«Il faut changer les mentalités pour accéder à la démocratie»
Le samedi 4 mai, le théologien islamologue suisse d’origine égyptienne Tariq Ramadan a donné une conférence au Complexe Culturel des Musulmans de Lausanne à l’occasion de la sortie de son nouveau livre « l’Islam et le réveil arabe ». Intitulée « Deux ans de printemps arabe, et après ? », la conférence de Tariq Ramadan revient sur le renversement des dictatures qui a marqué plusieurs pays du Moyen-Orient ces dernières années. Compte-rendu des propos qu’il a tenu.
M. Ramadan a débuté sa conférence du 4 mai par un constat réjouissant: «durant la période du printemps arabe le Moyen-Orient s’est réveillé. Il y a eu une prise de conscience de la population qui a eu le courage de faire tomber la dictature. Avant cela, les arabes n’avaient pas bougé.»
Instabilité politique et intérêts géostratégiques au Moyen-Orient
Selon Tariq Ramadan, les dictatures présentes au Moyen-Orient stabilisaient tous les États de la région, raison pour laquelle elles étaient soutenues par certains pays comme les USA ou la Russie. Ces mêmes États, aujourd’hui, encouragent la démocratisation. D’après le théologien, cette contradiction n’est pas d’ordre politique mais économique et géostratégique.
En effet, les pays occidentaux s’intéressent avant tout aux ressources du Moyen-Orient, comme par exemple les ressources minières de l’Afghanistan et le pétrole de l’Irak. L’intervention américaine en Irak de 2003 à 2011 a déstabilisé le pays politiquement, tout en protégeant ses ressources pétrolières. L’Irak produisait beaucoup économiquement durant cette période, mais était très fragilisé politiquement par les États-Unis. Le pétrole était donc sous la mainmise des multinationales occidentales, pendant que la politique du pays était totalement bouleversée. Tariq Ramadan prend aussi l’exemple de la Syrie, en soulignant que plus le conflit entre sunnites et chiites dure, plus le Moyen-Orient est divisé et plus la région est déstabilisée, ce qui arrangerait les gouvernements américain, chinois et russe. Le Moyen-Orient est donc déstabilisé politiquement à des fins géostratégiques.
«Libérer l’esprit de tout ce qui peut aliéner la pensée»
Selon Tariq Ramadan, il faut considérer tous les éléments pour voir s’il y a possibilité de transparence, c’est-à-dire de démocratie. Tout d’abord, il faut mettre fin à la corruption, car si l’éthique n’est pas respectée, la démocratie n’est pas possible. Ensuite, il souligne l’importance d’une réforme de l’éducation. Il est en effet essentiel, selon l’auteur, que l’éducation favorise une pensée autonome et responsable, dans des pays arabes qui proposent actuellement des systèmes éducatifs sélectifs et favorisant les savoirs appris par cœur. Il faut libérer l’esprit de tout ce qui peut aliéner la pensée, tout en respectant la dignité humaine.
Pour Tariq Ramadan, il est donc essentiel aujourd’hui que soit menée une révolution culturelle et spirituelle et de ne pas être émotifs ou impulsifs comme ce serait selon lui le cas des personnes de culture arabe. Selon l’islamologue, leur éducation est une «éducation de craintifs». Ensuite, Tariq Ramadan souligne que la présence des femmes sur le devant de la scène joue un rôle important et que statistiquement les femmes étaient beaucoup plus présentes que les hommes durant les événements du printemps arabe. Il note également que la démocratie n’est possible que si une justice sociale est appliquée. Et, enfin, l’islamologue explique que la dimension culturelle est fondamentale. Selon lui, si l’on est cultivé et informé, on est libre intellectuellement et culturellement. En deux mots, selon l’auteur, les deux grandes priorités de l’action à mener actuellement se situent sur les plans culturel et économique et non politique.
«Savoir accepter la diversité des opinions»
Pour conclure, la solution d’après Tariq Ramadan est de s’équiper intellectuellement. On a la responsabilité de s’informer et de transmettre l’information. Il ne faut pas se taire mais être la voix de la conscience. Il est donc important d’apprendre la diversité des opinions qu’elles soient traditionnelles, rationnelles, politiques, réformistes ou autre. Il est nécessaire d’instaurer un dialogue intra religieux et de gérer la diversité politique pour éviter la division. Cependant, selon l’auteur, la culture de diversité est absente dans les pays arabes où l’on considère une opinion comme une possession de la vérité. Or, une opinion n’est qu’une perception de la vérité parmi d’autres. Il faut donc savoir accepter la diversité. Il est important de s’éduquer intellectuellement de manière autonome, de s’engager courageusement et de changer sa mentalité pour pouvoir communiquer avec autrui dans le but d’accéder à la liberté et à la démocratie.
Samir
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils
Infos:
Vous pouvez visionner la conférence dans son intégralité en cliquant ici