notre projet. Alors que j’avais une crainte énorme qu’il nous dise que notre idée ne vaut rien, ce fut la grande surprise ! Après avoir passé une matinée ensemble, il m’a dit : « Monsieur Ricou, vous êtes un pionnier, continuez s’il vous plaît ! Je suis le président d’une association qui représente plus de milles musées en Suisse et je rien vu de pareil bravo ! ».

Quels étaient les objectifs que poursuivait votre musée ?

Le premier objectif est la sauvegarde de la mémoire des migrants. Donc, ici, on est plein dans la patrimoine immatériel. On va essayer d’enregistrer le plus possible de récits de parcours de vie de migrants qui sont âgés maintenant pour qu’ils nous racontent leur déracinement dans leur pays d’origine et leur enracinement en Suisse. Avec tous les éléments liés en quelque sorte à ces passages qui sont à la fois bénéfiques : car ils signifient pour eux et pour le pays d’accueil le bien-être et la prospérité ; mais qui symbolisent aussi, pour beaucoup, la tragédie humaine : la séparation, la rupture avec un passé, une famille, des amitiés, le village. Je parle bien ici des Italiens, des Espagnols et des Portugais entre autres.

Le deuxième objectif que poursuit le musée c’est l’éducation. L’éducation est une énorme préoccupation qui m’habite depuis toujours et je suis plus que convaincu que je ne suis pas le seul. La raison est que c’est par l’éducation qu’on peut effectuer des progrès sociaux, et que les progrès sociaux nous amènent la paix et que la paix nous conduit à la créativité voilà.

Justement, pouvez-vous nous en dire plus à propos des activités pédagogiques et scolaires du Musée de l’immigration ?

Notre principale préoccupation était d’améliorer le dialogue entre les communautés. Donc, on est ici en plein dans l’école publique suisse que beaucoup d’enfants, provenant de pays lointains, fréquentent. Des pays avec des cultures très diverses et qui sont parfois en guerre. Donc, il fallait harmoniser les rapports entre tous ces enfants et améliorer le langage, la compréhension et surtout dire a chaque communauté qu’elle regorge de trésors culturels qui leur sont propres.

Quelles ont été concrètement les raisons et les étapes de la fermeture du Musée de l’immigration ?

Le Musée est fermé depuis qu’on à rendu les clés au mois de janvier 2016. En février, on a encore négocié avec les autorités et notre gérance. Puis les difficultés se sont accrues et finalement on a décidé de fermer sur ordre de la gérance car on ne pouvait plus exercer une activité muséographique parce que les locaux ne sont pas aux normes légales. On a alors décidé de fermer le musée en attendant qu’on puisse trouver parmi nos partenaires et nos réseaux une solution pour pouvoir poursuivre notre activité. Voilà un petit peu le point de la situation. Ce qui est aujourd’hui dommage, c’est que paradoxalement d’un coté on à une suractivité car on est très sollicité de partout. Malgré le fait que nous ne puissions pas continuer à animer notre lieu, nous maintenons cependant une collaboration avec des étudiants de différents niveaux scolaires en continuant à leur fournir des renseignements et des informations et à les accompagner dans leurs recherches sur les thèmes de la migration. Vraiment, nos activités ont besoin d’espace et méritent d’autres conditions que celles dont nous bénéficions aujourd’hui !

N’avez-vous pas le soutien de la commune de Lausanne ou du canton ?

Oui, on a reçu différentes aides à l’époque qui nous ont été très utiles. Je profite ici de remercier les différentes autorités. Récemment, même pour venir à bout de notre résiliation de contrat, l’Etat nous a gracieusement offert 4 mois des loyers pour que ce passage se fasse en douceur au regard de notre situation financière très précaire. A l’époque, on a aussi reçu de l’aide de la Loterie Romande, de l’ancienne Office des migrations de Berne, ainsi que des dons de la part de nos usagers et des communautés. Bref, nous avons toujours reçu des aides ponctuelles, au coup par coup, mais jamais des grosses sommes, ce qui nous aurait permis d’obtenir des locaux plus spacieux, plus aérés et surtout conformes aux normes légales.

Qu’attendez-vous de la part des autorités ou des particuliers aujourd’hui ?

De la part des autorités quelles soient communale, cantonale, culturelles, ou sociales, j’attends qu’elles nous viennent en aide en nous demandant un loyer symbolique. On attend beaucoup de bienveillance et de compréhension de la part des autorités et, parfois, je me demande si elles n’ont pas une crainte que nous couvions des activités politiques. Ben non, nous sommes impartiaux, neutres, et nous ne cherchons pas d’éléments qui puissent nous séparer. Au regard de la diversité des individus qui fréquentent notre musée, nous ne pouvons que rechercher tout ce qui peut nous réunir : la paix, l’amour et la compréhension.

Si vous souhaitiez lancer un appel aujourd’hui, que diriez-vous ? 

Je lance un appel aux communautés historiques des Italiennes, des Espagnols, et des Portugaises, aux autorités universitaires, aux autorités scolaires, aux autorités de l’éducation de nous aider à trouver un local afin que nous puissions poursuivre le travail bénévole que nous menons depuis tant d’années de manière très intense et qui produit autant de résultats positifs sur le plan éducatif.

Propos recueillis par :

Niangu Nginamau

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils