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« Je ne regrette aucunement mon retour au bercail »

L'aide au retour pour les requérants d'asile en SuisseAprès cinq années passées en Europe dont deux en Suisse, Emmanuel C. s’est finalement décidé à rentrer dans son pays d’origine, le Nigéria. De retour parmi les siens depuis le 11 janvier 2011, l’ex-requérant d’asile débouté affirme sans ambages s’y plaire et projette même de célébrer au plus vite ses noces, en attendant de lancer sa propre entreprise. Rencontre avec un homme qui « ne regrette aucunement sa décision de rentrer au bercail ». Son choix de rentrer a coïncidé avec la reprise par la Suisse des renvois sous la contrainte à destination du Nigéria, le 19 janvier dernier.

Voix d’Exils : Comment s’est déroulé votre voyage à destination du Nigéria ?

Emmanuel C. : Mon retour au Nigéria s’est bien passé. J’ai quitté la Suisse le 10 janvier dernier en compagnie d’un autre Nigérian inscrit au programme du retour volontaire. Arrivé à l’aéroport international de Lagos, nous avons été accueillis à notre descente d’avion par un agent de l’OIM (Office international des migrations). Il m’a réservé une chambre dans un hôtel de Lagos, où j’ai passé ma première nuit, avant de mettre le cap le lendemain sur mon Etat d’origine, Imo State, situé à environ 450 Km de Lagos, capitale économique du Nigéria.

Comment s’est passé la rencontre avec votre famille?

C’est ma sœur qui est venue m’accueillir à l’aéroport d’Imo State.  Elle était hyper contente de me revoir. Quand nous sommes rentrés à la maison, toute ma famille a explosé de joie. C’est ma mère qui était la plus comblée de retrouver enfin son fils unique. J’ai tellement reporté mon retour qu’en fin de compte, elle n’y croyait plus vraiment.

Qu’est- ce qui vous a motivé à prendre la décision de rentrer au Nigéria?

La toute première raison est que j’ai pris conscience que ça ne sert à rien de vouloir à tout prix rester quelque part où l’on ne veut pas de toi. Les autorités helvétiques ne sont pas entrées en matière sur ma demande d’asile. J’ai passé en tout cinq ans en Europe. J’ai fait l’Autriche et l’Espagne avant de débarquer en Suisse. Et je puis vous dire que mon séjour européen n’a été nullement aisé. J’ai traversé pas mal de choses. Les deux dernières années en Suisse ont été les plus difficiles. J’y ai même fait de la prison. J’ai donc finalement réalisé que je n’avais plus de perspective en Suisse et que le mieux était de retourner au pays où des êtres qui m’aiment m’attendent avec impatience.

La deuxième raison, directement liée à la première, est que je devais réorienter ma vie et arrêter de faire souffrir ceux que j’aime et qui m’aiment aussi. Ma mère, pour qui je suis l’unique garçon, ne cessait de pleurer au motif qu’elle voulait me voir avant ses derniers jours. Contrairement à ceux qui cachent leur condition de vie en Occident et font miroiter à leur famille restée au pays que tout va bien, moi j’ai joué franc jeu avec la mienne. Ma famille savait la vérité sur ma situation en Suisse. Elle savait que j’étais un requérant débouté et que je ne vivais que de l’aide sociale. Compte tenu de la situation dramatique dans laquelle je vivais, ma mère avait coutume de me dire que si je ne savais pas où j’allais, je devais savoir au moins d’où je venais. Face aux différents reports de mon retour, elle avait perdu patience et prit finalement la résolution de ne plus répondre à  mes appels téléphoniques. Je vivais mal cette situation.

D’un autre côté, j’avais laissé au pays l’amour de ma vie. Je ne pouvais plus faire attendre désespérément ma fiancée qui a passé ces cinq longues années à m’attendre, pour une vie sans lendemain en Suisse. C’est alors qu’un jour, j’ai fait le bilan de ma vie et ai pris la décision de rentrer au pays vivre parmi les miens, quel qu’en soit le prix à payer.

Pouvez-vous nous parler de votre nouvelle vie au Nigéria, surtout dans la mesure où tu n’as pas bénéficié de  l’aide au retour?

Je me débrouille comme je peux. L’aide au retour ne m’a effectivement pas été accordée  (note : pour motif de délinquance) mais la vie continue. Ce serait malhonnête et pur mensonge de vous dire qu’aujourd’hui je vis dans l’opulence ou que je  n’ai pas besoin de moyens, surtout financiers, pour me relever. Mais, ce dont je suis cependant sûr, c’est que la satisfaction que j’éprouve de me retrouver parmi les miens me procure une grande stabilité et m’importe en ce moment plus que tout. Actuellement, je prends le temps de faire le vide dans ma tête, de digérer mon séjour en Europe. Et après, je ferai face à ma nouvelle vie ici. Pour l’heure, je prépare mon mariage avec ma femme qui a su faire preuve de patience pour m’attendre durant toutes ces années. Je pense ensuite chercher des moyens pour créer ma propre entreprise. Je ne saurais vous dire avec précision dans quel secteur d’activité je compte évoluer, parce que je viens de commencer à sonder le terrain. Je puis vous assurer cependant que je suis animé d’une réelle volonté de réussir ma nouvelle vie. Je suis en plus titulaire d’une Maîtrise en gestion et marketing et je ne doute pas que je dispose des connaissances requises pour gérer ma propre entreprise. Au demeurant, le fait de retrouver ma famille me procure de l’énergie pour affronter les défis qui pointent à l’horizon et je ne regrette aucunement mon retour au bercail.

Les renvois de requérants déboutés Nigérians, suspendus il y a bientôt un an, ont repris cette année. Que vous inspire cette situation ?

J’ai, comme la majorité de mes compatriotes requérants d’asile en Suisse, l’impression que du fait de préjugés, les autorités helvétiques ont décidé de manière informelle de rejeter systématiquement les demandes d’asile des Nigérians. Il y a parmi nous des gens qui méritent vraiment qu’on leur octroie l’asile. Je voudrais donc demander à l’Office fédéral des migrations d’éviter de mettre tous les dossiers dans un même panier et de pénaliser ceux qui méritent d’être reconnus comme réfugiés.

Quelle leçon tirez-vous de votre séjour en Europe et dans une moindre mesure en Suisse?

Quand on est au Nigéria et généralement en Afrique, on pense que l’Europe est un Eldorado.  Mais lorsque l’on y met pied, on déchante très vite. En ce qui me concerne, j’ai pu réaliser que l’Europe ne veut plus de moi et je me suis décidé à partir. Je ne pourrai conseiller à mes autres frères Nigérians ou Africains de rentrer comme je l’ai fait, cette décision est personnelle et appartient à chacun. Cependant, je voudrais demander aux Occidentaux d’encourager réellement l’établissement de la démocratie en Afrique, de prendre des mesures pour que leurs banques n’hébergent plus les fonds détournés par des dirigeants Africains au détriment des peuples. Cette situation crée la misère en Afrique et tant que la pauvreté sévira sur ce continent, malgré ses nombreuses ressources, les Africains choisiront toujours de prendre le chemin de l’Europe. Et le phénomène migratoire demeurera une problématique non résolue.

Interview réalisée en partie à Viège et par téléphone avec le Nigéria par CDM. 

CDM, membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils