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« Nous étions devenus des machines à tuer »

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Ibrahim Koroma

Ibrahim Koroma. Photo: Niangu Nginamau

Voici l’histoire d’Ibrahim Koroma, actuellement requérant d’asile en Suisse qui, à l’âge de 13 ans, a été enrôlé de force à par les combattants rebelles de Sierra Leone. Ils lui ont appris à manipuler les armes et l’ont drogué pour qu’il arrive à exécuter les ordres malsains des ses supérieurs. Aujourd’hui, cet ancien enfant soldat suit une cure de désintoxication à la Fondation du Levant à Lausanne.

 

 

Voix d’Exils : Parlez-nous de vous.

Je suis né en 1984 et je suis fils unique. J’étais un enfant heureux jusqu’à l’âge de 13 ans. J’avais la chance d’avoir une mère qui faisait tout pour son enfant. A cette époque, ma mère avait quand même les moyens de subvenir à nos besoins, et je vivais comme un enfant en Europe. Mais en 1997, alors que j’avais tout juste 13 ans, un coup d’Etat a eu lieu en Sierra Leone.

De quelle nationalité êtes-vous ?

Je suis Sierra Léonais. Mon père est Libérien, mais je ne l’ai plus vu depuis l’âge de 5 ans.

Depuis combien de temps êtes-vous en Suisse ?

Je suis en Suisse depuis six ans, et je suis arrivé en juin 2004.

Quelle est votre situation depuis votre arrivée en Suisse ?

Cela fait maintenant deux ans et demi que je me trouve au sein de la Fondation du Levant à Lausanne, pour une cure de désintoxication.

En quoi consiste cette fondation ?

C’est une fondation qui s’occupe des personnes qui ont des problèmes liés à la toxicomanie. Moi, j’ai consommé ma première drogue à l’âge de 13 ans… par obligation.

Qu’est-ce qui vous est arrivé dans votre pays ?

J’avais 13 ans lorsque les rebelles m’ont pris. Cette formation s’appelait R.U.F (Révolution Unité Front). Je me trouvais à Freetown, la capitale de Sierra Leone, lorsqu’il y a eu le coup d’Etat militaire. Il  y a eu des pillages et on ne pouvait plus rester à Freetown avec ma mère. Elle a alors décidé d’aller vivre en province, dans un endroit nommé Makene. La situation là-bas était meilleure que dans la capitale. Un jour, je suis parti rendre visite à un ami. Sur le chemin du retour, vers 19 heures, j’ai vu un camion rempli de militaires qui m’a dépassé. Il s’est alors arrêté devant moi. C’était des rebelles et ils m’ont mis de force dans le véhicule. Dedans, il y avait plusieurs autres enfants qui pleuraient. Ils nous ont conduits dans une ville qui s’appelle Kono, où se trouvait leur base. Le lendemain, la première chose qu’ils ont faite a été de nous remettre à chacun un fusil AKA 47. Ils m’ont montré juste comment manier le fusil, puis il y a eu l’intervention du chef, et son premier mot a été que «ce fusil Kalachnikov, c’est ton meilleur ami, c’est avec ça que tu seras payé ».

A partir de ce jour, ils ont commencé à nous faire des injections sans qu’on sache le contenu des substances. Il y avait du cannabis comme cigarette et deux types de pilules dont j’ignore le nom. Ces médicaments me rendaient agressif. Tu ne dors plus et tu n’as pas faim. Au bout d’une semaine, je venais de tuer ma première victime.

Pouvez-vous me dire dans quelles circonstances cela a pu arriver de tuer une personne juste après une semaine dans le camp ?

Dans le camp, il y avait un tribunal militaire, une structure bien organisée qui jugeait des militaires et des civils. Ils venaient de condamner 76 personnes, et j’ai été choisi avec d’autres enfants pour pouvoir exécuter ces personnes sous l’emprise de toute cette drogue. Nous étions devenus des machines à tuer.

Avez-vous eu d’autres choses semblables ?

Un jour,  j’ai reçu l’appel de mon chef qui me demande d’exécuter une tâche. Arrivé sur place, je trouve une dame qui avait presque l’âge de ma mère. Il me demande de lui donner cent coups de chicotte, et je n’ai pas voulu exécuter cet ordre, car cette dame je la voyais comme ma mère. Après mon refus, mon chef a organisé un comité restreint pour m’administrer le châtiment que je méritais devant tous les enfants pour faire un exemple. C’est alors qu’ils ont amené une casserole remplie d’huile de palme cuite. J’ai été tenu par deux personnes aux poignets, les deux autres m’ont balancé de l’huile sur le corps et un autre m’a poignardé au mollet. Depuis ce jour-là je suis devenu quelqu’un d’autre, quelqu’un de très très agressif lorsqu’on me demande d’exécuter les tâches quotidiennes d’un soldat. Je me surpassais pour faire du mal.

Une autre fois nous étions en patrouille dans la forêt avec ma troupe, lorsque tout à coup a surgi un homme avec sa famille. Le commandant a voulu dépouiller cet homme de son argent et il lui a sorti de son portefeuille deux à trois mille dollars. L’homme insistait et nous suivait pour qu’on lui rende son argent. L’ordre a alors été donné par mon commandant d’abattre cette personne. Je lui ai mis une balle, et au moment de mourir, il m’a dit : « ça ne va jamais bien se passer dans ta vie ». Vous savez, ces choses sont très lourdes à porter et à raconter. J’ai toujours ce flash back qui me revient.

Combien de temps êtes-vous resté dans l’armée ?

Je suis resté cinq ans dans l’armée. Durant ces cinq années, il y a eu beaucoup de choses qui se sont passées, et je ne peux pas vous détailler toutes ces atrocités.

Vous avez eu beaucoup de missions durant tout ce temps ?

Nous avons eu beaucoup de missions. Presque chaque jour, lorsqu’il y avait des sorties et nous, les enfants soldats, étions devant. Avec toutes les drogues qu’on consommait, on avait peur de rien.

A quinze ans, je suis même devenu capitaine. En Sierra Leone, il n’y avait plus de soldats, et lorsqu’il  y a eu la rébellion, les soldats sont venus des pays d’Afrique de l’Ouest qui contrôlaient le pays. Nous nous battions contre ces soldats pour récupérer la ville de Kono qui avait été assiégée. Je venais de tuer un capitaine nigérian et j’ai pris sa veste avec ses galons. Je l’ai ramenée au camp auprès du commandant, ce qui m’a valu le même grade, et j’ai alors été nommé commandant des enfants du groupe S.B.U. (Small Boys Unit). Au début, j’avais cinquante enfants, mais après six mois j’avais deux cents enfants à ma charge.

Comment avez-vous fait pour en sortir ?

En 2000, lorsque la guerre a touché à sa fin, nous sommes partis avec une partie du bataillon vers le Liberia pour porter main forte au président Charles Taylor qui se battait contre les rebelles de son pays. Nous y sommes restés jusqu’en 2002, jusqu’à ce que la situation devienne plus ou moins calme. A cette période je ne prenais presque plus de produits. Un jour ils m’ont laissé aller en ville tout seul. C’est là que j’ai rencontré un Monsieur qui venait chez les rebelles de Sierra Leone acheter des diamants, et j’avais un diamant avec moi qui venait de mon commandant. Je l’ai proposé au Monsieur en échange de m’amener aux Etats-Unis ou en Europe. Lorsqu’il a vu le diamant, il a fait toutes les démarches nécessaires pour m’amener en Europe et aujourd’hui, je suis en Suisse.

Propos recueillis par
Niangu NGINAMAU
Membre de la rédaction lausannoise de Voix d’Exils

 



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