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«En Suisse, nous essayons de favoriser une approche pragmatique de l’accueil des migrants»

Gabriela Amarelle, déléguée à l’intégration de la Ville de Lausanne. Photo: Voix d'Exils

Gabriela Amarelle, déléguée
à l’intégration de la
Ville de Lausanne. Photo: Voix d’Exils.

Le Bureau lausannois pour les immigrés (le BLI) vient de reprendre son nom d’origine et d’abandonner son ancienne appellation : le Bureau lausannois pour l’intégration des immigrés. L’occasion d’ouvrir une réflexion autour des pratiques helvétiques d’accueil des migrants en compagnie de Gabriela Amarelle, déléguée à l’intégration de la Ville de Lausanne. Interview.

Voix d’Exils : Le Bureau lausannois pour les Immigrés, ex Bureau lausannois pour l’intégration des immigrés, a repris son nom d’origine, pour quelle raison ?

Gabriela Amarelle : Le terme d’intégration, fortement controversé, a toujours contenu de nombreuses ambiguïtés, notamment quand son acception se limite à servir d’euphémisme pour « assimilation ». Pour tenir compte de notre approche inclusive, qui ne fait pas porter la responsabilité de l’intégration uniquement sur les immigrés, la Municipalité a décidé tout récemment de revenir à l’appellation d’origine, à savoir « Bureau lausannois pour les immigrés ». Cette appellation a pour avantage de mettre en avant l’effort investi par la collectivité lausannoise pour combler les inégalités qui persistent dans tous les domaines de la vie quotidienne à l’égard de la population migrante, tout en gardant la dénomination et l’abréviation connue depuis plus de quarante ans.

Le BLI a pour mission de favoriser l’intégration des étrangers. Comment définissez-vous « l’intégration » ?

Dans la Loi fédérale sur les étrangers, elle est définie comme un « processus réciproque » entre les personnes qui arrivent en Suisse et la société d’accueil. La promotion de l’intégration, selon l’Office fédéral des migrations, vise un accès égal aux ressources sociales, politiques et économiques disponibles dans notre société, afin de pouvoir participer pleinement à la société et à ses prises de décisions. Cette définition, largement consensuelle aujourd’hui, implique que l’intégration nous concerne toutes et tous, immigrés et autochtones. L’intégration constitue, dès lors, un enjeu majeur en matière de cohésion sociale.

Quelles sont les actions et les mesures entreprises par le BLI pour intégrer les migrants ?

Les mesures mises sur pied par le BLI pour favoriser l’égalité des chances visent premièrement à orienter sur les thèmes liés à la migration : cours de français, formation, travail par exemple. Nous avons développé, en collaboration avec les services communaux concernés, un ambitieux programme d’accueil destiné justement aux personnes nouvellement arrivées. L’information et la formation sont également au coeur de l’action du BLI car, de notre point de vue, il est essentiel de favoriser l’accès aux prestations. Le BLI met également sur pied des mesures destinées à prévenir le racisme et contribue à favoriser la participation citoyenne sous toutes ses formes, par exemple, en favorisant la vie associative et de quartier et en informant sur les droits politiques. En tant qu’organe de l’administration communale, notre rôle est aussi de sensibiliser à l’interne de l’administration sur ces thématiques.

La politique d’intégration, telle quelle s’est développée en Suisse, est-elle, selon vous, efficace pour créer une coexistence harmonieuse entre les étrangers et les autochtones ?

La Suisse est un pays fédéraliste. La définition d’une politique publique requiert, en Suisse plus qu’ailleurs, le respect des partenaires et une implication réelle de ceux-ci. La force du modèle helvétique est que chaque niveau étatique – Confédération, cantons, communes – est important et contribue, dans l’idéal, à la définition de la politique d’intégration. Bien sûr, il peut y avoir de fortes divergences sur le plan politique, et aussi en matière d’enjeux financiers entre tous les partenaires. La recherche du compromis helvétique n’est pas un mythe… et cela prend du temps, de la patience, de l’énergie. Dans un système tel que le nôtre, avec un enchevêtrement parfois complexe des compétences, l’approche est forcément pragmatique. Cela implique, aussi en matière de politique d’intégration, des réponses concrètes plurielles selon les régions. Je crois qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas une seule politique d’intégration en Suisse. Car les contextes régionaux dans lesquels nous vivons, ont un impact réel sur les politiques locales d’intégration. La proximité peut être un atout.

Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les migrants dans le processus d’intégration ?

La population migrante, tout comme la population suisse, est fortement hétérogène. Chaque parcours est différent. Si l’on essaie de parler globalement, les obstacles les plus récurrents sont dus au statut juridique des personnes, et les difficultés liées à l’obtention ou non d’un permis de séjour. Pour les ressortissants hors de l’Union européenne, notamment, il est particulièrement difficile d’obtenir un travail. Et bien sûr, pour apprendre le français, nous ne sommes pas, là non plus, tous égaux !

Quels sont les autres modèles de politiques publiques permettant cette coexistence harmonieuse entre les étrangers et les autochtones ?

On me demande souvent si en Suisse, nous sommes plus proches du modèle français ou du modèle britannique … Je crois qu’en Suisse nous nous méfions des modèles et que nous essayons de favoriser une approche pragmatique, avec l’ambition, sans y arriver parfois, de prendre du bon dans chacun des systèmes. A Lausanne, et certainement aussi du côté de la Suisse romande en général, nous essayons de conjuguer le respect des valeurs citoyennes – telles le principe d’égalité de traitement et l’égalité entre hommes et femmes -, et le respect de la personne qui nous fait face dans son individualité. Identifier ce qui nous rassemble, plutôt que ce qui nous différencie, est aussi une piste pour échapper au communautarisme.

Propos recueillis par :

Samir

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos :

Rendez-vous sur le site du BLI en cliquant ici




Une belle rencontre pour vaincre les préjugés

La sortie du 25 avril 2013 organisée par l'association Bel horizon. Photo: Voix d'Exils

La sortie du 25 avril 2013 organisée par l’association Bel horizon. Photo: Voix d’Exils.

Placée sous les signes de la rencontre, de la solidarité et du dépassement des clichés, la journée du jeudi 25 avril 2013 a été choisie par l’association chaudefonnière Bel Horizon pour offrir aux requérants d’asile un moment de divertissement et de joie. Sortant de l’ordinaire, une rencontre entre deux mondes que tout a l’air d’opposer a eu lieu; à savoir d’une part, celui de demandeurs d’asile d’environ 25 nationalités résidant au Centre d’accueil de Fontainemelon à Neuchâtel, et d’autre part celui des jeunes élèves du Lycée Blaise-Cendrars de la Chaux-de-Fonds.

C’est par un petit déjeuner que les requérants d’asile ont accueillis les élèves de deux classes de première année du Lycée Blaise-Cendrars, question de créer le déclic de la rencontre. S’en est suivi un moment d’échange qui a permis aux requérants d’asile de parler de leurs expériences et aux lycéens d’en apprendre un peu plus sur la réalité des requérants d’asile en Suisse par un contact direct en escamotant les discours médiatiques et politiques.

Photo: Voix d'Exils

Photo: Voix d’Exils

Après avoir établi cette confiance mutuelle par le dialogue et la découverte de l’autre, tous les participants ont pris la route de Neuchâtel pour rejoindre par bateau Portalban dans le Canton de Fribourg. Durant ce périple, l’ambiance était de mise. Requérants et lycéens discutaient avec grand enthousiasme. Même le fait de parler parfois des langues différentes n’a pas bloqué leur envie de communiquer. A les voir, on aurait dit qu’ils se connaissaient depuis fort longtemps. C’est donc dans la joie et la bonne humeur que les 140 participants de l’excursion ont rejoint Portalban sous un ciel ensoleillé. Ici, les responsables de la Joliette, qui ne manquent pas d’imagination, avaient préparé un pique-nique des grands jours. Ce fut un moment de grand partage, de joie et d’échanges fructueux qui a même donné lieu à une partie de foot.

A la fin de cette grande et inoubliable journée, on lisait un réel bonheur sur tous les visages. Requérants et lycéens étaient contents d’avoir passé ce moment ensemble. A en croire Monsieur Gérard Greice, l’un des organisateurs de l’événement, « l’objectif de la journée est atteint, car il y a eu beaucoup de contacts entre différentes personnes et les jeunes ont compris que tous les requérants ne sont pas des malfaiteurs, ce sont des humains comme vous et moi, qui rencontrent parfois des problèmes. D’ailleurs, la proportion des requérants responsables de méfaits tant décriés ne représente qu’une petite minorité ». Et son message aux Suisses est sans équivoque : « Ne vous laissez pas avoir par ceux qui vous disent que les requérants sont des délinquants, laissez parler votre cœur. »

Photo: Voix d'Exils

Photo: Voix d’Exils.

Après avoir écouté les requérants d’asile, « on regrette de ne pas nous rendre compte de la chance que nous avons d’être Suisses », souligne une jeune lycéenne. « On se rend compte que tous les requérants d’asile ne sont pas de dealers de drogues », enchaîne-t-elle. Quant à Alphonse, un requérant d’asile originaire du Congo Brazzaville, pour ce dernier, « ce moment d’échanges nous a permis de voir de près une autre face des Suisses, celle qui, par le dialogue ne se renferme pas sur elle-même, mais va à la rencontre et à la découverte de l’autre. Cela a  constitué pour moi une grande satisfaction et un sentiment de gratitude envers les organisateurs de cette journée. »

On l’aura compris, cette initiative a été saluée tant par les requérants d’asile que par les jeunes lycéens. Son objectif est noble, car elle nous rappelle que sans la connaissance mutuelle, les préjugés, la méfiance et l’incompréhension s’installent. Quoi donc de plus normal que de passer par la jeunesse pour répandre un message de paix, de partage avec des catégories de personnes que le destin a séparé de leurs patries. A chacun d’y jouer son rôle.

Angèle BAWUMUE NKONGOLO

Journaliste, rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




«Sans la communication, on est prisonnier de ses pensées»

Nazli Cogaltay, réalisatrice du documentaire "LAL"

Nazli Cogaltay, réalisatrice du documentaire « LAL »

D’origine kurde, Nazli Cogaltay ne parle pas un mot de français lorsqu’elle arrive en Suisse en 2010 pour y demander l’asile. Etrangère dans un pays inconnu, elle fait d’abord la douloureuse expérience de ne pas pouvoir communiquer avec sa société d’accueil, puis s’affranchit progressivement de son isolement grâce à ses efforts pour apprendre le français. S’inspirant de son vécu, elle décide alors de tourner un documentaire sur cette problématique. Intitulé « LAL » (muet en langue kurde) et tourné dans le canton de Vaud, son film donne la parole aux migrants et dévoile certaines difficultés qu’ils rencontrent. Interview de cette ancienne rédactrice de Voix d’Exils.

Voix d’Exils : Qu’est-ce qui vous a motivée à réaliser ce documentaire?

Nazli Cogaltay : A mon arrivée en Suisse, j’ai rencontré des difficultés à communiquer. Lors d’un entretien important, un malentendu concernant un mot mal interprété par mon interlocuteur m’a fait prendre conscience de l’importance de cette problématique de la communication. Par la suite, j’ai réfléchi et j’ai imaginé ce qu’endurent les personnes migrantes qui vivent en Suisse et qui n’arrivent pas à communiquer. C’est de là que ma motivation est née.

Pourquoi avez-vous choisi de vous exprimer à travers la vidéo ?

Pour des questions d’efficacité. La communication visuelle attire deux fois plus l’attention sur un fait ou un évènement qu’une émission radio. Et aussi, elle est plus crédible et permet de mieux atteindre mon public.

Pourquoi ce titre « LAL »  ( « Muet ») ?

Je suis d’origine kurde, et « LAL » en kurde signifie « muet ». J’ai donné ce nom à mon documentaire, parce que les migrants ne peuvent pas s’exprimer à cause de la barrière de la langue. Ils doivent apprendre à parler une langue étrangère et, en attendant de pouvoir le faire, ils sont « LAL ».

Pour vous, que signifie la communication?

La communication permet de libérer ses idées et ses sentiments. A travers ce documentaire, j’ai essayé de montrer que sans la communication on est prisonnier de ses pensées, pour la simple raison qu’on ne peut pas se faire comprendre et comprendre l’autre. Une migrante d’origine kurde vivant en Suisse depuis trois ans m’a dit : « Quand je n’arrive pas à communiquer je me sens en insécurité ». Parler la langue du pays permet de s’intégrer.

Quel message véhicule votre documentaire?

Tout d’abord, je convie en particulier la population d’accueil, et aussi tous les migrants à le regarder. A travers les interviews des uns et des autres, j’ai fait ressortir la volonté des migrants de s’intégrer malgré les difficultés rencontrées, notamment en matière de communication.

Où avez-vous tourné votre film?

Je l’ai tourné au Centre de formation de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants à Longemalle, au foyer EVAM de Crissier, à la cathédrale de Lausanne et devant le centre d’enregistrement de Vallorbe.

Comment avez-vous choisi les interviewés ?

Mon choix s’est porté sur les migrants non francophones comme les Érythréens, les Tibétains, les Kurdes et les Afghans. Chaque intervention est accompagnée d’une musique provenant de leur pays d’origine. J’ai aussi filmé des professeurs, un responsable pédagogique et un psychiatre qui s’investissent dans le processus d’intégration des migrants en les aidant à parler et à écrire en français. Je profite de l’occasion pour remercier tous ces intervenants qui ont chacun apporté leur contribution pour la réalisation de ce documentaire.

Financièrement, où avez-vous trouvé les fonds pour réaliser le tournage ?

J’ai réalisé ce documentaire avec les moyens du bord.

Où l’avez-vous déjà diffusé ?

Deux fois au Centre de formation de l’EVAM à Longemalle, à l’association RERS à Lausanne, à Mozaïk à Appartenances, au centre socioculturel lausannois Pôle Sud, au Centre social protestant et au Gymnase de Chamblandes.

Comment a réagi le public ?

Du côté des migrants, ils retrouvaient leur quotidien, soit leurs problèmes de communication et soulignèrent l’importance de pouvoir communiquer avec leur société d’accueil. Du côté des autochtones, c’était une révélation pour beaucoup d’entre eux. Une Suissesse m’a confié à la fin de la projection : «Je n’ai jamais imaginé que les migrants souffraient autant de ne pas pouvoir communiquer, et moi qui pensais qu’ils vivaient assez heureux. J’étais loin de la réalité, jusqu’à ce que je visionne ce documentaire !»

Y a-t-il d’autres projections prévues?

Bien sûr, j’ai prévu de nouvelles projections, mais les dates et les lieux seront communiqués ultérieurement.

En tant que réalisatrice de ce documentaire, êtes-vous satisfaite du résultat ?

Oui ! Je n’ai pas réalisé un documentaire professionnel, mais avec le peu que d’argent que j’avais à disposition, je peux dire que mon objectif est largement atteint. A chaque projection, j’ai partagé des émotions, de l’enthousiasme et du plaisir avec le public. J’ai récolté beaucoup de soutiens et d’encouragements. C’est très touchant de savoir que mon message a bien passé.

Ce tournage a-t-il fait évoluer votre regard sur la communication ?

Dans mon expérience personnelle, j’ai vu l’importance de la communication et un documentaire en est sorti. En réalisant ce documentaire, j’ai rencontré de nombreuses personnes, mon réseau s’est élargi grâce à la communication. J’ai aussi appris à mieux communiquer. Pour moi, c’est un outil indispensable. Quand j’interviewais des migrants, certains étaient ouverts et d’autres non, faute de pouvoir s’exprimer. Mais ils faisaient un effort pour se libérer des maux qui les rongent. J’ai alors vu l’impact que pouvait avoir la communication sur une personne qui parle et l’autre qui l’écoute.

Parlez-nous de vos projets ?

« LAL » est en fait la première partie d’un documentaire qui en compte trois autres que je vais prochainement finaliser.

Propos recueillis par :

El Sam

Journaliste à la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Pour visionner le film « LAL » de Nazli Cogaltay  cliquez ici




Recette. Le « fumbwa » ou « koko » : une spécialité d’Afrique centrale

Le "fumbwa" ou "koko". Photo: Voix d'Exils

Le « fumbwa » ou « koko ». Photo: Voix d’Exils

Consommée en Afrique centrale, cette plante est appelée fumbwa en République Démocratique du Congo (RDC) et koko en République du Congo (RC). A l’origine, le fumbwa était consommé seulement par les Bakongos, une ethnie vivant dans l’ouest de la RDC, la RC et l’Angola. Mais, au fil des temps, il s’est imposé et il est actuellement consommé par les autres ethnies de ces trois pays qui apprécient son goût délicieux et son apport nutritionnel. Il est disponible dans les magasins africains, antillais, indiens et turcs.

Recette du « fumbwa » ou « koko »

Pour 4 personnes

Temps de préparation: 1 heure

Ingrédients:

1 sachet de fumbwa ou koko de 100 grammes

250 g de pâte d’arachide

1 poisson fumé ou séché de 400 grammes

2 gros oignons

2 gousses d’ail

1 feuille de laurier

1 cube de bouillon de légumes

3 tomates

3 cuillères d’huile de palme

Sel, piment, ciboulette

Préparation :

Faire tremper le fumbwa dans beaucoup d’eau pendant une heure puis laver et égoutter. Faire cuire le poisson fumé ou séché pendant 15 minutes et le désosser. Mélanger les tomates, l’oignon, la ciboulette et l’ail. Mettre le tout dans une casserole et ajouter la pâte d’arachide et l’huile de palme. Faire cuire pendant une heure jusqu’à ce que le fumbwa soit tendre. N’oubliez pas de mélanger doucement et régulièrement pour éviter les grumeaux. 15 minutes avant la fin de la cuisson, ajouter le poisson fumé ou séché et le piment.

Le fumbwa est servi accompagné de semoule de manioc appelé foufou ou de semoule de blé dur ou encore de la chikwangue (pain de manioc roui et moulé dans une feuille de bananier)

P.K.

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




« C’est un fantasme de penser que les réfugiés climatiques vont venir en masse dans les pays du Nord »

Romain Felli, chercheur à l'Université de Lausanne

Romain Felli, chercheur à l’Université de Lausanne.

Une catégorie de réfugiés apparaît de plus en plus dans la presse et les discours politiques, bien qu’elle reste encore relativement méconnue du grand public. Il s’agit des « réfugiés climatiques », soit des personnes contraintes à migrer notamment pour des raisons en lien avec le changement climatique. Le chiffre de 200 millions de réfugiés climatiques à l’horizon 2050 est souvent avancé. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons interviewé Romain Felli, chercheur à l’Université de Lausanne et spécialiste des questions politiques environnementales.

Pouvez–vous nous parler de cette nouvelle catégorie des « réfugiés climatiques » ?

Il faut tout d’abord préciser que c’est une catégorie journalistique et politique, mais pas juridique. Les réfugiés politiques sont reconnus au niveau juridique, il y a des conventions internationales pour cela, tandis que les réfugiés climatiques ne le sont pas. Certaines personnes voudraient introduire une telle catégorie dans le champ du droit. En effet, le réchauffement climatique et les problèmes qui en découlent pousse certaines personnes à migrer. Une catégorie juridique permettrait ainsi de les protéger contre les problèmes environnementaux. Cependant, il est très délicat de prendre l’environnement comme cause unique de migration. C’est toujours une combinaison de facteurs sociaux, politiques, économiques et naturels qui pousse les personnes à migrer. Les réfugiés climatiques sont catégorisés ainsi parce qu’ils n’ont que très peu – voire pas – de ressources pour lutter contre le réchauffement climatique. Précisons que le même problème climatique dans un pays riche, un ouragan à New York par exemple, n’aura pas le même impact sur les populations que dans un pays pauvre, car les ressources pour y faire face ne sont elles pas identiques.

Vous avez écrit dans l’un de vos articles* que l’on est passé de l’appellation  « réfugiés climatiques » à celle de « migrants climatiques » dans de nombreux discours concernant ce sujet. Que signifie ce changement de dénomination ?

L’idée de réfugiés climatiques a été développée par des personnes qui voulaient souligner que des populations du Sud vont subir les changement climatiques essentiellement provoqués par les pays développés. Ces derniers portent la responsabilité des problèmes liés au réchauffement climatique, et seraient donc aussi responsables des migrations qu’ils induisent au Sud. Il y a dans le concept de réfugiés climatiques l’idée de justice internationale, entre les pays industrialisés et ceux en développement. Depuis une dizaine d’années, l’idée de migrants climatiques s’impose dans les discours. Cette conception vise à dire que la migration ne devrait pas être vue seulement comme une conséquence tragique du réchauffement climatique, mais comme une stratégie d’adaptation. Les personnes confrontées au changement climatique, décident de manière rationnelle de migrer pour s’adapter. Ainsi, la migration ne serait plus considérée comme un problème – celui d’accueillir des réfugiés – mais comme une solution, car les gens, de manière individuelle et rationnelle, s’adapteraient au changement climatique.

Ce qui revient à dire que l’on a moins, voire pas besoin, d’aider ces migrants ?

Effectivement, l’idée est que les gens sont capables de s’adapter par eux-mêmes. Donc l’État n’a pas vraiment besoin d’intervenir pour financer l’adaptation. Prenons un exemple: au Pays-Bas, des digues ont été construites pour gagner des terrains sur la mer. Faire cela sous-entend un système politique puissant, des moyens économiques importants etc. Dans la situation des migrants climatiques, l’État n’est plus censé intervenir pour construire des infrastructures de ce type-là. On va, au contraire, espérer et faire en sorte que les individus, de manière autonome et même entrepreneuriale, se déplacent et s’adaptent par eux-mêmes.

Les États prônent-ils généralement ce « laissez-faire » ou proposent-ils des politiques et des investissements pour faire face au changement climatique ?

Le problème est que nous avons des visions très différentes au niveau international, que ce soit avec les organisations internationales ou les pays. Les pays du Sud réclament le paiement de la dette climatique, à savoir que de leur point de vue, les pays industrialisés sont responsables de la pollution qu’ils génèrent depuis plusieurs décennies et continuent de l’être largement devant les autres. Mais les pays du Nord refusent de reconnaître cette dette climatique. Ils acceptent d’apporter un financement en tant qu’aide au développement et non comme compensation. De plus, la plupart de l’argent investi dans le financement de l’adaptation climatique est de l’argent déjà disponible, puisé dans des programmes de développement.

Quelle est la position d’une organisation internationale comme le Haut Commissariat aux Réfugiés (le HCR) face à cette problématique des réfugiés climatiques

Le HCR est sensible aux droits des réfugiés, et aussi aux réfugiés climatiques en tant que possible catégorie juridique. Toutefois, il y quelques années, il y a eu la crainte que la reconnaissance du statut de réfugié climatique affaiblisse davantage celui de réfugié politique qui est déjà très fragile. Il suffit de regarder la Suisse pour voir que la catégorie de réfugié est déjà politiquement problématique.

Les Maldives ainsi que d’autres endroits pourraient-ils disparaître dans un futur proche ?

Certains pays du Pacifique Sud, formés d’atolls, sont à quelques mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. Les prévisions d’élévation du niveau des mers dû au réchauffement climatique estiment la hausse à un mètre dans un siècle, soit en 2100. Il s’agit là des prévisions officielles. Certains parlent de plus et d’autres de moins. Cela veut dire que plusieurs pays aujourd’hui souverains risquent de disparaître s’il n’y a pas de constructions nouvelles ou d’adaptations techniques. La question qui se pose alors est qu’est-ce qui va ou peut se passer dans la situation où un pays souverain venait à disparaître. Cette question reste ouverte et n’est pas résolue en droit international. En même temps, on parle de petits Etats qui ne comptent pas au niveau international, que tout le monde peut ignorer au niveau des rapports de force, mais pas au niveau humain bien entendu. Ces Etats sont les plus actifs dans les négociations internationales concernant le changement climatique, parce qu’ils sont directement concernés, mais ils n’ont que très peu de moyens, et aucun pouvoir de nuisance. D’un point de vue réaliste, ces Etats ne comptent pas beaucoup.

Des organisations internationales articulent le chiffre de 200 millions le nombre de potentiels réfugiés climatiques. Qu’en pensez-vous ?

Cette estimation avait été avancée par Norman Myers à la fin des années quatre-vingt, et a joué un rôle important pour mettre en lumière la question. Mais sa méthodologie pose problème, car l’environnement n’est pas un facteur externe à l’économie ou à la politique. On ne peut pas dire qu’une personne migre pour des raisons économiques et une autre pour des raisons environnementales. C’est toujours lié comme je l’ai expliqué. Les habitants de New York et du Bangladesh auront beau être confrontés au même problème, leurs possibilités de réactions et d’adaptations seront très différentes. A cela s’ajoute que lorsqu’on fait des estimations globales, l’on regroupe des réalités très différentes et je suis personnellement sceptique à propos des estimations globales des réfugiés climatiques. Bien qu’on attire l’attention sur le problème, ce qui est en soi positif, on rassemble cependant des situations et des échelles géographiques différentes. Parce que lorsqu’on parle de 200 millions de migrants, on s’imagine une file d’autant de personnes qui viennent dans l’espoir de s’installer ailleurs. Mais, dans les faits, c’est chaque fois des situations particulières et régionales. D’un autre côté, on risque de se dire que c’est tellement énorme qu’on ne peut rien faire. Alors que si on recadre la question à une échelle régionale, le problème paraît plus accessible. Il faut donc regarder la géographie et les sociétés de près. Les problèmes vont s’aggraver à un niveau régional. Il ne faut pas voir le problème des réfugiés climatiques comme des gens du Bangladesh qui vont prendre un avion pour venir en Suisse. Le rayon d’action sera la région. Cela se passera principalement au sein d’un même pays, ou dans les pays limitrophes. Donc les problèmes vont se trouver dans les pays du Sud, des pays qui sont eux-mêmes les pays les plus vulnérables avec le moins de ressources. Il ne faut pas avoir en tête l’idée que des réfugiés climatiques vont venir en masse dans les pays du Nord, c’est un fantasme.

Les solutions devront-elles aussi être appliquées au niveau régional ?

Les solutions devront être largement régionales elles aussi. La question sera de savoir comment les pays du Nord, et la Suisse notamment, pourront aider les pays sur place pour faire face aux problèmes climatiques. Et je pense que l’adaptation dans les faits sera beaucoup plus compliquée qu’une migration massive. La question est de savoir quelle forme va prendre cette adaptation. Est-ce que ça sera une adaptation gérée, organisée et juste ? Ou est-ce que ça va être le laissez-faire et des populations vont se retrouver livrées à elle-même et confrontées à des situations très difficiles… ?

*Romain Felli (2012) :Managing Climate Insecurity by Ensuring Continuous Capital Accumulation : « Climate Refugees » and « Climate Migrants », New Political Economy. Pour lire l’article cliquez ici

Propos recueillis par Cédric Dépraz et Samir Moussa

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils