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Guerre ouverte entre l’Union Africaine et la Cour pénale internationale

La Cour pénale internationale. Photo: josef.stuefer.  (CC BY-NC-ND 2.0)

La Cour pénale internationale. Photo: josef.stuefer
(CC BY-NC-ND 2.0)

Le samedi 5 octobre dernier, à l’occasion d’une session extraordinaire, l’Union Africaine (UA) a demandé l’ajournement des procédures engagées par la Cour pénale internationale (CPI) contre deux têtes de l’exécutif kenyan pour crimes contre l’humanité.

La CPI est accusée d’être impérialiste et raciste par l’UA ; et plus particulièrement par le Premier ministre éthiopien Hailemarian Desalegn.

La Cour pénale internationale et l’Union Africaine

Fondée par le Statut de Rome en juillet 1998 sous l’impulsion des Nations Unies et officiellement instituée le 1er juillet 2002 lors de l’entrée en vigueur du Statut de Rome, la Cour Pénale Internationale est une organisation internationale indépendante, qui n’appartient pas au système des Nations Unies. Il s’agit d’une juridiction permanente dont le but est de contribuer à mettre fin à l’impunité des auteurs des crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale.  Elle ne se substitue pas aux tribunaux nationaux des États membres de la CPI et elle est saisie qu’en dernier recours : en cas d’incompétence d’un État à organiser un procès juste et équitable.

Quant à l’Union Africaine, il s’agit d’une organisation d’États africains créée en 2002, à Durban en Afrique du Sud, en application de la déclaration de Syrte du 9 septembre 1999. Ses buts sont d’œuvrer à la promotion de la démocratie, des droits de l’homme et du développement à travers l’Afrique, surtout par l’augmentation des investissements extérieurs par l’intermédiaire du programme du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD).

La CPI et les dirigeants africains

Cette cour pénale a une relation très particulière avec l’Afrique car, depuis sa création, elle a en ligne de mire 29 dirigeants Africains. Notamment Laurent Gbagbo, ex-président de la Côte d’Ivoire, ou William Ruto actuel vice-président du Kenya.

Lors de sa session extraordinaire du 5 octobre, l’UA a émis le souhait de se retirer de la CPI «qui ne fait que juger les Africains» selon ses dires… Cette intention a fait couler beaucoup d’encre et des voix se sont élevées pour s’opposer à ce projet. Pour Desmond Tutu, défenseur des droits humains sud-africain, «Nous devons unir nos forces et interpeller les voix responsables au sein de l’UA – le Nigeria et l’Afrique du Sud – pour s’interposer afin de garantir que les persécutés restent protégés par la CPI».

Davis Malombe, vice-directeur de la commission kenyane des droits de l’homme, n’est pas en reste car il estime que la demande d’ajournement des procédures «n’était rien d’autre qu’une nouvelle tentative de faire dérailler et retarder la justice pour les victimes kényanes». Il souligne par ailleurs que des requêtes similaires avaient déjà été refusées et devraient l’être à nouveau. Quant à Koffi Annan, ancien Secrétaire Général des Nations Unies, sa position est que le débat visait davantage à protéger les leaders que les victimes.

Se retirer de la CPI pour se mettre à l’abri

Notre regard de journalistes nous permet de lever une voix critique contre cette décision de l’UA. Ce sommet aurait pu être dédié à une réflexion approfondie sur les maux qui minent le continent notamment la misère, la famine, l’emploi des jeunes ou l’absence de gouvernance démocratique. Qui plus est, au lendemain du dernier naufrage de Lampedusa, l’Afrique n’a même pas observé de journée de deuil en mémoire de ses enfants disparus mais a essayé de se soustraire à la justice internationale.

L’enjeu est donc bien, selon nous, que le retrait de la CPI de l’UA permettrait aux dictateurs d’exercer leur pouvoir en toute impunité. Et c’est bien l’exercice de ce pouvoir sans limite qui fait que des milliers d’Africains prennent des risques considérables pour quitter leur pays.

Hervé, Serge et Balla

Membres de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




«Appartenances» : 20 ans d’accompagnement des personnes migrantes

Discours de Claude SCHWAB, président d' Appartenances à l'occasion des 20 ans de l'association. Photo: Voix d'Exils

Discours de Claude Schwab, Président d’ Appartenances à l’occasion des 20 ans de l’association. Photo: Voix d’Exils.

Depuis sa création, en 1993, en pleine guerre des Balkans, la petite association lausannoise tenue, par des bénévoles, s’est agrandie et professionnalisée. Mais son but est resté le même : favoriser le mieux-être des personnes migrantes et faciliter leur intégration en Suisse. Retour sur une belle aventure empreinte d’humanisme.

«Appartenances est une jeune fille de vingt ans, pratiquant plus de cinquante langues, qui a plusieurs demeures où elle accueille, enseigne et permet la fraternité. C’est aussi un lieu où l’on soigne les bleus à l’âme et assouplit le corps, parce que corps et âme vont ensemble», explique poétiquement Claude Schwab, Président d’Appartenances.

A ses débuts, l’association proposait un lieu d’accueil amical tenu par quelques bénévoles avant de se professionnaliser au cours des années. Actuellement, Appartenances compte 200 collaborateurs salariés et plus de 100 bénévoles. Elle a son siège à Lausanne et des antennes à Vevey et à Yverdon.

Pour revenir sur cette année jubilaire, marquée notamment par une grande fête interculturelle intitulée «Voyages en Appartenances», une conférence sur le thème de l’exclusion et par l’exposition «Talents aiguilles» (lire ci-après), Voix d’Exils a rencontré Natacha Noverraz, responsable de communication d’Appartenances.

Voix d’Exils : Comment s’est passée la grande fête du 21 septembre au Casino de Montbenon,  à Lausanne ?

Natacha Noverraz, relations donateurs et partenaires à Appartenances et Mirabelle Bailly, responsable de l’exposition "talents Aiguilles"

Natacha Noverraz, chargée des relations donateurs et partenaires à Appartenances et Mirabelle Bailly, responsable de l’exposition « talents Aiguilles ». Photo: Voix d’Exils.

Natacha Noverraz : Nous avons convié nos participants et leurs familles, les amis d’Appartenances et les collègues. Et aussi des artistes qui tous avaient un lien amical avec l’association. L’objectif de la fête était de partager nos appartenances communes comme la musique, la danse, la nourriture, la peinture. On a voyagé toute la soirée dans le temps, d’un continent à l’autre, en partant des Balkans, parce que c’est au moment de la guerre des Balkans que beaucoup de réfugiés sont arrivés ici et on a dû faire face à un besoin urgent d’accompagnement. Beaucoup de femmes qui arrivaient avaient subi des violences. C’est à ce moment-là qu’Appartenances a été créée. Puis, on a poursuivi le voyage dans d’autres pays, d’autres continents.

De quelles aides avez-vous alors bénéficié ?

Appartenances est une création de la société civile, parce que l’État ne nous a pas donné les moyens d’agir et qu’il fallait agir rapidement. Il y a donc eu beaucoup d’engagement associatif, tout le monde était bénévole au début.

Photo: Voix d'Exils

Photo: Voix d’Exils.

Quelles sont les missions d’Appartenances ?

Appartenances a été créée dans le but de favoriser l’autonomie et la qualité de vie des migrants à travers la découverte et l’utilisation de leurs propres ressources. Dès le départ, il y avait cette idée d’accueillir, d’offrir de la formation, du conseil social et un soutien thérapeutique aux personnes qui arrivent de pays en guerre. Nous avons développé une consultation psycho-thérapeutique pour personnes migrantes, un réseau d’interprètes communautaires, ainsi que  des espaces sociaux, comme l’Espace Mozaïk ouvert aux hommes et le Centre Femmes pour les migrantes. Sans oublier les formations que l’on propose aussi à des professionnels extérieurs à l’association.

Avez-vous tissé des liens avec d’autres acteurs de la vie publique ?

Nos interprètes communautaires, qui traduisent lors des consultations psycho-thérapeutiques, répondent aussi aux besoins du réseau, que ce soit au sein des hôpitaux, des écoles ou des services sociaux. Nous avons aussi développé  des formations en lien avec la migration pour partager les connaissances d’Appartenances acquises sur le terrain avec les collègues du réseau.

Comment a évolué l’association ? Ses objectifs ont-ils changé au fil du temps ?

La source d’Appartenances, c’est vraiment cette rencontre entre un projet socioculturel de formation et un projet

Photo: Voix d'Exils

Photo: Voix d’Exils.

thérapeutique, ainsi que l’envie de travailler ensemble sur ces deux aspects qui sont indissociables. Appartenances, c’est un projet qui est actif dans les domaines de l’accueil, du conseil social, de la formation, et du suivi thérapeutique pour les personnes qui en ont besoin. C’est aussi un tremplin pour celles qui arrivent ici. Chez nous, elles sont accueillies, on leur donne les moyens de surmonter la crise que peut être la migration. Elles peuvent reconstruire quelque chose ici ou parfois repartir ailleurs, que ce soit dans leur pays d’origine ou un autre pays où elles ont la de la famille. Finalement, les objectifs n’ont pas tellement changé. En revanche, l’association s’est considérablement agrandie.

Peut-on dire que votre action est un succès ?

Il y avait et il y a toujours un besoin réel d’accueillir les migrants, de faciliter la rencontre et également d’offrir le soutien aux personnes qui arrivent des pays en guerre. Les pays d’origine changent, mais les souffrances, quant à elles, ne changent pas.

Qu’est-ce qui a changé en 20 ans ?

Nous sommes devenus petit à petit partie prenante des programmes d’intégration du Canton et de la Confédération. Il y a actuellement une volonté de mieux accueillir les personnes migrantes et de travailler davantage ensemble avec d’autres institutions comme l’école et l’État. Volonté qui n’existait pas il y a vingt ans.

Gisèle et Élisabeth

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exil

Exposition «Talents aiguilles»

 «L’expression artistique nous touche tous, elle nous relie les uns aux autres et nous emmène à partager», a souligné Claude Schwab, Président d’Appartenances, lors du vernissage de l’exposition «Talents aiguilles», le 4 octobre au Magasin du Monde de Vevey.

Photo: Voix d'Exils

Photo: Voix d’Exils.

Dans cette exposition originale, on peut voir et acheter, jusqu’au 2 novembre, les créations d’art et d’artisanat proposées par des participantes de l’Espace Femmes Riviera. Mirabelle Bailly d’Appartenances nous raconte la concrétisation d’une belle idée : «Les femmes qui se rencontrent dans la petite cuisine de l’espace de Vevey pour des activités artisanales et des échanges ont exprimé le désir d’élargir le cercle. Une bénévole d’Appartenances en a alors parlé à une connaissance active au Magasin du Monde qui a proposé l’idée d’une exposition.» Mirabelle Bailly relève par ailleurs la diversité des chemins empruntés par les diverses créations: «Le travail de certaines femmes qui exposent est le témoin d’un parcours difficile et montre la force qu’elles déploient pour s’inscrire dans le moment présent. Pour d’autres, il s’agit essentiellement d’une tradition à perpétrer ou d’un passe-temps inscrits dans le cadre du partage. Il y a toujours quelque chose qui relie à qui on est, d’où on vient, donc quelque chose de personnel. Quand on creuse un peu, on se rend compte que ce travail est très riche, très fort. Mais, le plus touchant, c’est de partager tout ça. J’aimerais que l’on rebondisse et que les femmes qui exposent puissent transmettre leur savoir-faire à d’autres femmes, comme cela se fait déjà à Appartenances et, pourquoi pas, s’organisent pour faire des stands. »

Gisèle et Élisabeth

 




A la pêche aux âmes perdues

Auteur: Özgür Mülazımoğlu (CC BY-NC-SA 2.0)

Auteur: Özgür Mülazımoğlu
(CC BY-NC-SA 2.0)

Fragilisés par l’exil et les difficultés rencontrées dans leur parcours de requérants d’asile, des hommes et des femmes tombent parfois dans les filets de sectes peu scrupuleuses qui leur promettent monts et merveilles… à condition qu’ils changent de religion.

Lorsque les requérants sont dans l’attente d’une décision concernant leur demande d’asile ou qu’ils ont perdu l’espoir de vivre légalement et paisiblement en Suisse, ils vivent une grande tension mentale. Ils deviennent alors des proies faciles pour les profiteurs de toutes sortes. Profitant de l’ambiance tendue qui prévaut dans les foyers d’accueil, où logent plus de la moitié des requérants d’asile, des porteurs de bonnes paroles sévissent avec des techniques de recrutement peu orthodoxes. A coup de promesses irréalistes et mensongères, ces illusionnistes tablent sur la précarité des conditions de vie et la fragilité mentale des requérants pour remplir leurs lieux de culte.

Francis, Amélie et Khalil témoignent de l’emprise de certaines sectes qui sillonnent les abords des lieux d’hébergement des requérants en Suisse romande en quête de nouveaux fidèles.

Remplir les lieux de cultes

Francis, de confession protestante, confie que des prêcheurs lui ont demandé de quitter sa religion et de devenir Mormon. Ils lui ont fait croire que leur congrégation avait les faveurs des autorités suisses et ont prétendu que la régularisation de sa situation aurait davantage de chances de se réaliser s’il adhérait à leur église.

Amélie, de confession évangélique, a été déboutée alors qu’elle pensait recevoir un permis F ou B, suite aux promesses de prêcheurs d’un groupe de l’église évangélique à tendance sectaire qui lui ont fait croire qu’ils connaissaient «des personnes importantes à l’Office fédéral des migrations».

Khalil, de confession musulmane, vit dans l’angoisse : celle de l’attente d’une décision quant à sa demande d’asile en cours depuis trois ans. Il se dit «choqué» par les techniques de persuasion utilisées par les Témoins de Jéhovah, à qui il a ouvert la porte de son domicile. Ces derniers lui ont fait savoir que sa religion «posait problème» et qu’il avait peu de chances d’obtenir l’asile. Ils lui ont demandé de quitter sa religion et d’adhérer à la leur, en lui assurant qu’elle était connue et respectée en Suisse. De plus, ils prétendaient entretenir «une étroite et excellente collaboration avec les associations engagées dans la défense des droits des migrants en Suisse».

Selon Amélie, Francis et Khalil, ce qui est regrettable et dangereux, c’est que des sectes profitent de l’ignorance, de la précarité et du désarroi des requérants pour les faire adhérer à leur congrégation, en utilisant des moyens de persuasion basés sur le mensonge. Sachant que plus de la moitié des requérants sont condamnés à l’oisiveté, on comprend qu’ils représentent une cible facile à courtiser et susceptible de remplir les lieux de culte ou de prière !

Les prêcheurs sont des comptables

Si ces prêcheurs mentent sans vergogne, c’est parce que les migrants ne sont pas seulement comptabilisés comme des fidèles supplémentaires, mais aussi et surtout comme des sources de revenus en contribuant à payer la dîme et en faisant des offrandes. Car les prêcheurs sont aussi des comptables. En additionnant dix francs suisses par requérant et par dimanche, il suffit de dix requérants contribuables pour atteindre la coquette somme de CHF 100.- par semaine! Sans compter les diverses subventions et les dons que reçoivent certaines congrégations pour le financement de leurs activités et dont le volume dépend du nombre de fidèles.

