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« Dans l’attente du vol spécial, l’angoisse est perpétuelle »

Pitchou Kitima Maliya Mungu. Photo Niangu Nginamau

Requérant d’asile débouté, Pitchou Kitima Maliya Mungu a passé quatre mois dans le centre genevois de détention de Frambois. On peut le voir dans le documentaire « Vol spécial », du cinéaste romand Fernand Melgar, sorti en salles le 21 septembre dernier. Aujourd’hui libre, Pitchou Kitima Maliya Mungu nous raconte le quotidien d’un condamné à l’expulsion.

Voix d’Exils : D’où venez-vous?

Pitchou Kitima Maliya Mungu : Je viens de la République Démocratique du Congo. Je suis né à Kinshasa, la capitale, le 9 mai 1975. Je suis en Suisse depuis 13 ans.

Pourquoi avez-vous été conduit au centre de détention de Frambois ?

J’ai été amené à Frambois parce que j’ai été débouté en 2008. Je me suis donc retrouvé « sans papiers » lorsque la loi sur les étrangers est entrée en vigueur. C’est arrivé un mois et demi après la naissance de mon fils. J’avais alors commencé les démarches pour le reconnaître, mais j’avais échoué par manque de documents. La suite de la reconnaissance a été effectuée durant mon incarcération.

Racontez-nous votre quotidien à Frambois.

J’y suis resté d’octobre 2009 à mars 2010, soit quatre mois et demi. Le matin à 8 heures, c’était l’ouverture des cellules et à 9 heures on prenait le petit déjeuner. A 9h30, c’était l’ouverture de l’atelier d’occupation pour ceux qui travaillent. A 11h45, nous commencions à préparer le repas de midi après avoir été à la cantine pour chercher les denrées alimentaires où on nous proposait de la nourriture à la carte. Nous avions une promenade de deux heures durant l’après midi.

Quel était votre état d’esprit ?

C’était la première fois que j’étais emprisonné. J’étais déprimé, j’avais des compatriotes avec lesquels je partageais ma peine. Frambois n’est pas une prison comme une autre, on y vit dans l’attente du départ, l’angoisse est perpétuelle.

Comment avez-vous vécu la peur d’être expulsé ?

On vivait dans la peur du vol spécial, justement. C’était une grâce de se retrouver durant la journée avec les amis. On regardait si tout le monde était là ou s’il manquait quelqu’un. A chaque jour suffisait sa peine…

Qu’est-ce qui a finalement annulé votre renvoi?

Mon vol spécial était prévu pour le mercredi 3 mars 2010 et j’ai été libéré la veille. Pour vous dire franchement, je ne sais pas ce qui s’est passé au niveau de l’Office fédéral des migrations (ODM) qui m’a accordé cette libération. Etant chrétien croyant, je pense que c’est Dieu qui a empêché mon renvoi. En Suisse, j’ai travaillé, payé mes impôts, mon casier judiciaire est vierge et j’ai un enfant qui vit ici. Cette paternité a pesé lourd dans ma libération. Des démarches ont été entreprises par la Ligue des droits de l’homme de Genève, la Coordination asile Vaud, le collectif Droit de rester. J’ai aussi eu le soutien de la communauté congolaise du canton de Vaud et de mes amis journalistes du quotidien Le Courrier.

Quelle est votre situation actuellement ?

Depuis ma sortie, ma situation a changé : j’ai obtenu un permis F, qui est un permis d’admission provisoire, et j’ai le droit de travailler. En ce moment, je suis une formation d’auxiliaire de santé qui va déboucher certainement sur un emploi. Je vis avec ma famille à Aigle.

Comment avez-vous rencontré Fernand Melgar ?

Je l’ai rencontré pendant mon séjour à Frambois. Il est venu nous exposer sa démarche par rapport au documentaire qu’il voulait réaliser pour montrer à la population suisse la réalité de l’application de certaines lois, en particulier l’expulsion des requérants sans papiers.

Pourquoi Melgar vous a-t-il choisi ?

Il ne m’a pas choisi, c’est par hasard qu’il s’est intéressé à moi. Nous nous sommes croisés un jour lors de sa visite quotidienne et je lui ai expliqué mes problèmes par rapport à mon incarcération. Au début, j’étais méfiant. Ce n’est qu’après quelques jours, lorsqu’il a expliqué à tout le monde son projet, que j’ai commencé à le trouver intéressant et que j’ai voulu pouvoir m’exprimer dans son documentaire.

Quel rôle jouez-vous dans le film ?

Je ne joue pas de rôle. C’est la réalité de notre quotidien tel que nous le vivons à Frambois qui est filmé.

Comment s’est passé le tournage ?

Il y a eu environ trois ou quatre mois de tournage. Fernand venait nous voir tous les jours avec son équipe. Nous jouions au football ou aux cartes et il passait tout son temps avec nous. Il s’est vraiment mis dans notre peau pour vivre notre réalité au quotidien. Pour moi Fernand, c’est quelqu’un de bien, d’humain.

Quel à été l’impact du film sur votre vie ?

Le film a été tourné pendant mon séjour à Frambois. A ma sortie, le tournage a continué. Puis j’ai découvert le film au Festival de Locarno. Pour moi, c’était l’émotion totale, il fallait voir l’enthousiasme que ce film a suscité. Personnellement, je dis merci à Fernand d’avoir réalisé ce documentaire, merci de m’avoir ouvert l’esprit pour voir la vie dans une autre dimension et toujours garder l’espoir.

Selon vous quel impact aura ce film?

Je pense qu’il va permettre à la population suisse de découvrir la réalité du renvoi des immigrés.

Avez-vous lu la réaction du producteur portugais Paolo Branco, qui considère « Vol Spécial » comme un film obscène et fasciste… ?

Nous sommes dans un pays démocratique, chacun a le droit d’avoir son opinion et de l’exprimer. Moi ce qui m’intéresse c’est la réalité vécue. Les gens peuvent critiquer le film ou la personne, peu importe… Mais eux, qu’est-ce qu’ils proposent ?

Quels sont vos projets?

Mon souhait serait d’être autonome financièrement et de mener ma vie comme il se doit.

Qu’est ce que ça vous fait que tout le monde connaisse votre situation, alors qu’avant le film vous étiez tout seul avec votre problème?

Ça m’a fait du bien de partager le monde de la prison avec d’autres personnes. C’est grâce au soutien des autres qu’on peut se ressourcer et garder le moral. Je profite de l’occasion pour remercier le bon Dieu de m’avoir donné la chance d’être un homme libre. Je remercie toutes les organisations humanitaires qui m’ont soutenu durant mon incarcération à Frambois. Je remercie Mme Graziella De Coulon du Collectif Droit de rester, Madame Geneviève du Service de Protection des mineurs de Genève, Monsieur Michael Rodriguez, journaliste au Courrier, et toute l’équipe du Service d’aide juridique aux exilés, la communauté de la République Démocratique du Congo du canton de Vaud, Mme Burnier de l’état civil de Vevey qui m’a donné l’opportunité de reconnaître mon fils. Merci aussi à toute l’équipe de « Vol spécial ». Le combat n’est pas fini, je reste positif. Mais les gens qui votent les lois dans leur salon ne se rendent pas toujours compte de leurs conséquences sur des êtres humains.

Le cinéma lausannois Capitole a présenté, le 15 septembre dernier, l’avant première de « Vol Spécial », un vrai succès…

La salle du Capitole était archicomble ! Pourtant, le sujet du film n’est pas facile puisque le réalisateur montre la vie carcérale des migrants déboutés, ce qui est le résultat de l’application de la loi votée par le peuple suisse en 2008. Ces requérants, qui sont parfois séparés de leur famille, ressentent de la colère, de la tristesse, de l’amertume et ne comprennent pas cette loi. Quand on voit les « pensionnaires » – comme on les appelle – renvoyés, mains liées, parfois le visage cagoulé, on se croirait au Moyen Âge… Mais j’aimerais terminer sur une note positive et rappeler que l’espoir fait vivre !

Propos recueillis par :

Niangu NGINAMAU

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils