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Des requérants d’asile expérimentent l’art participatif (2/2)

Sur le comptoir du bar à absinthe de gauche a droite: Donatella, Marie-louise, Hadrien, David, Valentin et Beat

Dans le cadre de Bex & Arts 2011, une exposition époustouflante sur le thème des territoires s’est tenue du 27 juin au 2 juillet dans le grand parc Szilassy. Sous la férule de trois artistes suisses, une dizaine de requérants d’asile venus du foyer de Bex ont créé, en une semaine, des installations originales à partir de matériaux récupérés.

Episode 2/2

Beat Lippert, Donatella Bernardi et Hadrien Dussoix, les trois artistes à l’origine de ce grand workshop, ont invité le blog Voix d’Exils à visiter l’exposition. Ce vendredi 1 juillet, nous la parcourons en compagnie de Marie-Louise Eshiki et Valentin Odera Nkemneme, deux requérants qui ont participé à cette magnifique expérience.

Le recours à des requérants d’asile pour une expérience artistique nous a fortement interpellés et nous voulions connaître l’avis de Beat Lippert. « Avec Donatella, on a expérimenté et développé le concept du workshop participatif en 2007 à Netuno en Italie, précise l’artiste. On l’a appelé « Siamo tutti beati », soit « Nous sommes tous bienheureux ». L’idée était de travailler avec les artistes du lieu et sans budget, car le low-coast est l’une des contraintes de nos workshops. Pour Bex Art 2011, nous avons proposé le même concept aux résidents de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants de Bex. » Martine Gerber, assistante sociale à l’EVAM, et David Burnier, civiliste, éducateur de formation, ainsi que Anne Hildebrandt, étudiante en art et bénévole auprès de Bex & Arts ont également participé à cette expérience inédite.

L’arbre de la vérité imaginé par les requérants

Intitulée L’arbre de la vérité, la première œuvre qui nous est présentée est un pommier. Un long serpent, sorte de saucisson géant fabriqué avec du fil électrique, a été posé sur ses branchages déjà chargés de fruits. Des panneaux en sagex, sur lesquels sont inscrites des phrases poétiques et symboliques, pendent le long des branches. « Nous sommes dans le jardin du Paradis, explique Marie-Louise. On voit le serpent de la Bible qui a trompé Eve. Il lui a demandé de manger la pomme, le fruit interdit de la connaissance du bien et du mal. Pour fabriquer ce serpent, on a ramené plusieurs mètres de câbles électriques qu’on est allés chercher à la déchetterie de Bex.». Donatella confirme : « On n’a rien acheté en fait… Il y avait une montagne de câbles et tant d’autres choses dans cette déchetterie, c’était la caverne d’Ali Baba ! ».

« L’arbre de la vérité », une oeuvre collective

Les panneaux accrochés au pommier sont aussi l’œuvre des requérants, comme le relève Marie-Louise : « On a exprimé toutes les pensées qui nous passaient par la tête. Ensuite on les a écrites sur des panneaux qu’on a accrochés au bout d’un fil sur les branches. Donc ce que vous voyez écrit, c’est nos pensées ». «La nature nous attire parce qu’elle nous procure de l’eau de source », lit-on sur un panneau signé par Marie Louise. « The sky is very high and donkeys cannot fly » (« Le ciel est très haut et les ânes ne peuvent pas voler »), lit-on sur un autre panneau signé Valentin Odera Nkemneme.

Les requérants d’asile ont également peints des motifs décoratifs sur le tapis fabriqué à partir de plaques de cartons récupérées à la déchetterie. « On était assis sur le tapis, à l’ombre du pommier, pour faire tous les travaux. On a eu beaucoup de plaisir à passer toute la semaine à travailler ici au lieu de rester sans rien faire», souligne Marie-Louise.

Un tapis fabriqué à partir de la récupération de déchets

Des œuvres d’artistes confirmés

Poursuivant notre balade dans le parc, nous voyons Sea Level (Niveau de la mer) une installation composée d’une trentaine de piquets de fer hauts d’un mètre et munis de petits haut-parleurs – des plaques rondes en cuivre de 2 mm d’épaisseur et de 5 cm de diamètre environ. Les piquets sont reliés les uns aux autres par des fils. Sea Level, œuvre de Rudy Decelière, ingénieur du son et compositeur sonore, vibre d’une musique répétitive qui caresse les oreilles des visiteurs et s’accorde parfaitement avec les bruits de l’environnement.

« Sea Level ». Auteur: Rudy Decelière

Plus loin, nous découvrons Duplication 6, une oeuvre qui présente la copie conforme des six tombes de la dynastie Hope-de Szilassy, anciennement propriétaire du parc. Ces duplicatas sont placés à coté des originaux, mais hors du périmètre fermé du cimetière familial. Ce dédoublement, qui est l’œuvre de Beat Lippert, souligne l’importance des tombes qui pérennisent les maîtres des lieux. Ces derniers, bien que morts et enterrés, affirment leur présence en continuant de marquer leur territoire.

Duplication 6. Auteur:  Beat Lippert

Ensuite, nous apercevons un drôle debar renversé sur le côté. Symboliquement, ce Twisted stripclub gives shelter from rain (Club de strip retourné protègeant de la pluie), de l’artiste David Renggli, décrit la position inconfortable des migrants qui sont dépourvus d’enracinement au sol. Les requérants ont été autorisés à mettre leur grain de sel en installant sur le bar des chaises et quelques objets. Ce bar, peu conventionnel, a d’ailleurs servi lors de la présentation du workshop aux visiteurs.

« Bar à absinthe ». Auteur: David Renggli

Pour finir notre visite, nous admirons la Casa of happiness (Maison du bonheur) de Meike Dölp et Isabelle Krieg qui se présente sous la forme d’une serre investie par les dessins des requérants qui ont copié les motifs décoratifs du tapis posé sous le pommier.

« Casa of hapiness ». Auteurs: Meike Dölp & Isabelle Krieg

En quittant ce parc magnifique, nous sommes touchés par l’effort déployé par les requérants d’asile dans cette pratique participative et engagée, ce qui démontre leur volonté de s’intégrer dans la société. Leurs mots déposés sur le pommier, qui sont des expressions de leur vie quotidienne et de leur créativité, ne nous laissent pas insensibles et nous ne pouvons que demander à ce que ce genre d’expérience puisse être renouvelée !

Niangu NGINAMAU

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils