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« Je dois ma survie au décès d’un Nigérian »

Fatmir Krasniqi

Fatmir Krasniqi, Albanais célibataire de 42 ans, revient sur son arrestation et son passage par Frambois : l’établissement de détention administrative genevois qui héberge les requérants d’asile déboutés avant leur expulsion dans leur pays d’origine.

Du 5 au 30 mars 2010, Fatmir Krasniqi va vivre un des épisodes les plus sombre de sa vie. Après s’être fait arrêter à son domicile, il est d’abord conduit à Frambois, puis emmené à l’aéroport de Cointrin à Genève d’où il devait retourner en Albanie. Il refuse, se voit ramené à Frambois, puis est finalement relâché. Mais pour combien de temps ? Fatmir, qui a retrouvé depuis sa modeste vie de débouté, se sait en sursis aujourd’hui. La prochaine fois que la police viendra le chercher, il n’aura pas le choix : il devra se soumettre à la décision de Berne et quitter la Suisse. Interview d’un homme fragile qui a déposé sa demande d’asile il y a 14 années et qui, depuis,  n’a cessé de multiplier les efforts pour s’intégrer. En vain.

Pour vous, le 5 mars 2010 est une date de sinistre mémoire ?

Oui, ce jour-là je dormais chez moi, à Rolle. J’ai été brutalement surpris dans mon sommeil à 7 heures du matin par l’arrivée de policiers. Ils m’ont conduit chez un juge de paix, à Lausanne, qui a essayé une fois de plus d’établir ma nationalité.

Pour quelle raison ?

A mon arrivée en Suisse, j’ai fait une erreur : je me suis présenté comme Kosovar. Résultat : ça fait des années que les milieux officiels de l’asile s’interrogent sur ma nationalité. Ils se demandent : « Krasniqi, il est Kosovar, Macédonien ou Albanais ? » En fait, je suis Albanais à 100% !

Après cette mise au point, on vous a relâché ?

Non. Le juge m’a demandé de retourner en Albanie, mais j’ai refusé. Alors, j’ai été conduit à la prison de Frambois.

A quoi ressemblait votre quotidien ?

On était vingt-cinq prisonniers. Il y avait beaucoup de Nigérians qui étaient là depuis quatre à six mois et un Equato-Guinéen qui y séjournait depuis un an. On vivait comme dans une famille, sans accrochages. Mais j’étais stressé car les débuts ont été durs. On se préparait à manger, il y avait des règles à respecter, on faisait les nettoyages ce qui nous rapportait 3 fr. de l’heure. Il y avait aussi d’autres occupations entre codétenus comme, par exemple, jouer aux cartes.

Quel souvenir en avez-vous gardé?

Pour moi, c’était le couloir de la mort. Trois jours après mon arrivée, des policiers en civil sont venus me chercher pour une fois de plus me contraindre à rentrer en Albanie. Ils m’ont emmené à l’aéroport sans que je puisse prendre mes affaires personnelles. Ils m’ont dit : « C’est fini pour toi la Suisse ! ». Je suis resté a l’aéroport dans une cellule d’attente toute une journée, puis ils m’ont dit : « Monsieur Fatmir vous devrez partir. Rentrez comme un touriste. La police albanaise ne peut pas vous arrêter si vous prenez un vol de ligne ». Je leur ai répondu : « Je ne suis pas en bonne santé. Je fais des efforts pour travailler et je n’ai jamais demandé l’Assurance Invalidité ». Comme je refusais de partir, ils m’ont ramené à Frambois. Il faut savoir que la première fois, on vous propose un vol de ligne. La deuxième fois, on vous force à partir et vous voyagez dans un vol spécial. Si nécessaire, ligoté et sous la surveillance de la police.

Cela rappelle un vol tragique…

Oui, celui de ce Nigérian qui est mort le 17 mars 2010 à l’aéroport de Zurich alors qu’on voulait le renvoyer chez lui sous la contrainte. Les policiers à qui j’ai dit : « Vous allez payer pour tout ça ! » m’ont répondu que le Nigérian était un dealer. Pour moi, c’était avant tout un être humain. Après le décès du Nigérian il y a eu une révolte à Frambois. Puis le cinéaste suisse Fernand Melgar est venu tourner un film documentaire sur Frambois : « Vol spécial ». On était tous très en colère. Il y avait deux Nigérians qui auraient dû aussi être expulsés et qui avaient vécu le décès de leur compatriote. Ils étaient fragilisés. Le Directeur de Frambois a alors tenu une réunion d’urgence. Il a dit : « dans ce genre de situation, j’ai honte d’être Suisse. On va tout faire pour comprendre ».

Comment avez-vous surmonté le stress lié à ce « faux départ » ?

Ce n’était pas une partie de plaisir, je n’étais pas bien. Je suis resté cinq jours sur mon lit. J’avais très mal au ventre et des vomissements. Malgré tout il y avait une grande solidarité entre les détenus et on a eu de la chance puisque quatorze d’entre nous ont été libérés. Je crois bien que c’est à cause de la mort du Nigérian, même si certains ne partagent pas mon avis.

Vous avez retrouvé votre vie d’avant l’arrestation ?

Le jour avant ma sortie de prison, ils m’ont dit : « Monsieur Krasniqi, vous êtes libre ! ». Le 30 mars, je me suis présenté au Service de la population. Et là, une dame me demande : « pourquoi vous n’avez pas accepté de rentrer ? On est en train de préparer un vol spécial pour vous. Dès qu’il sera prêt, vous rentrerez dans votre pays ».

Aujourd’hui, quelle est votre situation ?

Mon statut n’a pas changé, je suis toujours à l’aide d’urgence. A cause de mes problèmes de santé, j’ai dû interrompre à la fin de l’année passée le Programme d’occupation traduction  de l’EVAM que j’avais commencé à ma sortie de prison. C’est une activité que j’aimais beaucoup. En avril dernier, j’ai commencé le Programme d’occupation à Lausanne Roule, où je m’occupe de location de vélos. Aujourd’hui ma situation administrative reste toujours incertaine…

Propos recueillis par

Niangu NGINAMAU et Gervais NJIONGO DONGMO

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils