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« Je passe mon temps à manger pour dominer mes problèmes »

Photo: Hubert YIGO

Pour combattre les clichés du requérant d’asile paresseux, Alex*, requérant débouté de 38 ans, a accepté de lever le voile sur son quotidien de requérant d’asile condamné bien malgré lui à l’inactivité. Interview d’un homme dans la force de l’âge qui ne demande qu’une chose : pouvoir travailler !



 

Voix d’Exils: Bonjour, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?

Alex : J’ai 38 ans, je suis marié et père de 4 enfants, je viens d’Afrique de l’Ouest et je suis débouté. J’étais technicien en bâtiment dans mon pays d’origine. Ma femme et mes quatre enfants sont restés au pays. Je vis en Suisse depuis une année et demie au foyer de Crissier, près de Lausanne, où nous sommes plus de 300 migrants.

A quelles heure vous réveillez-vous d’habitude?

Dans mon pays, je me levais entre 5h00 et 5h30, mais maintenant il m’arrive de me lever à 10h00 ou à 11h00. Ça dépend des jours, de mon humeur… A quoi bon me lever plus tôt puisque, à part chercher mon courrier, je n’ai rien à faire ? En tant que débouté je n’ai pas le droit de chercher du travail.

A quoi ressemble votre habitation ?

Nous sommes deux dans une chambre qui ressemble à celle des autres requérants sauf qu’elle est parfois en désordre. Pour moi, il faut être cool dans sa tête pour pouvoir mettre de l’ordre dans sa chambre ou dans sa vie.

Quel est votre budget quotidien pour la nourriture, les vêtements, les loisirs ?

En tant que débouté, je reçois 9 francs par jour. Je peux oublier les loisirs et les vêtements décents… Je n’ai jamais eu la chance ou le privilège d’aller manger dans un McDonald’s… C’est au-dessus de mes moyens.

Avec qui avez-vous des échanges pendant la journée ?

Mes seuls interlocuteurs sont les migrants qui restent au foyer. D’autres sont inscrits dans des Programmes d’occupation et d’autres encore vont faire leur « business ». On commence par des causeries qui encouragent mais on finit toujours déprimés et même avec des plans de suicide que je n’encourage pas, contrairement aux autres.

Quelles sont les conséquences de l’inactivité sur votre vie?

Voyez mon «œuf colonial » ! Je vous parle de mon ventre qui pousse chaque nuit. Pas par insouciance mais parce que je passe mon temps à manger pour dominer mes problèmes. C’est ce que m’a dit l’infirmière dernièrement. Pourtant, j’aime le sport, mais j’ai ni les vêtements ni les chaussures appropriés… L’inactivité peut aussi conduire à la révolte et à des comportements dépressifs. Les nuits sans sommeil, les troubles de la mémoire et les maux de tête sont mes compagnes.

Avez-vous entrepris des démarches pour trouver du travail avant d’être débouté?

J’ai démarché dans les magasins, les usines, les entrepôts, les sociétés, les restaurants et j’y ai déposé mon CV Sans parler des annonces sur anibis.ch, job.ch, le site du canton de Vaud, Manpower, les appels téléphoniques aux viticulteurs et aux jardiniers pour ne citer que ceux-là. Sans résultat, rien absolument rien.

Si la Suisse vous refusait l’asile, que feriez-vous pour répondre à la nécessité de travailler ?

Je demanderais que la Suisse m’envoie dans un autre pays mais pas dans mon pays d’origine où je risque ma vie. Ou alors je chercherais un travail au noir afin de partir vers le Canada ou les USA. Si ces mesures échouaient, je deviendrais ce que la Suisse veut que je sois : un nouveau commercial de la multinationale « Deal » dont le CV et la lettre de motivation s’appelleraient respectivement déception et contrainte. Je ne tomberais pas d’un immeuble ni ne me suiciderais pour prouver la légitimité de ma demande d’asile ou bien pour faire plaisir à qui que ce soit. Advienne que pourra !

Qu’est-ce qui est le plus difficile au quotidien dans votre vie actuelle ?

D’abord l’attente interminable d’une réponse au recours que j’ai déposé à l’encontre de mon statut de débouté. Ensuite ma situation d’improductivité qui est le symbole d’une non affirmation, de l’ennui et de la pauvreté pour ne citer que cela.

Malgré la dureté de ma situation actuelle, malgré les nuits blanches, les interrogations sans réponse, l’humiliation, les regrets, la précarité, l’oisiveté, la carence émotionnelle, jamais je ne me suis drogué ni saoulé la gueule. Je reste un homme qui cherche toujours les solutions appropriées.

Que pensez-vous de l’intégration en Suisse ?

Je pense que je serai intégré quand la société suisse me permettra d’entrer dans le système de participation socio-économique et culturel au lieu de me garder dans les marges pendant une durée indéterminée en attendant de statuer sur mon sort. Pour le dire clairement : l’intégration c’est le travail !

Cette interview est le premier article d’un dossier consacré au thème de l’inactivité et ses conséquences sur la vie des requérants d’asile.

Propos recueillis par :

Hubert YIGO

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

* Prénom d’emprunt.