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Le septième art africain illumine la ville de Lausanne

Image du documentaire "Tsofa"

Image extraite du documentaire « Tsofa » de Rufin Mbou Mikima.

Pour sa 8ème édition, le Festival Cinémas d’Afrique a présenté à Lausanne plus de 50 films sur le thème des Lumières. Plus de 3000 spectateurs en sont sortis éblouis.

Le festival s’est ouvert le jeudi 22 août au théâtre de verdure de l’esplanade de Montbenon par la projection du film franco-tchadien de fiction Grisgris de Mahamat-Saleh Haroum, qui avait été présenté en sélection officielle au festival de Cannes et s’est terminé le 25 août par la projection du film Goodbye Bafana de Bille August en hommage à Nelson Mandela.

De même que la lumière éclaire, cette 8ème édition a illuminé les spectateurs en leur offrant des fictions, des documentaires et des animations sur les différentes réalités africaines en Afrique ainsi qu’ailleurs dans les domaines culturel et politique. Certaines projections ont fait l’objet de débats entre réalisateurs et spectateurs.

«Tsofa», le film documentaire de Rufin Mbou Mikima – un jeune réalisateur Congolais – a retenu l’attention de Voix d’Exils par son lien avec le thème de la migration. Au travers de ce film, qui a été diffusé par plusieurs chaînes de télévision, dont TV5, les spectateurs on pu voir une autre facette de l’émigration.

Tsofa montre comment l’émigration « professionnelle » depuis Kinshasa d’un groupe de jeunes hommes de République Démocratique du Congo (RDC) à destination de Bucarest en Roumanie se transforme en arnaque et en exploitation et se finit par le retour de certains d’entre eux à Brazzaville, en République du Congo, juste à cinq minutes de navigation de Kinshasa. Les jeunes s’y cachent car ils ont honte d’être revenus en Afrique les mains vides. Voix d’Exils a interviewé Rufin Mbou Mikima, le réalisateur du documentaire.

Rufin Mbou Mikima, réalisateur du film documentaire "Tsofa". Photo: Voix d'Exils

Rufin Mbou Mikima, réalisateur du film documentaire « Tsofa ». Photo: Voix d’Exils

Voix d’Exils : Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours en quelques mots ?

Rufin Mbou Mikima : Je suis un réalisateur et producteur originaire de la République du Congo. J’ai une formation de base en Lettres modernes. J’ai été professeur de français au lycée au Congo puis j’ai fait un Master 2 en Réalisation documentaire et je prépare actuellement une thèse de doctorat en cinéma en France. Je suis auteur-réalisateur de 7 films. Je produis et je réalise des films depuis environ 13 ans comme réalisateur et 5 ans comme producteur.

Pourquoi le titre «Tsofa»? Que signifie ce mot qui est le titre de votre film ?

Tsofa vient du lingala populaire, la langue nationale de la République du Congo et celle de la RDC, l’ex Zaïre. Cela veut dire «chauffeurs», car je raconte la mésaventure de 30 jeunes Congolais recrutés à Kinshasa pour aller travailler comme chauffeurs de taxi en Roumanie. Cette histoire se révèle être une grosse arnaque dans laquelle les jeunes sont exploités puis expulsés pour certains. Je filme aussi la dure réalité du retour et l’angoisse du jugement des autres. 

Combien de temps la réalisation du film vous a-t-elle prise et quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées lors du tournage ?

Le film a été tourné entre décembre 2011 et août 2012. Mais avant ça, il y a eu trois années de recherches et de repérages avec mes personnages. La plus grande difficulté du film a été la gestion du temps. Certaines situations évoluant très vite, il a fallu s’adapter à la nouvelle vie de mes personnages et même abandonner certaines séquences. L’autre difficulté a été l’impossibilité d’aller tourner à Kinshasa parce que la situation politique était celle des élections présidentielles de 2011.

Comment votre film est-il parvenu au Festival Cinémas d’Afrique de Lausanne et que cela vous rapporte-t-il?

Nous avons tout simplement envoyé notre film au festival qui l’a retenu. Ce festival est un carrefour de rencontres incroyables. J’y ai rencontré des gens avec lesquels je vais sans doute travailler dans les prochains mois. Peut-être qu’on y reviendra avec un nouveau film.

Pastodelou

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Informations :

Pour voir bande-annonce du film documentaire «Tsofa», cliquer ici

 




Se sentir des enfants «comme les autres» grâce au théâtre

Le théâtre Évasion. Photo: Voix d'Exils

Le théâtre Évasion. Photo: Voix d’Exils

Samedi 17 août, 30 enfants de toutes provenances sont montés sur la scène de la Fraternité à Lausanne pour présenter un spectacle rythmé et coloré proposé par l’association Métis’Arte, en collaboration avec le Service Civil International (SCI). L’objectif était de démontrer la nécessité de la tolérance et du respect des différences.

Pleine de vitalité et de fraîcheur, la prestation des enfants grimés en personnages réels ou imaginaires a fait rire et sourire un public, lui aussi très diversifié. A la fin du spectacle, les parents dans la salle étaient fiers de la prestation de leurs bambins. Patrick s’est dit content que son fils participe au spectacle organisé par le Théâtre Évasion, dépendant du SCI. « Cela a permis à mon fils d’échanger et de partager avec des enfants issus d’autres cultures et d’autres horizons. Je préfère le dire ainsi, parce que je n’aime pas trop le mot «étranger». D’ailleurs, beaucoup de Suisses sont

originaires des pays frontaliers. » Paola, une jeune participante, confie qu’elle a été encouragée par sa maman à participer au spectacle, et qu’elle s’est sentie «très à l’aise sur scène», entourée d’autres enfants.

Promouvoir le vivre ensemble

Le théâtre Evasion. Photo: Voix d'Exils

Le théâtre Evasion. Photo: Voix d’Exils

Sous la férule des membres du Service Civil International, les enfants âgés de 6 à 11 ans ont pu choisir le personnage qu’ils voulaient interpréter. Une fillette a par exemple proposé Rihanna, la chanteuse r’n’b américaine et reine du spectacle. Curieux, spontanés, les enfants se sont prêtés au jeu sans réticence ni méfiance les uns vis-à-vis des autres. Tous ont déclaré avoir eu davantage peur de mal interpréter leur rôle que d’être en contact avec des enfants inconnus. Pendant la semaine de préparation et devant le public, ils ont pu donner libre cours à leur créativité à travers la danse, le chant, le rire et l’originalité de leurs personnages. Promouvoir à travers le théâtre le vivre ensemble, telle était l’ambition des organisateurs. Et, à voir le plaisir des jeunes comédiens sur les planches, on peut dire que c’est réussi.

Pour cette soirée, l’association Métis’Arte, qui se veut être un pont entre l’art et le social, s’est fait aider par des membres du SCI. Les deux organisations se sont partagés les tâches en cuisine, l’accueil des

Le théâtre "Evasion". Photo: Voix d'Exils

Yohana Ruffiner, coordinatrice de l’association Métis’Arte. Photo: Voix d’Exils

bénévoles et le transport des enfants depuis leur lieu d’habitation – qu’ils viennent du Centre d’hébergement EVAM de Crissier ou de Lausanne – jusqu’à la salle du Centre social protestant où avait lieu la représentation.

Métis’Arte avait également proposé la semaine précédente une réflexion sur les questions de la migration forcée, des sans-papiers et du racisme. Coordinatrice du projet, Yohana Ruffiner s’explique : «Nous voulions montrer ce que les personnes migrantes gagnent et perdent. Nous voulions aussi dire que nous sommes toutes et tous des migrants à quelque part.»

Une Suisse multiculturelle

Né voilà deux ans, le Théâtre Évasion propose des spectacles dans dix villes de Suisse en collaboration avec Métis’Arte. Yohana Ruffiner tire un bilan positif de ces journées de réflexions et de spectacles: «Le nombre des participants croît, tant du côté des requérants que des lausannois. Il y a eu cette année plus de 30 enfants, dont la moitié étaient des requérants d’asile, qui parlaient bien la langue française.»

L’après-midi s’est terminée par un apéro,partagé entre invités venus de Suisse, d’Europe et même d’Afrique. De quoi donner l’image d’une Suisse multiculturelle, loin de la polémique à propos de la migration et sur l’asile. En ce qui concerne les enfants lausannois, l’expérience leur a permis de mieux comprendre le monde de la migration. Les enfants requérants, quant à eux, ont pu sortir un peu de leur bulle pour se sentir des enfants «comme les autres.»

Dr Bomba

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




De requérant d’asile à conseiller général

Njo Moubiala. Photo: Voix d'Exils

Njo Moubiala. Photo: Voix d’Exils.

Originaire de La Chaux-de-Fonds, approchant la soixantaine, Njo Moubiala a échappé à la dictature du Maréchal Mobutu dans l’ex-Zaïre, en se réfugiant en Suisse, ce il y a près de trois décennies. D’abord requérant d’asile, cet électrotechnicien de formation est aujourd’hui Suisse, conseiller général  (membre du parlement communal) et membre de la commission de la naturalisation à Peseux, sa commune de résidence, dans le canton de Neuchâtel. Témoignage.

De 1965 à 1997, la République démocratique du Congo (RDC), alors Zaïre, était dirigé par le dictateur Mobutu Sese Seko. Dans les années 80, la dictature avait atteint son apogée en supprimant notamment le pluralisme politique et syndical et en ayant réduit les libertés individuelles. Trouvant sa situation de travailleur impayé «complètement inacceptable et admissible», Njo Moubiala a tout laissé derrière lui et a pris le chemin de l’exil. Arrivé en Suisse en 1986, il dépose sa demande d’asile et découvre les réalités de l’asile. Il est alors accueilli par deux religieux d’heureuse mémoire : l’Abbé Nicolas Desboeuf et le Père Cyrille Perrin.

Un parcours exemplaire

«Mon parcours en Suisse est élogieux, je remercie le ciel. J’ai eu le privilège d’être bien accueilli dans ce pays. L’Abbé Nicolas Desboeuf m’a présenté à un éminent professeur de droit de l’Université de Neuchâtel, M. Philippe Bois, très actif dans la défense du droit d’asile qui m’a défendu honorablement et avec qui j’ai tissé des liens d’amitié solides ainsi qu’avec sa famille. Avec mon ami Philippe, j’ai saisi cette opportunité, je me suis intégré et j’ai fait un effort pour apprendre, comprendre et respecter la manière de vivre des Suisses. Mon parcours de requérant d’asile m’a beaucoup marqué et m’a encore donné l’envie de me valoriser. J’ai fait «l’université de la rue», c’est-à-dire j’ai fait des travaux manuels que je n’avais pas l’habitude de faire dans mon pays d’origine. J’ai travaillé dans la restauration, les bâtiments, les travaux publics, dans le transport et cela m’a permis de connaître la vraie vie suisse dans la pratique. Aujourd’hui, je fais une formation de validation des acquis qui sera sanctionnée par une attestation dans les prochains mois.»

Naturalisé suisse, Njo Moubiala vit sa double nationalité comme une vraie richesse culturelle, et il s’en défend: «Je ne peux pas renier mes origines, je suis originaire de la RDC et je suis aussi fier d’être un citoyen suisse. Les Suisses m’ont accordé cette nationalité et je les remercie pour ce geste de cœur généreux au regard de la misère indescriptible que vit mon pays d’origine résultant de sa mauvaise gouvernance.»

Conseiller général socialiste

Électrotechnicien et diplômé cafetier formé en Suisse, Njo Moubiala est divorcé et père de deux enfants. Il est conseiller général du groupe socialiste de la commune de Peseux. «Je me suis engagé en politique dans la section de la Chaux-de-Fonds du Parti socialiste grâce au conseiller aux États neuchâtelois Didier Berberat et j’ai suivi une formation politique sur la démocratie directe dispensée par le conseiller national zurichois et politologue Andreas Gross», déclare Njo Moubiala, qui se bat pour l’intégration des Africains dans le monde professionnel. «Bon nombre d’Africains viennent de pays où il n’y a pas de démocratie ni d’État de droit et quand ils arrivent en Suisse, ils sont déboussolés, désemparés. C’est pour cela que je suis là pour les encourager à pouvoir s’intégrer et à comprendre non seulement qu’il faut vivre de façon indépendante en travaillant, mais aussi qu’il faut remplir certains devoirs et obligations que nous demande l’État. C’est pour tout le monde pareil, que l’on soit Suisse ou non. L’État est là pour nous garantir nos droits».

Regards d’un homme aux cultures plurielles

Parlant de l’Afrique, il estime que «c’est un continent formidable, potentiellement riche, non seulement en matières premières mais aussi à travers son peuple très hospitalier où la gentillesse est souvent mal interprétée par quelques profiteurs.»

Reconnaissant envers la Suisse, le député socialiste de Peseux affirme qu’il a trouvé dans la Confédération helvétique non seulement la tranquillité et le bien-être mais, aussi et surtout, la rigueur et l’amour du travail de qualité. «Ma plus grande réussite en Suisse est d’avoir appris de vraies valeurs, dans le travail, le respect, l’engagement et la foi. Car le Suisse est consciencieux, travailleur et patriote».

Jetant le regard sur la RDC, son pays d’origine, Njo Moubiala reconnait qu’«Au Zaïre, il y avait la dictature et aujourd’hui, on évolue encore dans la dictature, le chaos politique plus que celle de Mobutu et cela fait très mal de voir un pays potentiellement riche en personnes humaines, en sols et sous-sols, se retrouver en dernière position du classement mondial des pays les plus pauvres de la planète. Malgré le bon sens du soutien de la communauté internationale pour encourager et soutenir les dirigeants politiques afin d’établir un État de droit, les deux élections dites «démocratiques» qui ont été organisées en 2006 et 2011 ne sont qu’une mascarade. Force est de constater encore que la corruption est devenue monnaie courante en RDC.»

Son message aux requérants d’asile vivants en Suisse

Il conseille aux requérants d’asile d’approcher, de fréquenter et de discuter avec des citoyens Suisses qui sont là aussi pour partager avec eux leurs dures expériences de la vie. Il les exhorte, en outre, à s’intégrer politiquement et à s’imprégner des réalités politiques helvétiques, afin de comprendre le système politique suisse qui n’est pas si facile, ce même pour les Helvètes eux-mêmes.

Paul Kiesse

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils