1

Route de l’exil : le calvaire des femmes*

« Sur terre ou sur mer, la souffrance muette des femmes seules… » Photographies prises à Lampedusa en octobre 2011 par Jacqueline Allouch

Exténués, affamés, assoiffés, ils viennent se cogner aux portes de l’Europe. Hommes venant d’Afrique du Nord ou subsaharienne, en quête d’une vie meilleure ou d’une protection, ils se retrouvent sous les projecteurs. Dans leur ombre, des femmes, toujours plus de femmes depuis une vingtaine d’années.

Mais sur ces visages de femmes, qui cherchera à lire la souffrance et l’humiliation ? Qui, de leurs bouches, prendra la peine de recueillir les mots ? Long est le voyage dans le désert ou sur la mer, dans les camions ou les embarcations. Ce qu’elles ont enduré en chemin de la part de passeurs, de militaires, de policiers et même de leurs frères d’infortune restera tu.

Smaïn Laacher lève le voile sur ce déni d’humanité**. Sur la route de l’exil, des femmes subissent viols, exploitation, rapts et tortures sexuelles. Seules ou avec enfants, « elles n’appartiennent plus à personne et deviennent la propriété de tous ». Pourtant, lorsque l’on interroge celles et ceux qui arrivent, ce sont les hommes qui répondent. Aucune place pour le récit des femmes. A la merci des autres, elles-mêmes se rendent invisibles.

Le sociologue souligne combien ce phénomène s’inscrit dans « un continuum d’expériences et d’épreuves. La peine succède à la peine et la douleur à la douleur ». Selon lui, « sans contestation possible,  dans les pays africains, les femmes sont soumises à l’autorité des hommes, de la religion et de l’Etat. Le mépris masculin est institutionnalisé. Les hommes se servent en femmes sans visage, sans identité attestée ». Et pas de main secourable. « Le violeur, c’est le plus fort. Même si tu lui proposes de l’argent. Ton argent ne change rien ».

On imagine les conséquences psychologiques et sociales de ces violences et de cet enfermement dans le silence : honte, haine de soi, peur des représailles ou du bannissement de la communauté, elles se sentent comme marquées au fer rouge, souillées et inutiles. Mais « le dire à qui ? En parler fait trop mal, j’ai trop honte. Qui va vouloir de moi ? »

Ainsi se perpétue, dans le pays de transit ou d’accueil, la perte de confiance en l’autre et en l’autorité qui ne représente pas le droit et l’ordre, mais la violence et l’arbitraire. Par les temps qui courent, qui se souciera de ces êtres sans visage qui ne sont que des statistiques embarrassantes ?

Jacqueline ALLOUCH

journaliste et enseignante

*Article paru en novembre 2011 dans  le N° 67 du magazine « AMNESTY » de la section suisse romande d’Amnesty International.

**Laacher, Smaïn, « De la violence à la persécution, femmes sur la route de l’exil », La Dispute, Paris, 2010, 172 p.