En définitive, ces sectes qui sillonnent les lieux d’hébergement sont davantage à l’affût de nouvelles entrées financières que de nouvelles âmes à sauver.

Bamba

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Pour le renforcement des droits humains au Sri Lanka et la protection des requérants en Suisse

Logo de la campagne d'Amnesty International

Logo de la campagne « Protection, vérité et justice pour la population sri-lankais »

Amnesty International, en collaboration avec la Société pour les peuples menacés et l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), a lancé la campagne «Protection, vérité et justice pour la population sri-lankaise». Une pétition et un documentaire entendent sensibiliser la population suisse à la situation délicate dans laquelle se trouvent les réfugiés tamouls.

Quatre ans après la fin de la guerre civile entre les forces gouvernementales et les Tigres tamouls, la situation des droits humains au Sri Lanka reste alarmante. 26 ans de conflit armé ont laissé des traces profondes et la paix a un goût amer. Selon Amnesty International «Le gouvernement refuse toujours qu’une enquête indépendante soit menée sur les crimes de guerre commis par l’armée et les Tigres tamouls. Les voix critiques sont menacées, emprisonnées ou victimes de disparitions forcées.»

Soupçonnée d’entretenir des liens avec les Tigres tamouls, la communauté tamoule est la plus touchée par ces violences. C’est pourquoi les Tamouls de Suisse vivent dans la crainte d’être renvoyés au Sri Lanka. En 2011, un arrêt du Tribunal administratif fédéral prétendait que toutes les régions tamoules du Sri Lanka étaient en sécurité ce qui justifiait des expulsions. Entre temps, et au vu des risques encourus suite au renvoi et à l’arrestation de plusieurs personnes lors de leur arrivée sur le sol sri-lankais, la Suisse a provisoirement suspendu les renvois.

Mais cela ne suffit pas. Amnesty International, l’OSAR et la Société pour les peuples menacés dénoncent la violation des droits humains, l’absence d’enquête fiable sur les crimes de guerre et la situation des requérants d’asile en détresse. Ces organisations ont lancé une pétition afin que la Suisse s’engage pour le renforcement des droits humains au Sri Lanka et la protection des requérants.

La campagne prévoit encore la projection d’un documentaire sur les crimes de guerre commis pendant la dernière phase de la guerre civile en 2009 : « No Fire Zone : Les champs de la mort du Sri Lanka » (2013). Prévue le 4 novembre à 18:30, au Casino de Montbenon, à Lausanne, la séance est gratuite et sera précédée d’un cocktail sri-lankais, occasion d’une rencontre avec la communauté sri-lankaise de Suisse romande.

Pour mieux comprendre la situation de la grande communauté sri-lankaise, composée pour la Suisse de 50’000 personnes dont 22’000 naturalisés, Voix d’Exils a interviewé David Cornut, coordinateur de campagne d’Amnesty International, et vous propose de partager l’histoire de Vignesh qui explique comment il a évité in extremis d’être renvoyé au Sri Lanka après avoir été débouté.

Interview de David Cornut, Coordinateur de la campagne «Protection, vérité et justice pour la population sri-lankaise» d’Amnesty International

David Cornut et

Ganimete Heseti et David Cornut

Voix d’Exils : Quel est le but principal de votre campagne ?

David Cornut : Amnesty International veut dénoncer la situation qui prévaut au Sri Lanka, un pays qui viole les droits humains, est coupable de persécutions, de tortures et d’atteintes à la liberté d’expression. Pourtant, la Suisse considère le Sri Lanka comme un pays sûr. Des accords de facilitation des réadmissions entre la Suisse et le Sri Lanka sont actuellement en cours. Or, les renvois dans un pays qui n’est pas sûr sont complètement interdits par la loi suisse.

Pourtant, le gouvernement suisse a décidé de stopper l’exécution de renvois vers le Sri Lanka…

Cette mesure est provisoire et ne suffit pas. Amnesty demande que la Suisse stoppe tous les renvois sur le long terme, et pas seulement de cas en cas, tant que la situation au Sri Lanka n’est pas sûre pour tout le monde.

Comment peut-on aider la population du Sri Lanka?

Il faut faire toute la lumière sur les crimes de guerre et rendre la justice dans les deux camps : l’armée officielle et les Tigres tamouls. Grâce aux pressions politiques et économiques de la communauté internationale, qui observe en permanence le Sri Lanka, la situation de la population sri-lankaise va pouvoir changer. L’Inde, par exemple, a passé une résolution sur la violation des droits humains au Sri Lanka. Et l’inde est un partenaire important.

Quelles sont les chances de succès de votre campagne ?

L’arrêt – même provisoire – des renvois au Sri-Lanka est un premier succès. Maintenant, on a besoin que les gens signent la pétition pour la Suisse. On a besoin que les gens parlent du Sri Lanka, car le pire c’est le silence. C’est important que l’opinion publique pense au Sri Lanka autrement que comme une destination pour passer des vacances. Et aussi, pour que la population suisse sache qui sont les Tamouls.

A votre avis, quelles seront les réactions du gouvernement du Sri Lanka vis-à-vis de votre campagne ?

Il est difficile de faire des pronostics… Le gouvernement du Sri Lanka est très sensible à la critique. Il essaie de se construire une nouvelle image et il a essayé d’empêcher la projection du film «No Fire Zone : Les champs de la mort du Sri Lanka» à Genève.

Propos recueillis par Lamin et Sara Pages

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Vignesh, débouté Sri-Lankais, évite in extremis d’être renvoyé de Suisse

Vignesh*, 25 ans, est un demandeur d’asile Sri-Lankais. Arrivé en Suisse en 2009, il a reçu une décision négative à sa demande d’asile à deux reprises, et aurait dû être renvoyé au Sri Lanka le 8 août dernier.

Mis sous pression, Vignesh appose sa signature pour l’obtention d’un passeport provisoire valide pour trois jours et, de manière inattendue, se voit remettre immédiatement un ticket de vol pour le 8 août avec l’ordre de se présenter à l’aéroport de Cointrin à Genève pour son rapatriement.

Lorsque le jour du vol arrive, il ne se présente pas à l’aéroport. Il se cache dans différents lieux : chez des amis, à la gare ferroviaire de Genève ou dans un arrêt de bus, ce par temps froid comme par temps chaud.

Durant la même période, deux familles renvoyées par le canton de Saint Gall sont arrêtées sur le sol sri-lankais. Suite à ces événements, le gouvernement suisse décide de geler immédiatement tous les rapatriements des ressortissants Sri-Lankais.

Vignesh prend connaissance de cette nouvelle, en parle à un avocat social, se rend au Service de la population du canton de Vaud (SPOP), et demande à nouveau l’aide d’urgence. Le SPOP refuse de répondre favorablement à sa demande, car il n’a pas été notifié de la décision de l’Office fédéral des migrations (ODM) et lui reproche de séjourner de manière illégale en Suisse à partir de la date arrêtée pour son renvoi.

Un jour plus tard, le SPOP prend contact avec son avocat pour l’informer qu’il entre en matière à propos de l’octroi de l’aide d’urgence. Ce retournement de situation est tout à fait exceptionnel par rapport à la situation des Sri-Lankais déboutés résidant en Suisse et témoigne de la force de la décision de l’ODM. A nouveau, Vignesh est logé dans l’abri de la protection civile où il séjournait auparavant et, de surcroît, il a obtenu un permis N.

Que lui serait-il arrivé s’il avait été renvoyé le jour prévu au Sri Lanka ? Le gouvernement suisse affirmait à l’époque être en mesure de conserver le contact avec les personnes renvoyées. Dans les faits, ce contrôle s’est avéré très difficile à mettre en œuvre, en particulier en dehors de Colombo, la capitale, à fortiori après que plusieurs mois se soient écoulés depuis la date du renvoi. Mentionnons également qu’une loi anti-terroriste promulguée par le gouvernement sri-lankais menace potentiellement quiconque appartenant à la diaspora sri-lankaise, dont les membres sont suspectés presque systématiquement de collaborer avec les Tigres tamouls. La suspicion concerne, en particulier, les personnes provenant de Suisse ; et celles-ci s’exposent à des peines d’emprisonnement de 12 ans au minimum.

Pour l’heure, Vignesh est satisfait de sa situation et espère pouvoir rester en Suisse. Il pense qu’il obtiendra un statut de réfugié ou que son autorisation de séjour temporaire sera prolongée sur le long terme, étant donné que la situation au Sri Lanka met en danger les populations tamoules. Il est également persuadé que le gouvernement et le peuple suisses comprennent aujourd’hui la dangerosité de la situation qui règne dans son pays.

L. et S.P.

*Nom d’emprunt

Informations

NO FIRE ZONE : LES CHAMPS DE LA MORT DU SRI LANKA, documentaire, 2013, Vo/St.fr, Callum Macrae

Affiche du film "No fire zone"

Affiche du film « No fire zone »

Présenté par Amnesty International, ce film braque les projecteurs sur les crimes de guerre commis pendant la dernière phase de la guerre civile, en 2009. Le documentaire, dont les réalisateurs ont été nominés au Prix Nobel de la Paix, a provoqué une vive émotion lors de sa projection en marge du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Avec une introduction de Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse  et Namasivayam Thambipillai, conseiller communal de la ville de Lausanne.

Quand      4.11.2013

                      18h30 Cocktail sri lankais, 19h00 Film

Où               Casino de Montbenon – Salle des Fêtes

                      Allée Ernest-Ansermet 3

                      1003 Lausanne

                      m1: Vigie; m2, LEB: Lausanne-Flon; tl 3, 6, 21: Cécil

Entrée      Entrée libre – inscription préalable : info@amnesty.ch

                      Scènes choquantes, destiné à un public adulte.




«L’objet de l’exil»

Françoise Kury, initiatrice du projet "L'objet de l'exil". Photo: Voix d'Exils.

Françoise Kury, initiatrice du projet « L’objet de l’exil ». Photo: Voix d’Exils.

Bracelet en or, chaussures, habit traditionnel, Bible, chapelet, guitare sont quelques objets précieux – parmi d’autres – que les requérants d’asile emmènent avec eux dans leur périple jusqu’en Suisse. Dans le cadre du projet «l’objet de l’exil», initié par Françoise Kury, Suissesse d’origine rwandaise, ces objets, ainsi que les photos de leurs propriétaires avec leurs valises, tous requérants d’asile résidant dans le centre d’accueil de Perreux dans le canton de Neuchâtel ont été exposés. L’exposition s’est déroulée le samedi 7 septembre à la salle paroissiale Notre-Dame de la Paix, à La Chaux-de-Fonds.

Françoise Kury, 43 ans, dont 18 passés en Suisse, fait part des motivations qui l’ont poussée à initier le projet «L’objet de l’exil» : «ll y a 18 ans, j’étais à la place des requérants d’asile. L’idée de ce projet m’est venue car je voulais savoir ce qu’une personne, en quittant son pays, amène dans sa valise. Alors j’ai choisi dix personnes de différents pays (Guinée, Somalie, Érythrée, Nigeria, Syrie, Ghana et Kosovo) pour parler de leur parcours. J’ai travaillé sur quelque chose qui leur tenait à cœur: l’objet. Spontanément, avec beaucoup d’émotions, chacun a apporté son objet. Quand on en parle, il leur évoque beaucoup de souvenirs qu’ils ont de leur pays. Ces objets sont attachés à eux et à leur famille – bref à leur vie – et ce sont des choses dont ils ne peuvent pas se séparer».

A travers un objet, estime l’initiatrice du projet «l’objet de l’exil», on peut évoquer beaucoup de détails dans la vie d’un requérant d’asile, doucement, sans brusquer les choses. «J’ai vu que les gens arrivaient à s’ouvrir facilement et à parler de leur parcours et même avec beaucoup d’émotion, beaucoup de sentiments parce qu’avant de venir en Suisse, ils ont passé une vie quelque part. Cela, on ne l’oublie pas et il ne faut justement pas le gommer. C’est une façon de montrer à des gens que chaque personne qui immigre a sa propre histoire qu’il faut respecter et c’est à travers son histoire qu’elle va pouvoir partager et s’intégrer facilement», conclut Françoise Kury.

Témoignages de participants

La guitare de Peter Otubuar. Photo: Voix d'Exils.

La guitare de Peter Otubuar. Photo: Voix d’Exils.

Peter Otubuar, Ghanéen: «Mon objet précieux, qui me rappelle mon pays, c’est ma guitare. J’en joue depuis bientôt 25 ans. La musique, c’est ma passion. Sans ma guitare, je me sentirais perdu et malheureux. Je joue souvent les morceaux qui me rappellent les jours heureux quand j’étais chez moi.»

Adan Ducaale Hajna, Somalien: «J’ai 16 ans et j’ai quitté mon pays très jeune. Je n’ai ni photo de ma famille ni objets. J’ai quitté mon pays sans affaires, donc mes souvenirs sont dans ma tête et dans mon cœur.»

Le chapelet de Rosnaassan Hussein. Photo: Voix d'Exils.

Le chapelet de Rosnaassan Hussein. Photo: Voix d’Exils.

Rosnaassan Hussein, Syrien: «Mon seul objet de souvenir, c’est un chapelet donné par un ami et un short acheté avant de quitter mon pays. Le chapelet est un objet très précieux pour moi, parce que je suis croyant. Donc ce chapelet est devenu un objet qui m’a accompagné pendant mon passage dans ce pays.

James Emma, Nigérian: «Mon seul objet précieux, c’est ma Bible. Ce livre est très important pour moi pendant cette période de ma vie. Je suis attaché à elle, car elle me permet de trouver la force pour continuer à me battre».

Abraham Genet, Erythréen: «J’ai décidé de montrer mon habit traditionnel, car c’est le seul élément qui me tient à cœur. Il me rappelle les plus belles cérémonies que j’ai passées avec ma famille avant de quitter le pays. Cet habit évoque mes beaux souvenirs.»

Les chaussures de Skates de Dragan. Photo: Voix d'Exils.

Les chaussures de Skates de Dragan. Photo: Voix d’Exils.

Skates de Dragan, Somalien: «Le seul objet que j’ai et qui me rappelle mon pays, ce sont mes chaussures avec lesquelles j’ai traversé le désert. Mes chaussures, j’y tiens beaucoup, car je les ai achetées avant de prendre la route, elles ont protégé mes pieds tout au long de mon voyage.»

le braclet en or de Diallo Mamadou. Photo: Voix d'Exils.

Le braclet en or de Diallo Mamadou. Photo: Voix d’Exils.

Diallo Mamadou, Guinéen: «J’ai 21 ans et je vis en Suisse depuis 4 ans. L’objet que j’ai choisi de montrer est un bracelet en or donné par un ami. Il tient une place importante dans ma vie, car chaque fois que je me sens mal, ce bijou me donne de la force.»

Famille Przic Zvonto, Kosovare: «La seule chose que nous avons de très précieuse, ce sont nos enfants. On ne possède pas d’objets amenés de chez nous. Notre fils est notre meilleur souvenir de notre pays, car il est né là-bas. L’objet le plus important pour lui, c’est sa planche à roulettes. Il passe son temps à jouer avec, car il est souvent tout seul pour jouer.»

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils