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Carl Gennheimer : « médecin espion » ou protecteur des requérants d’asile ?

 Le docteur Carl GennheimerA 47 ans, Carl Gennheimer est un médecin atypique qui consacre le plus clair de son temps à soigner les requérants d’asile du Haut-Valais. Ce travail lui vaut une multitude de titres, allant d’espion à protecteur de requérants d’asile, qu’il accepte volontiers.

Allure altière et démarche mesurée, Carl Gennheimer est un personnage qui ne passe pas inaperçu dans le Haut-Valais. Ce médecin généraliste Suisse se distingue par un dévouement sans précédent à soigner les requérants d’asile admis dans cette partie alémanique du canton du Valais. Logé au premier étage d’un immeuble, à 5 minutes de la gare de Viège, son cabinet reçoit chaque semaine, en moyenne, une quinzaine de requérants provenant d’horizons divers comme des Sri-lankais, des Nigérians, des Kosovars ou encore des Albanais. « J’ai l’impression que les requérants ne sont pas acceptés par tout le monde. Ils ont besoin de traitements médicaux comme tout être humain, alors je me fais un devoir de le leur procurer », déclare le docteur. « A l’âge de 4 ans, ma mère est devenue une réfugiée. Elle m’a raconté combien elle a souffert lorsqu’elle a dû fuir l’Allemagne de l’Est pour l’Ouest, comment elle a contracté la tuberculose durant cette période avant de se retrouver en Suisse où elle a pu bénéficier d’un traitement » confie, tout ému, Carl Gennheimer, qui ajoute après un soupir : « quand je songe à tout ça, je me dis que je n’ai pas le droit d’abandonner les requérants d’asile ».   

S’exprimant en allemand, français et en anglais, ce diplômé de l’Université de Zürich est en mesure de lever les barrières linguistiques afin de comprendre au mieux les maux dont souffrent ses patients. Cependant, malgré son attention et son engagement, il n’en finit pas d’intriguer bon nombre de requérants d’asile qui le perçoivent plus comme un espion ou un agent de renseignement de l’Office fédéral des migrations (ODM) qu’un médecin.

Entre le marteau et l’enclume

« Si tu vas chez ce docteur, il te posera des tas de questions sur tes motifs d’asile avant même de chercher à savoir de quoi tu souffres. Je pourrais le comprendre si je souffrais d’un trouble psychique, mais ce n’était pas mon cas. Je me suis rendu chez lui pour des problèmes cutanés et il m’a assailli de questions qui n’avaient rien à voir avec mon mal. Ce n’est vraiment pas rassurant, surtout que nous sommes dans l’attente d’une décision au sujet de notre demande d’asile » témoigne Christ A., requérant d’asile au Foyer de Viège. Et un autre d’ajouter : « je vous dis de vous méfier de ce docteur car il travaille de connivence avec Berne (ODM, ndlr) ».

Visiblement peu ébranlé par la perception que ses patients ont de lui, Carl Gennheimer se dit vraiment « pris entre le marteau et l’enclume ». « L’Office fédéral des migrations pense de son côté que je suis l’allié et le protecteur des requérants, parce que je fais des rapports médicaux en leur faveur. C’est une situation délicate que je gère comme je peux avec toute la sincérité et le professionnalisme que requiert mon métier de médecin ». Parlant de professionnalisme, le médecin explique que ses nombreuses questions perçues comme « un interrogatoire » ne visent qu’à établir la confiance entre lui et ses patients afin de mieux les traiter. Généralement, les questions que pose Carl Gennheimer touchent à la culture du patient, à son niveau de scolarité, à sa formation professionnelle et les souffrances auxquelles il a été exposé. « Je trouve ces facteurs très importants car ils m’aident à identifier les  problèmes fondamentaux  d’un requérant et à essayer de me mettre au même niveau que lui pour faciliter la communication » explique le médecin. En plus, « le fait de soigner les requérants m’a amené à développer une certaine culture politique ; c’est pourquoi je cherche à savoir si l’arrivée d’un requérant est liée à telle ou telle crise qui a fait la une de l’actualité, par exemple  la  Côte d’Ivoire, l’Afghanistan ou le Kosovo ».

Rapprocher requérants d’asile et Suisses

Depuis bientôt cinq ans qu’il est au chevet des requérants d’asile du Haut-Valais, Carl Gennheimer prend le temps de les découvrir sous toutes leurs facettes, en ce qu’ils ont de bon comme de mauvais. S’il voit  des patients requérants qui ne répondent pas aux rendez-vous médicaux ou qui rechignent à communiquer, il en découvre aussi des bons et des justes. Si l’un d’entre eux est frappé d’une décision d’expulsion, le médecin avoue être touché, d’autant plus s’il réalise qu’il n’a pas eu le temps de lui dire au revoir avant son départ. « Ce genre de mauvaises nouvelles attristent mes journées. Je me demande pourquoi telle personne ou telle famille, si sérieuse, chaleureuse et dotée de qualités incontestables, n’a pas obtenu l’asile en Suisse ». Au-delà de la tristesse, Carl Gennheimer estime que la vie continue et ne regrette aucunement son choix de soigner les requérants d’asile. Sur un ton d’une grande sincérité, il confie que le contact avec l’univers cosmopolite des requérants d’asile a profondément changé sa personnalité, au point qu’il s’est donné depuis quelques années une nouvelle mission bien différente de la médecine: celle de rapprocher les requérants d’asile des habitants du Haut-Valais. « A chaque fois que l’occasion le permet, j’essaie de changer la perception peu hospitalière que les haut-valaisans ont des requérants » souligne Gennheimer, un peu déçu toutefois que le brassage souhaité, en recevant dans la même salle d’attente haut-valaisans et requérants, ne porte pas encore les fruits escomptés. Il ne s’avoue cependant pas encore vaincu et est heureux que son appel rencontre des échos favorables auprès de sa famille : « je dis à mes enfants que le requérant d’asile est une personne ordinaire qu’il faut accepter comme tout être humain doté de défauts et de qualités ». Il redresse ses lunettes, les nettoie et les remet comme si une nouvelle ère avait sonné, au cours de laquelle haut-valaisans et requérants d’asile se considèreraient d’un œil nouveau empreint d’hospitalité, de fraternité et de convivialité.

Propos recueillis par CDM

CDM, membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils