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Interprète communautaire : un pont entre le migrant et l’institution

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Besnik Baruti. Photo: la rédaction valaisanne.

Comment transformer son exil en une porte ouverte sur l’avenir pour d’autres requérants d’asile?

Voix d’Exils : M. Baruti, vous travaillez comme interprète communautaire dans le canton du Valais. Quel est le parcours personnel qui vous a amené à exercer cette profession ?

Besnik Baruti : A l’époque de la guerre d’ex-Yougoslavie, j’ai été fait prisonnier politique au Kosovo. En arrivant en Suisse, j’ai travaillé en tant que bénévole dans un home pour personnes âgées. Je les accompagnais lors de leurs loisirs, comme par exemple les promenades. Ayant travaillé dans les forces de l’ordre du Kosovo, je me suis dirigé vers un métier qui correspondait le plus à mon expérience. C’est pourquoi, par la suite, j’ai obtenu mon diplôme d’agent de sécurité. Après ça, j’ai débuté dans l’interprétariat.

Depuis combien de temps travaillez-vous comme interprète communautaire ?

Je suis interprète communautaire depuis 1998 et j’interviens plus fréquemment dans les domaines médical, social et scolaire. Parfois, je suis également mandaté par la police et les tribunaux dans diverses affaires. Cela m’est également arrivé d’intervenir en tant qu’interprète-médiateur pour la communauté kosovare lors de situations conflictuelles.

Quelles sont selon vous les qualités qu’un interprète communautaire doit avoir ?

Un interprète est une sorte de pont entre le migrant et l’institution. Ma vision de l’interprétariat est qu’il faut tout d’abord créer un schéma de confiance. Premièrement, entre le migrant et moi et, deuxièmement, tout mettre en œuvre pour en faire de même entre le migrant et l’institution.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans votre profession ?

Parfois, les requérants attendent beaucoup de moi. Ils n’arrivent pas à se mettre à l’esprit qu’un interprète ne peut en aucun cas être leur avocat, comme, par exemple, lors des demandes de transfert d’un foyer à un appartement individuel ; ou durant les procédures de renvoi quand la police intervient dans le foyer. Notre rôle est purement intermédiaire.

Quelles sont les satisfactions que vous retirez de cette activité ?

A la fin d’une réunion, quand tout le monde se lève et que l’on quitte la salle avec le sourire, je prends cela comme une grande compensation morale qui vient gratifier mon travail. Comme une sorte de récompense.

Quels sont les sentiments qui vous traversent lorsque vous traduisez pour des compatriotes requérants d’asile ?

Je me revois, 17 ans en arrière, assis à leur place. Au fond, je me calque sur eux et je les comprends davantage. Pour moi, ces réunions sont fréquemment une source de flash-backs qui me rappellent mon arrivée en Suisse, lorsque j’étais accompagné d’un interprète, tout comme eux.

Quels souvenirs marquants gardez-vous de votre activité d’interprète communautaire ?

J’ai accompagné plusieurs fois un migrant chez le médecin. Il était gravement malade. Après de nombreux examens, les médecins ont constaté qu’il était atteint d’un cancer et qu’il ne lui restait plus que 6 mois à vivre.

La tâche était difficile, car le médecin s’apprêtait à m’annoncer la nouvelle en français ; le migrant, lui qui est le principal intéressé et qui attendait son diagnostic avec impatience, ne comprenait pas les mots du médecin. La tension était forte et c’est en suivant ma réaction que le patient allait prendre connaissance de la gravité de sa maladie. Pour moi, qui suis le lien entre les médecins et le patient, c’était très difficile de ne pas extérioriser mes émotions à ce moment-là. Il m’a fallu garder mon calme et mon sang froid pour trouver les mots afin d’annoncer la nouvelle de la manière la plus délicate possible. Après la réunion, j’ai vraiment eu besoin de temps pour retrouver ma quiétude car c’était un « épisode » vraiment très compliqué et fort en émotion.

Durant une réunion des parents d’élèves, je devais faire des traductions pour une mère et son enfant. La maîtresse d’école annonce les mauvais résultats d’une fille à sa mère. La mère, surprise, questionne l’enseignante sur cette annonce tardive. La maîtresse répond qu’elle avait envoyé un avis informatif à la maison indiquant que les notes de sa fille étaient en baisse. De plus, cet avis avait été retourné signé de la main de la mère. L’enseignante montre le papier à la mère. Celle-ci répond : « Mais ce n’est pas un avis concernant les mauvaises notes de ma fille… Je me souviens bien de cette feuille. C’est une demande pour une promenade d’école ça ! ».

Dans ce métier, ce n’est pas toujours facile. Pour preuve, je suis marié avec une Kosovarde, elle parle la même langue que moi, mais il me faut quand même un interprète pour la comprendre !

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils



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