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Le trafic des migrants, une activité scandaleusement lucrative

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"Coucher de soleil" CC0 Public Domain  Libre pour usage commercial  Pas d'attribution requise  Auteurs : Rudy and Peter Skitterians

« Coucher de soleil »
CC0 Public Domain
Libre pour usage commercial
Pas d’attribution requise
Auteurs : Rudy and Peter Skitterians.

Quel est le point commun entre Bouba le Guinéen, Ibrahim l’Afghan, et N’Diaye le Sénégalais ? Ces trois jeunes hommes ont eu recours à une série de passeurs et d’intermédiaires pour réaliser leur rêve : émigrer en Europe. Ils racontent à Voix d’Exils les péripéties de leur périlleux et coûteux voyage. 

Basés dans les « zones de transit » telles que la Lybie, le Maroc et la Turquie, les trafiquants de migrants s’enrichissent aux dépens des candidats à l’exil. Impossible de joindre les côtes européennes sans avoir recours à leurs services.

« Le passeur était un compatriote, il m’a fait un prix »

Ibrahim, 21 ans, Afghan, vivant en Iran avant d’émigrer.

Voix d’Exils : Pouvez-vous nous raconter l’itinéraire que vous avez emprunté pour venir en Europe ?

Ibrahim: J’ai pris contact avec des hommes qui connaissaient parfaitement la topographie de la région et qui m’ont expliqué comment passer la frontière iranienne. Ensuite, j’ai franchi seul à pied la montagne pendant la nuit pour rejoindre la Turquie où je suis resté trois mois. Durant ce séjour, j’ai travaillé et j’ai pu collecter 1200 dollars qui m’ont permis de payer le bateau pour aller en Grèce, première porte sur l’Europe.

Comment s’est passée la transaction pour faire la traversée ?

J’ai rencontré un passeur dans un port turc. C’était un Afghan basé en Turquie depuis longtemps. Comme j’étais un compatriote, il m’a fait un prix spécial et ne m’a demandé que 300 dollars. J’ai versé l’argent dans un magasin dont le gérant était un intermédiaire qui a pris une commission au passage. Une fois arrivé en Grèce, je l’ai appelé pour qu’il remette l’argent au passeur. Si je n’avais pas appelé dans les 24 heures, le passeur aurait pu réclamer son argent.

Où étiez-vous avant le départ ?

Je suis resté caché dans la forêt pendant la nuit avec 35 autres personnes. Il faisait froid et sombre. Vers 4 heures du matin, nous avons embarqué dans un bateau de quatre mètres de long. Un des migrants a été choisi et brièvement formé pour jouer le rôle de capitaine…Sur le bateau, il y avait des hommes, des femmes, des enfants dont certains encore nourrissons, en majorité des Afghans et des Syriens. Nous sommes restés entassés durant les quatre heures qu’a duré la traversée en mer.

« J’ai voyagé dans le tableau de bord de la voiture, je ne pouvais plus respirer »

N’Diaye, 27 ans, Sénégalais, en Suisse depuis 2013

"Radonnée pédestre" CC0 Public Domain  Libre pour usage commercial  Pas d'attribution requise. Auteur : Unsplash

« Radonnée pédestre »
CC0 Public Domain
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Pas d’attribution requise.
Auteur : Unsplash

 

Voix d’Exils : Comment avez-vous négocié votre voyage et combien de temps cela vous a-t-il pris?

N’Diaye : J’ai obtenu un contact par le biais d’un ami, dont le jeune frère était parti en Europe. L’homme en question était en relation avec des passeurs basés au Maroc. Je l’ai donc rencontré afin d’obtenir des informations. Il m’a expliqué comment allait se passer le voyage et m’a demandé 3500 euros. Je devais d’abord lui faire parvenir un acompte de 1000 euros, pendant que les 2500 euros restants étaient confiés à un intermédiaire et ne lui seraient versés qu’à mon arrivée à destination.

Quel moyen de transport avez-vous utilisé pour arriver au Maroc ?

J’ai quitté le Sénégal et je suis arrivé au Maroc par la voie aérienne à mes propres frais. Ensuite, une personne de contact est venue me chercher à l’aéroport et m’a conduit à la frontière à Nador, dans une maison où il y avait une dizaine de personnes en attente de leur départ comme moi. Certaines attendaient depuis plus de 6 mois.

Concrètement, dans quelles conditions voyagent les candidats à l’émigration ?

Tous ne voyagent pas confortablement installés sur les sièges des voitures, on les place également sous le tableau de bord, sous les sièges à l’arrière, dans le coffre… C’est pourquoi les personnes corpulentes ou de grande taille sont plutôt transportées par voie maritime, pas par manque de moyens pour payer le voyage, mais faute de place !

Combien de temps avez-vous mis pour arriver en Europe, et combien d’intermédiaires avez-vous rencontrés ?

Comme je suis plutôt fin et de taille moyenne, je n’ai pas mis beaucoup de temps, j’ai juste attendu trois semaines à Nador avant de partir pour Melilla, l’enclave espagnole en territoire marocain. En ce qui concerne les intermédiaires, j’ai rencontré énormément de petits négociateurs qui pour gagner un peu d’argent font le lien avec ceux qui organisent les voyages clandestins.

Combien de temps a duré le trajet entre Nador et Melilla et où étiez-vous caché?

On m’a placé sous le tableau de bord. Pendant les 30 à 40 minutes de route, je ne pouvais pas bouger, j’avais beaucoup de mal à respirer et il faisait extrêmement chaud. C’est l’expérience la plus difficile que j’ai faite de ma vie !

Combien de passeurs et d’intermédiaires avez-vous rencontré depuis votre départ jusqu’à destination ?

En plus de la personne qui m’a donné le contact au Sénégal, j’ai rencontré le chef de file, le représentant de ce chef, les deux contacts des chefs de file du représentant du Maroc, cinq petits intermédiaires et une dizaine de chauffeurs.

« Les migrants corpulents ne trouvent pas de place dans les voitures, ils doivent prendre la mer ! »

Bouba, 18 ans, Guinéen

"Randonnée Pédestre" CC0 Public Domain  Libre pour usage commercial  Pas d'attribution requise  Auteur : Unsplash

« Randonnée Pédestre »
CC0 Public Domain
Libre pour usage commercial
Pas d’attribution requise
Auteur : Unsplash

 

Voix d’Exils : Comment avez-vous organisé votre départ ?

Bouba : Nous étions une vingtaine de personnes regroupées dans la forêt marocaine de Casiago. Nous n’avions pas assez de moyens pour payer un passage clandestin par voie terrestre pour joindre Ceuta, l’enclave espagnole en territoire marocain. Pour prendre la mer, il nous fallait l’aide de passeurs ou d’intermédiaires pour trouver un zodiaque et un capitaine. Nous avons payé chacun 100 euros afin d’acheter le zodiaque.

Où avez-vous trouvé le vendeur du zodiaque ?

On trouve à Casiago des migrants qui ont voyagé jusque-là mais n’ont pas eu assez de moyens pour payer le voyage vers l’Europe. Ils sont donc restés au Maroc et y développent beaucoup de relations et de connaissances pour l’organisation de voyages en mer.

Quel moyen avez-vous utilisé pour vous repérer en pleine mer ?

Le plus souvent les capitaines des bateaux sont des Sénégalais qui maîtrisent très bien les pirogues et les zodiaques. Ce sont généralement des professionnels qui ont exercé des activités de pêche artisanale chez eux et qui savent parfaitement utiliser la boussole pour s’orienter en mer.

Combien de temps faut-il attendre avant de partir?

L’attente dépend du nombre de personnes intéressées par la traversée, de la collecte de l’argent et surtout de la possession d’un zodiaque. Ça varie généralement entre un et six mois.

Parlez-nous de votre traversée…

Le voyage a été rapide Nous sommes partis de Casiago vers minuit et avons navigué pendant 8 heures avant d’arriver sur la côte espagnole de Ceuta. S’il n’y a pas de capitaine qui sache utiliser la boussole, la traversée peut durer jusqu’à deux jours.

Combien coûte un voyage clandestin par la mer ?

Cela varie entre 500 et 1000 euros toutes charges comprises. A titre de comparaison, les voyages par la voie terrestre peuvent grimper jusqu’à 4500 euros. Certains migrants corpulents sont obligés de passer par la voie maritime car ils ne trouvent pas de place dans une voiture. Pour se cacher sous le tableau de bord ou d’autres parties du véhicule, les clandestins doivent faire au maximum 60 kilos et 1,60 mètre.

Avez-vous vu le chef des passeurs ?

Non, il y a plusieurs chefs car il y a plusieurs clans de passeurs et tous ont de très nombreux intermédiaires.

Selon vous, serait-il possible de démanteler ces réseaux de passeurs?

Ce serait très difficile ! Pour y arriver il faudrait démanteler toute une chaîne de contacts. Commencer par les « négociateurs » basés dans les pays d’origine des migrants clandestins, puis s’attaquer à leurs représentants basés au Maroc, ainsi qu’aux collaborateurs des représentants, aux collaborateurs des chefs passeurs, à leurs adjoints, leurs chauffeurs qui prennent en charge les clandestins et enfin aux chefs passeurs, ceux qui ont la main sur les négociations et les planifications.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Info:

pour creuser, lire un autre article de Voix d’Exils: Les passeurs : des tours opérateurs (presque) comme les autres

 

 

 

 



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