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« Ne sommes-nous pas tous en train de devenir des exilés ? »

La Prof. M-C. Caloz-Tschopp. Photo: CDM

Directrice de programme au Collège international de philosophie de Paris (CIPh), la Prof. Marie-Claire Caloz-Tschopp dresse le bilan du cours-séminaire qui s’est tenu à Genève, du 17 février au 18 mai dernier, sur le thème « repenser l’exil » qui a réunit de nombreux intervenants qui provenaient d’horizons différents. A l’occasion de la journée mondiale du réfugié, Voix d’Exils se propose de recueillir ses conclusions, afin de questionner la condition d’exilé.

Voix d’Exils : Pourquoi « repenser » l’exil ?

Prof. M-C. Caloz-Tschopp : Je constate avec préoccupation, depuis les années 1980, que le thème des étrangers est devenu un thème électoraliste dans beaucoup de pays d’Europe. En Suisse, il est systématiquement utilisé par l’Union démocratique du centre (UDC) et aussi par d’autres forces politiques pour criminaliser les étrangers en vue de glaner les suffrages des électeurs. La globalisation du capitalisme produit des exilés au sens classique, mais dans la mesure où la tendance gagne du terrain, on peut se poser la question si en fin de compte nous ne serions pas tous en train de devenir des exilés ? Je me demande aussi pourquoi on assimile toujours l’exil au statut d’étranger. On peut vivre en exil dans son propre pays. Il y a d’autres catégories de populations qui ont vécu et qui vivent en exil. Depuis le début du 19ème siècle avec la constitution des Etats-nations, une telle pratique a entraîné la xénophobie qui s’est transformée en racisme d’Etat dans l’Union européenne et en Suisse. La xénophobie transformée en racisme induit dans la tête des citoyens une distinction entre les nationaux et les étrangers et leur racialisation en considérant qu’il y a finalement deux sortes d’humains : les humains à part entière et les autres, qui auraient une différence de « nature », alors qu’il n’y a qu’un genre humain auquel nous appartenons tous.

On constate également un isolement, une fragmentation des mouvements sociaux, un recul, une attaque des possibilités de l’expérience de la pensée et de la philosophie pour tous. Le programme vise à s’attaquer à ces deux problèmes. On constate aussi un recul des principes politiques fondamentaux en Suisse et en Europe. L’hospitalité, par exemple, l’UDC n’en parle jamais. Elle est pourtant à la base d’une politique de la paix comme l’a montré le philosophe Kant. Le silence à son propos dans une société montre que la guerre gagne du terrain. La richesse sociale, la plus précieuse, c’est l’échange basé sur l’hospitalité, dont il faut discuter et débattre des conditions. Malheureusement, des politiciens voient les choses autrement. Ils pratiquent une culture de guerre où il y a des amis et des ennemis et non pas des égaux ou des adversaires quand on est en conflit. Est-ce ce que nous en voulons? C’est au regard de ces constatations que j’ai jugé important d’engager, par le biais du cours-séminaire 2011 du CIPh à l’Université Ouvrière de Genève (UOG), une première étape de réflexion philosophique sur le thème « repenser l’exil ».

De quoi a-t-il été question lors du premier cours-séminaire 2011 de Genève?

Durant les sept séances du cours-séminaire, une trentaine de personnes sont intervenues pour partager leurs compétences, recherches et expériences. Impossible de les nommer toutes, mais le programme, accessible sur le site du CIPh*, en fait état.

Nous avons commencé par déconstruire l’exil à partir de deux interrogations. La première est d’interroger le fait que l’exil serait une fatalité, un destin et que les exilés seraient alors forcément les victimes de « catastrophes » qui les placent dans une position d’impuissance fataliste et de victime humanitaire. Philosophiquement, une telle manière d’aborder l’exil qui est une expérience complexe, riche, ambivalente, faite de souffrances et de joies, de contraintes et de libérations, nous empêche de penser à la liberté, à l’autonomie, à la solidarité et à l’émancipation. La philosophe d’ex-Yougoslavie Rada Ivekovic a parlé de l’universalité, de la complexité et de la richesse de l’expérience de l’exil. Le sociologue Claudio Bolzman a montré toute la complexité de l’exil. L’ex-prisonnier politique Murad Akincilar a dit pourquoi il refusait l’exil et se battait pour une citoyenneté alternative.  La réfugiée iranienne, Anahid Pasha Khani, a montré comment elle vivait l’exil en défendant le droit du travail dans un syndicat ici en Suisse. Le réfugié colombien German Osorio a montré que l’exil est une lutte constante et qu’il faut mûrir son expérience et la partager pour construire la solidarité.

La deuxième interrogation se rapportait à l’assimilation de l’exil au statut d’étranger. A chaque fois que j’ai parlé du programme de « repenser l’exil », on m’a parlé d’émigration. L’avocat Christophe Tafelmacher a montré qu’en Suisse, l’exil ne se rapporte pas qu’aux étrangers ; car dès le 19e siècle, des errants, des artistes et des pauvres étaient aussi bannis de la société. Emile Ouedraogo et Giselle Toledo, assistants à l’Université de Genève, ont montré que dans le cas des fameux NEM (Personnes frappées de non-entrée en matière), un outil d’exception a été fabriqué. Il ne concerne pas que les étrangers. Au fond, le savoir et les normes sont en train d’être transformés. Il y a une attaque du cadre politique et des droits.

En quoi le régime des NEM serait-il anticonstitutionnel selon vous?

Des expertises juridiques l’ont montré. Notons globalement que les droits fondamentaux de l’homme sont soumis aux droits constitutionnels. Il y a violation des droits fondamentaux quand des mesures installent des catégories de personnes dans une classe de sous-hommes. C’est ce à quoi on assiste avec le régime des NEM. On court le risque de voir s’étendre un tel régime à d’autres catégories de populations. Des exemples de l’histoire renforcent nos interrogations. Le régime nazi et le régime d’apartheid se sont illustrés par une telle philosophie raciste du droit et de la politique. Ces régimes ont commencé par attaquer des catégories de populations fragilisées, et après ils ont généralisé leur système.

Vous prônez donc de repenser la politique, les droits, le savoir pour repenser l’exil ? 

« L’exil c’est la nudité du droit », écrit Victor Hugo. Repenser l’exil passe inévitablement par un retour réflexif critique sur ce qu’est un cadre constitutionnel, ce que sont les droits, la transformation de l’Etat et du contrat du « vivre ensemble ». La juriste du Service d’aide juridique aux exilés (SAJE), Chloé Bregnard, a rappelé les bases du droit constitutionnel. Dans la séance intitulée « exil, transformation de l’Etat et des droits », avec les syndicalistes et professionnels Jamsihid Pourampir, Philippe Sauvin, Jocelyne Haller, Patrick Taran, Gabriella Amarelle et André Castella, nous avons pu analyser des cas concrets comme la politique d’intégration, les travailleurs agricoles, le personnel du service public, ou encore les inclassables du marché du travail. Autant d’exilés de la société contemporaine. Il y a eu un exposé très important du philosophe André Tosel, qui a montré que le savoir en exil ne se produisait pas seulement dans les universités mais aussi en prison. En se basant sur les textes du théoricien politique Antonio Gramsci, il a montré que lorsqu’on est mis dans un système de répression, on a vraiment besoin du « savoir moléculaire », qui n’est autre que la connaissance que l’on produit en étant en rapport avec d’autres, pour résister et éviter d’être envahi par la solitude. D’autres intervenants : Valeria Wagner, Jose Lillo, Omar Odermatt, Libero Zuppiroli, Diane Gillard, Nilima Changkakoti, Betty Goguikian, Aristide Pedraza, Marianne Ebel, Jean-Claude Métraux ont interrogé divers lieux et domaines de savoirs (l’université, l’internet, le théâtre, les sciences sociales et humaines, les pratiques professionnelles, le mouvement révolutionnaire etc.) pour évaluer quelles représentations y étaient présentes en rapport avec les deux interrogations de départ.

Envisagez-vous de soumettre les conclusions de vos réflexions aux autorités politiques ?

Le but du programme, qui est basé à Genève mais qui est itinérant, est la réflexion critique et la création dans le processus du programme qui s’étend sur six années. Nous sommes en train d’inventer une approche de philosophie partagée qui voudrait forger des citoyens mentalement forts, dotés d’énergie, d’intelligence et même de ruse et d’humour. Nous attendons que ces derniers soient capables de développer leur autonomie, d’utiliser leurs qualités pour transformer l’imaginaire, l’Etat et la société.

Prônez-vous donc, à l’occasion de la journée mondiale du réfugié, un changement philosophique de l’individu ?

Si vous voulez, oui ! Faire de la philosophie, c’est s’interroger sur ses propres schémas mentaux qui nous empêchent d’être curieux, de regarder d’une autre façon le monde dans lequel on vit et d’être optimiste. Le système actuel de globalisation attaque nos corps et notre pensée. Il est impérieux de nous réapproprier la richesse et la puissance liés à l’exercice de la liberté et de l’autonomie en nous réappropriant la philosophie. Certes, elle n’apporte pas de recette miracle, mais elle appelle l’individu à mettre constamment sa pensée en mouvement pour construire inlassablement la justice, la liberté et l’égalité. Dans ce sens, une personne engagée dans une réflexion philosophique, comme celle du cours-séminaire sur l’exil, a plus de chances de résister au rouleau compresseur dans lequel tente de nous embourber le système actuel.

Quel bilan dressez-vous de la première phase du cours séminaire ?

Au début, je m’attendais à avoir moins d’une trentaine de participants, mais finalement 150 personnes se sont inscrites. Et plus de 40 institutions, ONG, etc. appuient le programme en Suisse et ailleurs. Le public a été riche, hétérogène en expériences, en compétences, en origines, en âge, en sexe etc… et j’ai trouvé cela extrêmement intéressant. Je me suis demandée pourquoi autant de gens venaient au cours-séminaire. Il y a eu beaucoup de réactions positives de la part du public. Lors du cours concernant le savoir, des réfugiés africains dans le public ont déploré le fait que lorsqu’ils arrivent en Europe, en Suisse, leurs savoirs ne sont pas reconnus alors que leur formation est inspirée du modèle occidental. Des femmes ont aussi souligné que les connaissances des femmes migrantes sont sous-utilisées. Il y aurait encore beaucoup à raconter sur les débats animés.

Pensez-vous que le cours-séminaire 2011 de Genève soit suffisant pour « repenser l’exil » ?

Absolument pas ! Pour atteindre sa mission, le programme s’étale sur six ans : de 2010 à 2016. D’ici à la fin de l’été, nous allons lancer un site internet qui recensera tous les exposés des intervenants et les matériaux du programme. Au mois de novembre, il y aura une première synthèse du cours-séminaire 2011 qui se déroulera à Genève. Puis nous mettrons le cap sur l’Argentine en mai 2012, puis ensuite le projet est d’aller en Turquie avant de revenir de nouveau à Genève. J’ai parlé d’une durée de six ans pour que nous puissions apprendre à penser dans la durée d’un projet. La culture du zapping et la précarisation nous enferment dans le temps immédiat et on n’arrive plus à imaginer, à nous projeter dans l’avenir. Le cadre du programme donne la possibilité aux participants de se dire : « j’ai six ans pour réfléchir, pour repenser l’exil » : déconstruire des préjugés, des évidences et replacer, on le verra, l’exil dans le cadre de la citoyenneté.

Quel rôle peut jouer le requérant d’asile dans un tel processus ?

Je dois tout d’abord préciser que, pour moi, un requérant d’asile est un être humain comme n’importe quel autre. N’étant pas adepte de la politique du droit d’asile que subissent les requérants, je dirais qu’ils ont une place à part entière dans le cours-séminaire. Il faut juste qu’ils s’inscrivent. Celles et ceux qui le souhaitent peuvent apporter leurs idées et expériences en tant qu’intervenants. En outre, vu les inégalités et les violations des droits fondamentaux dont ils sont l’objet, les requérants auront des outils pour réfléchir et résister à la violence d’Etat. C’est clair qu’on ne pourra plus penser de la même manière l’exil ou la citoyenneté lorsqu’on suit ce programme jusqu’à son terme. Au fond, comme le soulignait Murad Acincilar, repenser l’exil amène à refuser l’exil, à construire le « dés/exil » et aussi à comprendre son universalité matérielle. Le requérant comme tout autre participant est invité. Si des problèmes d’ordre financier se présentent, au moment où ils s’inscrivent, qu’ils nous en informent et nous trouverons des moyens de pratiquer une solidarité concrète pour favoriser leur présence parmi nous.

Interview réalisée par CDM

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

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*Adresse pour l’inscription : mccaloz.tschopp@gmail.com

Voir le programme sur www.ciph.org




Célébrations d’envergure prévues en Valais pour la journée mondiale des réfugiés

Journées des 5 continentsLa journée mondiale des réfugiés, célébrée le 20 juin de chaque année, ne passera pas inaperçue dans le canton du Valais. Outre diverses activités informelles prévues entre réfugiés et requérants d’asile eux-mêmes, deux événements majeurs en lien avec cette célébration draineront des foules dans le canton.

 

Regenbogenweltfes à Visp

C’est le Haut-Valais qui donnera le ton aux célébrations marquant la journée mondiale des réfugiés dans le canton. En partenariat avec la Commune de Viège, l’association Forum Migration Oberwallis organisera le samedi 18 juin, sa traditionnelle Regenbogenweltfest. L’événement qui est à sa 22ème édition réunira sur la Kaufplatz de Visp un public cosmopolite constitué de requérants d’asile, réfugiés, migrants et Suisses de divers horizons.

Au programme de la manifestation qui durera de 11h à 20h, la découverte d’une diversité d’arts culinaires au travers de repas préparés par différentes communautés étrangères du Haut-Valais. Le Centre de formation pour requérants d’asile, le Botza, sera également de la partie avec des menus variés prévus pour environ 500 personnes. On note également à l’affiche, des concerts à ciel ouvert qui allieront harmonieusement diverses variétés musicales telles le Blues, le Hip-hip portugais, la danse indonésienne et africaine, et des cœurs d’enfants…pour le plus grand bonheur du public !

Unique en son genre, la Regenbogenweltfes est un moment privilégié de rencontres et d’échanges entre requérants d’asile, migrants et Suisses du Haut-Valais. « C’est un marché, mais à la fois un carrefour d’échange de connaissances et de partage d’expériences » résume Sabine Salemink, de Forum Migration, qui donne rendez-vous à toute personne intéressée à l’organisation de cette manifestation à la Kaufplatz de Visp le 18 juin.

Le Festival des Cinq Continents à Martigny

Le deuxième événement au rythme duquel vibrera le canton est tout aussi unique en son genre. Dénommé Festival des Cinq Continents, ce rendez-vous se tiendra les 24 et 25 juin dans le Bas-Valais, plus précisément sur la place du Manoir à Martigny. Conçu sur le principe de gratuité de l’entrée, ce festival se veut «le messager des cultures du monde » ; car comme son nom l’indique, il offre au grand public l’occasion d’aller à la rencontre des cultures des cinq continents. Au total, pas moins d’une vingtaine de concerts de musiques ethnos et traditionnelles, ponctués de spectacles et de danses diverses sont au programme. En ouverture du festival sont prévues diverses manifestations dont le troisième Forum en faveur d’une Culture de paix, l’exposition « Les gardiens de paradis » et « Les Films du Présent ».

« L’implication des requérants d’asile dans ce festival est vraiment un signe particulier d’ouverture apprécié d’année en année » déclare le directeur du Botza, Roger Fontannaz. En effet, si certains d’entre eux, par l’entremise du Botza, apportent leurs savoir-faire dans la construction et la décoration des tentes qui accueilleront l’événement d’autres, en particulier des femmes requérantes, s’apprêtent à appâter les 25’000 visiteurs attendus grâce à leur grande maîtrise de l’art culinaire.

CDM

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

 




Une mère retrouve miraculeusement son fils après six ans de séparation !

Rehema et son fils OmarSéparés durant six ans par la guerre qui fit rage en Somalie, une maman et son fils se sont retrouvés récemment grâce au service de recherche de la Croix-Rouge. Dans les rues de Sierre (Valais), Igor, âgé de 7 ans, et sa mère goûtent enfin à un bonheur familial auquel ils n’ont jamais eu droit. Il a fallu beaucoup d’espoir et bien des péripéties pour en arriver là. Maria*, mère courageuse, nous livre ici le récit des faits ayant conduits à ces retrouvailles qu’elle appelle « un miracle de la vie ».

VDE. Comment se portent le petit Omar et sa maman ?

Maria : Hum ! (silence) Igor* a commencé une nouvelle vie. Il essaie de parler à une mère qu’il ne connaît pas. Il a une nouvelle langue : le français, qu’il apprend, un nouvel environnement à découvrir, une nouvelle école. Bref, il a toute une nouvelle vie pleine de défis à relever. La découverte de son pays d’accueil a été un choc. En voyant du haut de notre immeuble le sol couvert de neige et les rues presque désertes un soir d’hiver, il m’a demandé : « Maman, ici les enfants ne s’amusent pas comme en Afrique? » Je lui ai répondu que nous étions en hiver et qu’il faisait beaucoup trop froid pour que les enfants s’amusent dehors le soir.

Au début, ce n’était pas facile pour lui de comprendre pourquoi il devait aller à l’école, car il n’y était jamais allé. J’ai demandé à ses professeurs de lui accorder une attention particulière. Maintenant, il s’est fait des amis et il change énormément. Quant à moi, je suis comblée de l’avoir à mes côtés et cela me suffit pour aller mieux.

Par quel miracle avez-vous pu retrouver votre fils six années après que la guerre vous a séparés l’un de l’autre ?

Je dois nos retrouvailles au service de la Croix-Rouge qui se charge de rechercher les personnes dont la famille est sans nouvelles. Les faits remontent à 2009, année où je suis arrivée en Suisse, en pleine dépression. Lors d’une consultation, mon docteur m’a demandé de lui raconter mon histoire. Sans hésiter, je lui ai ouvert mon cœur et traduit toute la douleur que pouvait éprouver une mère qui a perdu tout contact avec son unique fils, âgé d’à peine un an. J’ai aussi parlé des autres membres de ma famille dont j’étais sans nouvelles à cause de la guerre en Somalie.

Ému, le docteur m’a informée de l’existence d’un service de la Croix-Rouge avec lequel il proposait de me mettre en relation. Mais à ce moment-là, j’avais besoin de tout, sauf de promesses. Je me suis dit que c’était encore une parole d’espoir que l’on me donnait, faute de m’offrir une solution. Par conséquent, je n’y ai accordé aucune importance.

Contre toute attente, j’ai reçu un jour une lettre de la Croix-Rouge qui m’invitait à Berne. J’ai été reçue par une dame qui m’a demandé de lui raconter mon histoire dans ses moindres détails. Réveiller ce passé douloureux n’a pas été aisé, mais j’ai collaboré autant que possible. A la fin de l’entretien, mon interlocutrice m’a prévenue que les recherches concernant la Somalie étaient difficiles et n’aboutissaient pas toujours. Au lieu de me désespérer, ces paroles ont suscité en moi un espoir insoupçonné. De retour à mon domicile, je me suis mise à prier très fort pour que ce miracle qui se produisait si rarement avec la Somalie se réalise dans ma vie. En fin de compte, il s’est réalisé.

Comment ce miracle a-t-il été possible ?

J’appelais régulièrement la Croix-Rouge pour avoir des nouvelles. Mon interlocutrice m’a fait savoir que des annonces étaient diffusées tant dans leur réseau que sur la radio BBC. Il m’arrivait parfois de perdre patience mais cette démarche étant ma seule raison d’espérer, je n’ai jamais lâché prise… Jusqu’au 19 mars 2010 quand j’ai reçu un message de la Croix-Rouge qui a fait tout basculer. Au bout du fil, mon interlocutrice m’annonçait posément : « Madame, nous avons des indices qui portent à croire que nous avons retrouvé votre fils ». Mais je n’ai pas pu en savoir plus à ce moment-là. La porteuse de la nouvelle s’est refusée à me donner plus de détails tant que toutes les vérifications attestant que j’étais la mère biologique de l’enfant ne seraient pas effectuées.

Cette nouvelle m’a donné du baume au cœur, mais elle m’a aussitôt plongée dans l’angoisse. Je passais des jours entiers à monologuer et à me questionner sans fin. Qu’allait-il se passer si ces vérifications n’aboutissaient pas? Cette flamme d’espoir qui s’éveillait en moi allait-elle s’éteindre subitement ? Aurais-je encore des raisons de vivre ? Je me donnais du courage en me disant : « Si Dieu a permis que l’on retrouve mon enfant, c’est parce qu’il veut nous donner la chance de goûter un jour au bonheur de vivre ensemble ».

Quelque temps après, j’ai reçu la photo de mon fils. A vrai dire, je ne l’ai pas reconnu. Je l’avais perdu lorsqu’il avait à peine un an. Je ne disposais pas d’indices pour le reconnaître six ans plus tard. Mais pour moi, ce n’était pas le plus important : j’avais perdu mon fils, on l’avait retrouvé, donc il devait me rejoindre immédiatement. Mais les choses ne se sont pas passées comme cela. Tant que les résultats du test ADN ne seraient pas connus, nous devions rester séparés l’un de l’autre par des milliers de kilomètres.

Comment avez-vous vécu cette attente ?

Cette attente a été un véritable supplice. Je passais des nuits blanches, les yeux rivés sur la photo de l’enfant, à me demander quand je le verrais. Un jour, comme je m’enfonçais encore dans l’angoisse, la dame de la Croix-Rouge m’a annoncé que le test ADN était positif et que mon fils arriverait en Suisse le 18 novembre 2010. Une immense joie m’a envahie. J’avais reçu la lettre m’annonçant qu’on l’avait retrouvé le 19 mars 2010 et il aura fallu presque neuf mois pour que je le tienne dans mes bras. Tout s’est passé un peu comme lors de ma grossesse, lorsque, jour après jour, je me demandais comment mon enfant se développait dans mon ventre. Mais cette fois-ci, je m’interrogeais sur ses conditions d’existence, si loin de moi. A chaque fois que je mangeais, je me demandais par exemple si lui aussi avait trouvé quelque chose à manger.

Je devais aller l’accueillir à l’aéroport de Zurich. Compte tenu de l’horaire d’arrivée de l’avion, la seule alternative dont je disposais était d’y passer la nuit pour espérer le voir à sa sortie.

Comment se sont passées vos retrouvailles ?

Ce fut l’un des jours inoubliables de ma vie. N’ayant personne, j’ai fait toute seule le déplacement jusqu’à l’aéroport de Zurich. « Igor va-t-il m’accepter comme sa mère ou me renier ? ». La question me tourmentait sans que je puisse y répondre. Debout, partagée entre joie et angoisse, je voyais les heures, les minutes et les secondes s’égrener. Tout d’un coup, j’ai vu une fine silhouette sortir du hall. Mon instinct maternel s’est éveillée d’un coup, je me suis dit sans hésiter : « C’est mon fils ! ». Il était un peu perdu, nos regards se sont croisés. Il m’a regardée comme si j’étais une inconnue. Après un court moment d’hésitation, j’ai couru à sa rencontre, puis je l’ai embrassé. Je l’ai serré fort, très fort dans mes bras, comme si je pouvais rattraper toutes ces longues années de séparation.

Nos yeux se sont embués de larmes. L’émotion était grande. J’aurais aimé avoir quelqu’un avec moi pour garder une photo de cet instant unique. Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Mon fils et moi avons réalisé que nous n’avions personne. Dieu merci, il vit aujourd’hui avec moi. Au fil des jours, nous apprenons à nous connaître.

Comment Omar a-t-il survécu durant vos années de séparation ?

Après notre séparation en Somalie, il a été recueilli par une dame qui, fuyant aussi la guerre, s’est réfugiée au Kenya. Suite à l’avis de recherche lancé sur la radio BBC, la bienfaitrice a accepté de donner des nouvelles d’Igor.

Je ne saurais suffisamment la remercier car elle a aimé mon fils comme si elle était sa mère biologique. Elle avait, de son côté, un garçon qu’elle a d’ailleurs présenté à Omar comme son frère de sang. Tous vivaient une vie modeste dont la chaleur familiale était le ciment. Le projet de départ d’Omar pour la Suisse a été un coup de massue qui a bouleversé cette harmonie. J’ai dû convaincre cette femme de laisser Omar me rejoindre. Cela a été pénible mais elle ne s’y est pas opposée. Nous avons pris conscience que nous formons désormais une seule famille. De ce fait, Igor et moi appelons souvent son frère et sa seconde mère qui vivent au Kenya.

Avez-vous quelque chose d’autre à ajouter ?

J’aimerais, à travers vos colonnes, crier ma joie, la joie d’une mère qui a retrouvé son fils. J’ai accepté de témoigner pour apporter un message d’espoir à tous ceux qui ont perdu des proches et qui tentent désespérément de les retrouver. J’ai appris récemment le décès de mon père, mais je suis toujours sans nouvelles de mes trois frères que je recherche activement. Je propose à tous ceux qui recherchent des proches de se joindre à moi pour entretenir la flamme de l’espoir, cette flamme qui nous maintient debout même si tout semble nous faire croire le contraire. Que ceux qui auront l’occasion de faire une démarche de recherche de leurs proches disparus auprès de la Croix-Rouge le fassent avec une ferme conviction, et le miracle qui s’est produit dans ma vie se produira dans la leur.

Par ailleurs, je n’ai jamais revu le docteur qui, à Vallorbe, m’a mise en relation avec la Croix-Rouge. En attendant de le rencontrer un jour, je voudrais profiter de votre tribune pour lui adresser, où qu’il soit, un immense « Merci ! » Merci infiniment d’avoir redonné du sens à ma vie.

* Noms d’emprunt

Interview réalisée par CDM

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Informations :

Les prestations du service de recherche de la Croix-Rouge sont gratuites

www.redcross.ch

‘’Life is not a straight line. Miracles happen when you believe’’

Currently enjoying the happiness to be together with her son, Maria has accepted  to share in English with our readers a short message coming from her heart.

“First of all, I would like to thank God for giving me the chance to be with my son. Secondly, I would like to thank the Swiss government for allowing me to stay in this country and the doctor who came to my rescue when I was depressed and when I had lost hope in life. I would also like to give a lot of thanks to the Swiss Redcross and especially to the Redcross tracing Service and to my social assistant who I used to call all the time. She was always kind with me and she could always give me hope. I would like to pass a message to all the parents and families who have lost their beloved one’s by wars or natural disasters that life is not a straightline. Miracles happen when you believe, so they should have faith in God and when the time comes they will be united together again. I also pray and hope that one day I will find my other three brothers”.

Maria




« La salle de fitness est un lieu d’intégration »

Le coach Demiri Mesret

Ancien requérant d’asile d’origine kosovare, Demiri Mesret est le responsable de la salle de fitness du Centre sportif de Sainte-Croix. Selon cet adepte de l’exercice physique, le sport aurait de nombreuses vertus. Témoignage.

 

 

 

Lorsqu’il arrive en Suisse pour demander l’asile, Demiri Mesret a 18 ans. Vingt ans plus tard, il a obtenu la naturalisation, s’est marié, est l’heureux père de deux jeunes enfants et exerce comme moniteur de fitness au Centre sportif des Champs de la Joux, centre qui accueille gracieusement les requérants d’asile. Pour cet homme volontaire et dynamique, le sport en salle est une des clés qui ouvre sur l’équilibre et l’intégration.

Comment êtes-vous devenu moniteur de fitness à Sainte-Croix?

Dès mon arrivée en Suisse, j’ai fait du fitness et j’ai étudié le fitness, d’abord par moi-même à la maison. Ensuite j’ai suivi une formation de moniteur à l’International Fitness Aerobic School de Nyon. Et depuis environ huit ans, je travaille dans la salle de musculation du Centre sportif de Sainte-Croix.

S’agit-il d’un travail ou d’un loisir ?

J’ai un autre travail qui me permet de vivre : je suis boulanger. Mon activité de moniteur de fitness est d’avantage un travail accessoire ou un hobby.

Lorsque vous étiez vous-même requérant d’asile, y avait-il une salle de sport ou de fitness disponible pour les requérants ?

J’ai d’abord vécu pendant trois mois à Kreuzlingen dans le canton de Thurgovie. Il y avait des salles de musculation, mais elles étaient payantes. A Sainte-Croix, ça fait environ huit ans que la salle de sport s’est ouverte et à peu près un an que les requérants ont le droit d’y faire gratuitement du fitness quatre jours par semaine de 17h30 à 20h00. Cette salle est également fréquentée par des étudiants du Centre Professionnel du Nord-Vaudois et par les membres des Sociétés de volley, de badminton, de tennis, de foot, de hockey ainsi que par les pompiers et les employés communaux.

Quelles sont les relations entre les requérants qui viennent faire de la musculation et les habitants de Sainte-Croix qui fréquentent la salle de sport?

Ils s’entendent bien. Il n’y a aucun problème entre eux.

Que faites-vous concrètement en tant que responsable de la salle de fitness pour que ces deux mondes communiquent entre eux?

A la fin de chaque journée, je leur propose de jouer ensemble requérants et gens d’ici. Au volley avec les équipes de volley féminin et au football avec les élèves du Centre Professionnel du Nord Vaudois. Ce sont des moments très appréciés.

En quoi l’accès à la salle de musculation a changé la vie des requérants d’asile qui la fréquentent?

Si on parle des requérants qui sont actuellement à Sainte-Croix, je dirais que c’est un très bon moyen de s’adapter à la Suisse, de rencontrer des gens d’ici. En tout cas, ils ont l’air d’être contents d’avoir une salle à disposition. Ce n’est pas partout qu’ils ont cette chance-là.

Combien de personnes fréquentent la salle de fitness ?

Il en vient une vingtaine par jour. Une dizaine de requérants et un peu plus d’habitants de Sainte-Croix et d’élèves du Centre Professionnel du Nord Vaudois qui viennent, eux, des quatre coins du canton de Vaud.

Est-ce qu’il y a des femmes ?

Il y a deux à six femmes qui fréquent la salle de fitness quotidiennement, pour beaucoup des Erythréennes.

Et vous, qu’est ce que cela vous apporte d’entraîner des requérants?

En tant qu’ancien requérant, je sais que faire du sport c’est se faire du bien. Rester tout le temps enfermé dans le Centre d’accueil, ce n’est pas vraiment l’idéal. Je suis bien placé pour savoir que leur vie n’est pas facile. Cela me fait donc plaisir de pouvoir les aider. La salle de fitness est vraiment un lieu où on peut se relaxer, s’occuper de soi, de sa mise en forme.

Quelle est la place du sport dans la vie des requérants?

La plupart ne font pas de sport parce qu’ils ont l’esprit occupé ailleurs et qu’ils ont beaucoup de soucis. Pourtant, les efforts physiques aident à se remonter le moral, à se motiver.

Est-ce que le fitness joue un rôle dans l’intégration ?

Oui, le sport permet de rencontrer du monde. Le sport permet de s’adapter aussi au pays dans lequel on vit, parce qu’on rencontre des gens qui ne sont pas tous des requérants. On discute, on fait connaissance.

Propos recueillis par :

 Javkhlan TUMURBAATAR

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils