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Toute une vie dans les foyers

Tady

Tady, le jeune Ethiopien. Photo : Gervais

Cette histoire est le témoignage atypique d’un jeune requérant d’asile éthiopien qui a passé plus de sept ans dans des centres de requérants d’asile. Arrivé en Suisse à 12 ans comme mineur non accompagné, tout lui semblait propice au départ. Cependant, après plusieurs années de vie cloitrée, voici aujourd’hui notre jeune enfant de cœur transformé en loup, cible privilégiée de nombreux tumultes.

Dans la petite chambre où trois lits occupent respectivement trois angles, un seau de poubelle titille l’oreiller de Tady Yalew à côté d’une table sur laquelle on peut retrouver quelques documents importants, des plats crasseux et des ustensiles de cuisine. En dessous, quelques petites marmites cohabitent et laissent échapper l’odeur d’un repas à peine mijoté qui parfume les lieux. A proximité, les tennis de fortune sont parfaitement rangés. Au physique, Tady est plutôt petit, environ un mètre soixante-sept pour soixante kilos. Avec ses longs cheveux noirs frisés soutenus par un bandeau et une barbe soigneusement taillée, il nous fait penser à un Américain ou un Jamaïcain. Son accoutrement lui donne l’allure d’un rappeur. On le dit réservé par nature, et croyant si l’on en juge par son inséparable collier à la croix de Jésus. Certains requérants du foyer de Ste-Croix le jugent quand-même très sociable.

« Après le centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe, mon frère et moi avons vécu successivement au centre de Chiasso, puis à l’abri PC de Bussigny au milieu des adultes. C’était très difficile, parce qu’il fallait se prendre en charge tout seuls à 12 ans. Après trois mois nous sommes allés dans un foyer pour mineurs du Service de protection de la jeunesse (SPJ) à Romainmôtier, puis à Lausanne où nous suivions l’école obligatoire. Nous avons ensuite poursuivi notre chemin dans un centre pour mineur non accompagné de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), également à Lausanne, pendant environ trois ans. Là j’ai débuté une formation de peintre en bâtiment et d’agent d’entretien à la Maison des jeunes de Lausanne.

Au bout d’un certain temps, la vie au centre était devenue un calvaire. J’ai alors effectué une demande auprès pour aller vivre avec une famille d’accueil, ce qui m’a été accordé. En dépit du soutien de mes deux familles d’accueil successives, qui n’ont jamais ménagé leurs efforts et à qui je dis merci beaucoup pour leur soutien indéfectible et leurs conseils, j’étais dépressif. Je continuais ma formation mais suite à l’absorption d’alcool qui m’a poussé faire des conneries, j’ai fait à plusieurs fois de la prison. Je buvais de plus en plus, je buvais au delà des limites et après ma dernière sortie de prison, on a exigé que je retourne en foyer. J’ai demandé si je pourrais habiter dans l’un des foyers de Lausanne proche de mon frère, mais la demande à été rejetée et j’ai été transféré à Ste-Croix, où je vis depuis un an et quatre mois. »

Il soupire un instant, et d’une voix grave il reprend : « Cela fait sept ans que je suis en Suisse. Dans les foyers, j’ai beaucoup appris : le français, la peinture et la culture de ce pays. Mais je vois les autres gens qui arrivent : ils font six, sept mois en foyer puis partent en appartement. Quant à moi je suis toujours comme un nouveau et ça me décourage. De son côté l’EVAM ne regarde que les erreurs que j’ai commises, mais jamais tout ce que j’ai fait de bien. J’ai finalement obtenu un transfert en logement individuel, mais une semaine plus tard j’ai été convoqué par la directrice du foyer, qui m’a annoncé son annulation, prétextant que je ne le méritais pas. Ca m’a bouleversé parce que je voulais être indépendant, et après sept ans, pour moi, c’était mérité. »

Tady affirme qu’il n’a jamais vendu de drogue ni volé dans les magasins. Il connaît mieux la Suisse que son pays d’origine, mais avoue qu’il est découragé de la vie, sans plus aucune motivation, ce qui le pousse à boire de l’alcool. Il s’indigne : « C’est toujours moi qu’on accuse : le jour où l’équipe nationale suisse affrontait celle d’Espagne en Coupe du monde, un incendie s’est produit dans ma chambre en mon absence et la police m’a interpelé. Quand il y a des vitres qui se cassent ou tout autre dégât, c’est encore Tady. Il est vrai que pendant la même période, j’ai brutalisé une copine du foyer qui m’avait manqué de respect, j’ai perdu la maîtrise. Maintenant on m’annonce que je suis transféré au foyer de Bex. Je suis pourtant contre… Faites quelque chose pour me sauver ! »

La situation de Tady Yalew, peut-on la classer dans le registre des enfants délinquants ? Selon lui, non. Mais Cécile Ehrensperger, responsable du secteur Nord et Ouest de l’EVAM, ne lui reconnait pas entièrement ce brillant passé, qui lui aurait sans doute permis de prospérer comme son frère, électricien aujourd’hui autonome financièrement.

La responsable affirme que « la police n’a pas inculpé Tady faute de preuve, mais de forts soupçons pèsent contre lui. » Elle reconnait par ailleurs que la prise en charge des mineurs avant 2006 était lamentable, et que le phénomène migratoire est douloureux. Mais l’annulation de son transfert en logement individuel a pour objectif de l’envoyer près de sa famille d’accueil à Bex et de ne pas le laisser s’alcooliser. « Cela n’est pas destiné à l’envoyer aux oubliettes, mais plutôt à lui dire de construire lui-même sa vie, de se responsabiliser et de reconnaitre qu’il a besoin d’une prise en charge médicale. »

De Bex aujourd’hui où le jeune Ethiopien continue son existence, Tady déclare que ça ne va pas vraiment, mais il reconnait toutefois que c’est mieux que Sainte-Croix. Là il a plus de possibilités, il rencontre très souvent l’intendant qui lui confie des tâches d’entretien. Il est volontaire et motivé, ce qui est tout à fait le contraire de Sainte-Croix où il ne faisait rien du tout. L’effet Cécile semble avoir porté ses fruits. Suite à une sélection assez serrée, il  a même été retenu tout récemment pour deux semaines de travaux d’intérêt général dans les pâturages d’Ollon, ce qui lui a même valu une interview sur Radio Chablais. Il envisage aujourd’hui de refaire une autre demande de transfert en logement individuel auprès de sa nouvelle directrice avec qui il a de bons rapports.

Gervais NJINGO DONGMO




Un café au goût unique

Bénévoles au Café-Contact de Ste-Croix

Deux bénévoles du « Café-contact » au foyer de Ste-Croix

Aux abords des centres d’enregistrement et des foyers pour requérants d’asile, des acteurs de l’ombre sont une source de lumière dans les ténèbres : les bénévoles réchauffent le cœur et le corps des migrants qui débarquent.

 

Ils ne font pas partie des fonctionnaires de l’Office fédéral des Migrations (ODM) qui traitent les procédures d’asile à Vallorbe. Ils ne ressemblent en rien aux agents de sécurité qui nous effrayent avec leur uniforme, nous fouillent et vont même jusqu’à exiger que l’on baisse nos sous-vêtements, histoire de contrôler nos sexes, se substituant aux policiers ou aux gardiens de prison, abusant de leur fonction dans l’application brutale des instructions vis-à-vis des pauvres gens qui débarquent pour trouver un abri en Suisse. Ils n’ont rien à voir non plus avec les assistants sociaux, qui dans leur majorité voudraient objectivement faire leur travail mais qui ont très peu de crédibilité auprès des requérants en raison de l’ambiguïté de leur statut.

Ce sont simplement des personnes dotées d’un grand sens de l’humanisme et dont le pragmatisme est sans limites. Pour eux le mot égoïsme n’existe pas. Leur soutien moral sans faille, à deux pas du Centre d’enregistrement et de procédure (CEP) et à travers l’Association auprès des Requérants d’Asile de Vallorbe, Œcuménique et Humanitaire (ARAVOH), communément appelée « Mama Africa », donne une lueur d’espoir aux migrants alors qu’ils se trouvent dans le collimateur de l’ODM.

Ces bénévoles nous ont montré un autre côté de l’existence. Ils n’ont pas eu peur de nous approcher et de nous offrir présence, écoute et partage de nos désarrois et de nos angoisses, répondant dans la mesure du possible à nos innombrables questions. Ainsi témoigne Idrissou, jeune requérant guinéen de 22 ans, qui assure leur devoir sa survie en Suisse : frappé d’une décision de non-entrée en matière à son arrivée et très bouleversé par la suite, ce solitaire a été informé par le biais des bénévoles qu’il avait la possibilité de déposer un recours, ce qui lui permet aujourd’hui de continuer non seulement de résister, mais aussi et surtout d’espérer.

Les requérants se rendent fréquemment dans le local spacieux de la gare de Vallorbe où ces prophètes du bonheur offrent le sourire qui leur manquent profondément. Ainsi, autour d’un café au goût magique et unique gracieusement offert par ces chefs de familles, mères au foyer et travailleurs, ils reçoivent chaleur et convivialité. Des dons qu’ils affirment ne jamais pouvoir rembourser s’il le fallait, même après des décennies  de travail en Suisse. Aucun requérant d’asile passé par Vallorbe n’est près d’oublier Mama Africa, avec qui ils sont devenus une famille. C’est ainsi qu’un requérant burkinabé nous confie qu’il garde jalousement son premier et unique bonnet ainsi qu’une veste offerts par l’association.

Certains de ses membres vont même accompagner les migrants dans le périlleux chemin de l’intégration. Ils tentent par tous les moyens de leur faire oublier les événements violents vécus dans leur pays de provenance et la solitude du pays d’accueil, afin de ne pas les laisser plonger dans la déprime.

Au foyer de Sainte-Croix, même dévouement tous les lundis au « Café-contact » : des bénévoles nous offrent des collations, occasion de rencontres et d’échanges pouvant déboucher très souvent sur des aides personnelles, avec en plus un vestiaire qui nous permet de nous vêtir au prix de rien. Alors qu’à l’extérieur nous faisons face à des visages froids et rigides, là par contre ils nous aident à franchir les multiples obstacles qui sont dressés devant nous, diminuant la hauteur des murs de séparation et luttant contre les préjugés. Selon leur président, Paul Schneider, leur motivation est tout d’abord chrétienne : pour eux, l’amour du prochain prime.

Ces personnes, légions de par la Suisse, sont des humanistes qui ne demandent rien en retour aux requérants, si ce n’est de mener une vie digne et de se conformer à la législation helvétique, intégration à laquelle ils participent. Il est vrai que les migrants ne se conforment pas toujours comme il faut pour mériter leurs sacrifices, quand on sait que beaucoup ignorent les règles les plus élémentaires de la politesse, le mot merci n’existant pas dans le vocabulaire de certains. D’autres restent réticents et vont jusqu’à croire que le milieu regorge de personnes belliqueuses qui jouent les marionnettes de l’ODM. Cependant, globalement, on est satisfait et on se sent redevable vis-à-vis de ces envoyés de Dieu.

Gervais NJINGO DONGMO




Voix d’Exils inaugure son blog à la Caravane des quartiers de Lausanne

La Caravane des Quartiers dans les rues de Lausanne

L’équipe des rédacteurs de Voix d’Exils au micro de Caravane FM

 Le jeudi 23 septembre 2010, Voix d’Exils a rendu public son média social en ligne à l’occasion du passage de la Caravane des quartiers de Lausanne dans le quartier de Prélaz. Une étape importante dans le développement du projet.

Depuis mai 2010, la rédaction de Voix d’Exils qui est rattachée au programme d’occupation (PO) Communication de l’EVAM, mène des débats de fond sur le contenu, la forme et les objectifs de la nouvelle formule électronique de Voix d’Exils. Un été consacré au murissement des idées, et voici venu le temps de la récolte. Afin de marquer le coup, un banquet gargantuesque attendait les convives et pas moins de 80 personnes se sont rendues sur place pour célébrer la renaissance de Voix d’Exils. Fort heureusement le soleil était au rendez-vous pour ce dernier jour de l’été avec 24 degrés à l’ombre. Ce fut également l’occasion pour chaque membre de la rédaction de Voix d’Exils de prendre la parole et expliquer le projet sur les ondes de Caravane FM 92.4, la radio de la Caravane des quartiers, puis de vive voix devant l’assemblée et dans les trois langues du blog : en français, en anglais et en arabe.

La rédaction de Voix d’Exils tient en particulier à remercier le PO Cuisine de l’EVAM pour sa prestation qui fut d’une qualité remarquable, et toute l’équipe de la Caravane des quartiers pour sa contribution à la mise en place de l’événement ainsi que pour cette expérience radiophonique inoubliable que fut Caravane FM.

Cette étape symbolique étant franchie, notre objectif est actuellement de consolider l’implantation de Voix d’Exils en publiant des contenus plus régulièrement et en étendant notre réseau de contributeurs et contributrices. A cette fin, nous profitons de vous rappeler que toute personne souhaitant s’exprimer sur Voix d’Exils est invitée à partager avec nous les pages de notre blog, ce pour autant qu’elle respecte les termes de la charte rédactionnelle.

N’hésitez donc pas à vous manifester et à prendre contact avec la rédaction en envoyant un e-mail à : redaction@voixdexils.ch.

Omar Odermatt




Le Courrier publie l’interview du passeur!

L’interview exclusive d’un passeur, réalisée par Voix d’Exils, a été publiée le 8 octobre 2010 dans Le Courrier,  quotidien Suisse indépendant.




L’attente

Asile en Suisse, une caricature sur l'attente

Série 1 le message du mouton / l’attente / par Nashwan BAMARNI, artiste originaire du Kurdistan – Irak